jeudi 13 décembre 2007

Partie 2 : Prologue

Prologue

Celui qui a de l’espoir voit le succès où d’autres voient l’échec

O.S. Marden

« Bien sur que non, on ne repart pas sur Plume »

Tempête me regardait comme si j’avais fait la proposition la plus insensée qu’il puisse être imaginée et dédaigna le bracelet qu’elle avait « emprunté » selon ses dires au conseiller Sinshy. Il s’agissait d’une sorte de minuscule ordinateurs rassemblant une multitudes de données inutile. De son emploi du temps aux travaux en cours. « Ca fait quatre ans que je me pourrie la vie ici dans le seul but d’avoir accès aux technologies des Maÿcentres pour mes recherches. Je ne vais pas tout laisser tomber maintenant. J’ai étudié tous les travaux et tous les documents rassemblés par Espoir avant sa mort et je peux t’assurer qu’il s’agit d’un sacré travail. Ton père avait regroupé une mine d’information fabuleuse et sûrement pas en suivant les directives des Maÿcentres ni celle de la Terre. Il a passé plusieurs années sur Terre avant ta naissance, encore d’autres il y a une dizaines d’année et presque trois ans avec ta mère et toi sans que personne n’en sache rien.

- Je pensais que tu t’occupais exclusivement de faire des études au niveau des plantes curatives pour la Terre ?»

Je savais pertinemment qu’elle me cachait une bonne partie de ses recherches aussi, je ne m’étonnais nullement de l’entendre parler ainsi. Elle ne prit pas la peine de répondre à ma question.

« L’arrogant président Eysky veut que je quitte les Maÿcentres, dans ce cas, je quitterai les Maÿcentres sans regret. Mais moi, je retourne sur Terre, je reprends les travaux de ton père car je suis sûre que lui aussi ne s’intéressait pas qu’aux relations diplomatiques ».

J’ouvris de grands yeux et me tournai vers Sentiment. « Tu ne vas pas la laisser faire ça ?

- J’ai renoncé à tenter de l’empêcher de faire quoi que ce soit. De toute façon, elle ne m’écoute pas. Par contre, je l’accompagnerai, espérant réduire la perturbation au minimum.

- Vous avez déjà oublié le désastre de notre dernière escapade ? Je me souviens encore la façon dont nous nous sommes faites remballer quand vous êtes venues me chercher.

- Là, c’est différent » reprit Tempête, « notre départ est prévu, on aura juste l’itinéraire à changer. On part des Maÿcentres, on va jusqu’à la plate-forme de plissement de l’espace, on change discrètement les coordonnées après s’être assurées qu’on n’est pas suivi et le tour est joué. Personne ne nous retrouve jamais.

- C’est ça, et au niveau de la Terre ? »

Tempête se mit à rire mais surtout par nervosité. Elle avait beau dire, elle était furieuse à l’idée d’être chassée ainsi. « Ces hommes ont devant leurs yeux des restes de civilisations extraordinaires, un monceau de mystères sans explication et ils ne s’en préoccupent même pas alors pourquoi se questionneraient-ils plus à mon sujet ? En plus, j’ai une autorisation en bonne et due forme » dit-elle en me tendant un document signé par le général Gentry.

« Cela dit » précisa-t-elle, comme si je ne savais pas lire, « que nous avons le droit d’aller sur Terre selon notre bon vouloir, faire toutes les recherches qui peuvent nous être utiles.

- Une autorisation obtenue ainsi n’a pas grande valeur.

- Ca, ils ne savent pas comment je l’ai obtenue. Ils m’ont juste dit qu’on ne pouvait rien refuser à une personne aussi charmante.

- Dans ce cas, tu n’as pas besoin de moi. Une personne aussi charmante trouvera bien ses renseignements toute seule.

- Bien sur que si, j’ai besoin de toi. Je sais à peine lire l’anglais. En plus, je ne sais pas m’y prendre pour trouver les informations. Il faut chercher dans des tas de machines compliquées. Je n’y connais rien là-dedans. Et surtout, je te rappelle qu’Eysky ne veux plus te voir ici.

- Il a dit ça sur un coup de tête, ça lui passera.

Plumeau passa la tête par l’entrebâillement de la porte du salon : « Le président Eysky et la Syhy Lytyl attendent dehors.

- D’accord, je m’en occupe » dis-je aux deux filles soulagées de se débarrasser si facilement de la corvée. Ils n’avaient pas attendu longtemps ces deux-là.

« Votre domestique a refusé de nous laisser entrer » s’exclama le Président à peine avais-je ouvert la porte.

« Je crois que vos gardes l’ont vexée hier. Ils l’ont menacée de lui trouver un vrai travail sur les Maÿcentres ».

Une légère fragrance d’incrédulité se dégagea du président. Il ne devait pas comprendre en quoi ce pouvait être une proposition si dégradante mais il n’insista pas. Il n’était pas venu pour ça, malheureusement.

« Nous devons parler à Orage.

- L’Adarii Orage n’est pas encore levé. Pour tout vous dire, nous avons été retenus assez tard hier par certaines personnes indélicates et…

- Pluie, n’envenime pas les choses, laisse-moi cet honneur. J’arrive

Je soupirai. « Il arrive ».

Le jour était levé et le soleil déjà chaud. Nous étions passés d’un hiver froid et noir à un été ensoleillé en quelques jours. Etais-ce pour profiter du soleil retrouvé que je leur proposai de s’installer autour d’une des fontaines du jardin ? Non, au fond de moi, je savais bien que la raison était tout autre : je n’avais aucune envie de les voir gâcher encore la douce retraite de la villa.

Orage arriva à peine quelques minutes plus tard, heureux de constater que seul le président et la Syhy s’étaient déplacés.

« Allez, finissons-en. Dites-moi tout Syhy. Aurais-je le plaisir de m’unir à votre fille ?

- Jamais », cracha-t-elle. « Comment pouvez-vous imaginer que quelqu’un d’aussi perverti que vous puisse avoir droit à un tel honneur ?

- Vous m’en voyez désolé » répondit Orage tout sourire.

« Il a été conclu », dit le président, « que Syhy Dyasella Lïtïl sera soumise à une période de réclusion d’un an à son domicile.

- Pour réfléchir à son comportement outrageux », précisa sa mère.

« Ensuite », continua le président. « Elle vivra avec Syhy Ryun Eïskï selon les coutumes matrimoniales des Maÿcentres. »

Tout ça pour ça ! Ca valait le coup de faire de telles simagrées.

- En ce qui vous concerne Adarii, je vous suggère de faire de même ».

Orage rit franchement. « Je suis en réclusion depuis que je suis arrivé ici.

- Alors, disons qu’à partir d’aujourd’hui, c’est pire. Vous n’avez plus accès aux réunions du conseil, vous ne sortez plus de la villa sans autorisation, vous…

- Taisez-vous ! Vos coutumes ne me regardent pas.

- Ce n’est pas une coutume », reprit Eysky « c’est un ordre du président.

Et ce n’est pas tout. Tout comme Dyasella se verra forcée de ne pas voir son fiancé pendant un an, vous devrez de même vous séparer de vos petites amies. »

Loin de s’offusquer, Orage sourit à cette idée. « Comme il vous plaira Président. Tempête est déjà en train de faire ses bagages. Elle ne supporte plus vos insultes quotidiennes et a décidé de quitter les Maÿcentres. Sentiment l’accompagne d’ailleurs ».

Et voilà comment l’exil des deux filles se transformait en une décision de leur part.

« Et elle ? » La Syhy me pointa du doigt comme elle aurait désigné un excrément.

- Pointe ça ailleurs.

Je la regardais multiplier ses efforts pour garder son doigt vers moi, mais ma volonté était la plus forte. Elle baissa le bras mais me lança un flot de paroles injurieuses.

« Ca suffit Syhy. J’étais prêt à faire un effort, mais votre comportement est nettement plus insultant pour nous que tout ce que j’ai pu faire à votre fille. Faites vos excuses à l’Adarii Pluie de suite. »

La Syhy hurla encore plus fort qu’Orage : « Jamais ! C’est à elle de s’excuser.

- Vous avez raison, de simples excuses ne suffiraient pas à réparer un tel affront. » J’étais hors de moi, j’aurais voulu la frapper. D’ailleurs, j’allais la frapper.

Orage m’attrapa le bras au vol. - Surtout pas Pluie. Tu en as déjà fait suffisamment à ce niveau.

Je me détournai d’Orage et mes yeux se portèrent sur la fontaine. - Pourquoi pas un bon bain alors.

- Non Pluie, cesse d’agir sans réfléchir. Il faut faire preuve de diplomatie et c’est ma spécialité. Nous sommes au bord du gouffre. Reste à savoir si nous sautons avec ou sans parachute. Va rejoindre les autres et laisse-moi m’occuper de ça.

J’obéis à contrecœur, bien consciente qu’il avait raison. En passant près du président, je m’arrêtai et murmurai à sa seule intention : « Vous feriez bien de cloîtrer aussi Ryun. Après tout, je ne suis pas sûre qu’il soit si sage que ça lui non plus.

- Ryun n’a jamais rien fait.

- En général, vous avez toujours besoin de moi pour être certain de ce genre de chose. Vous imaginez vraiment que je ne sais rien de compromettant ? »

Je le laissai à ses réflexions, heureuse d’avoir semé si facilement le trouble dans son esprit et remontai auprès des filles.

***

« Parle-lui de tes stupides théories, ça lui changera les idées »

Je venais de faire un résumé de la situation à Tempête. On se retourna toutes les deux vers Sentiment qui avait prononcé ces paroles.

« Ce n’est pas stupide », dit Tempête. « Peut-être un peu poussé mais pas stupide. Tu connais l’hypothèse de Vengeance selon laquelle, le peuple Adarii viendrait d’une mutation sur Saphir ? »

Oui, je connaissais. Ce n’était fondé sur rien mais ils n’avaient pas trouvé mieux alors, ils s’en contentaient.

« Je n’y crois pas » ajouta Tempête

« Moi non plus et alors ?

- Disons, pour faire simple, que si toutes les civilisations des différentes planètes connues viennent de la Terre comme je le pense. Alors, les Adarii viennent de là aussi. Et après tout, serait-il totalement absurde de penser qu’ils aient laissé quelques traces ? »

J’éclatai de rire. « Oui, ça l’est. Tu comptes aller sur Terre fouiller des ruines dans l’espoir de trouver des armes de notre peuple dont personne n’a jamais entendu parler sûrement dans le but de détruire les Maÿcentres avec Orage ?

Je le regardais cherchant à déceler quelques traces d’humour dans ses propos mais, malheureusement, elle semblait sérieuse.

« Ecoute Tempête, j’adore tes excentricités, mais là non, c’est l’excuse la plus lamentable que tu n’aies jamais inventée pour justifier tes recherches.

- Non Pluie, tu n’as pas tout à fait suivi. J’affirme qu’il y a des traces d’éléments de notre culture sur Terre. Durant le peu de temps que j’ai pu passer sur cette planète, la première fois il y a quatre ans où je suis restée deux mois et la deuxième fois il y a deux ans quand je suis venue te chercher, j’en ai trouvé pleins. Des étymologies similaires, des éléments pictographiques, ainsi qu’au niveau du langage, des consonances en particulier. Des éléments architecturaux aussi, par exemple l’utilisation de blocs de pierre de plusieurs tonnes dans les constructions.

- Imaginons même tout ce que tu veux, ça remonte à quinze mille ans qu’est ce que tu espères trouver ? »

- Faux, ça remonte à 8000 ans. En tout cas, la colonisation de Saphir remonte à 8000 ans. »

- Là, du coup, c’est bien trop récent. Si une civilisation assez avancée pour voyager dans l’espace existait encore sur Terre il y a à peine 8000 ans, ça ce saurait. Leurs techniques de recherche sont très évoluées, plus que celles de Vengeance même, sur certains points.

- Ecoute Pluie, je suis persuadée qu’il existait d’anciennes civilisations sur Terre qui sont à l’origine de la colonisation des différentes planètes et tout me porte à croire qu’il y avait au moins une civilisation Adarii. Après, quelles étaient leurs capacités ? Où sont-ils partis ? Quand sont-ils partis ? Je n’en sais rien mais je le saurais. Les Terriens ont les moyens mais ils ne savent pas quoi chercher. Je réussirais là où ils ont échoué. Les Maÿcentres ne se contenteront pas de nous chasser de chez eux, ils nous détruirons. Si je peux avoir une chance, même infime, de trouver le moindre élément concernant une puissance Adarii. Je veux le tenter. Et à part sur Terre, je ne vois pas où chercher.

- Sur Saphir

- Des dizaines d’explorateurs ont fouillé Saphir. Il n’y a rien là-bas ou alors, plus vraisemblablement, tout a été détruit lors du traité de désarmement. Non, pour l’instant, la Terre est le seul point de départ qui n’ait pas encore été fouillé. »

Je ne savais plus que penser. Je regardai Sentiment, cherchant un soutien. En général, elle était plus raisonnable que Tempête « Dis quelque chose, toi ! »

Elle passa une main dans ses cheveux et réfléchit un instant, pesant ses mots : « Disons que c’est un peu poussé, mais là, elle t’a fait un résumé et c’est vrai que certains éléments sont assez troublants. En particulier avec cette ville de Tiwanaku. Cette cité qu’évoquait Espoir dans ses derniers documents. Elle pense qu’elle pourrait être une fondation de l’empire Tiyana. Mais, elle t’en parlera pendant des heures durant le voyage

- A cause d’une consonance de nom sans doute ? Il y a suffisamment de villages sur Terre pour trouver des similitudes à tout et n’importe quoi. En plus, le vocabulaire évolue si vite qu’on ne peut rien conclure sur une telle période ».

Je me tournai vers la porte. Orage était sur le point d’arriver. Je sentais mon cœur battre de plus en plus vite. Avant même qu’il ouvre la porte, je sus qu’il souriait, ce qui me rassura un peu.

« Alors ? » dit Tempête dès qu’il passa la porte.

« Je reste ici, aussi libre et aussi coincé qu’avant. Je n’ai plus accès au complexe du conseil sauf suivant le bon vouloir d’Eysky, et c’est lui qui viendra ici pour les liaisons avec Glace.

- C’est intolérable », cria Tempête. « Comment as-tu pu accepter ça ? »

Orage grinça entre ses dents. « Comment j’ai pu ? Tempête, nous sommes fichus. C’était ça ou foutre le camp. J’ai accepté juste pour gagner du temps afin de pouvoir préparer mon départ. En plus, il n’y a pas que moi à prendre en compte. Si aucun d’entre nous ne reste sur les Maÿcentres, ils s’empresseront de renvoyer Glace de la Terre vu qu’il n’aura plus aucun intérêt.

Autre chose : Pluie s’en va aussi.

- Comment ça, je m’en vais ? Tu m’avais dit que tu t’occupais de ça ?

- C’est-ce que j’ai fait. Je leur ai dit que tu t’en irais sans faire d’histoire et en échange, j’ai gagné le droit de pouvoir me déplacer librement sur la colline du conseil.

- Tu m’as vendue pour une ballade !

- Ne sois pas stupide, tu as signé ton départ en frappant Ryun. C’était de loin l’idée la plus aberrante que tu n’aies jamais eu. C’est ton séjour sur Terre qui t’a appris ce genre de chose ?

- Il le méritait.

- Imposer une douleur physique est la pire chose possible sur cette boule de dingues. Si tu n’étais pas Adarii, ils t’auraient sans doute envoyée faire un tour sur le satellite prison Exil pour ce genre de chose. Cela dit, à mon avis, tu étais déjà condamnée à partir avant, alors perdue pour perdue, ce n’était pas mal de finir en beauté.

Il va falloir aller vite. Tempête et Sentiment, vous partez sur Terre, il faut qu’on en sache plus sur les hypothèses de Tempête, c’est notre unique piste possible pour l’instant. Pluie ira avec vous. Tu iras voir Emma. Tu dois la convaincre que tu n’es pas retenue ici contre ta volonté et tu l’obliges à la fermer par n’importe quel moyen.

Si les Maÿcentres nous renvoient de la Terre, il n’y a pas besoin en plus qu’elle nous démolisse aux yeux des Terriens.

- Ca, de toute façon, les Maÿcentres s’en chargeront.

- Bien sur, tu oublies qu’ici, ils ne savent pas tout. Ils ne savent pas qu’Espoir a passé plusieurs années sur Terre, qu’il faisait des expériences plus que douteuses et que sa fille est un hybride Terrien. Tu veux vraiment que ça se sache ? Je ne sais pas qui se délecterait le plus de ses croustillantes informations entre la Terre et les Maÿcentres ? »

Je regardai Orage complètement affolée « D’accord murmurai-je, j’irais. »

lundi 26 novembre 2007

Résumé

Pluie, alias Val est une jeune fille associale et aigrie écrasée par un égo démesuré (un portrait cruel pour un de mes personnages préférés). Elle déteste le monde dans lequel elle vit (le nôtre) et en cela, elle a de la chance puisque ce n'est pas le sien. Elle va donc réussir à le quitter, quitte à contrecarrer les projets prévus pour elle, avec l'aide d'autres personnages aux caractères trempés eux-aussi.
Si dans la plupart des oeuvres de fiction, nous retrouvons le thème : grand pouvoir=grande responsabilité, dans Pluie nous voyons le résultat quand grand pouvoir=je me fiche des conséquences et ne m'occupe que de moi. Et ça se passe mal pour mon plus grand plaisir.

Mélange de science fiction et de magie, Pluie puise son inspiration dans une multitude de mystères tel que l'étrange cité de Tihuanaco sur les bords du lac de Titicaca, les théories du complot extraterrestre, les mythes de l'Atlantide et des Terres de Mu, puis les mythologies Sumérienne pour les volumes suivants.

Partie 1 : Chapitre 14

14

"C'est de l'intérieur de soi que vient la défaite. Dans le monde extérieur il n'y a pas de défaite. La nature, le ciel, la nuit, la pluie, les vents ne sont qu'un long triomphe aveugle."

Pascal Quignard


« Orage »

Etait-ce un cri ? Non, un coup de tonnerre. Une Tempête dévastait la paisible falaise surplombant l’océan rose, doux refuge de mes rêves. Je sentis une main douce et chaude m’attirer dans un cocon de bien-être, une odeur douce, sucrée et légèrement épicée.

La porte s’ouvrit entraînant avec elle un flot de lumière, J’ouvris les yeux et les refermai aussitôt.

« Orage » Là, c’était sur, c’était bien un cri. Toute cette lumière, c’était trop. Et dire qu’à peine trois mois plus tôt, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’il fasse jour à des heures normales.

Je n’avais pas le courage d’ouvrir la bouche. Ce n’était pas des façons de réveiller les gens. Je reconnus Tempête par son parfum de vanille et étouffai un bâillement tandis qu’un flot de parole envahissait ma chambre.

Orage émergea difficilement. En général, il valait mieux éviter de le réveiller si on ne voulait pas l’entendre crier toute la journée. « Ca ne t’est pas venu à l’esprit que je pourrais simplement dormir ? » dit-il, sans doute en réponse au discours de Tempête.

Cette dernière haussa les épaules. « Bien sur que si » dit-elle « d’ailleurs, vu que tu ne répondais pas, j’ai commencé par te chercher dans ta chambre et j’ai vu que tu n’y étais pas. Alors Sentiment m’a dit d’arrêter de gesticuler inutilement. Je lui ai dit que j’avais besoin de te joindre. Elle m’a dit que tu devais dormir, je lui ai dit que tu n’étais pas dans ta chambre. Alors elle m’a regardé en murmurant quelque chose entre ses dents. “pathétique” je crois. Puis, elle m’a dit que tu n’étais pas non plus dans la sienne et que tu n’y serais jamais.

- Même si elle venait me supplier à genoux » confirma Orage en se serrant plus fort contre moi m’enivrant de sa présence.

« Je le sais bien. D’ailleurs, c’est ce que j’ai dit. Alors, elle m’a dit d’une voix de demeurée : “Dans ce cas, tu n’as qu’à procéder calmement par élimination. S’il ne dort pas dans sa chambre, ni dans la mienne, ni dans la tienne, c’est qu’il est avec Pluie.”

En fait, elle n’a pas eu le temps de finir sa phrase. J’avais compris avant » Je commençais à la connaître suffisamment pour savoir que, quand elle jouait le rôle de la petite idiote, il fallait s’attendre au pire. Mais, je ne posai pas de question. Je tirai le drap au dessus de ma tête essayant vainement de me débarrasser de toute cette lumière. Si Tempête pouvait se taire aussi, ça m’arrangerait. Elle fit semblant de ne pas avoir perçu cette dernière pensée et reprit de plus belle : « Tu ne devrais pas dormir avec Orage, il est dangereux.

- C’est pour me montrer à quel point ton sens des déductions est développé, que tu es venu nous réveiller ou pour dire du mal de moi ? »

Tempête haussa les épaules « Jamais je ne dirais du mal de toi, je t’aime trop. Il paraît que le premier conseiller Sinshy aurait une piste à propos de l’agression d’Eysky. » Elle était passé si vite d’un sujet à l’autre que mon esprit embué de sommeil eut du mal à cerner la suite de ses propos. Orage comprit plus vite que moi « C’est ça oui, ce ne serait que la vingt-troisième pistes qu’ils suivent.

- Oui, mais là, il aurait envoyé une bonne partie de sa garde personnelle fouiller les villes souterraines. C’est Plumeau qui me l’a dit. Elle l’a appris de…

- Peu importe. » coupa Orage « Tu commences à m’intéresser.

- Sinon, une autre bonne partie des forces a été mobilisée pour garder les funiculaires afin de surveiller les allées et venues sur le plateau et puis, bien sur, pour garder la villa Adarii pour la réception de ce soir. »

Le silence emplit soudain la pièce et je compris qu’ils continuaient à parler mentalement prenant bien soin de m’exclure de leur conversation.

Je pris sur moi de ne rien demander sachant que de toute façon, ils ne me diraient rien, comme d’habitude, et cherchai vainement à retrouver le sommeil.

Orage me lâcha d’un coup et enfila à une vitesse que je n’imaginai pas possible, une tunique de soie noire rebrodé d’un lézard à l’air presque aussi féroce que lui. « On y va » dit-il en prenant la main de Tempête « Pluie, occupe-toi de préparer la réception de ce soir. Nous, nous avons des choses à faire ».

La violence de son départ me réveilla tout à fait « Ca ne va pas non. Je veux savoir ce qu’il se passe ? »

- Il ne vaut mieux pas me dit Orage tendrement avant de me rejeter violemment de ses pensées.

Un jour, il faudra absolument que je trouve quelque chose, n’importe quoi, à leur cacher. Je passai toute la matinée à fulminer. En plus, ils me laissaient juste le jour où il y avait un travail fou. Comment pourrais-je tout préparer toute seule ? Je n’y connaissais rien en réception. Je passais toute la matinée à tenter de résoudre des problèmes de cuisine avec Fleur, ou de décoration avec Aiguille, mais au fond, ils s’y connaissaient mieux que moi et la tension qu’ils dégageaient était insupportable. Si au moins ceux de Saphir étaient restés, ils auraient pu m’aider. Seulement, jamais ils n’auraient acceptés de participer à cela. Ho non, ils étaient bien trop fiers pour côtoyer les hommes des Maÿcentres. C’était bon pour la petite colonie de Plume ça. N’empêche qu’ils nous avaient laissé de beaux cadeaux pensai-je caressant la petite perle de nacre sur mon nombril. La délégation d’Archuleta était partie elle aussi. Nous avions ensuite eu droit aux interrogatoires incessants d’Eysky concernant Saphir. Le ton était monté des deux cotés et nous en étions restés là. Orage avait promis au président une réception grandiose pour flatter l’ego et la curiosité de la haute société des Vengeance-Maÿcentres ce qui avait mis Eysky de bonne humeur même s’il avait gardé ses soupçons et, trois mois après, la situation était toujours aussi tendue.

Vers la fin de matinée, je croisai Sentiment qui descendait tranquillement l’escalier et passait devant moi sans un regard.

Maintenant, c’était suffisant « Tu vas me dire ce qu’il se passe » Ce n’était pas une question mais un ordre

Elle me regarda éberluée. « Pour qui te prends-tu à m’agresser ainsi ? »

Du haut de mon mètre soixante, elle n’avait pas de mal à me toiser de haut, pourtant je ne me laissai pas faire. « Je me prends pour l’Adarii Pluie de la principale cité de Taegaïan. Et toi ?

- La gamine se rebelle. Bon, que veux-tu savoir encore ? »

Elle me prenait pour une idiote ou quoi « Je veux savoir, ce que vous êtes partis faire ce matin. Et d’ailleurs, où sont Tempête et Orage ?

- De quoi parles-tu ? J’ai passé la matinée chez moi.

Je n’avais pas pensée une seule seconde qu’elle puisse ne pas être dans le coup. D’habitude, il n’y avait que moi qui n’étais au courant de rien. Découvrir que, pour une fois, Sentiment en savait encore moins me mit en joie.

Je lui expliquai ce qu’avait dit Tempête et comment Orage s’était précipité pour partir avec elle.

Sentiment devint blême et s’écria : « les imbéciles ! Il faut les retrouver. J’y vais. Toi, tu t’occupes de la réception. »

Elle détala avant même que je puisse faire la moindre remarque et je restai les bras ballants, seule, au bas de l’escalier. Je ne savais rien de plus et je réalisais en plus que Sentiment avait passé la matinée à se prélasser plutôt que de m’aider.

Je passai tout le reste de la journée dans une humeur encore plus massacrante tout en essayant le mieux possible de gérer toutes les demandes des domestiques pour la réception. Je tentai vainement de les pousser à se débrouiller pour le plus de choses possibles mais il fallait toujours qu’ils viennent se référer à moi à chaque fois que quelque chose n’allait pas, comme si j’étais omnisciente.

Glace profita du pire moment, tandis que j’étais empêtrée entre je ne sais quelle plat qui avait brûlé, et des histoires de bougies qui étaient perdues.

- Ce n’est pas le moment Glace.

Mais sans qu’il en dise d’avantage, je compris que c’était important et je montai m’installer au calme.

- Il faut que tu parles à Emma.

Je n’y étais pas du tout, de quoi parlait-il encore ?

- Comment ça Emma ?

- Ta mère.

Qu’est-ce qu’il venait me parler de ma mère celui-la ? C’était bien le moment.

- Elle est en train de nous concocter un scandale et a réussi à faire parvenir des menaces comme quoi, si tu n’allais pas la voir, elle révèlerait à Archuleta certaines choses qu’ils n’ont absolument pas besoin de savoir. Je pense qu’elle imagine qu’on te séquestre

Qu’est ce que sa cervelle bizarre avait encore concocté ?

J’essayais de plaisanter. J’avais des affaires bien plus urgentes à régler - Désolé, mais là ça me parait difficile. Tu n’as qu’à te débrouiller pour me l’amener et je lui parlerai. Mais pas aujourd’hui.

- Tu t’arranges comme tu veux, mais tu devras faire un aller-retour sur Terre discrètement et régler cette histoire avant qu’elle ne dévoile de quoi me faire renvoyer.

- Non, la Terre, j’ai donné. Arrange-toi pour lui faire parvenir ce message de ma part : « qu’elle aille se faire voir »

J’envoyai Glace le plus loin possible de moi. Je savais que je ne m’en tirerais pas à si bon compte, mais là, j’avais d’autres priorités.

Les premiers invités étaient arrivés et j’étais encore seule pour m’occuper de tout.

« Adarii Pluie » Plumeau était de plus en plus gênée à chaque fois qu’elle venait me demander conseil et ça devait bien être la dixième fois et cela uniquement durant la dernière heure « Tu es sûre que c’est quelque chose que tu ne peux pas régler par toi-même ?

- J’ai bien peur que non » dit-elle terrifiée. « Le président est arrivé ».

Jusque là, c’était normal, il était invité.

Plumeau continua « Il a demandé à parler aux Adarii Maniya et Azlan comme il les appelle. Il est furieux » précisa-t-elle « Quand je lui ai dit qu’elles étaient absentes, il s’est mis en rage et m’a ordonné de lui ramener n’importe qui de votre race. C’est lui qui l’a dit » précisa-t-elle comme pour se justifier. « Je l’ai fait entrer dans la bibliothèque. »

Il ne manquait plus que ça. Et en plus, je n’avais aucune idée de ce qu’elles faisaient ou avaient fait plutôt. « Plumeau. Je ne suis pas naïve, je sais bien que tu passes ton temps à écouter aux portes. Dis-moi vite, As-tu la moindre idée de ce que manigancent Tempête et Orage ?

- Non, aucune idée. Je les ai juste vu partir ce matin avec précipitation. De toute façon, ils ne complotent jamais en parole et savent toujours quand je suis derrière la porte » marmonna-t-elle

Il aurait fallu que je la plaigne sans doute.

J’aurais dû interroger les autres domestiques à ce sujet mais maintenant, je n’avais plus le temps.

J’essayai encore de contacter quelqu’un, n’importe qui.

- On arrive Tempête avait coupé le contact aussi vite, mais au moins, c’était déjà ça. Il ne me restait plus qu’à gagner le plus de temps possible.

Je me dirigeai à contrecœur vers la bibliothèque. Je n’étais pas vraiment d’humeur à entendre les remontrances d’Eysky surtout que, comme d’habitude, je n’y étais pour rien. C’était encore ça qui me gênait le plus. Pourquoi est-ce qu’on me mettait toujours à l’écart des plans intéressants ? Evidemment, après, c’était quand même à moi à faire les excuses.

Dès que je me présentai à la bibliothèque, je sus que, pour une fois, les craintes de Plumeau n’étaient pas exagérées. Il était debout, entouré de deux gardes du corps qu’il avait refusé de laisser dehors, et il émanait de lui une colère dont la puissance était presque douloureuse. Je soupirai intérieurement à l’idée de la corvée qui m’attendait.

« Président Eysky, vous honorez la maison Adarii de votre présence » dis-je selon la formule consacrée, sentant que je ne m’en tirerais pas à si bon compte.

« Adarii Pluie, je veux voir immédiatement les Adarii Tempête et Sentiment.

- Elles ne sont pas là. » J’aurais sans doute dû mettre un peu plus de forme et de courtoisie mais son attitude avait du mal à m’inspirer des sentiments agréables

« Dans ce cas, pour une fois, utilisez vos facultés bizarres intelligemment et dites-leur de venir en vitesse ».

Il était excessivement pénible quand il criait ainsi « Je pense qu’elles ont sans doute autre chose à faire.

- Pluie, quand vous êtes arrivée sur les Maÿcentres, j’ai naïvement pensé, pendant les premiers temps, qu’on pourrait peut-être faire quelque chose de vous. Mais non, vous êtes devenue aussi arrogante et irrespectueuse que tous ceux de votre race. »

Ca y est, ça allait me retomber dessus.

« Vos amies se sont attaquées à mon bras droit, le premier conseiller Sinshy. C’est un acte de haute trahison. Le motif vous paraît suffisant ? »

Je restai un instant abasourdie. Non pas de penser qu’ils auraient pu aller jusqu’à s’attaquer au premier conseiller, je savais qu’ils en rêvaient depuis toujours mais je ne comprenais pas ce qu’ils avaient pu faire pour que ça tourne aussi mal. En plus, Sentiment devait les ramener pas jouer leur jeu.

Je n’eus cependant pas le temps de les appeler car la porte d’entrée claqua violemment et Tempête entra comme une furie suivie de Sentiment. Elles s’arrêtèrent net à la vue du président. « Président Eysky vous honorez la villa Adarii de votre présence » dit Tempête comme on récite une leçon apprise par cœur rendant ses paroles protocolaires presque plus méprisantes qu’une injure tandis que Sentiment posait distraitement une pile de document dans un coin de la bibliothèque.

« Ecoutez-moi toutes les deux, votre vaisseau est prêt à appareiller. Ce soir, vous allez me faire le plaisir d’être des hôtes agréables et de ne pas vous faire trop remarquer et demain, vous faites vos adieux aux Maÿcentres. Si vous êtes encore la demain soir, j’envoie toute ma garde contre vous deux. »

Il avait crié mais Tempête n’avait pas bougé d’un pouce. Sentiment s’était contentée de s’asseoir à l’écart et d’observer la scène.

« Président Eysky » s’exclama Tempête en montant encore d’un ton, l’assemblée Adarii n’appréciera pas…

- Très bien » coupa-t-il « très bonne idée, rentrez sur Plume et allez voir votre conseil. Je pense que, s’il a un minimum de morale, il condamnera vos agissements autant que je le fais. Sinon… Hé bien sinon, dites-vous bien que les Maÿcentres ne craignent pas les Adarii ». Il avait légèrement frémi en prononçant ses dernières paroles mais la colère l’avait emporté.

Orage entra à ce moment-là, tout sourire et se mit en devoir d’escorter le président vers la salle de réception comme si de rien n’était.

Le silence qui envahit la bibliothèque prenait des allures de fin du monde. Tempête finit par se retourner vers nous. « Pour qui se prend-il à nous parler ainsi ?

- Il se prend pour l’homme le plus important de la confédération remettant à leur place des dignitaires d’une planète jugée primitive. Dignitaires prit en flagrant délit de trahison » précisa Sentiment.

« Alors c’est bien vrai ! » m’exclamai-je comme si j’en avais douté, « que s’est-il passé ?

- Je voudrais bien le savoir » reprit Tempête « Une chose est sûre, on est tombé dans un traquenard. Une habile manœuvre, un piège immonde de la part du conseiller Sinshy. Ce personnage abject et méprisant doit se délecter de sa victoire à présent.

- Vas-tu me dire ce qu’il s’est passé ?

- Hé bien voilà, ça fait des mois, que dis-je, des années, qu’on soupçonne Sinshy de préparer quelques complots perfides contre nous mais on n’arrive à rien avec lui. On a glané quelques brides de pensées confirmant nos soupçons et d’ailleurs, il ne se gène pas pour nous faire ouvertement des allusions sur de possibles menaces contre Plume. Tu le sais aussi bien que moi. Ces derniers mois, il nous a poussé à bout à force de sous entendus déplacés. Il est irrespectueux au possible. Et lâche avec ça. En plus, c’est un maniaque de la sécurité. Imagine, Pluie, il a poussé le vice jusqu’à demander à sa garde personnelle de ne pas obéir à ses ordres pendant la journée.

- Prends-moi pour une idiote. Je le sais, je le côtoie encore plus que toi qui passe ton temps à te cacher dans tes laboratoires pour tes mystérieuses recherches.

- Il rassemble ses hommes chez lui tous les matins, leur donne leurs instructions pour la journée, et ils ont ordre de les suivre quoiqu’il arrive. Tout ça au cas où il serait victime d’une hypothétique manipulation mentale au cours de la journée. Non mais, c’est du délire » cria-t-elle comme si je n’étais pas au courant.

« Il n’a pas foncièrement tort » intervint Sentiment.

« Là n’est pas la question, c’est un malade » continua Tempête comme si parler pouvait la calmer « il ne quitte pas ses gardes du corps de toute la journée.

Bref, il m’a fallu des semaines pour concocter un plan avec Orage pour arriver à nos fins. On avait tout prévu, ça n’aurait pas dû tourner ainsi. On s’était mis ensemble pour éloigner très subtilement les gardes du corps et Orage avait la charge de les garder sous son contrôle. J’avais conduit Sinshy là où on voulait sans qu’il ne se doute de rien. En plus, cerise sur le gâteau, Sentiment était arrivée à ce moment-là pour nous aider.

- Pour vous ramener, pas pour que ça tourne ainsi.

- Sans doute. Mais, quitte à être là, elle a daigné dans sa magnanimité accepter de le garder sous son contrôle le temps que je fouille jusqu’au tréfonds de son petit esprit dégoûtant dans le but tout à fait honorable de découvrir ses manigances.

- Vous ne m’avez pas vraiment laissé le choix.

- Justement, si tu avais moins discuté et plus agi, peut-être n’en serions-nous pas là » Dit Tempête agressant presque Sentiment avant de reprendre pour moi : « Il n’aurait dû y avoir aucun problème. On avait tout vérifié. je m’étais suffisamment insinuée en lui pour être sûre qu’il ne se doutait de rien mais, pile à ce moment là, la garde du complexe est arrivée venue de nulle part alors qu’elle était censée fouiller les villes souterraines. Le conseiller Sinshy a dénoncé tous nos projets, alors qu’il ne devait pas s’en être rendu compte. Il n’avait pas à réagir ainsi. Ce n’est pas logique. Je suis convaincue qu’il se trame quelque chose d’énorme.

- Pourquoi ne m’avez pas prévenue ?

- A cause de Glace. Déjà, il ne voulait pas qu’on fasse ça. Sachant qu’on n’en ferait qu’à notre tête, il a exigé qu’au moins tu n’y soies pas mêlée. Il passe son temps à te surprotéger et il s’imagine encore que sa gentille petite sœur est un petit agneau pure et sans défense. Erreur à mon avis.

- En effet, grosse erreur. Et Orage dans tout cela ? Je croyais qu’il était avec vous ? Il a l’air de s’en être bien sorti lui ?

- Ho lui » reprit Tempête méprisante « Il a réussi à faire oublier sa présence à la garde du conseiller et même au conseiller lui-même et il a poussé le vice en trouvant quelques personnes qui témoigneront, en cas de besoin, qu’ils avaient passé la matinée avec lui à l’autre bout du complexe.

- Mauvaise idée à mon sens » exprima Sentiment « si quelqu’un fait passer un entretien approfondi à ses personnes afin de savoir les sujets de discussion qu’ils ont abordés pendant la matinée, l’endroit où il était assis, ou d’autres éléments ; n’importe qui pourra se rendre compte que les soi-disant témoins n’ont aucun réel souvenir.

- Je ne m’en fais pas pour lui » reprit Tempête l’air dédaigneuse, « il s’en sort toujours. Il est vraiment très puissant. Mais tu l’aurais vu, Pluie, je dois dire qu’il s’est surpassé.

Parce que tu penses, on en n’est pas resté là. On a été conduit dans les quartiers du conseiller qui, cela dit en passant, sont d’un mauvais goût rebutant et je ne parle pas de l’odeur de ses infâmes cigarettes qu’il ne quitte jamais, avec au moins une vingtaine d’hommes pour nous surveiller. Nous, deux simples jeunes filles. Aucun honneur je te dis. Et là, on a eu droit à toute la panoplie des reproches. La honte que l’on faisait à notre rang, la bassesse de nos actions, la prétention de nos capacités et j’en passe. Et, pendant ce temps-là, Orage est venu pour en rajouter une couche. Il est arrivé avec un air horrifié qui ne pouvait tromper personne, et il a commencé par s’excuser platement au conseiller de notre comportement irresponsable, précisant qu’il s’occuperait personnellement de nous, que c’était une honte, que jamais l’assemblée Adarii et encore moins lui-même, ne cautionneraient de tels délits. Il a continué en précisant que, bien sur, il n’était au courant de rien, qu’il ne l’aurait pas admis et qu’il avait une totale confiance envers les conseillers des Maÿcentres ainsi qu’envers leur président. Qu’il espérait de tout cœur que ces histoires sordides n’altèreraient pas les relations qui liaient depuis si longtemps la confédération Vengeance-Maÿcentres aux Adarii en général et à lui en particulier et autres boniments dans le style. »

La situation était tragique mais imaginer la mise en scène d’Orage m’aurait presque donné à rire. « Et ils l’ont cru ?

- Tu le connais » dit Sentiment « il a un tel talent oratoire qu’il arrive à convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Même Tempête se délecte à croire ses beaux discours et toi, tu ne vaux guère mieux.

Tempête soupira profondément s’écroulant presque sur le tapis après avoir jeté un regard noir à Sentiment.

« En tout cas » reprit cette dernière, « je ne serais pas mécontente de quitter cet endroit même si j’aurais préféré partir dans de meilleures conditions. » Elle s’arrêta un instant puis reprit en soupirant « Pour l’instant, j’ai peur que nous n’ayons pas le loisir de nous reposer. Va rejoindre Orage auprès des invités » me dit-elle « Nous nous changeons et nous arrivons. »

Suivant les directives de Sentiment, je rejoignis Orage qui brillait tout sourire au milieu de sa cours. Toute personne non doué d’empathie aurait pu le croire adulé, mais, autour de lui, ce n’était que fragrance de jalousie, envie et méfiance. J’éloignai tous ses sentiments désagréables. Ce soir, je ne voulais rien ressentir de tout cela. Orage me vit et s’approcha de moi.

« Ca n’a pas l’air d’aller jolie Pluie ? » dit-il à peine arrivé à mes cotés.

« A ton avis ?

- A mon avis, la situation est tellement désespérée qu’il ne reste plus qu’une chose à faire » dit-il d’un ton détaché.

J’imaginais naïvement qu’il avait une solution et le regardais plein d’espoir.

« Quand tout va mal, il faut danser » dit-il en me tirant vers le centre de la salle. « Il est temps d’ouvrir le bal.

- Tu ne peux pas être sérieux une minute ?

- Si, mais plus tard. » Il m’entoura la taille et m’entraîna dans la danse. Petit à petit, j’oubliais nos soucis, ne me préoccupant que de ses yeux verts plongeant dans les miens. Il m’embrassait tout en dansant et je me serrais contre lui pour répondre à ses baisers. Plus rien n’avait d’importance, et j’oubliai tout pour un instant ou pour toute la nuit. Je me laissais aller aux rythmes de la musique, enlacée à mon cavalier. Pour une fois, on oubliait les prudes Maÿcentres. Ce soir, nous étions chez nous. Nous pouvions agir comme bon nous semblait. A l’extrême limite de mon champ de vision j’aperçus, sans y prêter attention, la jolie Syhy Dyasella Lïtïl sortant de la salle, les yeux embués de larmes, Tel un prince charmant de conte de fée, Syhy Ryun Eïskï s’empressa de suivre sa belle. Orage me fit tourner et je ne vis plus rien d’autres que la brillance des lustres de cristal et le vert de ses yeux.

La musique ralentit. Sentiment était entrée. Ses cheveux sombres étaient relevés en une coiffure compliquée dans laquelle brillaient des reflets d’argent. Sa robe, long fourreau beige drapé dans une pièce de soie, mettait en valeur sa peau bronzée. A ses cotés, Tempête, plus sensuelle que jamais, brillait dans une robe trop courte aux reflets dorés. Je leur souris tandis qu’elles s’avançaient vers nous mais, sans aucune préméditation, Ryun les bouscula se dirigeant vers Orage et moi toujours enlacés.

« Orage Taegaïan » hurla-t-il « vous avez déshonoré ma fiancée. »

***

Je fermai les yeux. Le temps s’était arrêté. Pourquoi gâcher ce petit moment de bonheur ? Pouvait-on imaginer, que, ne fut-ce qu’une seule personne, n’ait pas entendu ? »

Le silence était de plus en plus oppressant.

Je reposai mon front sur la poitrine d’Orage. Il fallait trouver quelque chose à dire, très vite. Réfléchir. Vite. Il n’avait rien dit au fond. Déshonorer, qu’est-ce que ça voulait dire ? Pourrait-on faire passer ça comme une manipulation quelconque, un regard trop insisté, ou une autre de ces bagatelles dont les Maÿcentres se plaisaient à nous acculer quotidiennement ? Vite, réfléchir, dire quelque chose. Je me perdais ne sachant plus, dans ma confusion, différencier mes pensées et celles de mes amis. Serait-il envisageable de faire oublier les paroles de Ryun à toute la salle ? Je rejetai aussitôt cette idée absurde, commençant à être assaillie par la puissance des émotions ambiantes. Quelque chose à dire, n’importe quoi ?

« Tout le monde dehors, la fête est finie ».

Je fermai les yeux et m’appuyai plus fermement contre Orage. Non, ce n’était pas cela qu’il fallait dire, sûrement pas. Il fallait minimiser au contraire. Mais le président Eysky ne l’entendait pas de cette oreille et, sous son ordre, les invités commençaient à se disperser.

Pendant longtemps encore, je n’osais bouger.

Quand je relevai enfin la tête, la salle s’était vidée. « Président Eysky » dit Orage en m’écartant doucement. Sa voix était fière et assuré, comme à son habitude. « Comment osez-vous chasser mes invités ? Et je ne parle pas de votre fils qui me fait un scandale au milieu de ma réception.

- Lâchez mon fils » criait le président à Tempête sans écouter le moins du monde les paroles d’Orage.

Ryun était assis. Il ne bougeait pas. Il ne parlait pas. Seul l’infime mouvement de sa cage thoracique et la colère intense qui émanait de lui attestait de sa vitalité tandis que Tempête ne le lâchait pas des yeux.

« Qu’avez-vous fait à ma fille ? » hurla l’ambassadeur Paktyl en désignant un petit tas de chiffon apeuré, bouillant intérieurement de rage dans un coin sombre du salon.

« Papa non, Laisse-le » dit la gamine se relevant soudain. « Orage n’y est pour rien »

Orage parut satisfait de la réaction de la jeune fille et en reprit encore plus d’assurance : « Ne me parlez pas sur ce ton Sy Paktyl. Vous êtes encore dans ma maison et je suis votre supérieur. Ce n’est pas à vous de poser les questions. »

Je crus qu’il allait se jeter sur Orage mais un des gardes du président le retint.

« Laisse-le » hurla encore sa fille hystérique

Je remarquais que les gardes avaient remplacé les invités.

Orage fit signe au président qui vociférait contre Tempête qui gardait toujours Ryun sous sa volonté. « Président Eysky, si vous voulez bien me suivre, je pense que nous avons certaines choses à nous dire.

- Lâchez mon fils d’abord.

- C’est à moi que vous avez à parler » reprit Paktyl toujours aussi en colère.

Orage fixa ce dernier en silence avant de répondre : « Non finit-il par dire. Vous, je n’ai rien à vous dire. Par contre, si vous continuez à vociférer ainsi sous mon toit, il se peut en effet que je m’intéresse à vous. Mais sûrement pas de la façon dont vous l’espérez. »

Mentalement, je suppliais Orage de se calmer. Il ne faisait qu’envenimer les choses.

- Laisse-le. Un instant je restai sous le choc. Tempête n’avait pas l’habitude d’être si autoritaire dans ses pensées. - Il y a des fois ou l’attaque est la défense la plus efficace. Il sait ce qu’il fait. Le plus fort l’emportera. Elle avait laissé partir Ryun. Ce dernier se précipitait vers nous crachant des obscénités. Tandis qu’il passait près de moi, je ne pus résister et le giflais.

Il resta un moment pétrifié se tenant la joue tandis que son père arrivait « Vous » dit-il en me désignant « je ne veux plus vous voir sur les Maÿcentres. » Tout en disant cela, il attrapa Ryun et l’entraîna à sa suite.

« Occupez-vous de votre fille, Sy ambassadeur, pendant ce temps, je parlerais à Orage avec ma garde » précisa-t-il en suivant Orage qui se dirigeait déjà dans la bibliothèque.

J’entendais encore Orage vociférer, le ton de sa voix diminuant tandis qu’il s’éloignait avec le président : « C’est de la folie Eysky. Vous disiez vouloir à tout prix éviter qu’on se fasse remarquer et voila que vous êtes le premier à créer un esclandre au sein de la villa Adarii ! Que dis-je, le deuxième après votre fils. »

Paktyl me pointa du doigt ainsi que Sentiment et Tempête qui m’avait rejoint « Je ne resterais pas avec ses… » Il s’arrêta tandis que Sentiment le fixait avec insistance.

« Avec ses quoi ?» dit-elle

Tempête intervint et attrapa le bras de Sentiment. « Laisse » dit-elle. « Je n’ai pas plus envie de le voir qu’il ne souhaite notre présence.

Veuillez quitter notre maison de suite ambassadeur.

- Sûrement pas avant d’avoir éclairci cette histoire.

- Allez régler vos affaires de famille sous votre toit, elles ne nous concernent pas. »

L’ambassadeur parut hésiter, salua sa femme selon la coutume de Vengeance vis à vis d’un supérieur. « On s’en va » lui dit-il sur un ton nettement moins cérémonieux. Dyasella sembla se rebeller refusant de partir aussi son père la prit brusquement par le bras et l’entraîna vers la sortie.

Un silence presque réconfortant envahit le salon de réception maintenant désert, mais Sentiment nous observait encore ne cherchant même plus à cacher sa colère.

Ha non, ça n’allait pas me retomber dessus ça. « Cesse de me regarder ainsi Sentiment, ce n’est tout de même pas ma faute si Orage a eu une liaison avec Dyasella Lïtïl.

- Orage et Dyasella ? » Elle avait dit ça plutôt tranquillement. Le temps sans doute d’enregistrer les faits et de les analyser. Son calme me parut de bon augure. Au moins, si elle ne prenait pas la situation au tragique, c’était peut-être parce que ce n’était pas aussi grave que je ne l’avais imaginé. De plus, je constatais avec plaisir, qu’au fond, elle était tenue à l’écart de beaucoup choses.

« Orage et Dyasella !! » Elle avait répété ses mots beaucoup plus forts. Pour la première fois, je voyais Sentiment vraiment en fureur et j’espérais de tout mon cœur ne plus jamais assister à ça.

« Il ne s’arrête jamais lui. Il veut nous démolir. Mais qu’est-ce qui lui a pris bon sang ? Ca ne lui suffisait pas de s’attaquer au premier conseiller, il fallait aussi qu’il s’en prenne à la première famille de Vengeance. Et Pourquoi ? » Le ton de sa voix allait crescendo. Je pensais qu’elle avait atteint le paroxysme de sa puissance quand la voix de Tempête, soudaine toute petite et menue tenta, comme à son habitude de défendre Orage.

« C’est elle qui… » Tempête venait de faire une grosse erreur. Même moi, j’avais compris que ce n’était pas le moment d’ouvrir la bouche.

« Savoir qui a commencé n’a aucune importance ». Sentiment venait de prouver qu’elle était capable de crier encore plus fort. « Et évidemment, tu le savais aussi et tu n’as rien fait. Dès qu’il y a un mauvais coup, il faut que vous y soyez mêlés. »

En ce qui me concerne, je suis rarement mêlé à quoi que ce soit dit une petite voix à l’intérieur de moi mais ce n’était sans doute pas le moment de le préciser.

Tandis qu’elle continuait à vociférer contre Tempête, j’en profitais pour m’éloigner discrètement. Elle ne remarqua même pas quand je sortis de la vaste salle de réception et fermai la porte derrière moi.

Je me dirigeai à pas de loup, traversant le grand hall d’entrée avant de pousser la porte du salon d’accueil que je parcourus dans toute sa longueur. Je ne fus même pas étonnée de voir Plumeau toute gênée, devant la porte fermée de la bibliothèque d’où sortait des éclats de voix.

Je lui désignai sans un mot la porte par laquelle j’étais entrée. Elle passa devant moi penaude, hésita, puis ne put s’empêcher d’ajouter : « Eïskï fils a beau avoir été élevé sur Vengeance, il n’en demeure pas moins membre des Maÿcentres. Vous ne me ferez pas croire qu’il serait si choqué si sa jeune épouse n’était pas tout à fait vierge.

- Plumeau, tu sors d’ici et vite ». Comment pouvait-elle être aussi insupportable ? Tout d’un coup, je me demandai comment elle se débrouillait. Je l’imaginais mal passer ses moments de liberté seule et je ne la voyais pas se contenter d’une seule liaison et encore moins suivre cette coutume absurde des Maÿcentres stipulant qu’il fallait respecter une sorte de période de deuil et d’abstinence avant de passer d’un compagnon à l’autre. Pourtant, je n’avais jamais entendu le moindre scandale portant sur les mœurs « dépravées » des domestiques venant de Plume. J’eus soudain plus de respect pour eux. Par contre, j’en eus beaucoup moins envers moi, quand je repris sa place derrière la porte. Le président s’était mis à crier : « Vous me pourrirez la vie jusqu’au bout. Et en plus, avec la fille d’une des plus influentes familles de Vengeance.

Pourquoi ? Non, comment plutôt. Comment avez-vous perverti cette gamine ? »

On entendait si bien que je me permis de m’éloigner un peu et de m’asseoir dans le fauteuil le plus près de la bibliothèque. Je n’écoutais pas à la porte, je me contentais de me reposer après une journée des plus fatigantes. Fatigante n’était pas le terme. Exténuante ? Non, catastrophique plutôt. Voire désastreuse.

« Sauf votre respect, vous délirez. » Répondait Orage le plus tranquillement du monde « Vous imaginez que je l’ai obligée à traverser toute la ville pour tomber de force dans mes bras. » Orage n’avait pas pris le parti de la soumission ni des excuses. Pourquoi est-ce que je devais toujours m’excuser alors que lui, envenimait tranquillement les situations déjà compliquées ?

Ryun vociféra et son père le fit taire avant de reprendre encore plus fort : « Vous rendez-vous compte des implications dans la culture de Vengeance ? »

Je me retournai en sursautant tandis que la porte s’ouvrait. Tempête apparut et je lui fis signe de se taire tout en écoutant la suite.

Tu espionnes telle une domestique de bas étage ? Me dit-elle mentalement dans un effluve de vanille

Je haussai les épaules et ne répondis pas à ses allusions « Eysky lui a dit que selon la loi de Vengeance, il devrait s’unir à Dyasella. »

Ryun tenta à nouveau de se mêler à la conversation : « Ca va pas père, il ne…

- Tais-toi » La voix du président résonnait encore dans la bibliothèque.

Tempête se précipita sans un bruit jusqu’à la porte et tendit l’oreille n’essayant même pas de cacher son excitation.

Orage parlait toujours aussi tranquillement mais je le sentais proche de moi, il savait pertinemment qu’on écoutait et ne cherchait pas à nous éloigner pour autant.

« Bien sur Président, quelle grande idée. Vous démolissez la vie de cette pauvre fille, celle de votre fils qui semble l’apprécier et vous pouvez dire au revoir à tous vos beaux projets de rapprochement politique entre les Maÿcentres et la première province de Vengeance.

- Peut-être que l’idée de vous pourrir la vie suffirait à me faire supporter tous cela.

- Je n’en doute pas. Mais malheureusement, je ne pense pas satisfaire les exigences nécessaires aux unions de Vengeance. J’ai un peu trop… d’expérience. Et, de toute façon, ici nous ne dépendons pas des lois de Vengeance mais de celles des Maÿcentres. C’est vous-même qui vous vantez que tout le monde ici peut vivre suivant ses propres coutumes. Hé bien, c’est ce que je fais, et selon nos coutumes, j’ai tout à fait le droit d’aimer n’importe quelle femme, où je veux et quand je veux, pourvu qu’elle soit d’accord. Et je peux vous assurer qu’elle était bien plus que d’accord.

Cependant, par respect pour vous, quand j’ai su que Ryun la courtisait, j’ai même cessé de la voir pour faire honneur à vos restrictions monogamiques.

- Vous êtes trop bon » ironisa Eysky.

« Toujours selon mes lois, rien ne m’y obligeait.

- Je connais vos mœurs dépravées.

- Et bien sur, vous ne les jugez pas, car : “nul sur les Maÿcentres n’est en droit de juger les coutumes d’autrui”. » Il reprit plus sérieux : « Maintenant, voyons les choses différemment, Vous avez amené votre fils ici pour l’unir à Dyasella selon les lois de Vengeance.

Très bien.

Combien de personnes, à votre avis, ont été témoins de toutes les avances qu’il faisait à Pluie alors même qu’il était venu s’engager envers Dyasella ?

- Orage bon sang, il ne s’est jamais rien passé entre eux.

- Qu’en savez-vous ?

Non, ne dites rien, vous avez raison, il ne s’est rien passé. Je pense qu’il serait honnête que vous alliez remercier ma petite amie (comme on dit ici) à ce sujet.

Maintenant, même si je sais que vous avez un goût immodéré pour les réunions qui durent des heures, ce n’est pas mon cas. Alors, vous allez parler à Paktyl et lui dire que l’union avec votre fils ne saurait être remise en cause. Vous allez sermonner votre fils pour qu’il ne fasse plus d’histoire sous mon toit et vous allez remercier l’Adarii Pluie de n’avoir pas perverti votre fils, comme vous dites si bien.

Maintenant, je veux tout le monde dehors.

- Faites-moi confiance, je parlerai à l’ambassadeur Paktyl et à la Syhy Lytyl mais çà m’étonnerait qu’ils acceptent ça si facilement. L’honneur de sa fille est perdu. Jamais elle n’aura droit à une cérémonie d’union.

- Et tout ça, à cause de Ryun. S’il n’avait rien dit, personne n’en aurait jamais rien su.

- Vous avez fait votre dernière erreur Orage, vous allez déguerpir de cette planète en vitesse. »

Je me retournai d’un bon en entendant la porte s’ouvrir à la volée.

La Syhy Lytyl traversa le salon à grande enjambée sans un regard pour nous. Sa fille sur ses talons semblait vouloir la raisonner. Elle n’avait plus rien de la femme effacée que j’avais vu le jour où j’avais été chercher Ryun.

« Vous avez couché avec ma fille ! » hurla-t-elle utilisant le terme le plus vulgaire qui soit, en ouvrant d’un coup les deux battants de la porte de la bibliothèque.

Tempête et moi étions si étonnées que nous n’avions même pas eu le temps de songer à l’arrêter. Plumeau arrivait derrière dépitée, nous serinant ses vains efforts pour l’empêcher d’entrer.

« Fiche le camp Plumeau » dit Tempête dans un souffle.

La voix de la Syhy Lytyl retentissait forte et dure dans la pièce à coté. Orage était tranquillement installé dans un canapé arborant toujours une parfaite assurance au milieu d’une atmosphère surchargée d’une colère étouffante. Le président était debout. A sa droite, son fils trépignait de rage et la famille Lytyl lui faisait face nous tournant le dos.

« Vous l’avez détruite. Pourquoi vous être attaqué à cet être innocent ? Jamais elle n’aura l’honneur de s’unir avec un homme. La Syhy Lïtïl a perdu son honneur à cause de vous ».

Au moins, ainsi, avec les portes grandes ouvertes, nous entendions nettement mieux. Orage pensait qu’elle en avait gagné bien d’avantage et pendant un instant, je crus sentir le souvenir du plaisir qu’avait pu avoir Dyasella avec lui. Je m’écartai gênée d’avoir surpris de telles pensées mais Orage ne parut pas s’en offusquer. Au contraire, il me jeta un regard en biais plein de promesses tandis que Dyasella continuait à supplier sa mère :

« Maman, je te l’ai dit, il n’a rien fait. C’est moi qui suis allée le voir et je ne regrette rien, tu entends maman.

Je l’aime.» ajouta-t-elle après une hésitation.

Je crus que Ryun allait bondir, mais son père le retint d’une seule main.

Comment peut-on être bête à ce point pensais-je désolée de voir à quel point elle pouvait être naïve.

- Ne le sois pas me dit Orage mentalement, elle va peut-être Arranger nos affaires.

Tempête acquiesça. Elle avait l’air de s’amuser de la scène.

Orage se leva tranquillement, m’envoya mentalement l’équivalent d’un baiser et se dirigea vers la jeune Dyasella. J’eus l’impression qu’il allait la prendre dans ses bras et mon cœur s’accéléra en imaginant la réaction de sa mère mais il se contenta d’approcher la main de sa joue laissant un écart à la limite de la décence. La jeune fille parut fondre sous un désir contenu et Orage prit la parole : « Au fond, si cette pauvre jeune fille se retrouve rejetée à cause d’un simple écart de conduite dans vos coutumes d’esclavagistes je pourrais peut-être la garder avec moi » dit-il entourant Dyasella d’un regard sensuel. « En plus, elle mérite mieux que de vivre dans ces horreurs que vous appelez maison. Je lui offrirai ce qu’on fait de mieux. Je pourrais parer son corps de bijoux et de soies. C’est ça que tu veux Dyasella ?

Pourquoi pas au fond ? » Continua-t-il sans attendre la réponse. « Et comme je commence à en avoir marre de cet endroit, je repartirai chez moi. »

Une bouffée de rage envahit la Syhy Lytyl qui avait compris où il voulait en venir, mais Orage lui intima de se taire d’un seul regard. Les autres étaient tellement perdus qu’ils ne s’en rendirent même pas compte.

Il se détourna de la fille pour s’intéresser à la mère et lui parla d’un ton nettement plus dur « Alors si vous continuez à nous poser des problèmes, je la ramènerai chez moi. Elle vivra dans une des villas Adarii des prestigieuses cités de Taegaïan et selon nos coutumes. » Il avait dit ses mots très lentement pour qu’ils prennent bien toutes leurs significations auprès de la Syhy Lytyl.

Comme personne ne répondait complètement terrorisé, il insista : « Vous aimez votre fille, c’est ça que vous voulez pour elle ?

Allez, réfléchissez » continua-t-il en passant au milieu d’eux « Vous me donnerez votre réponse un autre jour. En ce qui me concerne, votre fille n’est pas la seule qui m’attende » et d’un air provocateur, il attrapa Tempête par la main et lui embrassa le bout des doigts gardant sa main enlacée dans la sienne.

- Tu en fais trop Orage, et en plus ça te plait de les provoquer ainsi.

- C’est toi qui me plait Pluie

- En ce qui me concerne, j’accepterais volontiers de vivre à Taegaïan et de suivre les coutumes dépravées de Plume. Tout en disant cela, je m’approchais de lui et l’embrassai. Au point où on en était.

« C’en est trop » hurla Lytyl en passant devant nous traînant derrière elle, une Dyasella plus perdue que jamais. « Je ne resterai pas une minute de plus dans cette maison de fou ». Le président les suivait toujours furieux, tenant son fils prêt à nous étriper, suivi de deux gardes et de Luico qui avait quitté son masque impassible nous laissant voir à quel point il était désolé pour nous « je vous verrais demain matin, alors profitez de cette dernière soirée » cria encore le président avant de sortir.

Bon débarras. Je ne perçus pas de qui venait cette pensée, mais sans aucun doute, elle traduisait nos sentiments à tous.

Une fois la villa libérée, Sentiment entra dans le salon un verre d’alcool de rose à la main.

« Comme on le fait sur Terre, je bois à notre pitoyable défaite » commença-t-elle. » Je lève mon verre en l’honneur des vainqueurs. Vu son ton, elle ne nous avait pas attendu pour trinquer.

Au conseiller Sinshy qui, par un habile stratagème qui m’échappe encore, a réussi à nous faire chasser des Maÿcentres, à Emma Diarety qui ne va pas tarder à renvoyer Glace de la Terre après avoir démoli notre réputation, »

Je l’avais oubliée celle-là. Apparemment, Sentiment était au courant et vu l’absence de réaction des autres, elle n’était pas la seule.

« Mais surtout, honneur et prospérité pour la future union de l’Adarii Orage protecteur de la cité de Maé de Taegaïan avec la Syhy Dyasella Lïtïl » dit-elle en s’esclaffant.

« La ferme Sentiment.

- Désolé Orage. Sais-tu que si tu veux la quitter, tu devras te faire castrer ?

- Je t’ai dit de te taire »

Je corrigeai je ne sais pourquoi : « stériliser »

- Tu ne vas pas t’y mettre aussi

- Bon, dans ce cas, honneur aux vaincus » continuait Sentiment imperturbable.

Elle leva son verre et recommença son discours. Je ne l’avais jamais entendu parler autant, rien que son haleine était suffisante pour me faire tourner la tête.

« A Orage qui n’est même pas capable de se contrôler plus de deux minutes devant une jolie fille même humaine. A Orage qui passe sa vie à élaborer des plans plus machiavéliques les uns aux autres afin de nous mettre l’univers à dos.

- On t’a dit de te taire Sentiment » Tempête s’y mettait aussi toujours prête à prendre le parti de l’homme qu’elle aimait.

« A Tempête alors » continua Sentiment « qui a commencé par se faire bannir du complexe du conseil à force de séduire tous les conseillers dans ces tenues provocantes dans le seul but d’intensifier leur malaise.

Parce que c’est ça au fond. Tu aimes provoquer cette sensation chez les autres, la peur, l’attraction ? Réveiller leurs instincts. Leur appréhension naturelle ne te faisait plus assez fantasmer, il fallait aller toujours plus loin. C’est ça que tu aimes toi. Les voir se brûler de désirs pour toi alors que la moindre idée de t’approcher les remplit d’effroi. Quel plaisir peux-tu avoir à les sentir se consumer ainsi ?

- Tu exagères Sentiment, ils n’en sont pas encore là.

- Pas encore, comme tu dis. Ca te désole n’est-ce pas ?

- Arrête ». Je ne sais pas pourquoi j’avais dit ça. J’étais horrifiée par ce que disait Sentiment. Surtout parce qu’au fond de moi, je savais que c’était la vérité et je n’aimais pas entendre Sentiment parler des perversions de Tempête. C’était mon amie, et même si je ne me faisais plus vraiment d’illusion à son sujet, je voulais garder l’image de la jeune et naïve jeune fille espiègle qui sentait la vanille.

« Et voilà que Pluie s’y met aussi. A ton sujet aussi, je ne me suis jamais fait la moindre illusion. Dès la première fois où je t’ai vue, j’ai pensé : voilà une nouvelle calamité. J’ai tout fait pour dissuader Glace de t’emmener ici ou au moins d’attendre un peu. De clarifier la situation ici d’abord. Mais non, il ne m’a pas écouté. Il avait pitié de sa petite sœur innocente, perdue sur Terre. Et maintenant, la pauvre petite Pluie s’est mise tous les conseillers et le président à dos en passant sa vie à faire n’importe quoi sans réfléchir, poussée uniquement par ses instincts dominateurs, et son égocentrisme exacerbé qui la pousse à traiter son entourage comme des moins que rien pour ensuite finir en apothéose en giflant le fils du président.

- Ca y est, tu as fini. Je suppose qu’on doit te dire que tu avais raison et que tu nous l’avais bien dit ?

- Non, je n’aurais pas cette audace. Je bois aussi à ma santé. A la défaite de celle qui est restée quatre ans ici dans le but de vous empêcher d’en arriver là. A ma haine des Maÿcentres qui m’a trop souvent aveuglée au point de vous laisser faire n’importe quoi. Voire pire, de me laisser entraîner à y prendre part quelquefois.

Quelle prétention de ma part. Pluie, Orage et Tempête ont ravagé les Maÿcentres. Que pouvait y faire un simple Sentiment ? » Ajouta-t-elle en posant son verre sur la table avant de quitter la pièce.

Tempête fut la première à briser, sous forme d’un soupir, le silence qui était retombé dans le salon. « Elle est dure avec nous »

Orage réfléchit quelques instants avant de répondre : « Elle n’a pas tout à fait tort »

Je me sentais complètement perdue « et du coup, on fait quoi ? »

Orage sourit « on lève nos verres à la santé des trois calamités.

- Je n’ai pas de verre » remarqua Tempête pragmatique.

« Alors on va se coucher. La journée de demain promet d’être aussi riche que celle d’aujourd’hui »

A suivre


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