samedi 29 mars 2008

Troisième partie

Pas encore publiée en ligne

Partie 2 chapitre 12

12

"L'âme a ses brumes, ses soleils et ses chaleurs d'orages."

[André Esparcieux]

Oui, j’avais bien compris. J’avais tenté de le convaincre de renoncer, sans succès. J’avais émis des doutes sur l’honnêteté de Mike qui risquait de tout dévoiler à son père dès son retour mais Glace lui faisait confiance et, à la façon avec laquelle Orage avait dit qu’il n’avait pas intérêt à nous doubler, je pensais qu’en effet, il se tairait. En tout cas, moi, à sa place, je ne dirais rien. Le vaisseau avait déposé Glace et Mike en pleine nuit au milieu d’une campagne française. Cela dit, vu la taille du gros vaisseau, ce n’était pas des plus discret. Bêtement, mon premier souci avait été qu’ils risquaient d’attraper froid et mon deuxième avait porté sur le risque de se perdre. Enfin, mon troisième parce que j’allais me retrouver seule avec Orage. Ensuite, le vaisseau avait repris de l’altitude et je les avais perdu de vue. Longtemps encore, j’étais restée à regarder fixement le noir. J’avais eu un haut le cœur quand la pesanteur artificielle avait été enclenchée mais n’avais pas bougé, restant debout sans penser à rien. J’avais obtenu ce que je voulais et, du coup, je ne savais plus quoi penser. Je me demandais ce que faisaient les filles. Je ne m’étais pas beaucoup intéressée à leurs histoires depuis que je les avais quittées. Je savais qu’elles étaient parties visiter certaines îles du pacifique. Elles avaient loué un bateau et un équipage et Tempête jouait les excentriques. Elles avaient trouvé une multitude de vestiges. Un monument en forme d’arche, deux piliers de soixante-dix tonnes chacun reliés par un autre de vingt-cinq tonnes sur Tongatapu, une île corallienne ne possédant pas la moindre pierre, des statues colossales sur l’île de Pâques, des tronçons de routes sur des îlots minuscules… Toutes ses découvertes avaient émerveillées Tempête, mais je n’y avais pas vraiment prêtées attention exaspérée que j’étais par ma captivité. Peut-être qu’en effet, je m’étais un peu trop intéressée à ma petite personne. Je me retournai enfin. J’avais mal partout à force d’être restée debout sans bouger. Orage était assis en tailleur sur le tapis. Il avait étalé plusieurs cartes à même le sol et prenait quelques notes. Il paraissait concentré et tranquille mais, s’il l’était sincèrement, il n’aurait pas de raison de me cacher ses pensées ainsi.

Je m’assis dans un canapé bas face à lui et repliai les jambes devant moi faisant sonner les bracelets de mes chevilles. Je ne me sentais pas lui demander ce qu’il faisait. Il paraissait trop investi dans son travail pour vouloir être dérangé et de toute façon, ça m’importait peu. Nous avions vécu pendant près de quatre ans ensemble et soudain, le silence entre nous me paraissait pesant. Je pris mon calepin cherchant quelque chose à écrire mais ne trouvais rien. Je me levai, le rangeai et fit glisser la porte de séparation donnant sur l’avant de l’appareil. Je traversai l’espace réservé au personnel. Miroir dormait sur une des couchettes et je continuai plus doucement, prenant garde de ne pas le réveiller, jusqu’au poste de pilotage où je m’assis sans un bruit à coté de Crayon.

« Où sommes-nous ? » lui demandais-je plus pour engager la conversation que par réel intérêt.

Il me répondit sans tourner la tête vers moi : « Au milieu de rien sans doute, une simple coordonnée juste à coté de la Terre. » Il avait dit ça négligemment mais cette idée le passionnait. De ce que je savais de lui, il faisait parti de ceux qui avaient tenté la chance en partant sans rien sur les Maÿcentres. Petit garçon qui rêvait de voyager dans les étoiles. Il y en avait beaucoup comme lui, mais très peu réussissaient. En fait, c’était le seul à ma connaissance qui ait atteint un poste si haut en partant de si bas. Il avait réussi à se faire engager dans un vaisseau d’exploration de Vengeance et y avait vécu pendant plus de vingt ans s’élevant petit à petit dans la hiérarchie et pour finir, il avait tout abandonné pour se retrouver là. Pour la première fois, je me demandais pourquoi ? Il aurait pu trouver beaucoup mieux. Du moins, selon les critères de Vengeance et des Maÿcentres.

Miroir, lui, avait suivi la même voie que Crayon quelques années plus tard sauf qu’il n’avait pas eu sa chance et on l’avait retrouvé quasi mort de faim dans les villes souterraines. Seulement, Crayon s’était lié d’amitié pour le jeune homme qu’il considérait presque comme son fils et, comme il avait besoin de quelqu’un pour le seconder, il était resté.

Je me demandais aussi ce qu’il était advenu des autres domestiques de la villa des Maÿcentres. Je savais qu’ils étaient repartis sur Plume mais ils n’avaient pas vraiment eu beaucoup le choix, je les aurais mal vu vivre sur les Maÿcentres.

Et Pour Crayon, ce ne serait pas facile non plus. Que ferait-il sur Plume ?

Il n’y avait aucun moyen de transport là-bas à part quelques navettes. Pourtant, c’est une des rares choses qui nous aurait intéressés. Surtout à Maniya où les sentiers de montagnes étaient si malaisés. Mais, il n’y avait aucun gisement d’énergie sur la planète pouvant faire office de carburant à des véhicules et, dépendre de quelqu’un d’autre pour quelque chose de si important, nous avait paru trop risqué.

« Crayon » demandai-je soudain. « Que feras-tu de retour sur Plume ?

- Ma place n’est pas sur Plume Adarii, elle est dans les étoiles. Elle l’a toujours été. L’Adarii Orage m’a dit que, pour me remercier de mon service, les terres de Taegaïan me donnerait une de ses navettes avec votre accord bien entendu. Rare sont ceux ayant leur propre navette, même sur Vengeance. »

Je reconnaissais bien là Orage. Il avait l’art de trouver une solution à tout. En plus, Taegaïan en possédait au moins trois. Autant qu’elles servent. Miroir partirait sans doute avec Crayon. Et nous, nous resterions bloqués sur Plume ? Moi qui avais tellement hâte de retrouver la liberté chez moi, je commençais déjà à déchanter.

« Il n’y a pas grand-chose à faire pour l’instant, voulez-vous que je vous apporte quelque chose à boire ou à manger ? »

La voix de Crayon coupa court à la mélancolie qui commençait à m’envahir. Je fis non de la tête et on retomba dans le silence mais un silence agréable. Je me laissais bercer par les émotions du pilote toujours heureux quand il était perdu au milieu de rien comme il disait.

Moi aussi, je me perdais dans cet infini qui m’englobait. Je m’installais plus confortablement dans le fauteuil et fermais les yeux. Depuis quand n’avais-je pas dormi ? Synshy était arrivé alors que je venais juste de m’endormir, ça ne comptait pas. Quand nous étions arrivés en France, c’était la nuit. Avec le décalage horaire, ça voulait dire que… Les calculs de temps s’embrouillaient dans ma tête. Je tentai encore d’y réfléchir. Je pensais que je devais me souvenir de quelque chose mais je m’endormis avant d’avoir fini mon raisonnement.

Quand je m’éveillais, c’était Miroir qui était aux commandes. Je le sus avant même d’avoir ouvert les yeux. Crayon était toujours d’un calme posé et heureux même si une légère appréhension gâchait ce calme reposant quand je m’approchais trop de lui ou que je le regardais. Miroir était plus nerveux et exalté. Je me fis la réflexion que Crayon était une présence parfaite pour dormir et Miroir était très bien pour se réveiller. J’étais bien ici. Quelqu’un avait placé une couverture toute douce sur mes épaules et je me sentais comme dans un petit cocon.

« Tu peux me chercher quelque chose à boire » demandai-je sans ouvrir les yeux. « Quelque chose de chaud et de nourrissant ». Je m’étirais et ouvris les yeux.

Miroir revint quelques minutes plus tard avec un bol de soupe. Je changeai de position et me relevai légèrement tandis qu’il cherchait désespérément un endroit où le poser avant de se décider à me le tendre directement.

« J’ai dormis longtemps ? » demandai-je perdue à nouveau dans la contemplation des étoiles.

« Oui, nous sommes en attente à la plate-forme de plissement. » Je me relevai encore plus sur mon siège, et cherchai la plate-forme des yeux. Elle était en dessous et un léger mouvement me permit de l’apercevoir quasiment dans sa globalité. Amoncellement de métal en tout genre s’enchevêtrant sur plusieurs dizaines de kilomètres dans tous les sens semblant flotter au milieu du vide. Je soufflai sur mon bol et bus une gorgée qui me brûla presque la gorge, mais c’était bon. En dessous de nous, c’était tout un monde qui s’étalait sur trois dimensions. De ce que je savais, il y avait au moins cent mille personnes vivant là-dessus. Outre la base elle-même, s’était développée une ville entière. Il n’y avait pas que ceux venant de la Terre qui passait par là. De nombreuses planètes étaient exploitées pour en retirer diverses ressources minières ou juste pour des études scientifiques. La plate-forme était bien plus impressionnante que les Maÿcentres. On y retrouvait toute la technologie de Vengeance et les restes de la puissante Conquête. Et encore, de ce que j’avais pu apprendre, la plate-forme reliant Vengeance et les Maÿcentres était bien plus grande, mais il y avait peu de chance que je la vois un jour. Je bus encore une gorgée. Pourquoi est-ce que je m’inquiétais à cette idée ? Après tout, ce qui se passait là-dessous ne m’avait jamais vraiment intéressée.

« Nous sommes surveillés », dit Miroir me sortant de mes rêveries.

Je m’inquiétai soudain. « Par qui ?

- Personne en particulier, mais leurs scanners nous ont accrochés. Déjà, en venant sur Terre, on avait eu certains soucis que l’Adarii Orage avait réussi à contourner. Nous étions passés de justesse en changeant les coordonnées au dernier moment. Ils ont dû être furieux. Du coup, maintenant, ils ne nous laisseront pas passer avant de trouver quelqu’un pour nous escorter afin d’être certain qu’on ne revienne pas vers les Maÿcentres. Il se pourrait même qu’ils nous obligent à atterrir pour un interrogatoire.

Je me tassais à nouveau dans le fauteuil. C’était trop beau. Je savais bien que c’était trop facile. « Tu crois vraiment que nous devrons nous arrêter ?

- Je ne sais pas. En principe, oui. Votre immunité a été levée dès l’accession de Synshy au pouvoir. Après, ça dépendra si celui qui décide là-bas aura envie ou non de se frotter aux Adarii. Au cas où, je vous suggère de ranger tout ce que vous ne souhaitez pas leur montrer. Si vous voulez mon avis, il faudra mieux leur laisser fouiller le vaisseau plutôt que de partir dans des discussions interminables.

- Il est hors de question qu’ils fouillent quoi que ce soit !» m’indignai-je

« C’est vous qui décidez ».

Je me rendis compte avec horreur de la profondeur de cette remarque. Il ferait exactement ce que je lui demanderais de faire. Il me conseillait mais, au final, c’était moi qui aurais le dernier mot même si je n’y connaissais rien. Il ne demanderait même pas à Orage, sa position dans la hiérarchie Adarii était inférieure à la mienne. Je trouvais d’un coup ce système totalement archaïque.

« Je vais faire un peu de rangement », dis-je à Miroir avant de disparaître à l’arrière. Le salon était désert. Je m’approchai doucement d’Orage mentalement, juste assez pour savoir qu’il dormait. Si les craintes de Miroir se confirmaient, je le réveillerais, il serait bien plus doué pour gérer ça. En attendant, je me penchai sur les cartes et documents étalés sur le tapis. Il y avait une carte de Saphir. Elle n’était pas à l’échelle, mais représentait les différentes provinces, les campagnes libres, comme ils appelaient les endroits que ne géraient pas les Adarii et les Terres de brume, sorte de no man’s land inhospitalier dans lequel je n’avais jamais trop compris ce qu’il se passait. Il y avait des petites annotations partout de la main d’Orage. Je reconnus de nombreux éléments donnés par Liberté et Clarté sur les provinces du sud et les campagnes libres, surtout en qui concernaient les lieux que s’était appropriés Vengeance. Il y avait aussi mention des provinces du nord avec les frontières de Tiyana qui englobaient les Terres de brume et s’étendaient sur tout le nord du continent, bien plus vaste que toutes les provinces de Plume réunies. Je ne savais pas où il avait trouvé ses informations mais, comme toujours, il paraissait bien au courant. Je repliai soigneusement la carte. Il avait réuni quelques ouvrages dont certains venaient aussi de Saphir. Il y avait même un livre d’histoire enfantine sur les mythes de Saphir. Il avait dû avoir du mal à trouver cela. C’était le genre de chose qui se transmettait souvent oralement. Aussi anodin soit-il, je le rangeais tout de même avec le reste. Si Orage était assez bête pour penser trouver là-dedans de quoi faire face aux Maÿcentres, il ne serait peut-être pas le seul.

La dernière carte représentait la zone du pacifique que les filles étaient en train d’explorer. Toutes les îles étaient représentées avec une extrême précision et ce que Tempête et Sentiment avaient découvert étaient annotés sur l’île correspondante. Je la repliais quand Orage entra encore tout ensommeillé. Il regarda avec étonnement le salon vidé et je lui expliquai nos possibles difficultés pour le passage de la plate-forme. Il sembla réfléchir regarda par le hublot la plate-forme qui maintenant s’étalait à perte de vue, approuva de la tête mais ne dit rien de plus.

Miroir arriva quelques minutes plus tard me prévenir qu’on avait un contact radio avec la plate-forme. Il s’adressa à moi, jetant à peine un œil à Orage et disparut aussitôt dans le poste de pilotage.

« Vas-y » dis-je voyant qu’Orage ne bougeait pas

« Non, ils voudront parler au responsable.

- Ils n’y connaissent rien. Ils n’ont jamais pu comprendre notre mode de fonctionnement.

- Mais Crayon et Miroir si. Ils trouveraient ça bizarre.

- Dis-leur que le responsable ne veut pas s’abaisser à discuter avec si basse extraction. » Lui dis-je en souriant.

« Comme tu voudras » dit-il en se levant pour rejoindre l’avant de l’appareil. L’idée lui plaisait. Je ne perdais pas mon autorité devant les pilotes et Orage se débrouillerait mieux que moi pour négocier.

Je m’assis sur le tapis et attendis. Je ne m’inquiétais pas à outre mesure. Si Orage avait réussi à nous sortir d’Archuleta, il n’aurait aucun mal pour si peu. En effet, il revint à peine cinq minutes plus tard tout sourire. « Nous avons le privilège d’avoir une escorte jusqu’à la plate-forme de Saphir-Plume. »

Ce n’était pas vraiment un privilège mais au moins nous ne devions pas atterrir, c’était tout ce que nous pouvions espérer. Je me demandais quelles menaces il avait utilisés pour les convaincre de nous laisser passer mais je ne lui demandai pas. Je me contentais de rester assise en face de lui tandis qu’il déballait à nouveau ses documents.

Je n’étais plus fâchée. Enfin, je ne pensais pas. Je ne savais pas trop ce que je ressentais. J’avais été vexée et je m’étais sentie trahie, mais maintenant, je ne ressentais qu’une immense lassitude. J’avais quitté la Terre, seul cela aurait dû compter. Le reste n’avait pas d’importance. Mais alors, pourquoi est-ce que je me sentais si las, si seule ? J’aurais dû en vouloir encore à Orage mais, à le voir ainsi en face de moi, perdu dans ses cartes, la seule chose pour laquelle je lui en voulais vraiment c’était de le sentir garder cette distance entre nous. Moi aussi, je me gardais à l’écart de lui bien sur. Mais moi, j’avais des raisons. Pas lui.

Je n’en pouvais plus de ses non dits.

Je finis par craquer : « Je ne veux pas d’enfant. Ni de toi ni de personne.

- J’ai cru le comprendre » dit-il sans pour autant relever la tête. « Si tu es en paix avec ta conscience ainsi. »

Il s’arrêta pour relever une phrase dans un document et la retranscrire sur une des cartes. « Je ne suis pas là pour te juger » ajouta-t-il.

Voila, c’était dit. Est-ce que j’étais en paix avec ma conscience ? Oui, tout à fait. Je ne pus tout de même m’empêcher de réfléchir. Non, pas du tout. Je me rappelais Thibault qui me disait que j’étais perdue entre deux cultures. Je n’en avais pas cru un mot. Je lui avais dit que je savais très bien qui j’étais et que je n’étais pas Terrienne le moins du monde, et pourtant, voila que j’avais des raisonnements totalement en contradiction avec ma culture.

Je secouai la tête. Ca n’avait rien à voir. Le problème, c’était qu’il n’avait pas à se servir de moi. Oui, c’était ça qui me rendait si furieuse « Tu aurais dû me prévenir de tes projets. » C’était sorti tout seul. Je n’avais même pas eu l’intention de dire cela à voix haute, mais je n’avais pas pu m’en empêcher.

Il leva enfin la tête de ses travaux et me regarda avec ses grands yeux verts qui m’avaient fait fondre. Avant. Plus maintenant. Non, plus maintenant. Je me le répétais encore quelque fois pour bien m’en convaincre.

« La prochaine fois que je verrais un cheval, est-ce que je devrais aussi te prévenir que c’est un cheval ou tu seras capable d’une telle déduction toute seule ? »

Je fulminais en entendant ses propos mesquins.

La colère avait encore ouvert mon esprit. Je m’éloignai vite avant qu’il en surprenne trop ou qu’il en rajoute comme quoi je pouvais garder mes mauvais sentiments.

A son air furieux, je crus qu’il allait me le sortir quand même. Pourtant, même s’il avait haussé la voix. Il avait gardé un ton posé.

« Ecoute Pluie. Je voulais construire quelque chose de fort avec toi. Tu ne veux pas, tant pis, mais ne m’accuse pas de n’importe quoi et ne t’imagine pas que je suis là uniquement pour ton plaisir car ça ne m’intéresse pas ».

Ha non, j’en avais assez. Sur ce coup-là, c’était moi la victime. Il ne retournerait pas la situation à son avantage. Je m’étais faite abusée. Il avait profité de mon ignorance. S’il voulait un enfant de la famille de Taé, il n’avait qu’à aller voir Prestance. Si Brouillard avait décidé de la rattacher à Taegaïan, il ne pourrait pas refuser ses enfants surtout s’ils étaient issus d’un autre membre de Taegaïan. Pourquoi n’avait-il pas été la voir d’ailleurs ? La réponse était évidente. Il avait besoin d’une petite naïve qui se laisse charmer au point d’oublier à quel point il était manipulateur. Prestance était bien trop intelligente pour se laisser berner tandis que la petite Pluie, elle, même Eysky était capable de lui faire faire n’importe quoi.

« Prestance est inintéressante. Elle est bien trop posée, elle n’a aucune spontanéité, elle est coincée, ennuyeuse, et j’aurais bien trop peur de la décoiffer en la touchant. Mais, elle n’était pas contre. »

Je le regardais éberlué. Décidément, je n’arrivais pas à m’éloigner de lui. Je me levai et partis dans une des chambre. Au moins, une certaine distance physique faciliterait un éloignement mental. Pourquoi fallait-il toujours qu’il s’insinue dans mes pensées ? Tout le temps. C’était insupportable. Infernal. Je cherchais encore quelques qualificatifs qui pourraient me convaincre que j’étais vraiment fâchée. Il m’avait préférée à Prestance !

Je ne sais pas pourquoi mais, imaginer que Prestance pourrait l’avoir et pas moi m’horrifiait. Elle avait déjà tout. Hé bien, la petite Pluie avait quelque chose qu’elle ne pouvait pas avoir.

Je me couchai sur le lit enfin comblée.

Ca ne dura pas longtemps. Je réalisai vite l’essentiel. Je n’avais plus rien du tout. Il l’avait bien fait comprendre. Si je n’acceptais pas ses conditions, il ne voudrait plus de moi. En d’autres mots, si je n’étais pas là pour lui faire un enfant, il se désintéresserait de moi. C’est dire à quel point je comptais pour lui.

Je m’en fichais, j’en trouverais d’autres. Le tout serait pour qu’ils ne le sachent pas. Aucun Adarii ne voudrait d’une fille qui refusait les enfants. Ils étaient tous obsédés par la perpétuité de l’espèce. C’est sur que la population ne croissait pas vite, mais tout de même. Et puis, il faudrait trouver un moyen de ne pas en avoir. Enfin pas de suite.

Mais, dans tous les cas, je n’aurais plus Orage. Cette idée m’obsédait. Je pourrais le séduire. Après tout, il avait bien tout risqué pour la belle Dyasella. Je rejetai cette idée, il la traitait comme une moins que rien oui. Je ne voulais pas ça. En plus, j’étais nettement moins jolie que la fille Lïtïl. Et puis, ça n’avait pas d’importance. J’en trouverais d’autre. Je m’étais déjà fait cette réflexion. Je tournais en rond là. Il était temps d’arrêter de cogiter ainsi. Je restais sur cette dernière pensée : j’en trouverais d’autre.

Mais je ne pus m’empêcher d’ajouter mentalement : ça ne remplacera pas Orage.

Quand je sortis de la chambre quelques heures plus tard, Orage me suivit des yeux avec un air passablement réjoui en mangeant des gâteaux à la cannelle. Qu’avait-il encore intercepté de mon petit discours intérieur ? pensai-je totalement terrorisée. Je pris sur moi de me calmer. Rien, il n’avait rien pu me soutirer. J’avais fait particulièrement attention. Alors, pourquoi cet air réjoui tout en gardant parfaitement ses pensées pour lui ?

Et puis, je ne voulais pas le savoir. Je ne lui demanderais pas, qu’il fasse le fier si il voulait. Je traversai le salon la tête haute, passai la porte avant et retrouvai Crayon à son poste.

« Je peux te remplacer si tu veux. Va te reposer ».

Ca lui faisait plaisir. Il était épuisé.

Je ressentis un petit sentiment de fierté. Au début, quand je disais cela, même s’il obéissait, il avait toujours une petite crainte à l’idée de me laisser seule aux commandes. Le fait qu’il parte avec plaisir voulait dire qu’il avait confiance en moi maintenant. Enfin quelqu’un qui me considérait capable de faire quelque chose. Ca faisait plaisir. Encore que, il ne m’aurait sûrement pas laisser si facilement si nous approchions de la plate-forme ou de l’atterrissage. Là, pour ce qu’il y avait à faire… J’aurais dû lui demander de me trouver des gâteaux avant de partir. Je me retournai pour l’appeler mais j’eu un sentiment de remord. Il pouvait bien se reposer. Il l’avait mérité. En plus, je n’avais pas vraiment faim. Je regardais négligemment dans le radar le petit point qui nous suivait. Qu’ils pouvaient être pénible à nous surveiller ainsi. Si Orage avait dit qu’on allait sur Plume, c’est qu’on y allait. Ce n’était pas la peine de nous suivre ainsi. Je restais là un peu plus d’une heure avant d’avoir vraiment faim. Je serais bien allée me chercher quelque chose à manger moi-même, mais Crayon disait toujours qu’il ne fallait jamais jamais jamais laisser le poste de pilotage vide même pour très peu de temps. Quand il trouvait que quelque chose était important, il le répétait toujours trois fois. C’était une manie particulièrement désagréable. Quand il avait commencé à m’apprendre à piloter, Il passait son temps à tout répéter ainsi. C’était exaspérant. Nous avions eu pas mal d’altercation à ce sujet. Je lui avais crié dessus plusieurs fois, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Ce qui fait qu’après, il répétait tout de même trois fois ses instructions puis, devenait blanc comme un cadavre tandis que je le fusillais du regard, avant de s’excuser pendant des heures ce qui fait que les leçons n’étaient pas très fructueuses. J’avais faim mais en me rappelant à quel point j’avais maltraité ce pauvre homme de chez moi, je ne me sentais plus du tout le cœur à le réveiller. Ni Miroir d’ailleurs.

Et puis tant pis ! Je me rapprochai d’Orage tout en pensant à ses gâteaux à la cannelle.

Je commençais par croire qu’il n’avait pas compris quand il arriva enfin avec une corbeille de gâteaux qu’il posa à coté du siège.

Il en pris un au passage puis s’assit dans l’autre fauteuil l’air toujours satisfait.

Il me faisait penser au conseiller Umya ainsi. En plus beau. Ce qui voulait dire que je devais doublement me méfier. Je voulais qu’il m’amène des gâteaux, je n’avais pas envie qu’il reste à me regarder en pensant je ne sais quoi. Au bout d’une demi-heure ainsi, je n’en pouvais plus. « Bon, qu’est-ce qui te rend si joyeux ?

- L’idée de rentrer chez moi, c’est tout. »

Je m’étais attendu à tout sauf à cela. J’imaginais un coup tordu, mais sûrement pas qu’il soit juste content de rentrer. Non, il devait y avoir autre chose.

Pourtant, n’était-ce pas légitime ? En fait, c’était moi qui n’étais pas normale. Ca faisait un temps fou que je ne rêvais que de cela et maintenant que tous mes rêves se réalisaient, je n’arrivais pas à me réjouir. Non, pas tout mes rêves. Je n’avais plus Orage. Et puis surtout, je ne rentrais pas vraiment chez moi, nous allions à Maniya voir la conseillère Savoir. J’avais tenté d’expliquer à Sentiment que d’abord j’irais à Taegaïan, puis qu’ensuite j’irais apporter ses bouts de ferrailles à Savoir. Voire, je trouverais bien quelqu’un pour se charger de cette corvée mais elle avait refusé d’en entendre d’avantage. Avec ses liens bizarres et artificiels, elle pouvait contacter certaines personnalités de Plume dont Savoir et, d’après elle, la conseillère tenait expressément à me voir dès mon retour. Comme quoi, je n’en avais pas encore fini. Il n’y avait donc pas de raison de me réjouir. Mais, Orage, lui, ça avait l’air de lui suffire. J’avais soudain une folle envie de lui ôter son sourire par n’importe quel moyen. « Nous ne rentrons pas chez nous, nous allons à Maniya.

- C’est pareil, pourvu que nous soyons sur Plume entouré de gens civilisés. Pour le reste… »

Il avait raison. Il avait toutes les raisons d’être heureux.

« Je suppose que tu ne resteras pas à la cité principale, tu iras voir Brise et ton fils ? »

Avant de le dire, je n’avais même pas réfléchi à cela. En tout cas, pas consciemment. Maintenant, ça me paraissait évident. Dans tous les cas, il n’avait aucune raison de rester avec moi. Peut-être resterait-il le temps de voir Savoir si elle le désirait puis il partirait, soit pour la cité de Maé à Taegaïan soit pour voir son fils.

« Non » dit-il, « je reste avec toi. C’est Brise et mon fils qui viennent à la cité principale. »

Je ne sais pas pourquoi, dès qu’il m’avait dit qu’il resterait avec moi, mon cœur avait fait un bon dans la poitrine et je m’étais mis à sourire. C’était absurde, je n’avais eu aucun mal à me retrouver loin de lui. Pourquoi maintenant serait-ce différent ? En fait, ce n’était pas tout à fait vrai. Ca ne m’avait pas posé de problème au début, tant qu’on se retrouvait ensemble par la pensée. Quand Sentiment m’avait appris combien il m’avait abusée et que je m’étais éloignée de lui, là, ça avait été dur. Non, c’était de me retrouver enfermer dans cette base qui avait mis mes nerfs à rude épreuve. Qu’il soit là ou pas n’y aurait rien changé. Enfin, je crois.

Miroir arriva quelques minutes plus tard et je lui laissai la place. Je ne sais pas si c’était à mon soulagement ou non, mais Orage resta avec lui.

Je tournai un peu en rond, ne sachant que faire. Feuilletai quelques notes d’Orage parlant de capacités démultipliées au point de pouvoir agir sur une civilisation entière comme nous pouvions le faire sur une personne. Ces bêtises me fatiguèrent et je partis me coucher. Je rêvais d’océan rose de Plume et d’océan bleu de Saphir, de falaise, de quelqu’un qui m’appelait très loin d’ici. Puis très proche, puis très loin. Il y avait le bruit du ressac, va et vient des vagues loin, proche, loin, proche qui me berçait dans une brume d’écume et d’embrun à la fois doux et salé. Je pars disait la voix. Je pars mais je te trouverais. Dans mon rêve, je me fis la réflexion que l’océan de Plume n’était pas salé puis, quelqu’un me dit que les rêves n’avaient pas d’odeur. Ensuite, cette parcelle de conscience s’évapora et je me laissai bercer par cet appel chargé de solitude. Je me sentais si seule moi aussi. Je crus voir Orage comme fondu dans le paysage. Mon cœur s’accéléra et mes lèvres cherchèrent les siennes mais il disparut. Je m’éveillais bien plus épuisée que quand je m’étais couchée, et toujours seule. Désespérément seule. Je tentai de me dire que je rentrais chez moi, mais je n’arrivais pas pour autant à combler le manque. Je me retournai et cherchai à me rendormir sans succès.

J’avais perdu toute notion du temps mais, trois jours après notre départ, j’aperçus enfin une petite boule toute rose par le hublot. Je me précipitai dans le poste de pilotage où je retrouvai Orage, Miroir et Crayon. Tous les trois paraissaient au comble du bonheur et, moi aussi, je ne pouvais m’empêcher de sourire. « Nous sommes de retour chez nous ma cousine » dit Orage fou de joie m’enserrant par la taille comme il le faisait sur les Maÿcentres. Je crus qu’il allait m’embrasser mais il s’écarta et demanda à Miroir de lui laisser la place m’ôtant tous mes espoirs.

« Tu vas rester à Maniya ? » demandais-je à ce dernier

« Nous allons d’abord nous occuper des vérifications du vaisseau et puis, nous resterons quelques jours. Ensuite, je repartirai avec Crayon. L’Adarii Orage nous a dit que nous pourrions garder l’ancienne navette Taegaïan. Enfin, si vous êtes d’accord.

- Bien sur que je suis d’accord. A condition que Synshy ne monte jamais dedans. Ni la Main » ajoutai-je.

Miroir me le promit sans hésiter et Crayon confirma. La planète rose grossissait à vue d’œil. Bientôt, il fut possible de distinguer le rose clair des plantes du désert du rose sombre des océans. Les montagnes blanches brisaient cette harmonie de couleurs rompant la monotonie. Plus on approchait, plus le blanc des montagnes s’intensifiait. Maniya était dans les montagnes. C’était le domaine le plus froid. Il n’y avait pas de dates définies pour l’hiver mais, parfois, le Nayil, un vent glacé, se mettait à souffler et il se mettait à neiger. Ca pouvait durer un mois si on avait de la chance, voire deux ou trois, et parfois jusque quatre mois mais c’était rare. En tout cas, vu comme les montagnes étaient blanches, nous étions arrivés en plein dedans. Tempête aurait été contente. Je sentais qu’elle était proche de moi et qu’elle partageait mes pensées. Je l’avais appelée par réflexe en voyant qu’on approchait de chez elle. Oui, elle aussi elle aurait aimée être là.


Partie 2 chapitre 11

11

"Tonnerre de midi Amène la pluie."

[Proverbe français]


Les paroles de Glace m’avaient gâché la soirée et, même une fois couchée, j’avais encore l’impression de l’entendre. Pourquoi ne me proposait-on jamais rien d’intéressant ? Les deux jours qui suivirent, je vis à peine Glace. Il partait alors que je dormais encore et revenait le soir alors que j’étais déjà couchée. Les journées s’éternisaient. Même le conseiller Umya ne venait plus me voir. Mes nuits étaient peuplées de rêves bizarres et d’idées noires. J’étais enfermée dans une pièce lugubre et ma mère me faisait un de ses interminables discours. J’étais au bord de l’océan, je ne le voyais pas, mais je sentais son odeur iodé et salé. Il y avait aussi Orage, je ne sais pas ce qu’il faisait là, il me regardait avec ses grands yeux verts, si clair et si pénétrant à la fois derrière ses longs cils noirs et je ne pus m’empêcher de me blottir dans ses bras.

« Tu confonds tout Pluie »

J’ouvris les yeux. Ce message à la fois mental et si réel me sortit de mes rêves.

- Ce ne sont pas des rêves, enfin pas tout. Ta mère est un rêve. Orage est un fantasme qu’il veut te faire partager pour te prouver à toi-même que tu ne peux pas te passer de lui. Quant à l’océan ! Une odeur ne peut-être un rêve, une odeur est la représentation mentale de quelqu’un.

Je regardais autour de moi. J’étais assise au milieu d’une immense prairie. De l’herbe s’étalait à perte de vue, couverte de fleurs des champs se balançant doucement sous la brise et, le silence. Aussi loin que se portaient mes yeux, il n’y avait rien. Pas d’arbre, pas d’habitation, même pas le moindre relief, que de l’herbe parsemée de fleurs. J’étais seule pourtant, je sentais une présence.

« Qui êtes-vous ? » Mes mots raisonnaient bizarrement dans ce décor irréel, comme plaqué.

« Insignifiante et inutile petite Pluie, tout bouge autour de toi et tu restes ici. Si je rétablissais l’équilibre ? »

Je m’étais retournée dans la direction d’où venait la voix. Un petit garçon se tenait devant moi. Il cueillait des fleurs. Il en portait déjà une immense gerbe.

Je me pris la tête dans les mains. J’étais à Archuleta, enfermée dans une base souterraine. Tout cela n’était qu’un rêve, ce n’était pas réel. J’allais me réveiller.

« Sens » disait le petit garçon m’enfonçant presque son bouquet sous le nez.

J’écartais les fleurs qui me chatouillaient les narines. « Je ne sens rien.

- Alors, tu as raison. C’est bien un rêve.

- Qui es-tu ?

- Nous sommes le début, nous sommes la fin, nous sommes le temps et l’espace, le vrai et l’imaginaire. Le corps et l’esprit. Nous sommes ce que tes amis recherchent mais ne trouveront pas. Pour ma part, tu peux m’appeler Onirique » Il saluait en disant cela. Son bouquet s’était volatilisé et l’horizon se métamorphosait. Des montagnes semblaient sortir du sol, mais sans bruit ni tremblement de terre, comme si quelqu’un les dessinait autour de moi. Deux grands pics s’élevaient me cachant la lumière du soleil me faisant frissonner. Un torrent jaillissait à mes pieds et je fis un bon de coté pour éviter l’eau qui se déversait maintenant entre deux rochers sortant du sol, avant de se transformer en un fleuve tumultueux. Je tendais la main et touchais l’eau. Elle était glacée.

« Où sommes-nous ici ? » Tout en disant cela, je cherchais des yeux le petit garçon. Il n’était plus là. A sa place, se trouvait un homme d’une vingtaine d’année. Il portait une simple tunique de lin sur un pantalon en cuir marron et souriait du plus beau sourire que je n’avais jamais vu. « Nous sommes aux origines. Nous sommes là où personne n’était et où aujourd’hui personne ne veut aller. A toi, Pluie, je te donne le pouvoir d’y aller »

- Mais, ce n’est qu’un rêve ! Tout cela n’est pas la réalité ?

Il s’était approché, effleurant ma joue de son doigt et recouvrant mon corps de frissons. « Rêve, réalité, pourquoi tout cloisonner ainsi ? Mais, c’est une bonne idée, cherche Réalité »

J’avais levé les yeux vers ce visage si parfait.

Une voix sortie de nulle part m’avait décontenancé. « Encore avec elle ?

Le jeune homme avait détaché ses yeux des miens me laissant un abominable sentiment d’abandon.

« Pour elle, ça fait des années que je ne suis pas venu. Elle ne me reconnaît même pas.

- Ce n’est pas une raison

- Tu as tué le père et je m’occupe de la fille n’est-ce pas que justice.

- Je n’ai pas tué son père.

- C’est tout comme.

- Il s’approchait trop près de moi.

Onirique riait, envoyant sa tête en arrière avant de plonger à nouveau ses yeux dans les miens. Je le regardais subjuguée osant à peine respirer. « Personne ne peut s’approcher de toi Vérité, et ta méfiance rend l’univers d’un ennui… »

Je voulais aller vers lui, me perdre dans ses bras et ne plus jamais en sortir mais à peine avais-je tendu le bras qu’il avait disparu dans un souffle d’air.

« Tu lui en as trop dit. » disait encore une voix perdue.

- Je ne suis qu’un rêve Vérité, un simple rêve qu’on oublie au réveil.

Tout devenait noir autour de moi. Je sentais encore une caresse sur ma joue qui se propageait dans mon corps bien plus doux que les plus fines soies du désert rose de Plume et le souffle de ses lèvres à mon oreille. « Oublie-moi Pluie ». Oublie-moi et réveille-toi.

« Réveille-toi ». Une main frôlait ma joue. Ce contact me réveilla et je me retrouvai sur mon matelas dans cette base sordide au milieu d’une obscurité totale. Quelqu’un plaquait sa main sur ma bouche. Sors hurlais-je mentalement. « Cesse ça, c’est moi » chuchota une voix.

« Mike ? »

Il affaiblit ses protections contre moi, juste de quoi me laisser voir ses pensées superficielles. Il n’imaginait pas quelqu’un oser venir me réveiller, ils avaient tous bien trop peur de moi.

- Fais-lui confiance me lança Glace dans le même temps.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Que me veux-tu ?

- Le président Synshy est arrivé plus tôt que prévu.

Tout le monde s’est précipité sur la plate-forme auprès du vaisseau présidentiel. Je me suis occupé des gardes devant votre porte. Je retourne au central de sécurité, il n’y a que de là que je pourrais ouvrir la porte d’entrée et bloquer les caméras de sécurité. Je vous laisse trente minutes. Débrouillez-vous pour être devant l’entrée à ce moment-là et pour avoir neutralisé les gardes. »

Il me remit une carte magnétique indispensable pour pouvoir sortir et disparut englouti par l’obscurité tandis je restais, hébété dans mon lit, perdue entre les informations de Mike et quelque chose d’autre que je n’arrivais pas à cerner -File

L’ordre de Glace résonnait dans ma tête. Il pouvait parler lui. Ce n’était pas si facile.

Je m’habillai le plus vite possible et sortis dans le couloir. En effet, il était désert. Je ne sais pas à quel moment je commençai vraiment à me rendre compte de la situation. Dès que le nouveau président apprendra que j’étais ici, il sera furieux. Il serait capable de m’enfermer, voire pire, de m’envoyer sur le satellite Exil. Je commençai par avancer doucement, me collant contre le mur puis, de plus en plus vite et me mis à courir. Courir pensais-je en traversant les couloirs à toute vitesse. Ne pas me faire voir. Ne pas paniquer. Surtout, ne pas paniquer. Je me répétais cette phrase tout en déambulant dans les couloirs déserts. Ils étaient tous avec Synshy, je n’avais pas à m’inquiéter. Je tournai sur une nouvelle galerie, celle-là n’était pas éclairée. Au moins, je serais moins visible mais je ne voyais rien non plus et je ne tardais pas à trébucher. On se calme, pensai-je en me relevant et frottant ma cheville. A courir ainsi dans le noir, je faisais n’importe quoi. Je m’appuyai contre le mur le temps de reprendre mon souffle. Je ne risquais rien, j’étais Adarii, mais je n’étais plus sûre de rien. Que serais-je si je me faisais attraper par Synshy ? Un rat de laboratoire pour les Terriens ? Les traîtres des Maÿcentres, ils les envoyaient tous sur une planète sans espoir d’en sortir et ils se débrouillaient entre eux. Pourraient-ils m’envoyer là-bas ? Je secouai la tête. Non, on n’envoyait pas les dignitaires sur Exil et Plume n’était pas soumise aux lois de la confédération Vengeance-Maÿcentres. Même, dans ce cas, on viendrait me chercher. Je secouai la tête. Ce n’était pas le moment de penser à ça. J’avais repris mon avancée. Sortir d’ici, rejoindre les filles, retourner sur Plume. Le boyau descendait plus profondément dans la roche. Ce n’était pas normal, j’aurais dû remonter. Je continuai quelques minutes ainsi, m’affolant de plus en plus. On allait remarquer mon absence et bloquer les issues. Non, il n’y avait pas de raison de le remarquer avant le lendemain et au moins, cette nouvelle galerie était faiblement éclairée. Et si Sinshy n’attendait pas jusque-là ? Si il voulait me voir dès ce soir. Quelqu’un venait. Non plusieurs. Je cherchais un endroit où me cacher. Trop tard réalisai-je en apercevant les ombres de deux personnes arrivant vers moi.

Ne me vois pas ordonnai-je dès qu’ils posèrent les yeux sur moi. Ils continuèrent à me fixer passant devant moi sans s’arrêter. Je répétais encore, mon ordre mental alors qu’ils avaient disparu et que je n’avais plus aucun contrôle sur eux et m’agenouillai en me soutenant contre le mur. Ce n’était pas le moment de flancher pensai-je avant de me relever et de me remettre à avancer. Un autre couloir et enfin, je commençais à me repérer. J’étais arrivée au niveau des quartiers des officiers Terriens, ce n’était plus très loin de la sortie. Je me plaquai contre le mur tandis qu’une caméra de sécurité venait vers moi. Je les avais oubliées celle-là, peut-être m’avaient-elles repérée depuis longtemps mais Mike devait gérer ça, à condition qu’on puisse réellement lui faire confiance. Au cas où, il n’était plus temps de traîner. Je m’apprêtai à repartir quand, tout d’un coup, je me souvins que j’avais laissé dans la chambre le sac contenant les bouts de métaux trouvés dans la grotte. « Non » dis-je tout bas en tapant rageusement du poing contre le mur. C’était trop bête, je n’allais pas faire demi-tour pour si peu. Je m’apprêtai à continuer mais m’arrêtai de nouveau au bout de quelques pas. J’avais promis à Tempête et Sentiment d’emmener ses pièces à la conseillère de Maniya. C’était la seule chose qu’on m’ait demandé. J’hésitais encore. Il me restait dix minutes. Si je ne me perdais pas, je serais à peine en retard. Je perdis encore quelques secondes à pester et fis demi-tour. N’empêche que la rage m’avait donné des ailes. Je n’avais plus peur et retrouvais bien vite mon chemin. Il ne me restait plus que quelques mètres à parcourir quand ils me tombèrent dessus.

D’abord, ça avait été le couloir qui s’était illuminé d’un coup, d’une lumière bien trop forte après les simples veilleuses de nuit. Puis ça avait été des bruits de pas. Beaucoup trop. Ils avaient résonnés bien trop fort dans le couloir si silencieux quelques secondes auparavant. J’étais restée bêtement paralysée, ne sachant que faire avançant d’un pas pour rejoindre les derniers mètres me séparant de la chambre, puis me ravisant pensant ne pas avoir le temps, tandis que les pas retentissaient de plus en plus fort, de plus en plus nombreux et pressant. J’avais préféré faire demi-tour. Puis, faisant volte face, j’avais pensé qu’en me dépêchant je pourrais atteindre le couloir de gauche et m’y cacher. Puis je m’étais dit qu’il serait plus judicieux de faire demi-tour. Mais, si je pouvais atteindre la porte, je pourrais me cacher dans la chambre. Mais, s’ils me cherchaient ce ne serait pas une cachette bien judicieuse. Si bien qu’au milieu de toutes ses réflexions, j’étais restée plantée là dans une sorte de danse insensée où je me tournais dans toutes les directions sans savoir laquelle prendre. Je m’étais figée quand étaient apparus une dizaine d’hommes en face de moi. Ils portaient l’uniforme de la garde présidentielle des Maÿcentres et leurs grands manteaux noirs dans cet environnement lugubre leur donnaient l’apparence de spectres. Ils me faisaient penser aux représentations Terriennes de la mort. Ils ne leur manquaient que la faux. Evidemment, ils me reconnurent de suite et ils m’ordonnèrent de les suivre d’une façon bien trop cavalière. Autant, avant mon départ des Maÿcentres, ils faisaient preuve d’un certain respect, autant maintenant, ils ne se souciaient pas le moins du monde d’y mettre les formes. Au contraire, ils prenaient un certain plaisir à se défier les uns les autres à celui qui aurait le plus d’aplomb quant à la façon de se comporter à mon égard. Un des hommes n’hésita pas à me demander ce que je faisais hors de mes quartiers en pleine nuit. Un deuxième poussa même l’audace à remarquer que j’étais sans doute somnambule. Un troisième surenchérit comme quoi ce n’était sûrement pas nos crises de somnambulisme qui nous poussaient à fourrer notre nez partout. Je me retournais d’un coup pour voir d’autres hommes arriver par derrière. Des hommes d’Archuleta ceux-là. Terriens, ils étaient armés.

Les remarques désobligeantes fusaient toujours. Ils se sentaient protégés par le monde. Ils n’avaient pas tort. Je fis un rapide point sur la situation. Ceux des Maÿcentres se défoulaient en parole mais se forçaient à éviter mon regard. De toute façon, avec leurs capuchons, il était bien rare que j’arrive à voir leurs yeux. Les Terriens eux, moins habitués, n’hésitaient pas à se donner un air supérieur en me toisant des pieds à la tête, mais je ne voyais pas bien à quoi ça m’avançait vu leur nombre. Je me sentais prise au piège pourtant, je ne pus m’empêcher de répliquer : « Le prochain qui dit un mot, je m’en prends à lui personnellement. »

C’était stupide et, objectivement, je ne savais vraiment pas comment. Pourtant, ça les calma. Ou alors, était-ce l’arrivée du Conseiller Umya qui les fit taire ? Il s’était vêtu à la manière des Maÿcentres, sans doute pour faire honneur au président et il fallait avouer que ça lui allait bien. Voila que maintenant, je révisais même mes jugements sur la sobriété des tenues des Maÿcentres. Je n’étais vraiment pas bien moi.

Le conseiller s’avança très digne au milieu des hommes qui s’écartèrent pour le laisser passer. Il paraissait très sérieux et réprimandait d’un simple regard la conduite scandaleuse de ses hommes qui comprirent le message. Pourtant, il n’émanait de lui qu’excitation et joie. C’était un très bon comédien. Le maître du jeu avait décidé que le fou devait faire preuve d’autorité et, si la contradiction entre son attitude et ses émotions était flagrante, je parus être la seule à le remarquer. Arrivé devant moi, il me fit son plus beau salut et, de sa voix grave et sévère, il me dit que le président Synshy souhaitait me rencontrer. Sans doute n’était-il plus capable de tenir son rôle plus longtemps car c’est d’un ton plus cordial qu’il me dit qu’en tant que conseiller, il se permettait d’évoquer le fait que parfois, certaines concessions se devaient d’être faite et qu’il se ferait un plaisir de m’escorter jusqu’au président.

Je n’avais pas le choix, pourtant, je ne pouvais m’empêcher de chercher quelque chose pour me sortir de là. Je devais gagner du temps. Parler à Glace, n’importe quoi. Je rageais intérieurement mais il n’y avait rien à faire.

Je me tournai vers le conseiller, résignée à le suivre. Il me tendit son bras. Il avait retrouvé sa fausse dignité autoritaire renforcée par sa tenue d’apparat.

C’était ça la solution pensai-je dans un éclair.

Je tentai de me fabriquer un aussi beau masque de comédien que le lui et l’interpellai : « Sy Conseiller, ce sera un honneur pour moi de saluer notre nouveau président. Veuillez avoir l’obligeance d’attendre que je m’habille d’une façon plus conforme aux exigences des Maÿcentres afin de mettre en avant le respect que j’ai envers lui. » Chaque mot m’étouffait la gorge. Jamais je n’aurais l’aisance du conseiller pour dire de telles sottises mais il ne pouvait pas m’interdire cela. Enfin, j’espérais.

Un des gardes placé le plus loin fit encore une remarque déplacée, un autre dit qu’on n’avait pas le temps, un troisième argua du fait qu’en général, la décence n’était pas notre priorité et un autre qu’on était incapable d’avoir le moindre respect pour qui que ce soit. Le conseiller intensifia son air sévère en croisant les bras sur ses larges manches et leur jeta un regard désapprobateur avant de m’ouvrir la porte des quartiers de Glace en me faisant signe d’entrer. D’autres personnes s’avancèrent dans le but évident de me suivre mais Umya referma la porte avant qu’ils aient eu le temps de franchir la porte.

Une fois seule à l’intérieur, j’avais commencé par paniquer, tournant en rond comme un animal en cage, scrutant les murs à la recherche d’une ouverture imaginaire. Ensuite, je m’étais forcée à m’asseoir et à respirer tranquillement malgré mon cœur qui s’emballait et mes mains moites. Je devais contacter Glace, lui serait que faire. Je m’étais rapproché de lui, suffisamment pour sentir à quel point il s’inquiétais lui aussi, ce qui ne m’avait pas rassurée du tout. Je ne m’étais pas attardée sur ses pensées et lui avais expliqué le plus vite possible la situation dans laquelle je me trouvais. Il n’avait pas paru s’en inquiéter d’avantage et m’avait dit de suivre Umya et de le rejoindre. De toute façon, je n’avais pas le choix. Il m’avait dit aussi qu’il restait une chance de partir d’ici ce soir alors que je prenne tout ce dont j’avais besoin et il avait fini en me disant que surtout, il était hors de question que je fasse un scandale et que je devais me tenir correctement. De toute façon, toutes nos conversations finissaient sur ses détails. Tout en l’écoutant, j’avais fouillé pour trouver une pièce de coton soyeux bleue nuit rehaussé de broderies dorées que j’avais enroulé autour de moi tel un sari. Ce n’était pas vraiment faire honneur au président de s’habiller selon les coutumes de Plume, mais au moins, j’aurais plus de prestance ainsi. C’était un tissu d’homme mais personne ne verrait la différence.

« C’est quoi ton plan ? » demandai-je en passant une fine écharpe bleue claire derrière la tête avant d’en rabattre un pan jusque devant les yeux.

Personne ne me répondit. Je sentais encore la fraîche odeur mentholée de mon frère auprès de moi mais ses pensées se concentraient maintenant sur les paroles de son interlocuteur. Je pris les bouts de métaux, cherchai quelque chose de plus discret que le sac dans lequel ils étaient rangés et les mis dans une sacoche en tissu en espérant qu’on ne se pose pas trop de question là-dessus. J’y ajoutais mon petit calepin et sortis. Bien sur, mon escorte ne s’était pas réduite, mais habillée ainsi, même voilée, ils n’osèrent plus faire de remarques désobligeantes. Ca me redonna un peu de courage.

Le conseiller était encore plus excité. Je me demandais s’il manigançait quelque chose ou si c’était juste la perspective de voir comment la partie allait se jouer.

Il tendit à nouveau son bras et je passais devant lui tandis que de la main il effleurait le tissu de ma robe et m’escorta fièrement jusqu’à la grande salle qui servait aussi de plate-forme d’atterrissage. Synshy avait fait les choses en grand. Il devait y avoir au moins une centaine d’homme qui l’escortait. Cinq navettes étaient posées en plus du vaisseau présidentiel. Ce ne devait pas être du goût d’Archuleta, tout ce monde n’était pas des plus discret. J’avais pensé le trouver dans une des petites salles, mais sans doute préférait-il une humiliation devant tout son petit monde. Ne pas faire de scandale, me taire. Je me répétais les paroles de Glace tout en avançant.

Quelques personnes se déplacèrent me dégageant enfin la vue sur le président. Là, d’un coup, j’avais eu l’impression de perdre le sens des réalités et je m’étais arrêtée. Sinshy tout fier à la place d’honneur, ça n’allait pas. C’était le président Eysky qui aurait dû être là. Bien sur, je savais qu’il était mort et que cette tête d’œuf l’avait remplacé, mais peut-être qu’avant ce moment, je ne l’avais pas vraiment réalisé. D’un coup, ce n’était plus des paroles, c’était la réalité que j’avais devant moi. C’était fini les airs désespérés d’Eysky dès que je faisais une bêtise, ses tentatives ridicules pour obtenir mon amitié dans l’espoir que j’agisse sur Plume à son avantage, ses grands discours sur ses espoirs pour les Maÿcentres auxquels il croyait avec tant de ferveur. Celui que j’avais devant moi n’essayerait pas de me convaincre de quoi que ce soit, ni même de discuter.

Je savais que quelqu’un me parlait mais je n’entendais pas. J’étais comme hypnotisée par le spectacle devant moi. « Alors, Eysky est vraiment mort » murmurai-je tout doucement traversée par une sincère tristesse.

Quelqu’un me tira soudain et m’entraîna vers l’avant. Faire ce qu’on lui dit la petite sorcière. Je poussais un cri en revenant à la réalité devant se déferlement de dégoût.

Le général Gentry commanda à ses hommes de me lâcher avec un affolement qui n’était pas feint mais ils me poussèrent sans ménagement devant eux. Je sentis encore l’impatience de l’homme qui espérait un châtiment exemplaire et je m’écroulai devant le nouveau président.

« Quel plaisir de vous voir ainsi Adarii. Vous n’imaginez pas depuis combien de temps je ne rêve que de ça »

Je me relevai aussi vite que mes membres endoloris me le permettaient.

Comme à son habitude, Sinshy ou plutôt Synshy, puisque sa promotion lui avait valu un y supplémentaire, avait la tête basse et une aura malsaine l’entourait. Comme les mauvaises choses ne changeaient jamais, je reconnus la Main à ses cotés qui jubilait d’une joie mauvaise. Pendant un moment, personne ne dit mot. Synshy prit calmement un de ses infects cigarillo et relevant enfin la tête, m’envoya une bouffée en pleine figure.

Malgré tous mes efforts, je ne pus m’empêcher de tousser.

« Petite vermine qui disait sans cesse qu’elle ne recevait d’ordre que du président. Et bien, vous l’avez en face de vous » Il m’avait craché cela au visage émanant un plaisir sordide. « Alors, couvrez-vous et baissez la tête, je n’ai aucune envie de voir vos jolis yeux perfides ». Tout en disant cela il rabattit mon foulard qui était tombé quand on m’avait bousculée.

Prise d’une sotte assurance, j’oubliai un instant que je devais me taire et je répliquai avec autant de dégoût dans la voix que lui : « J’ai dit que j’obéissais au président Eysky, jamais je n’ai parlé de vous quelque soit votre rang.

- Stupide, même avec lui vous n’en faisiez qu’à votre tête. Complot avec le deuxième satellite et avec Saphir, acte de violence envers le fils du président et je ne parle pas de vos insubordinations quotidiennes. Je ne sais pas encore ce que je vais faire de vous. Peut-être les Terriens seraient-ils content de vous étudier, ou alors, le satellite Exil vous accueillerait volontiers.

Je frissonnai à l’évocation du satellite prison tandis que Synshy envoyait une autre bouffée de fumée acre. Mais non, jamais il ne ferait pas ça. Il n’oserait pas, il se mettrait tout l’assemblée des Maîtres Adarii sur le dos. Mais n’étais-je pas un peu naïve d’imaginer que le peuple Adarii se remuerait pour ma petite personne ? Et même, au fond, n’était-ce pas ce qu’il désirait ? Une excuse pour mettre la main sur Plume.

Quelqu’un m’empoigna. Il voulait se faire bien voir en m’obligeant à baisser la tête comme l’avait ordonné Synshy.

« Lache-là » répliqua le président, « Ton supérieur t’a dit de ne pas la toucher. Qu’imagines-tu ? Que cette loi est pour les préserver des sauvages que nous sommes à leurs yeux ? Ces gens-là sont capables de découvrir tout ce que tu caches aux plus profonds de tes pensées les plus intimes par simple contact. »

Je ne vis pas sa réaction ni celle des autres, mais les effluves aigres de peur s’intensifièrent à travers la salle. Je remerciais soudain le conseiller Umya d’avoir parlé de ce détail à Gentry. C’était déjà ça de moins à redouter. N’empêche que, jamais le président Eysky ne se serait permis de parler aussi vulgairement. Il savait se faire obéir sans élever le ton. C’était un vrai leader. Bon, pas avec moi, mais son peuple l’écoutait avec une réelle admiration. Je doutais fort que celui-là soit aussi apprécié.

« Et vu la réaction de votre chef, je crois qu’il est tout à fait au courant. Mais il semblerait cependant que vous ayez omis de préciser certaines choses à vos hommes Syhi Général. Sachez qu’avec moi, ça ne se passera pas ainsi. Je serais tout à fait honnête avec vous, et j’exige que vous le soyez autant avec vos hommes. Nous travaillons ensemble, il faut pouvoir se faire confiance et mon premier acte de président sera de vous débarrasser de cette vermine », dit-il en me pointant du doigt.

« Ca suffit ». C’était la voix de Glace qui avait retentie. Je le remarquai debout, les bras croisés, au coté du général Gentry et du conseiller Umya. Il avait revêtu un pantalon des Maÿcentres mais sa tunique était de Plume ainsi que le drapé qu’il portait, un pan rabattu. Je me fis la remarque que le conseiller Glace n’avait jamais besoin de se cacher ainsi. « En voila assez Président. Les infractions de l’Adarii Pluie concernent la Terre. Elle partira d’ici et je veillerais à ce qu’elle ne dépasse plus les limites de la plate-forme de Saphir-Plume, mais il ne vous appartient pas de la traiter ainsi »

Par contre, pensais-je encore, le conseiller Glace ne se permettrait pas de parler ainsi au président des Maÿcentres. Il avait repris sa position d’Adarii. Je n’arrivais pas à cerner si c’était de bon ou mauvais augure.

« Bien sur, parce que vous avez sans doute de l’autorité sur elle. Alors comment se fait-il qu’elle soit venue ici malgré votre surveillance ?

Vous êtes démis de vos fonctions conseiller Taegaïan. Je ne veux plus vous voir sur Terre ni vous ni aucun de vos semblables et encore moins sur les Maÿcentres. »

A la manière dont il avait dit cela, je compris que le problème avait déjà été soulevé et que les responsables Terriens avaient déjà donné leur d’accord pour se débarrasser de lui. Ce n’était pas une surprise mais ça m’affligeait tout de même. J’étais triste pour lui. Qu’on me traite n’importe comment, mais lui, il n’avait rien fait, au contraire, il se démenait pour la Terre. Bien plus que ceux des Maÿcentres qui ne voulaient au fond qu’exploiter les richesses de la planète. Pourquoi ne voulaient-ils pas s’en rendre compte ? Ils auraient dû lui faire confiance, ils avaient de bons rapports avec lui.

Un jour, le conseiller Umya m’avait dit qu’on ne pouvait pas avoir en même temps du pouvoir sur quelqu’un et son amitié. Je lui avais répliqué qu’on devrait au moins pouvoir choisir l’un ou l’autre. Il m’avait alors demandé ce que je choisirais. Il m’avait regardé plein de piquante curiosité, mais je ne lui avais pas répondu, il n’avait pas à me poser de question. Il m’avait dit que ne pas répondre, était aussi une réponse en soi.

Le président s’était lancé dans un discours qui semblait improvisé mais que je ne doutais pas être mûrement réfléchi. Eysky réfléchissait toujours seul à ses discours. Il disait qu’il faisait passer ses idées, pas celles émises par d’autres. Synshy ne devait sans doute pas être capable d’aligner deux phrases. C’était peut-être la Main qui rédigeait ses textes.

« Entendons nous bien », disait-il maintenant suffisamment fort pour ce faire entendre de tous « Si je suis venu à vous aujourd’hui, c’est pour vous faire part des nouvelles mesures concernant la Terre. J’ai de grands projets pour votre peuple mais, en premier, je veux créer de nouvelles bases avec vous. Des bases dont les appuis solides seront forgés dans l’honnêteté et la confiance et, contrairement au président Eysky, je ne pense pas que la confiance puisse s’acquérir entouré d’espions surveillant la moindre pensée des hommes qui travaillent pour moi. Mes dignitaires, je le choisis parce que je leur fais confiance. Qu’ils soient issus de Vengeance, des Maÿcentres, ou de la Terre. Car j’ai l’espoir de voir la Terre un jour prochain élevé au même titre que les autres nations. Avec les mêmes droits et les mêmes privilèges. Pour vivre en harmonie comme un seul peuple. »

Non, ce n’était pas la Main qui avait écrit cela. J’avais beau la détester, elle avait un certain talent. Le discours de Sinshy était vraiment mauvais et il n’en croyait pas un mot.

« Je ne bannis pas Plume ni Saphir, mais mon empire, je le veux basé sur l’égalité, sur la démocratie, sur l’honneur.

Il continua plus bas, me soufflant son haleine fétide au visage : « Autant de concepts que les Adarii devraient apprendre à maîtriser avant de revenir nous narguer. » Ne pas bouger, pensai-je alors que mes poings se crispaient. Je tentais d’imaginer le plaisir que j’éprouverais à envoyer ce poing dans sa face d’œuf. Mais l’idée ne suffisait pas et il continuait à clamer un avenir d’opulence et de faste tandis que je restais tête baissée à attendre qu’il s’adresse à moi.

- Je vais le tuer dis-je mentalement à Glace. Fais quelque chose, n’importe quoi.

- Attends, ne bouge pas, Orage arrive

- Comment ça Orage arrive ?

Mais je n’avais pas eu le temps de me poser la question longtemps, le président continuait : « Je ne peux rester aveugle aux souffrance du peuple de Plume réduit à l’esclavage, vivant des miettes laissées par leurs bourreaux. »

Ca y est, c’était trop. Ne pas faire de scandale, me taire. Il avait fini oui, à qui comptait-il faire croire ça ?

Mais tout le monde le croyait.

« Vaisseaux non identifié a passé la passerelle d’entrée ». Le micro avait cassé le discours de Synshy qui semblait fortement désappointé de cette interruption malvenue.

Toutes les têtes se tournèrent vers le couloir d’approche puis s’écartèrent tandis que le vaisseau au sigle de Taegaïan venait se poser au centre de la plate-forme. Le temps parut s’arrêter un instant tandis que la tension augmentait autour de moi.

Synshy fut le premier à réagir : « Virez-moi çà, c’est le vaisseau d’Orage », s’exclama-t-il en s’affolant soudainement. Mais il se reprit presque instantanément. « Non, Au fond, laissez le venir. Il est temps qu’il voit ce qu’il en coûte de défier les Maÿcentres. Puis, se tournant vers moi, il reprit beaucoup plus doucement. Qu’est-ce que vous avez encore manigancé comme coup tordu ? »

Quand la porte coulissa, je retins mon souffle. Je pensais voir Orage, mais celui qui parut à l’entrée, je ne le connaissais pas. Totalement abêti, l’inconnu fit un pas puis fut propulsé à l’extérieur et s’écroula à terre.

Ensuite seulement apparut Orage. Quand il sortit de l’ombre du vaisseau, je compris vraiment à quel point il était impressionnant. Même moi, j’avais l’impression qu’il irradiait. La colère sans aucun doute. La salle fut immédiatement plongée dans le silence dès qu’il leva ses yeux trop verts. Personne ne le connaissait parmi les Terriens et il se dégagea de la foule comme une vague d’appréhension suivie d’autre chose plus difficile à cerner. Ils avaient l’air subjugués par cette apparition. Orage quant à lui, ne s’était pas pris la peine de se couvrir et toisait l’assistance avec un air de défi accentuant encore l’effet qu’il produisait. « Cette chose a eu la présomption d’imaginer pouvoir m’assassiner dans ma propre maison », dit-il enfin en Anglais après avoir repéré Gentry parmi la foule.

Il descendit de la navette alors que l’assemblée semblait retenir sa respiration et attrapa par le col l’homme qui gisait encore à terre.

« Avance », dit-il le forçant à se lever avant de reprendre : « Général Gentry, J’ai tenu à vous remettre votre concitoyen en main propre. Que ce soit clair, je me fiche éperdument de savoir comment il a pu arriver sur les Maÿcentres, et de là, violer l’intimité de l’ambassade de Plume pour tenter de me tuer dans mon propre lit.

Tout ce que je constate, c’est que vous êtes dangereux. Tout en disant cela, il jeta l’homme au pied du général sans un regard pour le nouveau président. En plus, j’ai ouie dire que vous reteniez ici une personne qui m’est particulièrement chère »

- Votre cousine est entrée illégalement sur Terre et j’ai de bonnes raisons de penser qu’elle n’est pas la seule.

- Et cet homme est entré illégalement sur les Maÿcentres pour tenter de m’assassiner alors, pensez bien que je ne suis pas prêt à faire des concessions.

Pluie, tu viens ici » ajouta-t-il

« C’est à moi de décider ce qu’il adviendra de Pluie ».

C’est seulement sous ses paroles que Orage daigna prêter attention à Synshy.

« Pour vous, c’est Adarii Pluie Taegaïan. Mais au fond, Sinshy, ne seriez-vous pas mêlé à cette histoire ?

- Je n’ai plus à répondre à vos questions Adarii. Et pour vous, c’est Maÿ Président Synshy » ajouta-t-il

« C’est vrai que vous êtes issus de cette ancienne noblesse guerrière. Après cinq cents ans de pacifisme sous le règne des Syhy, les Maÿ reprennent le pouvoir. Et comme par hasard, vous commencez votre règne après un meurtre et une tentative de meurtre sur les plus éminentes personnalités des Maÿcentres. J’ai de quoi m’interroger mais, vous avez raison, ça ne me regarde pas. Je vais même vous accorder votre requête. Je vais quitter les Maÿcentres. Je repars avec Pluie. Et Glace » ajouta-t-il après une hésitation « puisque apparemment vous ne souhaitez pas le garder ici. Je ne doute pas que la Terre le regrettera car il devait être le seul à prendre vraiment le bien de cette planète en considération. »

J’en profitais pour jeter un coup d’œil au conseiller Umya qui avait perdu sa belle prestance habituelle. Il était des plus perplexe. Au échec, pensais-je on ne rajoutait pas de nouveaux pions ou chevaux. La partie ne se déroulait sans doute pas suivant ses espérances. Il faudra qu’il apprenne que la vie n’était pas un jeu.

« Mais ce n’est pas mon problème continuait Orage

En ce qui nous concerne, nous repartons dans l’ombre de notre lointaine planète primitive tandis que, sans nous, les puissantes Maÿcentres flamboierons à leur aise dans la lumière des vainqueurs. »

Le conseiller Umya se remit à jubiler intérieurement tandis que la fierté du président semblait avoir disparu d’un coup, et qu’il recommençait à diffuser sa colère autour de lui. Pourtant, c’est d’une voix calme qu’il répondit : « Mon vœux le plus cher est un empire de paix et de prospérité et c’est pour cette unique raison que j’accepte de vous laisser partir mais sachez que la Terre est sous notre protection et qu’en aucun cas, je n’admettrais que les vôtres ne viennent troubler la paix d’une si belle planète. Je veux que tous en chacun ici soi libre de penser sans crainte et que personne ne puisse être victime d’aucune brutalité sortie de vos esprits défaillants.

Filez vous », ajouta-t-il m’indiquant la direction à prendre d’un ample geste plein de dédain.

C’était trop beau, trop facile. Je restais sur place ne sachant que faire, redoutant un piège.

Glace m’attrapa par le bras et me traîna presque vers le vaisseau. Il avait rabattu son drapé sur les épaules et irradiait presque autant qu’Orage. Les hommes s’écartèrent pour le laisser passer mais à mon grand étonnement, ce n’était pas ni la crainte, ni le dégoût qui les faisaient agir ainsi. Ils avaient peur de moi, mais pour Glace, ils ne ressentaient qu’admiration.

« Je n’ai pas donné mon accord en ce qui concerne la jeune Adarii » dit le général Gentry. « Je voudrais bien savoir ce qu’elle faisait sur Terre et surtout s’il en reste d’autres. »

Je fermai les yeux, je l’avais dit que c’était trop beau.

« Général » reprit Orage en s’approchant de lui pour ne pas avoir à élever la voix : « Soit il n’y a personne d’autre et vous ne craignez rien, soit il y en a d’autres et, dans ce cas, si vous nous retenez, dans moins de vingt-quatre heures la Terre entière saura ce qu’il se passe ici.

- Des menaces maintenant ?

- Nous n’avons pas beaucoup de moyens dans notre monde primitif », dit Orage en soupirant, « alors nous sommes bien obligés d’utiliser nos maigres ressources. Toutes nos maigres ressources.

- Et comment pourrais-je être sûr que vous ne direz rien ?

- Parce que nous n’en avons aucun intérêt.

- Par vengeance.

- Syhi Général, nos planètes, la première, nous l’avons appelée Saphir en raison de la pureté d’une pierre précieuse et de la beauté des océans. La deuxième, nous l’avons appelée Plume en l’honneur d’une plante dont les feuilles sont plus douces et légères que le duvet d’un oiseau.

Pour la Vengeance, voyez avec le Maÿ » dit-il en désignant Synshy du doigt.

Tandis qu’Orage faisait son petit discours, Glace me poussa à l’intérieur du vaisseau. A peine entrée, j’entendis un coup de feu retentir. Orage, pensai-je en me précipitant vers la sortie. Glace me bloqua le passage. « Reste-là » ordonna-t-il d’un ton encore plus froid que son nom.

« Plus jamais ça » hurla la voix d’Orage de l’extérieur.

Je tentais de voir ce qu’il se passait mais Glace me bloquait l’entrée. J’aperçus cependant Orage tenant fermement Mike. « Si quelqu’un ose encore pointer une arme sur moi, il en pâtira.

- Lâchez-le » criait le général.

- Je ne m’abaisserais pas à votre niveau, bien sur que je le relâcherai, mais uniquement quand nous serons sortis d’ici et en sûreté. En attendant, puisque nous ne pouvons pas vous faire confiance, il reste avec nous. »

Orage entra à son tour dans le vaisseau tenant Mike contre lui. La porte refermée, il le jeta littéralement à l’intérieur et se précipita à l’avant avec Crayon. Quant à moi, je me pelotonnais sur un fauteuil à l’arrière, perdue dans mes sentiments contradictoires. Peur de Synshy, soulagement d’en être sortie, envie de me jeter dans les bras d’Orage, dégoût d’avoir ne fut-ce que penser à cela, heureuse de partir enfin, crainte de ce qui risquait de nous arriver. Et surtout ça avait été trop facile. Beaucoup trop.

Il allait se passer quelque chose, on ne nous laisserait pas partir. J’avais bien compris qu’Orage avait profité de son petit discours ridicule pour accaparer l’attention du général afin qu’il soit plus conciliant, mais Synshy ? Je scrutais l’obscurité totale par les vitres fumées comme si je pouvais apercevoir quelque chose.

« Je suppose que vous ne m’avez pas traîner ici dans le seul but de me relâcher un peu plus loin.

J’avais presque oublié Mike. C’est vrai ça, qu’est-ce qu’il faisait là ?

Orage quitta son poste laissant les commandes à Crayon. J’aperçus Miroir qui l’accompagnait aussi puis il ferma la porte avant.

« Glace » dit-il « Ca fait combien de temps que nous ne nous sommes pas retrouvé face à face mon cousin ?

- Beaucoup trop » dit Glace serrant son cousin dans une étreinte fraternelle.

- Tu as changé et pas en bien. La Terre ne te réussit pas. Tu deviens presque aussi blanc que les hommes des Maÿcentres.

- Oui, je ne suis pas mécontent de sortir au fond.

- Ce qu’il te faut c’est l’air de chez nous. Un peu de soleil et quelques jolies filles.

- Ce serait bien en effet.

- Jolie retrouvaille. Et moi là-dedans ?

C’était exactement ce que je pensais, pourtant c’était Mike qui avait prononcé cette interrogation.

« Ne me prenez pas pour un idiot » continuait-il « j’ai bien vu que l’homme qui a tiré ne l’a pas fait volontairement. Vous l’avez obligé. Tous ça pour avoir une excuse pour m’entraîner ici.

- Dans ce cas, tu aurais pu aussi le faire viser Synshy.

- La jolie Pluie, toujours aussi douce et pacifiste. » dit Orage comme s’il m’apercevait enfin. « Je suis heureux de te voir. Même si ça ne me paraît pas réciproque. »

Je le vis se tourner vers Glace échangeant un message mental qui fit sourire ce dernier.

Je rageais d’être mise ainsi à l’écart.

« Mais là n’est pas la question » reprit Orage tout haut. « Pourquoi m’as-tu demandé de prendre ça ? » dit-il en désignant Mike. « J’ai adoré que, pour une fois, tu concoctes des plans aussi mauvais que les miens, mais dans quel but ?

- Nous avons quelques mots à dire à Mike. C’est la seule façon que j’ai trouvé pour lui parler en privé.

- Un peu exagéré non ?

- Peut-être, mais efficace.

- Je vois. Que vouliez-vous me dire ?

Orage et Glace échangèrent encore quelques mots mentalement. Orage sembla hésiter, secoua la tête et finit par conclure tout haut : « De toute façon, tu n’en feras qu’à ta tête, mais je persiste à croire qu’on ferait bien mieux de quitter tout ça. Ne compte pas sur moi pour te suivre là-dedans.

- Je n’en avais aucune intention. Rentre chez toi et prends de l’avance pour tes projets sinon je vais te doubler mais raconte-lui ce que tu as appris.

- Dire qu’on avait tout sous les yeux et qu’on a rien vu. J’en rage encore.

Un regard glacial de son cousin poussa Orage à parler :

« J’ai découvert que l’homme qui m’a attaqué faisait parti d’une secte appelée lumière des vainqueurs. Après renseignements de Sentiment, il s’agirait d’un organisme reconnus mais absolument pas pris au sérieux par la Terre. Ces hommes clament haut et fort à qui veut l’entendre qu’ils obéissent à une puissance extraterrestre et qu’ils préparent leur arrivée. Que ceux qui seront avec eux se verront récompenser et que ceux qui seront contre plieront le genou devant la toute puissance des hommes venus d’ailleurs et autres boniments dans le style. »

Ca y est, dès qu’il se passait quelque chose d’important, je n’étais pas mise au courant, comme d’habitude. Pourquoi se fatiguer à expliquer à Pluie. De toute façon, ça ne la regardait pas, elle n’avait qu’à se contenter de faire ce qu’on lui demandait Pluie.

- Peut-être que si tu me laissais t’approcher, j’aurais pu te parler.

L’ironie d’Orage me transperçait et le fait qu’ils surprennent ainsi mes pensées me mit encore plus en rage. Je m’appuyais contre le dossier du fauteuil et écoutais. De toute façon, il dirait tout à Mike. Mike était plus important que moi sans doute.

« Il y a des dizaines d’organisations farfelues dans ce genre. » Disait Mike

« Sauf que celle-là n’est pas farfelue » répliqua Glace

« C’est là où ils ont joué forts » reprit Orage « plutôt que de se cacher, ils se sont mis en avant et nous n’avons rien vu. »

Je me remémorais la phrase bizarre qu’avait dit Orage à Sinshy, au président Synshy, décidément, je ne m’y ferais jamais. Qu’avait-il dit ? « Et nous repartons dans notre petite planète primitive tandis que les Maÿcentres seront à leur aise dans la lumière des vainqueurs. » un truc dans le genre. Oui, c’est pour cela que c’était si facile, Orage voulait par là dire à Synshy que s’il ne nous laissait pas partir, il révélait tout au sujet de cette secte. Donc Synshy y était bien mêlé.

Je ne l’avais jamais cru mêlé à quoi que ce soit. Orage le surveillait trop mais, encore une fois, il avait raison. Comment avait-il pu faire tout ça derrière son dos ?

- Je ne sais pas petite Pluie » me dit mon frère « mais ça ne présage rien de bon. Apparemment, il n’y a pas que les Terriens qui peuvent mentir aux Adarii.

« Vous pouviez vous en douter » lançais-je de mon fauteuil à Mike et Glace « après tout, vous aussi vous vous cachez en diffusant à qui veut l’entendre les histoires les plus stupides possibles concernant Archuleta.

- Et vous m’avez enlevé dans l’espoir que j’aille voir ça ?

- Enlevé, c’est un bien grand mot », dit Glace. « si tu n’avais pas voulu nous suivre, tu aurais très bien pu te débarrasser d’Orage. Tu es bien plus fort que lui.

Pendant une seconde, je perçus la colère d’Orage devant la taquinerie de Glace puis, tout disparut tandis qu’il cloisonnait ses sentiments. N’empêche qu’il n’avait pas tort. Orage était peut-être un télépathe très puissant mais, contre Mike, il ne pouvait rien et au corps à corps, une simple comparaison entre le corps presque trop musclé de Mike et la silhouette mince et élancée d’Orage ne laissait aucun doute sur l’issue du combat. Un sentiment de joie légèrement pervers m’envahit soudain à l’idée du fier Orage si démunis.

- Pense plutôt à ce qu’il adviendrait de nous si les hommes des Maÿcentres trouvaient le moyen d’acquérir de tels pouvoirs.

J’en revins à la conversation en entendant le nom de mon père.

« C’est de la folie » répondit Orage. « Tu ne comptes pas sérieusement reprendre la société d’Espoir ?

- Un des buts premiers de cet organisme était de surveiller les agissements des Maÿcentres sur Terre. Si nous voulons découvrir ce qu’ils comptent faire exactement par cette secte, je ne vois rien de mieux placé pour nous aider.

Dis-moi, Mike, si je reprends la société d’Espoir, sur qui puis-je compter ?

- Sur Max sans aucun doute. Il a pas mal de moyens techniques et quelques relations.

- Bien », reprit Glace, « dans ce cas, nous allons en France. De là, je veux que Mike me mette en rapport avec Max. Ensuite, il retournera à Archuleta. Penses-tu que Thibault accepterait de nous transmettre les informations ?

- Après ce que Pluie et ses amies lui ont fait, ce n’est pas évident » dit Mike avec un regard des plus fâchés contre moi.

« C’est lui qui a commencé. »

Glace me regarda lui aussi d’un air furieux puis Orage reprit : « De toute façon, ça m’étonnerait qu’Archuleta dure encore longtemps

- Que veux-tu dire ? demanda Mike se tournant vers Orage qui s’était installé confortablement sur un des canapés.

« Synshy a toujours détesté être cloisonné dans cette base. Et le fait qu’il fasse germer des organisations au titre aussi ronflant que la lumière des vainqueurs prouve bien que les métastases des Maÿcentres ne vont pas tarder à pousser partout.

- Raison de plus pour voir au plus vite ce qui se trame dans cette pseudo secte. Je m’occuperai de ça avec Sentiment. » reprit Glace.

« Tu veux dire que tu restes sur Terre ?