samedi 29 mars 2008

Partie 2 chapitre 12

12

"L'âme a ses brumes, ses soleils et ses chaleurs d'orages."

[André Esparcieux]

Oui, j’avais bien compris. J’avais tenté de le convaincre de renoncer, sans succès. J’avais émis des doutes sur l’honnêteté de Mike qui risquait de tout dévoiler à son père dès son retour mais Glace lui faisait confiance et, à la façon avec laquelle Orage avait dit qu’il n’avait pas intérêt à nous doubler, je pensais qu’en effet, il se tairait. En tout cas, moi, à sa place, je ne dirais rien. Le vaisseau avait déposé Glace et Mike en pleine nuit au milieu d’une campagne française. Cela dit, vu la taille du gros vaisseau, ce n’était pas des plus discret. Bêtement, mon premier souci avait été qu’ils risquaient d’attraper froid et mon deuxième avait porté sur le risque de se perdre. Enfin, mon troisième parce que j’allais me retrouver seule avec Orage. Ensuite, le vaisseau avait repris de l’altitude et je les avais perdu de vue. Longtemps encore, j’étais restée à regarder fixement le noir. J’avais eu un haut le cœur quand la pesanteur artificielle avait été enclenchée mais n’avais pas bougé, restant debout sans penser à rien. J’avais obtenu ce que je voulais et, du coup, je ne savais plus quoi penser. Je me demandais ce que faisaient les filles. Je ne m’étais pas beaucoup intéressée à leurs histoires depuis que je les avais quittées. Je savais qu’elles étaient parties visiter certaines îles du pacifique. Elles avaient loué un bateau et un équipage et Tempête jouait les excentriques. Elles avaient trouvé une multitude de vestiges. Un monument en forme d’arche, deux piliers de soixante-dix tonnes chacun reliés par un autre de vingt-cinq tonnes sur Tongatapu, une île corallienne ne possédant pas la moindre pierre, des statues colossales sur l’île de Pâques, des tronçons de routes sur des îlots minuscules… Toutes ses découvertes avaient émerveillées Tempête, mais je n’y avais pas vraiment prêtées attention exaspérée que j’étais par ma captivité. Peut-être qu’en effet, je m’étais un peu trop intéressée à ma petite personne. Je me retournai enfin. J’avais mal partout à force d’être restée debout sans bouger. Orage était assis en tailleur sur le tapis. Il avait étalé plusieurs cartes à même le sol et prenait quelques notes. Il paraissait concentré et tranquille mais, s’il l’était sincèrement, il n’aurait pas de raison de me cacher ses pensées ainsi.

Je m’assis dans un canapé bas face à lui et repliai les jambes devant moi faisant sonner les bracelets de mes chevilles. Je ne me sentais pas lui demander ce qu’il faisait. Il paraissait trop investi dans son travail pour vouloir être dérangé et de toute façon, ça m’importait peu. Nous avions vécu pendant près de quatre ans ensemble et soudain, le silence entre nous me paraissait pesant. Je pris mon calepin cherchant quelque chose à écrire mais ne trouvais rien. Je me levai, le rangeai et fit glisser la porte de séparation donnant sur l’avant de l’appareil. Je traversai l’espace réservé au personnel. Miroir dormait sur une des couchettes et je continuai plus doucement, prenant garde de ne pas le réveiller, jusqu’au poste de pilotage où je m’assis sans un bruit à coté de Crayon.

« Où sommes-nous ? » lui demandais-je plus pour engager la conversation que par réel intérêt.

Il me répondit sans tourner la tête vers moi : « Au milieu de rien sans doute, une simple coordonnée juste à coté de la Terre. » Il avait dit ça négligemment mais cette idée le passionnait. De ce que je savais de lui, il faisait parti de ceux qui avaient tenté la chance en partant sans rien sur les Maÿcentres. Petit garçon qui rêvait de voyager dans les étoiles. Il y en avait beaucoup comme lui, mais très peu réussissaient. En fait, c’était le seul à ma connaissance qui ait atteint un poste si haut en partant de si bas. Il avait réussi à se faire engager dans un vaisseau d’exploration de Vengeance et y avait vécu pendant plus de vingt ans s’élevant petit à petit dans la hiérarchie et pour finir, il avait tout abandonné pour se retrouver là. Pour la première fois, je me demandais pourquoi ? Il aurait pu trouver beaucoup mieux. Du moins, selon les critères de Vengeance et des Maÿcentres.

Miroir, lui, avait suivi la même voie que Crayon quelques années plus tard sauf qu’il n’avait pas eu sa chance et on l’avait retrouvé quasi mort de faim dans les villes souterraines. Seulement, Crayon s’était lié d’amitié pour le jeune homme qu’il considérait presque comme son fils et, comme il avait besoin de quelqu’un pour le seconder, il était resté.

Je me demandais aussi ce qu’il était advenu des autres domestiques de la villa des Maÿcentres. Je savais qu’ils étaient repartis sur Plume mais ils n’avaient pas vraiment eu beaucoup le choix, je les aurais mal vu vivre sur les Maÿcentres.

Et Pour Crayon, ce ne serait pas facile non plus. Que ferait-il sur Plume ?

Il n’y avait aucun moyen de transport là-bas à part quelques navettes. Pourtant, c’est une des rares choses qui nous aurait intéressés. Surtout à Maniya où les sentiers de montagnes étaient si malaisés. Mais, il n’y avait aucun gisement d’énergie sur la planète pouvant faire office de carburant à des véhicules et, dépendre de quelqu’un d’autre pour quelque chose de si important, nous avait paru trop risqué.

« Crayon » demandai-je soudain. « Que feras-tu de retour sur Plume ?

- Ma place n’est pas sur Plume Adarii, elle est dans les étoiles. Elle l’a toujours été. L’Adarii Orage m’a dit que, pour me remercier de mon service, les terres de Taegaïan me donnerait une de ses navettes avec votre accord bien entendu. Rare sont ceux ayant leur propre navette, même sur Vengeance. »

Je reconnaissais bien là Orage. Il avait l’art de trouver une solution à tout. En plus, Taegaïan en possédait au moins trois. Autant qu’elles servent. Miroir partirait sans doute avec Crayon. Et nous, nous resterions bloqués sur Plume ? Moi qui avais tellement hâte de retrouver la liberté chez moi, je commençais déjà à déchanter.

« Il n’y a pas grand-chose à faire pour l’instant, voulez-vous que je vous apporte quelque chose à boire ou à manger ? »

La voix de Crayon coupa court à la mélancolie qui commençait à m’envahir. Je fis non de la tête et on retomba dans le silence mais un silence agréable. Je me laissais bercer par les émotions du pilote toujours heureux quand il était perdu au milieu de rien comme il disait.

Moi aussi, je me perdais dans cet infini qui m’englobait. Je m’installais plus confortablement dans le fauteuil et fermais les yeux. Depuis quand n’avais-je pas dormi ? Synshy était arrivé alors que je venais juste de m’endormir, ça ne comptait pas. Quand nous étions arrivés en France, c’était la nuit. Avec le décalage horaire, ça voulait dire que… Les calculs de temps s’embrouillaient dans ma tête. Je tentai encore d’y réfléchir. Je pensais que je devais me souvenir de quelque chose mais je m’endormis avant d’avoir fini mon raisonnement.

Quand je m’éveillais, c’était Miroir qui était aux commandes. Je le sus avant même d’avoir ouvert les yeux. Crayon était toujours d’un calme posé et heureux même si une légère appréhension gâchait ce calme reposant quand je m’approchais trop de lui ou que je le regardais. Miroir était plus nerveux et exalté. Je me fis la réflexion que Crayon était une présence parfaite pour dormir et Miroir était très bien pour se réveiller. J’étais bien ici. Quelqu’un avait placé une couverture toute douce sur mes épaules et je me sentais comme dans un petit cocon.

« Tu peux me chercher quelque chose à boire » demandai-je sans ouvrir les yeux. « Quelque chose de chaud et de nourrissant ». Je m’étirais et ouvris les yeux.

Miroir revint quelques minutes plus tard avec un bol de soupe. Je changeai de position et me relevai légèrement tandis qu’il cherchait désespérément un endroit où le poser avant de se décider à me le tendre directement.

« J’ai dormis longtemps ? » demandai-je perdue à nouveau dans la contemplation des étoiles.

« Oui, nous sommes en attente à la plate-forme de plissement. » Je me relevai encore plus sur mon siège, et cherchai la plate-forme des yeux. Elle était en dessous et un léger mouvement me permit de l’apercevoir quasiment dans sa globalité. Amoncellement de métal en tout genre s’enchevêtrant sur plusieurs dizaines de kilomètres dans tous les sens semblant flotter au milieu du vide. Je soufflai sur mon bol et bus une gorgée qui me brûla presque la gorge, mais c’était bon. En dessous de nous, c’était tout un monde qui s’étalait sur trois dimensions. De ce que je savais, il y avait au moins cent mille personnes vivant là-dessus. Outre la base elle-même, s’était développée une ville entière. Il n’y avait pas que ceux venant de la Terre qui passait par là. De nombreuses planètes étaient exploitées pour en retirer diverses ressources minières ou juste pour des études scientifiques. La plate-forme était bien plus impressionnante que les Maÿcentres. On y retrouvait toute la technologie de Vengeance et les restes de la puissante Conquête. Et encore, de ce que j’avais pu apprendre, la plate-forme reliant Vengeance et les Maÿcentres était bien plus grande, mais il y avait peu de chance que je la vois un jour. Je bus encore une gorgée. Pourquoi est-ce que je m’inquiétais à cette idée ? Après tout, ce qui se passait là-dessous ne m’avait jamais vraiment intéressée.

« Nous sommes surveillés », dit Miroir me sortant de mes rêveries.

Je m’inquiétai soudain. « Par qui ?

- Personne en particulier, mais leurs scanners nous ont accrochés. Déjà, en venant sur Terre, on avait eu certains soucis que l’Adarii Orage avait réussi à contourner. Nous étions passés de justesse en changeant les coordonnées au dernier moment. Ils ont dû être furieux. Du coup, maintenant, ils ne nous laisseront pas passer avant de trouver quelqu’un pour nous escorter afin d’être certain qu’on ne revienne pas vers les Maÿcentres. Il se pourrait même qu’ils nous obligent à atterrir pour un interrogatoire.

Je me tassais à nouveau dans le fauteuil. C’était trop beau. Je savais bien que c’était trop facile. « Tu crois vraiment que nous devrons nous arrêter ?

- Je ne sais pas. En principe, oui. Votre immunité a été levée dès l’accession de Synshy au pouvoir. Après, ça dépendra si celui qui décide là-bas aura envie ou non de se frotter aux Adarii. Au cas où, je vous suggère de ranger tout ce que vous ne souhaitez pas leur montrer. Si vous voulez mon avis, il faudra mieux leur laisser fouiller le vaisseau plutôt que de partir dans des discussions interminables.

- Il est hors de question qu’ils fouillent quoi que ce soit !» m’indignai-je

« C’est vous qui décidez ».

Je me rendis compte avec horreur de la profondeur de cette remarque. Il ferait exactement ce que je lui demanderais de faire. Il me conseillait mais, au final, c’était moi qui aurais le dernier mot même si je n’y connaissais rien. Il ne demanderait même pas à Orage, sa position dans la hiérarchie Adarii était inférieure à la mienne. Je trouvais d’un coup ce système totalement archaïque.

« Je vais faire un peu de rangement », dis-je à Miroir avant de disparaître à l’arrière. Le salon était désert. Je m’approchai doucement d’Orage mentalement, juste assez pour savoir qu’il dormait. Si les craintes de Miroir se confirmaient, je le réveillerais, il serait bien plus doué pour gérer ça. En attendant, je me penchai sur les cartes et documents étalés sur le tapis. Il y avait une carte de Saphir. Elle n’était pas à l’échelle, mais représentait les différentes provinces, les campagnes libres, comme ils appelaient les endroits que ne géraient pas les Adarii et les Terres de brume, sorte de no man’s land inhospitalier dans lequel je n’avais jamais trop compris ce qu’il se passait. Il y avait des petites annotations partout de la main d’Orage. Je reconnus de nombreux éléments donnés par Liberté et Clarté sur les provinces du sud et les campagnes libres, surtout en qui concernaient les lieux que s’était appropriés Vengeance. Il y avait aussi mention des provinces du nord avec les frontières de Tiyana qui englobaient les Terres de brume et s’étendaient sur tout le nord du continent, bien plus vaste que toutes les provinces de Plume réunies. Je ne savais pas où il avait trouvé ses informations mais, comme toujours, il paraissait bien au courant. Je repliai soigneusement la carte. Il avait réuni quelques ouvrages dont certains venaient aussi de Saphir. Il y avait même un livre d’histoire enfantine sur les mythes de Saphir. Il avait dû avoir du mal à trouver cela. C’était le genre de chose qui se transmettait souvent oralement. Aussi anodin soit-il, je le rangeais tout de même avec le reste. Si Orage était assez bête pour penser trouver là-dedans de quoi faire face aux Maÿcentres, il ne serait peut-être pas le seul.

La dernière carte représentait la zone du pacifique que les filles étaient en train d’explorer. Toutes les îles étaient représentées avec une extrême précision et ce que Tempête et Sentiment avaient découvert étaient annotés sur l’île correspondante. Je la repliais quand Orage entra encore tout ensommeillé. Il regarda avec étonnement le salon vidé et je lui expliquai nos possibles difficultés pour le passage de la plate-forme. Il sembla réfléchir regarda par le hublot la plate-forme qui maintenant s’étalait à perte de vue, approuva de la tête mais ne dit rien de plus.

Miroir arriva quelques minutes plus tard me prévenir qu’on avait un contact radio avec la plate-forme. Il s’adressa à moi, jetant à peine un œil à Orage et disparut aussitôt dans le poste de pilotage.

« Vas-y » dis-je voyant qu’Orage ne bougeait pas

« Non, ils voudront parler au responsable.

- Ils n’y connaissent rien. Ils n’ont jamais pu comprendre notre mode de fonctionnement.

- Mais Crayon et Miroir si. Ils trouveraient ça bizarre.

- Dis-leur que le responsable ne veut pas s’abaisser à discuter avec si basse extraction. » Lui dis-je en souriant.

« Comme tu voudras » dit-il en se levant pour rejoindre l’avant de l’appareil. L’idée lui plaisait. Je ne perdais pas mon autorité devant les pilotes et Orage se débrouillerait mieux que moi pour négocier.

Je m’assis sur le tapis et attendis. Je ne m’inquiétais pas à outre mesure. Si Orage avait réussi à nous sortir d’Archuleta, il n’aurait aucun mal pour si peu. En effet, il revint à peine cinq minutes plus tard tout sourire. « Nous avons le privilège d’avoir une escorte jusqu’à la plate-forme de Saphir-Plume. »

Ce n’était pas vraiment un privilège mais au moins nous ne devions pas atterrir, c’était tout ce que nous pouvions espérer. Je me demandais quelles menaces il avait utilisés pour les convaincre de nous laisser passer mais je ne lui demandai pas. Je me contentais de rester assise en face de lui tandis qu’il déballait à nouveau ses documents.

Je n’étais plus fâchée. Enfin, je ne pensais pas. Je ne savais pas trop ce que je ressentais. J’avais été vexée et je m’étais sentie trahie, mais maintenant, je ne ressentais qu’une immense lassitude. J’avais quitté la Terre, seul cela aurait dû compter. Le reste n’avait pas d’importance. Mais alors, pourquoi est-ce que je me sentais si las, si seule ? J’aurais dû en vouloir encore à Orage mais, à le voir ainsi en face de moi, perdu dans ses cartes, la seule chose pour laquelle je lui en voulais vraiment c’était de le sentir garder cette distance entre nous. Moi aussi, je me gardais à l’écart de lui bien sur. Mais moi, j’avais des raisons. Pas lui.

Je n’en pouvais plus de ses non dits.

Je finis par craquer : « Je ne veux pas d’enfant. Ni de toi ni de personne.

- J’ai cru le comprendre » dit-il sans pour autant relever la tête. « Si tu es en paix avec ta conscience ainsi. »

Il s’arrêta pour relever une phrase dans un document et la retranscrire sur une des cartes. « Je ne suis pas là pour te juger » ajouta-t-il.

Voila, c’était dit. Est-ce que j’étais en paix avec ma conscience ? Oui, tout à fait. Je ne pus tout de même m’empêcher de réfléchir. Non, pas du tout. Je me rappelais Thibault qui me disait que j’étais perdue entre deux cultures. Je n’en avais pas cru un mot. Je lui avais dit que je savais très bien qui j’étais et que je n’étais pas Terrienne le moins du monde, et pourtant, voila que j’avais des raisonnements totalement en contradiction avec ma culture.

Je secouai la tête. Ca n’avait rien à voir. Le problème, c’était qu’il n’avait pas à se servir de moi. Oui, c’était ça qui me rendait si furieuse « Tu aurais dû me prévenir de tes projets. » C’était sorti tout seul. Je n’avais même pas eu l’intention de dire cela à voix haute, mais je n’avais pas pu m’en empêcher.

Il leva enfin la tête de ses travaux et me regarda avec ses grands yeux verts qui m’avaient fait fondre. Avant. Plus maintenant. Non, plus maintenant. Je me le répétais encore quelque fois pour bien m’en convaincre.

« La prochaine fois que je verrais un cheval, est-ce que je devrais aussi te prévenir que c’est un cheval ou tu seras capable d’une telle déduction toute seule ? »

Je fulminais en entendant ses propos mesquins.

La colère avait encore ouvert mon esprit. Je m’éloignai vite avant qu’il en surprenne trop ou qu’il en rajoute comme quoi je pouvais garder mes mauvais sentiments.

A son air furieux, je crus qu’il allait me le sortir quand même. Pourtant, même s’il avait haussé la voix. Il avait gardé un ton posé.

« Ecoute Pluie. Je voulais construire quelque chose de fort avec toi. Tu ne veux pas, tant pis, mais ne m’accuse pas de n’importe quoi et ne t’imagine pas que je suis là uniquement pour ton plaisir car ça ne m’intéresse pas ».

Ha non, j’en avais assez. Sur ce coup-là, c’était moi la victime. Il ne retournerait pas la situation à son avantage. Je m’étais faite abusée. Il avait profité de mon ignorance. S’il voulait un enfant de la famille de Taé, il n’avait qu’à aller voir Prestance. Si Brouillard avait décidé de la rattacher à Taegaïan, il ne pourrait pas refuser ses enfants surtout s’ils étaient issus d’un autre membre de Taegaïan. Pourquoi n’avait-il pas été la voir d’ailleurs ? La réponse était évidente. Il avait besoin d’une petite naïve qui se laisse charmer au point d’oublier à quel point il était manipulateur. Prestance était bien trop intelligente pour se laisser berner tandis que la petite Pluie, elle, même Eysky était capable de lui faire faire n’importe quoi.

« Prestance est inintéressante. Elle est bien trop posée, elle n’a aucune spontanéité, elle est coincée, ennuyeuse, et j’aurais bien trop peur de la décoiffer en la touchant. Mais, elle n’était pas contre. »

Je le regardais éberlué. Décidément, je n’arrivais pas à m’éloigner de lui. Je me levai et partis dans une des chambre. Au moins, une certaine distance physique faciliterait un éloignement mental. Pourquoi fallait-il toujours qu’il s’insinue dans mes pensées ? Tout le temps. C’était insupportable. Infernal. Je cherchais encore quelques qualificatifs qui pourraient me convaincre que j’étais vraiment fâchée. Il m’avait préférée à Prestance !

Je ne sais pas pourquoi mais, imaginer que Prestance pourrait l’avoir et pas moi m’horrifiait. Elle avait déjà tout. Hé bien, la petite Pluie avait quelque chose qu’elle ne pouvait pas avoir.

Je me couchai sur le lit enfin comblée.

Ca ne dura pas longtemps. Je réalisai vite l’essentiel. Je n’avais plus rien du tout. Il l’avait bien fait comprendre. Si je n’acceptais pas ses conditions, il ne voudrait plus de moi. En d’autres mots, si je n’étais pas là pour lui faire un enfant, il se désintéresserait de moi. C’est dire à quel point je comptais pour lui.

Je m’en fichais, j’en trouverais d’autres. Le tout serait pour qu’ils ne le sachent pas. Aucun Adarii ne voudrait d’une fille qui refusait les enfants. Ils étaient tous obsédés par la perpétuité de l’espèce. C’est sur que la population ne croissait pas vite, mais tout de même. Et puis, il faudrait trouver un moyen de ne pas en avoir. Enfin pas de suite.

Mais, dans tous les cas, je n’aurais plus Orage. Cette idée m’obsédait. Je pourrais le séduire. Après tout, il avait bien tout risqué pour la belle Dyasella. Je rejetai cette idée, il la traitait comme une moins que rien oui. Je ne voulais pas ça. En plus, j’étais nettement moins jolie que la fille Lïtïl. Et puis, ça n’avait pas d’importance. J’en trouverais d’autre. Je m’étais déjà fait cette réflexion. Je tournais en rond là. Il était temps d’arrêter de cogiter ainsi. Je restais sur cette dernière pensée : j’en trouverais d’autre.

Mais je ne pus m’empêcher d’ajouter mentalement : ça ne remplacera pas Orage.

Quand je sortis de la chambre quelques heures plus tard, Orage me suivit des yeux avec un air passablement réjoui en mangeant des gâteaux à la cannelle. Qu’avait-il encore intercepté de mon petit discours intérieur ? pensai-je totalement terrorisée. Je pris sur moi de me calmer. Rien, il n’avait rien pu me soutirer. J’avais fait particulièrement attention. Alors, pourquoi cet air réjoui tout en gardant parfaitement ses pensées pour lui ?

Et puis, je ne voulais pas le savoir. Je ne lui demanderais pas, qu’il fasse le fier si il voulait. Je traversai le salon la tête haute, passai la porte avant et retrouvai Crayon à son poste.

« Je peux te remplacer si tu veux. Va te reposer ».

Ca lui faisait plaisir. Il était épuisé.

Je ressentis un petit sentiment de fierté. Au début, quand je disais cela, même s’il obéissait, il avait toujours une petite crainte à l’idée de me laisser seule aux commandes. Le fait qu’il parte avec plaisir voulait dire qu’il avait confiance en moi maintenant. Enfin quelqu’un qui me considérait capable de faire quelque chose. Ca faisait plaisir. Encore que, il ne m’aurait sûrement pas laisser si facilement si nous approchions de la plate-forme ou de l’atterrissage. Là, pour ce qu’il y avait à faire… J’aurais dû lui demander de me trouver des gâteaux avant de partir. Je me retournai pour l’appeler mais j’eu un sentiment de remord. Il pouvait bien se reposer. Il l’avait mérité. En plus, je n’avais pas vraiment faim. Je regardais négligemment dans le radar le petit point qui nous suivait. Qu’ils pouvaient être pénible à nous surveiller ainsi. Si Orage avait dit qu’on allait sur Plume, c’est qu’on y allait. Ce n’était pas la peine de nous suivre ainsi. Je restais là un peu plus d’une heure avant d’avoir vraiment faim. Je serais bien allée me chercher quelque chose à manger moi-même, mais Crayon disait toujours qu’il ne fallait jamais jamais jamais laisser le poste de pilotage vide même pour très peu de temps. Quand il trouvait que quelque chose était important, il le répétait toujours trois fois. C’était une manie particulièrement désagréable. Quand il avait commencé à m’apprendre à piloter, Il passait son temps à tout répéter ainsi. C’était exaspérant. Nous avions eu pas mal d’altercation à ce sujet. Je lui avais crié dessus plusieurs fois, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Ce qui fait qu’après, il répétait tout de même trois fois ses instructions puis, devenait blanc comme un cadavre tandis que je le fusillais du regard, avant de s’excuser pendant des heures ce qui fait que les leçons n’étaient pas très fructueuses. J’avais faim mais en me rappelant à quel point j’avais maltraité ce pauvre homme de chez moi, je ne me sentais plus du tout le cœur à le réveiller. Ni Miroir d’ailleurs.

Et puis tant pis ! Je me rapprochai d’Orage tout en pensant à ses gâteaux à la cannelle.

Je commençais par croire qu’il n’avait pas compris quand il arriva enfin avec une corbeille de gâteaux qu’il posa à coté du siège.

Il en pris un au passage puis s’assit dans l’autre fauteuil l’air toujours satisfait.

Il me faisait penser au conseiller Umya ainsi. En plus beau. Ce qui voulait dire que je devais doublement me méfier. Je voulais qu’il m’amène des gâteaux, je n’avais pas envie qu’il reste à me regarder en pensant je ne sais quoi. Au bout d’une demi-heure ainsi, je n’en pouvais plus. « Bon, qu’est-ce qui te rend si joyeux ?

- L’idée de rentrer chez moi, c’est tout. »

Je m’étais attendu à tout sauf à cela. J’imaginais un coup tordu, mais sûrement pas qu’il soit juste content de rentrer. Non, il devait y avoir autre chose.

Pourtant, n’était-ce pas légitime ? En fait, c’était moi qui n’étais pas normale. Ca faisait un temps fou que je ne rêvais que de cela et maintenant que tous mes rêves se réalisaient, je n’arrivais pas à me réjouir. Non, pas tout mes rêves. Je n’avais plus Orage. Et puis surtout, je ne rentrais pas vraiment chez moi, nous allions à Maniya voir la conseillère Savoir. J’avais tenté d’expliquer à Sentiment que d’abord j’irais à Taegaïan, puis qu’ensuite j’irais apporter ses bouts de ferrailles à Savoir. Voire, je trouverais bien quelqu’un pour se charger de cette corvée mais elle avait refusé d’en entendre d’avantage. Avec ses liens bizarres et artificiels, elle pouvait contacter certaines personnalités de Plume dont Savoir et, d’après elle, la conseillère tenait expressément à me voir dès mon retour. Comme quoi, je n’en avais pas encore fini. Il n’y avait donc pas de raison de me réjouir. Mais, Orage, lui, ça avait l’air de lui suffire. J’avais soudain une folle envie de lui ôter son sourire par n’importe quel moyen. « Nous ne rentrons pas chez nous, nous allons à Maniya.

- C’est pareil, pourvu que nous soyons sur Plume entouré de gens civilisés. Pour le reste… »

Il avait raison. Il avait toutes les raisons d’être heureux.

« Je suppose que tu ne resteras pas à la cité principale, tu iras voir Brise et ton fils ? »

Avant de le dire, je n’avais même pas réfléchi à cela. En tout cas, pas consciemment. Maintenant, ça me paraissait évident. Dans tous les cas, il n’avait aucune raison de rester avec moi. Peut-être resterait-il le temps de voir Savoir si elle le désirait puis il partirait, soit pour la cité de Maé à Taegaïan soit pour voir son fils.

« Non » dit-il, « je reste avec toi. C’est Brise et mon fils qui viennent à la cité principale. »

Je ne sais pas pourquoi, dès qu’il m’avait dit qu’il resterait avec moi, mon cœur avait fait un bon dans la poitrine et je m’étais mis à sourire. C’était absurde, je n’avais eu aucun mal à me retrouver loin de lui. Pourquoi maintenant serait-ce différent ? En fait, ce n’était pas tout à fait vrai. Ca ne m’avait pas posé de problème au début, tant qu’on se retrouvait ensemble par la pensée. Quand Sentiment m’avait appris combien il m’avait abusée et que je m’étais éloignée de lui, là, ça avait été dur. Non, c’était de me retrouver enfermer dans cette base qui avait mis mes nerfs à rude épreuve. Qu’il soit là ou pas n’y aurait rien changé. Enfin, je crois.

Miroir arriva quelques minutes plus tard et je lui laissai la place. Je ne sais pas si c’était à mon soulagement ou non, mais Orage resta avec lui.

Je tournai un peu en rond, ne sachant que faire. Feuilletai quelques notes d’Orage parlant de capacités démultipliées au point de pouvoir agir sur une civilisation entière comme nous pouvions le faire sur une personne. Ces bêtises me fatiguèrent et je partis me coucher. Je rêvais d’océan rose de Plume et d’océan bleu de Saphir, de falaise, de quelqu’un qui m’appelait très loin d’ici. Puis très proche, puis très loin. Il y avait le bruit du ressac, va et vient des vagues loin, proche, loin, proche qui me berçait dans une brume d’écume et d’embrun à la fois doux et salé. Je pars disait la voix. Je pars mais je te trouverais. Dans mon rêve, je me fis la réflexion que l’océan de Plume n’était pas salé puis, quelqu’un me dit que les rêves n’avaient pas d’odeur. Ensuite, cette parcelle de conscience s’évapora et je me laissai bercer par cet appel chargé de solitude. Je me sentais si seule moi aussi. Je crus voir Orage comme fondu dans le paysage. Mon cœur s’accéléra et mes lèvres cherchèrent les siennes mais il disparut. Je m’éveillais bien plus épuisée que quand je m’étais couchée, et toujours seule. Désespérément seule. Je tentai de me dire que je rentrais chez moi, mais je n’arrivais pas pour autant à combler le manque. Je me retournai et cherchai à me rendormir sans succès.

J’avais perdu toute notion du temps mais, trois jours après notre départ, j’aperçus enfin une petite boule toute rose par le hublot. Je me précipitai dans le poste de pilotage où je retrouvai Orage, Miroir et Crayon. Tous les trois paraissaient au comble du bonheur et, moi aussi, je ne pouvais m’empêcher de sourire. « Nous sommes de retour chez nous ma cousine » dit Orage fou de joie m’enserrant par la taille comme il le faisait sur les Maÿcentres. Je crus qu’il allait m’embrasser mais il s’écarta et demanda à Miroir de lui laisser la place m’ôtant tous mes espoirs.

« Tu vas rester à Maniya ? » demandais-je à ce dernier

« Nous allons d’abord nous occuper des vérifications du vaisseau et puis, nous resterons quelques jours. Ensuite, je repartirai avec Crayon. L’Adarii Orage nous a dit que nous pourrions garder l’ancienne navette Taegaïan. Enfin, si vous êtes d’accord.

- Bien sur que je suis d’accord. A condition que Synshy ne monte jamais dedans. Ni la Main » ajoutai-je.

Miroir me le promit sans hésiter et Crayon confirma. La planète rose grossissait à vue d’œil. Bientôt, il fut possible de distinguer le rose clair des plantes du désert du rose sombre des océans. Les montagnes blanches brisaient cette harmonie de couleurs rompant la monotonie. Plus on approchait, plus le blanc des montagnes s’intensifiait. Maniya était dans les montagnes. C’était le domaine le plus froid. Il n’y avait pas de dates définies pour l’hiver mais, parfois, le Nayil, un vent glacé, se mettait à souffler et il se mettait à neiger. Ca pouvait durer un mois si on avait de la chance, voire deux ou trois, et parfois jusque quatre mois mais c’était rare. En tout cas, vu comme les montagnes étaient blanches, nous étions arrivés en plein dedans. Tempête aurait été contente. Je sentais qu’elle était proche de moi et qu’elle partageait mes pensées. Je l’avais appelée par réflexe en voyant qu’on approchait de chez elle. Oui, elle aussi elle aurait aimée être là.


Aucun commentaire: