samedi 29 mars 2008

Partie 2 chapitre 8

8

"Le temps chaud d’une année est effacé par la pluie d’un seul jour."

[Proverbe malais]

Les paysages monotones du nouveau Mexique défilaient au rythme de la voiture. De grands espaces vierges, des rochers nus, une terre stérile, quelques traces de végétation s’agrippant comme sorties de la roche elle-même. Trace de vie luttant dans un environnement hostile. Un peu comme moi au fond. Cette idée me fit sourire atténuant durant quelques instants cet insurmontable sentiment d’ennui qui m’envahissait par vagues croissantes depuis la sortie de Santa Fé. Il n’y avait pas si longtemps. Qu’avait-on fait ? Sans doute pas plus d’une centaine de kilomètre. Nous n’avancions pas sur cette route.

Après les réprimandes de Glace, je m’étais démenée pour partir vers le nouveau Mexique. Aussi, dès le lendemain soir, j’étais arrivée à Santa Fé. Ce n’était pas vraiment une bonne idée. Nous avions pensés un peu tard que ça revenait à les narguer de leur montrer que j’étais capable de prendre si facilement l’avion alors que, soi-disant, j’avais été déposée sur Terre sans argent ni papier. Nous avions réussi à établir une fabuleuse histoire pour expliquer pourquoi je me trouvais là mais, au niveau du comment, il restait quelques lacunes. Quand j’en avais fait la remarque à mon frère, j’étais déjà dans l’avion et il m’avait dit « débrouille-toi » Ce qui n’était pas des plus original. D’abord, c’était à moi de tout faire, ensuite c’était ma faute. Et le plus injuste dans l’histoire, c’est que Tempête, qui n’arrêtait pas de se faire remarquer, n’avait jamais le moindre problème.

Bref, j’étais arrivée à l’aéroport de Santa Fé. J’avais attendu un bon moment pour sortir en même temps que les passagers d’un vol intérieur mais je craignais que cette stratégie ne suffise pas à abuser ceux qui m’attendaient. Le Général Gentry était venu me chercher en personne. Je ne sais pourquoi, dès que je l’avais aperçu de loin, avec son air sévère, ses tempes grisonnantes, son visage carré et sa carrure trop large, j’avais cru me retrouver petite fille avant de me faire réprimander par grand-père Brouillard. Voire pire, Maître Blizzard, le protecteur de Maniya. Il n’y avait pas plus impressionnant que Maître Blizzard !

J’avais respiré un bon coup. Nous étions en pleine confusion. Je n’avais pas à être ici, si en plus j’avais l’air d’une gamine repentante, il en profiterait pour m’assener ses reproches. Arrivée à la hauteur du général, je l’avais salué en restant à la distance respectueuse qu’on imposait aux Adarii et il m’avait fait signe de le suivre. Ca m’avait paru d’un coup horriblement contraignant de reprendre toutes ces petites habitudes compliquées des Maÿcentres. J’avais l’impression de ne plus pouvoir faire le moindre mouvement qui ne soit pas contrôlé par leurs règles de bienséances. D’un autre coté, je ne devais pas avoir l’air de trop bien connaître les coutumes de la Terre.

Il était encore plus perdu que moi, ce qui m’avait redonné confiance. A le voir si mal à l’aise, je l’avais vite trouvé navrant. En fait, il n’avait absolument rien à voir avec le charisme et la puissance du Maître Blizzard. Ce n’était qu’un simple Terrien comme les autres. Il ne m’avait pas dit un mot. S’il suivait le protocole des Maÿcentres, il ne devrait pas m’adresser la parole le premier. Peut-être qu’au fond, les explications seraient plus simples que je le redoutais mais je n’y croyais guère. Nous aurions plusieurs heures de voiture et, derrière son malaise, il bouillait d’une colère qui risquait d’exploser à tout instant.

Ensuite, J’avais senti quelqu’un m’attraper par l’épaule et me pousser en avant. - Elle va avancer cette sale gamine Avais-je eu le temps de percevoir.

« Ne me touchez pas » m’étais-je contentée de dire en me dégageant. Les termes : simple, basique utilisés par Tempête pour désigner les touristes de Tiwanaku convenaient bien pour qualifier le gros porc sans cervelle qui accompagnait le général.

- Ha oui, et sinon qu’est-ce que tu vas me faire ? »

Je me laissais envahir par son mépris tandis qu’il me reprenait le bras, et je le giflai, poussée par la haine irraisonnée qu’il me transmettait.

« Goff », dit le général, « ne la touche pas. Quant à vous... » Je fixais le général avec insistance, les bras croisés, le toisant de haut malgré ma petite taille, renforçant sa crainte pas suggestion mentale.

« … vous venez dans la voiture » se contenta-t-il de dire, déconcerté.

Son garde m’avait jeté encore un regard furieux, mais surtout plein de frustration. Il était dangereux avais-je pensé. Il avait peur de moi, mais ça lui donnait plus envie de me frapper que de fuir. Il était entré dans la voiture qui nous attendait à coté du chauffeur. Le Général m’avait ouvert la portière arrière avant de faire le tour de la voiture pour prendre place de l’autre coté.

Ca faisait presque deux heures de cela. Nous avions quitté la ville assez vite, pour se retrouver perdu au milieu d’un désert rocailleux. C’était beau, mais monotone. Au fond, j’aurais presque préféré me faire insulter plutôt que ce silence de mort dans ce paysage désolé. Gentry était exaspéré et débordait de curiosité. C’était extrêmement agaçant. Je déduisis assez facilement que, s’il ne m’adressait pas la parole, c’était surtout car il craignait de ne pas pouvoir contenir toute cette rage et qu’il avait peur de ma réaction. C’était irraisonné, qu’elle éclate ou pas, de toute façon, il m’en faisait profiter.

« Mortel » murmurai-je dans ma langue maternelle.

« Vous vous décidez enfin à ouvrir la bouche.

Ca y est, il avait vaincu l’appréhension qui le retenait. J’hésitais à renforcer son malaise et j’y renonçais. Je préférais encore un bon orage à cette tension latente.

« Général Gentry, j’ai une autorisation signée de votre main pour faire des recherches sur Terre. » Tout en disant cela comme on répéterait un texte appris par cœur, ce qui était le cas, je lui tendis le document que Tempête lui avait fait signer quelques mois plus tôt.

Ce n’était pas ce genre de remarque qui allait le calmer, de toute façon, ce n’était pas le but. Il se tourna vers moi plus furieux que jamais : « L’autorisation en question était pour les Adarii Maniya et Azlan et je ne sais comment elles ont réussi à me convaincre. Mais, jamais il n’a été question que le garde du président Eysky aille fureter dans les affaires Terriennes. »

S’il apprenait que je m’étais faite chasser des Maÿcentres et qu’Orage était quasiment séquestré, s’en était fait de moi. Je réalisais toute l’envergure de notre exil. Ce n’était pas seulement que nous n’étions plus les bienvenues sur les Maÿcentres. Bien plus grave, nous avions perdus l’immunité que les Adarii avaient réussi à acquérir au cours des siècles. Nous, nous avions tout démoli en quelques années. Nous pouvions être fier. Comment nous considéreraient les Terriens s’ils savaient tout cela ? Je frissonnais à cette idée. Glace l’avait dit : Nous serions des parasites. Pour l’instant, pour Archuleta, j’étais toujours considérée comme une des plus importantes personnalités des Maÿcentres et il valait mieux pour moi que je réussisse à partir avant qu’ils se rendent compte de leur erreur. Je repris mon petit boniment appris par cœur : « Quelqu’un a tenté d’assassiner le président. Une arme Terrienne. On soupçonne qu’il pourrait y avoir certains hommes des Maÿcentres qui se seraient infiltrés sur Terre.

- Oui, il y a déjà vous. »

Bon, c’était pas gagné. Le silence reprit cassé par le ronronnement du moteur et je repartis dans la contemplation du désert. Ca avait quelque chose de grandiose, d’attirant et d’ennuyeux aussi. Ce n’était pas avec le général que j’aurais une conversation intéressante, ni avec Sentiment qui n’avait jamais eu la moindre conversation, ni Tempête qui ne pensait qu’à elle et prenait le parti d’Orage contre moi, ni Glace qui ne savait rien faire d’autre que me réprimander ou me donner des conseils stupides et encore moins Orage avec qui je ne voulais plus jamais avoir le moindre contact.

« … Ici, vous êtes soumises à nos lois et vous en avez violé un paquet. Il est impératif pour nous de contrôler la présence d’extraterrestre sur Terre. Surtout Adarii. Vos capacités particulières vous rendent particulièrement dangereux ».

Le Général s’était remis à palabrer inutilement. Je n’avais pas écouté le début de son monologue mais apparemment, je n’avais pas raté grand-chose. Pourquoi est-ce que tout le monde s’en prenait toujours à nous ? Après tout, nous ne faisions rien de mal ? En plus, il savait juste que nous avions certaines capacités empathiques. Je ne voyais pas en quoi ce pouvait être dangereux. Glace avait raison quand il disait que les Terriens nous mèneraient une vie impossible s’ils connaissaient l’envergure de nos capacités.

« Comment êtes-vous venue jusqu’ici ?

- Ca n’a aucune importance Lui ordonnai-je mentalement avant de reprendre à voix haute. « Cessez de me poser des questions, c’est inconvenant.

- Nous sommes sous les lois Terriennes ici.

Il se répétait. De nouveau le ronronnement du moteur, le désert. Un regard agrémenté d’une suggestion mentale l’avait fait taire, du moins temporairement. Un village. Je tendis la tête attirée par ce changement dans le paysage. Quelques baraquements de tôles, un peu de bétail maigre, une station service, un petit snack. Quand avais-je mangé pour la dernière fois ? Dans l’avion. Ca ne comptait pas. Je me détournai de la fenêtre pour en revenir à mon charmant compagnon de voyage. « J’ai faim.

- N’espérez pas qu’on va s’arrêter » dit-il en me tendant un sandwich qui, vu son aspect, avait déjà beaucoup vécu.

« Ce n’est pas la peine de faire la grimace, Vous n’aurez pas mieux. »

Il me regarda semblant m’étudier de haut en bas. Je perçus un brin de nostalgie et quelque chose qui ressemblait à de la tristesse.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Le Général hésita puis se tourna vers la fenêtre sans répondre.

« Qu’est-ce qu’il y a ?» répétai-je

« Sortie de vos drapés de soies brillantes, de vos voiles, de vos bijoux et de vos maquillages compliqués, malgré vos grands airs, vous avez l’air d’une petite fille. »

Par réflexe, je baissai la tête sur mon jean et mon débardeur blanc avant de répondre : « Sortez-vous cette idée de la tête et vite.

- Ne vous vexez pas. C’est juste qu’une jeune fille de votre âge ne devrait pas se retrouver mêlée à ça »

Pour une fois, il avait raison, je serais bien mieux autre part.

« Vous savez, sur Terre, les jeunes filles de votre âge vont au lycée ou à l’université. Elles apprennent des tas de choses, elles ont des amies ».

Il cherchait à m’amadouer avec ses bêtises. Il en aurait oublié qu’il y en avait surtout qui mourraient de faim dans des ghettos sordides, qui travaillaient dans des conditions épouvantables depuis l’age de huit ans ou qui étaient poussées à la prostitution. Elle était belle la Terre. Je lui aurais bien craché tout cela au visage, mais je ne lui dis rien. Après tout, je ne devais pas connaître tout cela.

« J’ai un fils » continuait-il « Quand il avait votre âge, lui aussi avait tendance à ne jamais faire ce qu’on lui disait. Il est tombé bien bas. Il a fait pas mal de bêtises, mais maintenant, c’est quelqu’un de bien. »

Je me tournai vers la vitre pour que le général ne me voie pas sourire. Son fils, il avait été recruté par mon père. Max m’avait raconté que c’était Espoir qui l’avait sorti de la drogue quand son père à lui était trop mal en point pour s’en occuper, désespéré par la mort de sa femme et de sa fille dans un accident de voiture. Ensuite, il s’était arrangé pour faire entrer le père à Archuleta, puis le fils pour les surveiller. Voilà comment il était devenu quelqu’un de bien. Il faisait exactement la même chose que moi. Mais cela, Gentry père l’ignorait, et il continuait son discours mielleux comme on s’adresserait à une toute petite fille. En effet, il y avait des chances que Mike se taise à notre sujet. Il n’aimerait sûrement pas qu’on raconte certains détails de sa vie à son paternel qui le tenait en si haute estime, fusant la fierté par tous les pores en parlant de lui.

« Vous gâchez votre jeunesse dans des histoires qui vous dépasse, vous devriez avoir des amis, un amoureux. »

Il s’était tu et son malaise, plus que le silence soudain, attira mon attention. Quelque chose le tracassait.

« Ou plusieurs » ajouta-t-il avant de se tourner gêné vers la vitre.

Une bouffée de colère soudaine monta en moi. Terre, Maÿcentres, et Vengeance, même combat. Ils seraient capables de s’entendre malgré toutes leur différences sociales, politiques, culturelles, économiques, mais après, ils ne pouvaient supporter qu’on ait des mœurs sexuelles différentes. Et dire qu’en plus, sur Terre, il n’était pas rare qu’un homme ait plusieurs femmes. Je suis sûre qu’au fond, ce type était bien comme le lourdaud de Paya à fantasmer à l’idée qu’un homme puisse avoir plusieurs compagnes, mais à s’horrifier en pensant que l’inverse était aussi vrai. Thibault aussi avait ce genre d’idée. Je changeai de conversation avant que ça dégénère : « Je m’ennuie, vous ne pourriez pas mettre un peu de musique ?

- Je n’aime pas la musique. »

Soupir, je n’étais pas arrivée. Combien d’heures allais-je devoir supporter ça ?

La voiture s’était arrêtée dans une station service perdue au milieu de nulle part. La nuit était tombée et les lumières artificielles soudaines me firent mal aux yeux.

« Je veux descendre » dis-je sans me retourner.

- Et où comptez-vous aller ? Nous sommes au milieu du désert.

- J’ai certains besoins comme tout le monde ».

Apparemment, il n’avait pas prévu cela, il ne savait plus quoi faire.

« Vous imaginez que je vous ai suivi jusqu’ici pour filer en plein désert ? »

Je me tus pour le laisser réfléchir à son aise.

« D’accord, je vous laisse sortir. Je vous laisse même y aller seule. On dira que c’est une sorte de test. Si vous fuyez, je saurais que je ne dois plus faire confiance ni à vous ni à aucun de votre race.

- Raisonnement simpliste, ce n’est pas parce que l’un de nous a fait une bêtise que nous sommes tous mauvais. Vous venez de me faire comprendre les rudiments du racisme.

- Disons que c’est du chantage.

Je fronçais les sourcils. On ne me faisait pas de chantage. J’allais répliquer mais il m’en empêcha : « Ne recommencez pas à vous plaindre, sinon je penserais que vous n’avez pas tellement besoin de vous arrêter et nous repartirons. »

Je me tus et attendis me répétant les conseils de Glace comme quoi je devais éviter de me faire remarquer, pendant qu’il frappait à la vitre de séparation et indiquait par signe au chauffeur d’ouvrir la porte.

La chaleur me surprit après ces heures passées dans un environnement climatisé. J’aspirai une bonne bouffée d’air et m’étirai avant de me diriger vers la petite buvette sans me retourner, scrutant le sol pour surveiller la présence éventuelle de scorpions, araignées, fourmis ou autres monstres miniatures devant pulluler au milieu de ce désert. En revenant des toilettes, je traversai le bar. Une musique triste s’élevait de la radio. Il n’y avait pas grand monde. C’était logique, qui voudrait venir s’enterrer ici. Je m’assis, attrapai un menu et commençai à lire. Un serveur sortit de la cuisine.

« Vous désirez mademoiselle ?

- Vous n’avez rien d’autre que ça » demandai-je les yeux baissés en montrant la carte digne du plus piteux des fast-food.

- Attention, je fais les meilleurs hamburgers de tout le nouveau Mexique, peut-être même des Etats-Unis ». Il s’était échauffé à outrance en disant cela, comme si je lui avais fait une attaque personnelle.

Je fouillai dans mon petit porte-monnaie à la recherche de quelques dollars.

« Je prends ça aussi » me dit-il en désignant mes Sols péruvien.

- D’accord, donnez-moi une de vos merveilles et des frites.

- Ca marche »

Je n’avais pas eu besoin de me retourner pour sentir Gentry entrer en trombe dans le bar. Il était furieux.

Je pris une autre frite en soupirant. Ne pouvais-je donc rester seule quelques minutes.

« Vous n’êtes pas revenue.

- Je ne suis pas partie.

- Je ne veux pas que vous traîniez à la vue de tout le monde. Vous n’êtes pas discrète. »

Je regardais autour de moi la salle quasi déserte en mangeant des frites tranquillement. C’était de la paranoïa à ce niveau-là.

Il continuait d’un air gêné « Comprenez-moi, je sais que vous n’y êtes pour rien, mais vous dégagez quelque chose… » Il cherchait ses mots puis reprit « on ne peut que vous remarquer.

- Et vous imaginez que les gens vont s’enfuir en courant et alerter toutes les polices parce qu’ils sont intrigués par ma présence ?

Il cherchait une répartie mais un bruit strident le déconcentra. Il continua à me fixer sans rien dire.

« Vous avez un truc qui sonne.

- Ca s’appelle un téléphone » dit-il en décrochant.

« Prenez-moi pour une imbécile » chuchotai-je reprenant une frite du bout des doigts.

Il s’était éloigné. J’en profitais pour commander un café.

« Nous n’allons pas camper ici tout de même ». Dit-il en raccrochant.

Je rappelai le serveur. « Vous me mettrez un brownies aussi. » Puis, j’en revins à mon général : « Ne faites pas votre mauvaise tête, tenez, prenez quelque chose, c’est moi qui invite.

- Merci, mais j’ai encore de quoi me payer un repas et je n’ai pas faim.

- C’est sur que vous ne devez pas trop user votre paie. Nourri, logé, blanchi, uniforme fourni, le tout sur une base quatre étoiles. La belle vie à petit prix. Je parie que vous ne devez pas avoir beaucoup plus de liberté que moi ici.

- Je me demande surtout comment vous vous débrouillez si bien sur Terre ? C’est plutôt étonnant pour quelqu’un qui vient d’arriver. Où avez-vous trouvé de quoi payer ? Et comment avez-vous réussi à prendre l’avion ? »

Le serveur arriva avec le dessert et le café et je commençai à manger tout en fixant le général.

- Ca ne vous intéresse pas. Je comptabilisais que cette histoire d’avion, il m’en avait fait la remarque quatre fois déjà. Ca devenait gênant.

« Vous savez ce qui m’a le plus étonnée en arrivant sur Terre ? » je n’attendis pas sa réponse et repris : « C’est la musique. Chez nous aussi nous avons de la musique, et même des danses mais personne n’aurait l’idée de faire des chansons tristes. Nous chantons parce que nous sommes heureux, pas pour nous donner le cafard. Pourtant, j’aime ça. J’aime beaucoup ça.

- Je n’aime pas la musique » grogna-t-il.

« Vous me l’avez déjà dit » dis-je en me levant et m’étirant a nouveau. C’est bon, l’avion ne l’étonnait plus, mais pour combien de temps ? Il n’allait pas tarder à se remettre à cogiter, il faudrait trouver quelque chose de plus convaincant. « Bon, on est parti ? Il nous reste encore une longue route.

- Vous êtes insupportable.

- Et vous n’avez pas à me parler ainsi ». Je restai encore un moment à regarder les petits cadres qui agrémentaient le bar. C’était des photos du nouveau Mexique, pas spécialement jolies mais c’était juste pour le plaisir de voir Gentry s’impatienter.

« La pause est finie, on retourne à la voiture » ragea-t-il en me tirant le bras.

« Ne me touchez pas » m’affolai-je commençant à sentir toutes sorte de questions gênantes à mon égard.

« C’est une menace ?

- Un avertissement. On ne touche pas les Adarii.

- Pourquoi ?

Je retirai mon bras et il me laissa faire. « Et on ne leur pose pas de questions. »

Je le suivis en dehors du bar et me dirigeai vers la voiture. Le silence était retombé. Par la fenêtre, je ne voyais plus que mon reflet. Celui d’une petite fille. Gentry avait raison, je paraissais à peine quinze ans. J’avais toujours paru moins que mon age. D’ailleurs, Glace m’appelait la petite Pluie. Mon père et Prestance m’appelaient aussi ainsi. J’avais horreur de ça. A mon age, les jeunes filles passaient leur temps à s’amuser avec leurs amies avait dit Gentry. Pourtant, il comptait m’enfermer dans une base souterraine. Parce que je ne me faisais pas d’illusion, il n’aurait pas l’intention de me laisser partir avant d’avoir tirer cette affaire au clair. Heureusement que je devais pouvoir le convaincre du contraire.

Je me repris sentant la désapprobation de Glace qui recommençait à me surveiller. Heureusement que je pouvais faire confiance à Glace pour le convaincre de me laisser partir tandis que je me contenterais de me faire la plus discrète possible. Envoyai-je vers mon frère répétant les recommandations qu’il m’avait inlassablement répété dans l’avion qui me conduisait au nouveau Mexique avant de protéger mes pensées de ses intrusions non désirées.

Je me sentais seule tout d’un coup. Je repensais au président Eysky. Ces blessures étaient plus graves que ce qu’on avait pensé au début. On craignait le pire à son sujet. Savoir qu’il risquait de mourir m’avait vraiment affligée. Au fond, je l’aimais bien. C’était une des rares personnes des Maÿcentres qui ne nous repoussaient pas. Et puis, il avait été ami avec mon père ou, en tout cas, il avait eu de bons rapports avec lui. J’avais été un peu dure avec lui. Enfin, c’était surtout avec son entourage particulièrement déplaisant que j’avais été dure mais il l’avait souvent pris pour lui. Au fond, je comprenais qu’il nous ait mis dehors. Bien sur, il m’avait joué de mauvais coups. Je n’avais toujours pas digéré ce jour où, tout fier, il m’avait demandé de le rejoindre à sa table avec le général Gentry pour démolir le système organisationnel de Plume devant moi. A chacune de mes phrases, il s’arrangeait pour la retourner contre moi. A ce souvenir, je me sentis d’un coup bien moins conciliante. Mais bon, il fallait se rendre à l’évidence, j’avais une sérieuse tendance à aller toujours vers les personnes les plus fortes. Dire que ma mère était si douce avec moi. J’avais toujours comparé sa gentillesse avec de la faiblesse et son amour étouffant me donnait envie de fuir. D’ailleurs, j’avais fuis. Et vers quoi ? Sentiment n’avais jamais le moindre mot gentil. Tempête, malgré ses airs de tendresse enfantine, était des plus vicieuses. Glace, je frissonnais à l’idée de ses colères froides. Et Orage ! Lui, je ne lui pardonnerais pas si facilement. Il m’avait séduite dans le seul but de réaliser ses mesquines ambitions. De toute façon, toutes ses actions étaient réfléchies pour satisfaire ses petits projets. Comment avais-je pu être assez bête pour penser qu’à mon sujet, ce serait différent.

Je pris une grande inspiration et sentis comme un parfum de vanille. Tempête s’était approché de moi et je la laissais faire.

Les paroles de Sentiment, les idées de Tempête, et les plans d’Eysky, tout ça, me passaient au-dessus de la tête, mais le comportement d’Orage ! Il m’avait fait vraiment souffrir, et toujours maintenant, je le ressentais comme une trahison. Plusieurs fois depuis, il avait tenté de me contacter, mais à chaque fois, je l’avais repoussé et puis, il n’avait plus essayé. - Je suppose que c’est toi qui lui as dit que je n’étais pas d’humeur à l’écouter ?

Cette dernière question s’adressait à Tempête et je ne doutais pas qu’elle l’ait entendue tout comme le reste.

- Tu en veux à Orage d’avoir ce genre d’idée parce que tu ne l’aimes pas, ou parce que tu l’aimes trop ?

Tempête disparut avant même d’écouter la réponse. Je lui en voulais, parce que il ambitionnait de se servir de moi, voilà tout. L’amour n’avait rien à voir là-dedans. N’empêche qu’il me manquait. Pourquoi étais-je toujours attirée par ceux qui me voulaient du mal ? Je le sentais si loin de moi. Je m’approchai à peine. Il dormait.

Sa présence me fit du bien. Je me sentais si mal ici. Son esprit était totalement relâché. Il ne pensait à rien de précis, c’était plus un mélange d’images et d’impressions, sorte de rêve brumeux. Si j’avais été auprès de lui, j’aurais pu percevoir ses pensées les plus secrètes d’un simple contact. D’ailleurs, quand j’étais avec lui, même endormi, il ne se relâchait pas ainsi, ce qui prouvait bien qu’il avait des choses à cacher et que j’aurais dû me méfier. Il me manquait. Son contact me manquait. Il frémit dans son sommeil. Je m'éloignai à peine craignant qu’il perçoive ma présence mais il ne se réveilla pas et je m’approchai à nouveau. Même endormi, il sentait quelque chose sans même s’en rendre compte. Des émotions, pas les miennes. Ce qu’il percevait était mauvais, très mauvais. Un instant, je crus me retrouver dans les villes souterraines lors du discours du président, haine, dégoût, mort, mort. Ses mots résonnaient dans mon esprit, comme dans celui d’Orage endormi, tournant toujours et encore me donnant la nausée. Je voulais crier mais les mots ne servaient à rien. - Orage attention !!!

Une douleur fulgurante me traversa et le choc m’envoya contre la portière.

« Ca ne va pas ? »

Je regardais le général mais à ce moment, je ne le vis pas.

« Orage » Le contact était rompu, je ne sentais plus rien de lui. Que s’était-il passé ? Je devais le retrouver au plus vite. Il fallait que je sorte d’ici. Je tendais mon esprit vers lui mais ne trouvais que le vide. L’odeur du cuir de la voiture avait remplacé le parfum de cannelle. Je commençais à m’affoler, à l’appeler, mentalement d’abord, puis à voix haute, jusqu’à hurler. Je devais le retrouver. Quelque chose m’agrippait les mains. Je me débattais tandis que déferlaient sur moi des pensées qui n’étaient pas les miennes. Incrédulité, peur. Des idées se bousculaient dans ma tête qu’est-ce qu’elle a ? Va-t-elle se tenir tranquille ? Orage, que lui était-il arrivé ? « Orage ». Je continuais à me débattre tandis que de nouvelles images m’assaillaient. Un cadavre de femme étendu dans une salle mortuaire, une jeune fille qui me ressemblait un peu qu’on recouvrait d’un drap. Je me mis à hurler sentant la mort s’approcher. – Va t’en et tout d’un coup je fus libre. La voiture s’était arrêtée, je n’aurais su dire quand. Je me ruai à l’extérieur me trouvant face à face avec le chauffeur diffusant sa haine autour de lui. - dégage et me mis à courir. Echapper à tout cela, trouver Orage. Quelqu’un m’avait rattrapée sans ménagement par les épaules et de nouveaux souvenirs jaillissaient en moi. Je voyais un homme, et encore cette jeune fille morte. Une nausée m’envahissait et je me remis à crier. J’entendais les paroles de Gentry comme à travers un brouillard mais surtout ses pensées raisonnaient dans ma tête. Je devais me calmer pensait-il. C’était impossible. Ce que je devais faire, c’était trouver Orage. J’ouvris les yeux me retrouvant nez à nez avec le général.

- Lâche

Je crus sentir comme en écho mon ordre mental par ses pensées que je partageais et je me retrouvais libre. Je tombais et me relevais fuyant le plus loin possible avant de m’écrouler.

***

« Je suis malade ».

Je pense m’être dit cela avant même de me réveiller. J’avais senti ensuite le sol sous moi. Je devais être couchée par terre. J’avais la tête qui tournait et des nausées. Je respirai profondément. Ca sentait la moisissure et le renfermé. Pourtant, je me forçai à reprendre une autre grande inspiration. Je sentis par-dessus la puanteur l’odeur de la menthe et ça me calma légèrement puis seulement, j’ouvris les yeux. Il faisait sombre. Je crus discerner une faible lumière avant de sentir un tourbillon m’entraîner et tout disparut. J’ouvris à nouveau les yeux. Je pensais qu’il ne s’était écoulé que quelques secondes mais, entre-temps, plusieurs personnes étaient entrées dans la pièce sans que je m’en aperçoive. Je sentais leur présence mais je ne les voyais pas. Elles devaient sans doute se trouver derrière moi. Je n’aurais pas pu dire combien elles étaient, plusieurs je pense et encore, je n’en étais même pas certaine. La pièce était saturée d’un mélange de crainte et de dégoût encore pire que tout ce que j’avais pu connaître sur les Maÿcentres. Je tentai de me relever en m’appuyant sur les bras, mais je n’avais pas plus de force qu’un nouveau-né.

« Où suis-je ? » En prononçant ses paroles je reconnus à peine ma voix faible, pâteuse et éraillée.

« Mais, c’est qu’elle est réveillée ! » La voix railleuse était désagréable. Je ne la connaissais pas. Si, en fait je l’avais déjà entendue, c’était un des chauffeurs de Gentry. Je ne me souvenais plus son nom. Je l’avais à peine vu à l’aéroport et je m’étais méfiée de lui. Je tentais de me souvenir ce qu’il s’était passé. Je me rappelais avoir été dans la voiture de Gentry. Il m’amenait à Archuleta. Mes pensées se bousculaient, incohérentes. J’essayai de tourner la tête vers l’homme qui me parlait mais n’en eus pas le temps. Une violente douleur dans le dos m’arracha un cri. Quelqu’un venait de me frapper. Pendant un instant, l’étonnement prit le pas sur la douleur puis cette derrière se diffusa dans tout mon corps. J’arrivai à me mettre à genoux et me retourner pour voir qui avait osé faire ça. Je me retrouvais face à deux hommes en uniforme. Je distinguais mal leurs traits. Il faisait sombre. J’avais l’impression qu’un voile de brume me couvrait les yeux et que le sol tanguait de façon désagréable.

« Vous m’avez frappée. » Je ne sais pas si ma réaction se voulait de la colère, de l’indignation ou plus simplement de la surprise, mais je ne pus émettre qu’un murmure.

Un des deux hommes se pencha vers moi. Son haleine empestait et son visage approchait nettement trop près du mien. Je fis la grimace. « Regardez-là, la terreur. Ce n’est plus qu’une loque.

Non, je ne t’ai pas frappée, pas vraiment.

Je vais te montrer ce qu’on appelle frapper. »

Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire mais je sentis son poing sur ma joue. On aurait dit que ma lèvre avait explosée et le goût salé et métallique du sang se répandit dans ma bouche. Je ne comprenais rien. J’étais même trop sonnée pour pouvoir crier quand un autre coup me martela l’autre joue en me jetant en même temps des sentiments de haine en plein visage.

- Ca, c’est pour t’apprendre à obéir » disait l’homme. « Et ça pour m’avoir giflé » ajouta-t-il en m’assenant un nouveau coup.

« Arrêtez », murmurai-je en suppliant.

« Maintenant que tu ne fais plus la fière, tu vas me dire ce que tu m’as fait ? ». Un coup de pied dans les côtes m’avait fait rouler à terre. Je suffoquais et n’eus pas le temps de reprendre ma respiration que le deuxième m’attrapait par la chemise pour me relever. « Et au général aussi »

Je ne savais pas. Je reconnaissais le chauffeur de la voiture mais je ne me souvenais même pas être arrivée ici.

« Tu vas répondre à mon pote sale petite sorcière » dit l’autre avant de me frapper à nouveau

Etait-ce la douleur, l’humiliation, je ne sais pas, j’avais eu la sensation de perdre le contrôle sur moi-même. Mal hurlais-je, sans émettre un son - mal, douleur.

Je tombai à terre lorsque celui qui me tenait me lâcha brusquement. Ma tête heurta le sol et tout disparut autour de moi.

Sans doute est-ce le bruit qui me réveilla. J’étais seule, mais j’entendais quelqu’un derrière la porte close. Une douleur lancinante me martelait le crâne qui s’intensifia dès que je voulus bouger. Chaque inspiration me faisait souffrir. Je me concentrai pour écouter les murmures derrières la porte. Par réflexe, je tentai de contacter quelqu’un, n’importe qui, mais ma tête parut exploser. J’appuyai mes bras autour du front. La douleur m’avait arraché des larmes. Je serrais les dents et me forçais à me calmer. Soudain, le ton monta derrière la porte : « Bien sur que si, vous allez me laisser entrer. »

La réponse était trop faible pour que je puisse la percevoir.

« Ce n’est pas mon problème, mes ordres émanent directement du conseiller Taegaïan, vous voulez aussi vous le mettre à dos ? »

La discussion continuait plus doucement. La porte finit par s’ouvrir et un homme entra. Je tentai de me concentrer sur lui pour rester consciente. Il vacillait et se dédoublait. Il était jeune, blond plutôt grand et trop musclé. Il portait un simple jean et une chemise blanche. Je le connaissais mais ne pouvais me rappeler d’où et je me crispai de peur avant de me recroqueviller protégeant la tête.

J’apercevais aussi un homme en uniforme qui resta près de la porte.

« Ne vous approchez pas trop » dit ce dernier « elle a déjà mis deux de nos hommes dans un sale état.

- C’est ça oui » grommela-t-il en s’approchant de moi.

Il me regarda comme on inspecterait un simple objet et se retourna vers le garde. « Parce que vos deux abrutis ne l’ont pas mise dans un sale état, elle ?

Vous êtes tous des malades ici. C’est vous qu’il faudrait enfermer », dit-il avant d’en revenir à moi : « Comment vous sentez-vous ?

- J’ai mal » arrivai-je à murmurer.

Il passa sa main sur mon visage. Je frissonnai d’appréhension à ce contact, mais je ne ressentis rien de lui. Quand il la ramena vers lui je vis qu’elle était couverte de sang et qu’il faisait la grimace.

« Allez me chercher un médecin » cria-t-il au garde.

Celui-ci ne bougea pas. « Il n’acceptera sûrement pas de venir. Gentry lui a dit ce que la gamine avait fait. Il se méfie.

- S’il refuse, je m’arrange pour le faire virer d’ici puis, je lui colle un procès aux fesses pour non assistance à personne en danger et je ne lui donne pas une semaine avant de ne même plus avoir le droit de soigner les poulets de sa propre ferme.

- Non, pas de médecin » suppliai-je. Je ne supporterais pas un autre contact, jamais plus.

Etais-ce la peur, le contrecoup, je me mis à trembler.

« Ca va aller, ça ne me paraît pas trop grave, je pense que ce sont des blessures superficielles. Si vous voulez, je m’en occuperais.

- Je suis toute seule » murmurai-je soudain sans réfléchir « toute seule, j’ai peur. Je veux mon frère. Où est-il ? Pourquoi n’est-il pas là ?» J’avais voulu crier je crois, je ne sais plus. J’étais tellement terrorisée. Je n’arrivais plus à contacter personne, je me sentais comme enfermée dans mon propre corps.

« Calmez-vous, respirez doucement, vous avez reçu un choc, ça va passer. Evitez de parler de cela cependant, ça leur ferait trop plaisir.

- Mike Gentry, c’est ça ? » Ce n’était pas une question, ça ne pouvait être que lui. Son visage m’était familier. Oui, je l’avais déjà vu quand j’étais venue. Il m’avait même paru étrange et puis, je n’y avais plus prêté attention. Je l’avais vu aussi dans les souvenirs de son père. J’avais l’impression du coup de tout connaître de lui, du petit garçon qu’il avait été jusqu’à l’homme qu’il était maintenant. Je détournai le regard, c’était trop gênant.

« Taisez-vous » me dit-il tandis que la porte s’ouvrait à nouveau sur le même garde que tout à l’heure.

« Le médecin ne va pas tarder.

- Ce ne sera sans doute pas nécessaire » dit Mike en se relevant. « Pouvez-vous vous appuyer sur moi ? » me dit-il « je vais vous soutenir »

Le garde passa la tête par la porte sans s’approcher. « Vous ne comptez pas la sortir de là tout de même ?»

Mike me tourna le dos et se rapprocha du garde. « Vous n’imaginez pas que je vais la laisser ici ?

- C’est pas une invité que je sache. On l’a mis là parce que c’est le quartier le plus sécurisé et que c’est à l’écart de tout. On ne sait pas de quoi elle est capable, mais je vous assure que cette fille n’est pas normale.

- Bien sur qu’elle n’est pas normale. Elle est Adarii. Ces gens-là sont parmi les personnalités les plus importantes des Maÿcentres et elle veut voir son frère.

- C’est pas à nous de décider ce genre de chose. En plus, ça m’étonnerait qu’on les mette ensemble. Si ça se trouve l’autre Taegaïan aussi sait faire des trucs pas clairs. On ne sait pas ce qu’ils pourraient comploter tous les deux ».

Mike était complètement exaspéré. « Tu es stupide ou tu le fais exprès. Elle est télépathe. Qu’est-ce que ça change qu’ils soient dans la même pièce ou chacun à un bout de la base ? S’ils veulent comploter, ils le feront.

- Maintenant, bouge de là et laisse-nous passer.

- Je ne sais pas, je dois avoir des ordres. Elle est dangereuse.

- Non, c’est toi qui es dangereux, tu avais ordre de la surveiller et tu n’as pas empêché ses deux molosses irréfléchis de lui faire du mal au risque des pires répercussions diplomatiques possibles. Elle, ce n’est qu’une gamine effrayée qu’on a frappé. Si elle veut voir son frère, elle le verra ».

Je ne comprenais plus rien de ce qui se disait, comme si j’entendais sans enregistrer. « Glace », murmurai-je en essayant à nouveau de joindre mon frère. La douleur reprit le dessus et je retombai.

***

Quand je revins à moi, des personnes se disputaient encore mais je ne sentais plus le sol froid et dur sous moi. J’étais dans un lit. On m’avait bandé la tête. Je sentais toujours les tempes me marteler. J’ouvris les yeux mais la lumière était trop forte et intensifia la douleur. Je les refermai.

« Oui, j’ai outrepassé les ordres, et alors ? » C’était toujours la voix de Mike.

Par contre je ne reconnus pas de suite celui qui lui répondait.

« Et alors ! Bon sang Mike, tu as amené une prisonnière dont personne ne connaît les potentiels hors du quartier de haute sécurité sans permission et ne me sors pas ton histoire de pauvre gamine sans défense, je l’ai vu à l’œuvre.

Si, je reconnaissais, c’était le général Gentry. Ho, ce que je pouvais avoir mal à la tête. Et au reste aussi d’ailleurs.

Je reconnus sans hésitation la troisième voix même si ça faisait bien longtemps que je ne l’avais pas entendu. Froide et tranchante. C’était celle de Glace.

« Je vous donne raison sur un point général. Ce n’est pas une gamine sans défense. Elle est Adarii. Ce que vous pensez d’elle m’importe peu, mais dites-vous bien que même les puissantes Maÿcentres respectent les Adarii. Ne pensez-vous pas que vos hommes en ont déjà assez fait ? Vous vouliez sans doute la laisser aussi croupir dans vos prisons sordides ?

- Conseiller Taegaïan, ou devrais-je plutôt dire Adarii Taegaïan, je regrette sincèrement le comportement de mes hommes, et ils seront punis de leur désobéissance » C’était le général qui parlait.

« Mais, là n’est pas la question. N’oublions pas que votre sœur était illégalement sur le sol Terrien. Elle a de plus tenté de s’enfuir en m’obligeant à agir contre ma volonté et a aussi envoyé deux de nos hommes à terre sans bouger le petit doigt.

- Ils s’en sortiront avec une bonne migraine bien méritée. Au moins, ils sauront qu’on ne s’attaque pas aux Adarii. Maintenant, si vous voulez toujours pouvoir jouer dans la cours des grands et pas rester cloisonnés dans votre petite planète, vous feriez mieux de l’apprendre aussi.

- Mike, sors d’ici.

- Oui général.

J’entendis la porte se fermer avant que Gentry continue : « Qu’est-ce que cette fille est encore capable de faire ? » demanda Gentry furieux.

« Je peux admettre que vous n’ayez aucun contrôle sur vos émotions, mais je vous demanderais au moins d’utiliser un autre ton et un vocabulaire mieux approprié quand vous parlez de l’Adarii Pluie.

- Qu’est-ce que vous êtes capable de nous faire ? » Reprit le général sans se démonter. Il était hors de lui. Il continuait à vociférer et ses émotions renforçaient encore ma douleur. « Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu ?

- Vous l’avez dit à vos hommes ? » Demanda Glace calmement.

« Bien sur que non, je tente d’étouffer l’affaire, mais ce ne sera pas une mince affaire, elle n’a pas été des plus discrète.

- Pourquoi voulez-vous étouffer l’affaire, comme vous dites ?

- Vous êtes inconscient ! Vous imaginez la panique que ça peut propager si mes hommes apprennent de quoi elle est capable ?

- Voilà, maintenant vous savez pourquoi on ne vous a pas prévenu.

- Ca n’a rien à voir. Je suis le responsable de ce projet et je vous rappelle que vous aussi. Nous travaillons ensemble. Que nous cachez-vous encore ? D’abord, on nous dit que vous êtes capable de communiquer à distance, ensuite vous avouez avoir aussi des dons d’empathie. Je découvre d’une manière plus que désagréable que vous êtes capables de faire agir les gens contre leur volonté et ensuite ça !!! »

Un bon moment s’écoula avant que Glace se décide à répondre : « Laissez partir ma soeur et elle ne vous causera plus de soucis.

- Sûrement pas avant de savoir exactement tout ce qu’elle a fait sur Terre. Elle a pu demander à n’importe qui de faire n’importe quoi ! Qui sait dans quoi elle a été fouillée ? Je veux tout savoir de ses agissements. Où elle a été, qui elle a vu, ce qu’elle a dit, vous entendez, tout. Et si, par je ne sais quelle magie bizarre, elle arrive à partir, je vous en tiendrais responsable. De toute façon, à partir de maintenant, je vous considère comme responsable de tout ce qu’il peut se passer d’inexpliqué dans cette base.

- Vous avez fini votre crise de délire, elle n’a rien fait de mal. Ce n’est que ma petite sœur, je m’en porte garant.

- Non, comme vous dites, elle est Adarii. Je commence à cerner ce que ça veut dire et ça ne me plait pas du tout. »

Il attendit encore un peu dans un silence de mort avant de reprendre : « Ecoutez, je la laisse ici sous votre garde. Pour l’instant, Je ne veux pas qu’elle sorte et vous non plus. Nous sommes dans une situation totalement impossible. Comprenez-moi bien, je ne veux pas de soucis avec les Adarii et je ne veux pas non plus qu’ils nous causent des problèmes.»

La porte s’était ouverte et refermée et un silence reposant m’avait envahie puis j’attendis une bonne dizaine de minute avant d’entendre des pas qui s’approchaient de la chambre. Je me forçai à ouvrir les yeux.

« Je suppose que tu as tout entendu » dit Glace.

« Je ne voulais pas leur faire de mal. Je ne sais même plus ce qui s’est passé. » Je me pris la tête entre les mains. Le moindre mouvement me faisait souffrir. « J’ai mal Glace, tellement mal et je te sens si loin. Je t’ai appelé, mais je ne t’ai pas trouvé, je n’ai trouvé personne. »

Glace me prit les mains avant de s’asseoir sur le lit et, malgré la douleur, j’arrivai à m’asseoir et à me blottir contre lui.

« N’aie pas peur petite Pluie, ça va passer. Tu as usé toutes tes forces et tu es blessée. Dans un jour ou deux tout au plus tu iras mieux ». Tout en disant des paroles rassurantes, Glace me caressait les cheveux. Il faisait toujours ça quand j’étais petite et que je m’étais fait mal. Son geste me rassura plus que je ne l’aurais espéré. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

- Ce serait plutôt à toi de me le dire.

- Je ne me souviens pas ». Je réfléchis un moment tout en restant collé contre la poitrine de Glace. J’écoutais les battements de son cœur contre mon oreille. « Je sais que j’étais dans la voiture de Gentry et j’ai voulu m’enfuir.

- Tu n’aurais pas dû ». Ca y est, il en avait fini avec les câlins et avait repris son air autoritaire.

« Je sais, mais j’ai paniqué, Je,… » Orage. Il s’était fait attaqué. Comment avais-je pu oublié ça ?

« Orage, Il a disparu. D’un coup ». Je me remis à le chercher « et puis le général m’a attrapé » mais la douleur m’envahit la tête toujours plus forte. Je me mis à trembler.

« Calme-toi, Orage va bien.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Où est-il ?

- Quelqu’un s’est introduit dans la villa et a voulu l’attaquer. Il m’a dit que tu l’avais prévenu au dernier moment et qu’il avait pu éviter le pire, mais il s’est fait blesser. Tout comme toi, le choc a rompu le lien qui vous unissait pendant quelque temps mais il va bien maintenant. Grâce à toi.

Par contre, le président Eysky est décédé. »

Je ne savais quoi dire ni penser. J’étais désolée pour le président. Je l’avais côtoyé bien trop longtemps pour ne rien ressentir. Mais, d’un autre coté, j’étais tellement rassurée pour Orage. Tout d’un coup, la situation m’apparut dans toute son horreur : Ca faisait des semaines que je prônais la prudence et que je sermonnais Tempête mais au final, j’avais fait bien pire que toutes ses frasques. J’avais attaqué le responsable d’Archuleta et maintenant, tout le monde allait être au courant de nos capacités. Qu’est-ce qui m’avait pris ? Qu’avais-je fait exactement ? Je tentais de me remémorer la scène mais tout m’apparaissait flou. Gentry me tenait, il ne voulait pas me lâcher, c’était horrible. J’avais cru vivre à travers lui l’accident qui lui avait ôté sa femme et sa fille et, en même temps, Orage s’était fait attaqué. Je ne me souvenais plus. Je savais que j’avais couru hors de la voiture et puis, je m’étais sentie tout un coup très faible et j’étais tombée. Et puis, plus rien.

« Le garde de Gentry t’a tiré dessus avec une seringue hypodermique. Un hypnotique utilisé pour les animaux. » Me dit Glace

J’essayais de me souvenir, mais c’était comme un trou noir. « Je sais que je me suis réveillée dans une pièce sombre et lugubre, j’étais par terre et j’étais malade. Tout tournait et j’ai cru que j’allais vomir. Ensuite, il y avait ses hommes qui m’avaient attaquée. » A ce souvenir, je me sentis mal « C’était atroce Glace, ils m’ont frappée ». Je me serrais plus fort encore contre lui.

- Je sais petite Pluie, je sais.

- Mais pourquoi ? Je n’avais rien fait.

- La peur je suppose. Certaines personnes, quand elles ont peur peuvent devenir violente. Sans doute voulaient-ils par là se prouver leur courage mais ce ne sont que des lâches et je peux t’assurer qu’ils ne s’en sortiront pas avec une simple migraine. Ils méritaient amplement ce que tu leur as fait.

- Qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne me souviens plus. Je crois que j’ai perdu conscience.

- Tu leur as fait mal. A tous les deux.

- Mais comment ? Je n’ai rien fait, je n’en étais même plus capable.

- Si, sans doute par réflexe. Ton corps s’est senti attaqué et tu as réagi sans même le faire exprès.

- Je crois me souvenir, qu’ils ont criés.

- Ca, sûrement. Tu as agi sur leur récepteur de la douleur. Tu leur as commandé d’avoir mal. »

Je ne savais même pas qu’on pouvait faire ça. « Je croyais que le corps n’obéissait pas à un ordre qui lui infligerait une souffrance ?

- J’aurais préféré que les hommes d’Archuleta ne le sachent pas non plus mais si, c’est possible, seulement peu de personne en sont capable et ça demande une telle dépense d’énergie qu’au final tu n’y gagnes pas grand-chose.

Je portai la main à ma bouche et déglutis avec effort tandis que ma tête se remettait à tourner.

« Respire doucement ».

Je me rendis compte que je tremblais. Je fis un effort qui me parut presque insurmontable pour retrouver une respiration normale.

« Tu vas te reposer maintenant. Tu en as encore besoin. Je reviendrais tout à l’heure. »

Glace s’écarta de moi tout en disant cela et je recommençais à paniquer.

« Ne pars pas, s’il te plait ne me laisse pas seule. »

Il me sourit, « ne t’en fais pas, je ne suis pas loin. Je vais rester à coté de toi jusqu’à ce que tu t’endormes »

Je hochai la tête et lui pris la main avant de fermer les yeux.


Aucun commentaire: