samedi 29 mars 2008

Partie 2 Chapitre 2

2

"On est peu de chose devant une vaine lueur d’espoir"

Alexandre Millon

Je ne me saoulai pas cette nuit là. Mes maigres ressources ne me le permettaient pas. Cependant, trois chopes de bière avaient suffi à me faire tourner la tête et je me sentais plus mélancolique que jamais. J’étais restée jusqu’à l’aube à regarder les gens s’avilir. Goûtant tour à tour le plaisir de l’anonymat, et la honte devant leur comportement navrant. Parfois, je me laissais aller et sentais le désespoir caché derrière leurs rires qui sonnaient faux avant de me reprendre. Quelques hommes avaient tenté de s’asseoir à ma table mais un simple regard les avait dissuadés et ils s’étaient installés au bar, jetant parfois le coup d’œil furtif de quelqu’un qui aimerait venir mais n’ose pas.

Quand j’étais sortie, une nouvelle journée avait débutée. Les rues commençaient à se remplir. Des silhouettes fraîchement peignées encore légèrement endormies après la nuit s’en allaient vers leur lieu de travail. En ce qui me concernait, je ne devais pas faire bonne figure. Je me forçai à me reprendre, entrai dans un hôtel au hasard et demandai une chambre.

Le réceptionniste me regarda d’un air suspicieux et me demanda une pièce d’identité. Je sortis mon vieux passeport, heureuse de l’avoir gardé. Il était périmé et j’espérais que ça ne pose pas de problème.

« On ne sert pas les mineurs. »

Je mis un moment avant de me rappeler que, ici, j’étais considérée comme une gamine. J’avais à peine dix-sept ans.

Ce n’était pas un problème. Il me suffisait de le convaincre que j’avais un an de plus. Pourtant, je repris mon passeport et tournai les talons. « Désolé pour le dérangement » dis-je en claquant la porte. Je marchai encore au hasard, passai devant mon ancien lycée. Les élèves commençaient à affluer vers l’entrée. Sans raison évidente, je scrutai de loin cherchant un visage connu mais n’en vis aucun. Qu’aurais-je fait de toute façon ? Je tournai le dos à mon ancienne vie.

Il s’était mis à pleuvoir. Autour de moi, les gens se protégeaient en ouvrant leur parapluie ou fuyaient en courant. Tout comme ils se protégeaient de moi. Je continuais à marcher du même pas. Qu’aurais-je à craindre ? La pluie était mon amie. C’était moi. Quelques larmes salées se mélangèrent aux fines gouttelettes ruisselant sur mon visage. Tour à tour fine et dru, les gouttes s’intensifièrent devenant pluie d’orage, l’eau se mêlant aux éclairs sous le fracas assourdissant du tonnerre. Le monde avait fui devant l’union de la pluie et de l’orage laissant la rue déserte et moi, j’ouvris les bras et me surpris à sourire. Tout en marchant, j’avais suivi le chemin qui m’avait conduit à retrouver Sentiment. Je m’arrêtai devant l’hôtel où, quelques années plus tôt, elle m’avait remis un billet pour le Pérou. « Débrouille-toi » m’avait-elle dit avec sa gentillesse qui était devenue pour moi une habitude. Peut-être un peu paranoïaque, je me pris à penser qu’aujourd’hui aussi quelqu’un m’avait dirigée là, mais c’était fini, j’avais grandi depuis, et je n’obéissais qu’à moi. Cette dernière pensée me donna du courage et j’entrai.

Dans le grand hall clair, la réceptionniste regarda de haut la petite jeune fille trempée et sale qui laissait des marques sur les grandes dalles blanches.

« Vous désirez ? » dit-elle écœurée.

C’est sur, je n’avais sans doute pas belle apparence, mais ce n’était pas une raison pour me dénigrer ainsi. « Je voudrais une chambre.

- Il me faudrait certaines garanties.

Je traduisis rapidement par : Vous me semblez trop jeune et sans les moyens pour notre établissement. Et puis tant pis soupirai-je. J’étais épuisée, trempée, j’allais être malade à rester ainsi, je n’avais pas un sous, je ne me souvenais même pas de mon dernier repas et en plus, cette femme me faisait penser à la Main avec son air hautain et dédaigneux.

Je m’appuyai sur le comptoir, faisant bien attention de mettre de l’eau partout. « Vous allez me donner une chambre pour une durée indéterminée, bien insonorisée et qui donne sur la rue, car j’aime voir les gens mais je n’aime pas les entendre. Ensuite, vous ferez monter un petit déjeuner sucré avec un assortiment de tout ce qui se fait ici et je veux des gaufres à la cannelle.

- Il me faudrait une pièce d’identité et une caution.

Je ne me donnai même plus la peine de sortir mon passeport. « La pièce d’identité, vous l’avez et la caution, vous n’en avez pas besoin.

- En effet oui, je suis désolée » dit-elle après une hésitation, sa belle assurance envolée. Elle me tendit une clé et appela quelqu’un pour me conduire à ma chambre.

« Je n’ai pas de bagage » dis-je à l’homme qui me suivit vers l’ascenseur. Je le sentais se désoler en voyant toute l’eau qui se répandaient derrière moi, dégouttant de mes cheveux trempés. « N’est ce pas une calamité cette Pluie ? » lui dis-je en souriant.

***

Arrivée dans ma chambre, je me déshabillai entièrement et pris une douche brûlante. A mon avis, la seule supériorité réelle que possédait la Terre, c’était la salle de bain. Les baignoires étaient bien trop petites mais l’eau chaude était une des rares choses que nous n’avions jamais réussi à nous procurer sur les Maÿcentres. Avec leurs restrictions d’énergies, Les panneaux solaires nous permettaient d’avoir de l’eau brûlante uniquement en été. Au moment où nous en aurions eu le plus besoin, la piscine des thermes stagnaient pitoyablement aux alentours des trente degrés.

Je laissai l’eau couler remplissant toute la baignoire et y restai jusqu’à avoir le bout des doigts fripés puis, je m’enroulai dans un gros peignoir blanc.

En sortant de la salle de bain, mon cœur fit un bon en sentant l’odeur douce et familière de la cannelle. Orage pensai-je soudain saisie d’une envie irrépressible de me sentir près de lui. Mais il ne pouvait m’atteindre. J’avais pris soin de me tenir éloignée de tous. J’étais encore trop perdue, il fallait que je sache où j’en étais. Pourtant, le parfum subsistait toujours, m’enveloppant, sensation chaude et sucrée. Je souris en comprenant que quelqu’un avait apporté le petit déjeuner et mangeai en premier les petites crêpes à la cannelle afin de ne plus sentir leur parfum. Je me souvenais que c’était des gaufres que j’avais demandées, mais je ne ferais pas d’histoire pour si peu. En plus, je ne savais même plus pourquoi j’avais commandé ça. Je cherchais mon calepin et me rendis compte que je l’avais laissé sur les Maÿcentres. Je le rangeais dans une petite cache dans le plancher près de mon lit. Je me dis que je le récupérerai plus tard avant de penser que je n’y retournerais sans doute plus. Cette idée me fit du mal. Je ne peux pas dire que j’aimais les Maÿcentres, loin de là, mais tout de même, j’aimais la villa et puis, j’avais quelques bons souvenirs. Il y aurait même certaines personnes qui me manqueraient. Luico surtout. Je l’aimais bien. J’aurais voulu pouvoir lui dire au revoir. Je soupirai. Il faudrait que je demande à Orage de me ramener mon calepin et aussi d’offrir quelque chose à Luico avant de partir. J’attrapai un carnet au logo de l’hôtel, sans doute destiné aux correspondances.

J’écrivis le mot Espoir et je soulignai ce nouveau titre :

Espoir : Fils de Brouillard de Taegaïan et de Bonté d’ Azlan.

Voilà à mon avis le couple le plus mal assorti après mon père et ma mère et j’ai du mal à imaginer que ces deux personnes aient pu se rapprocher suffisamment pour faire un enfant. Pourtant, même si jamais je n’ai vu grand-père Brouillard et grand-mère Bonté réunis en un même lieu, la façon dont ils parlaient l’un de l’autre m’a toujours laissé penser qu’un lien très profond les unissait.

Grand-père Brouillard, j’ai l’impression de l’avoir toujours connu vieux, ronchonnant sans cesse, marmonnant inlassablement d’un air froid. Il n’hésitait pas à me prendre sur ses genoux mais disait tout de même qu’une mauvaise herbe croisée à n’importe quelle belle plante ne donnerait jamais de fleur.

On ne voyait pas souvent grand-mère Bonté. D’elle, je n’ai pas beaucoup de souvenirs, sinon d’une impression de chaleur et de douceur ainsi que de son amour sans faille pour le chocolat qui embaumait ses appartements. Elle souriait toujours et semblait danser quand elle marchait.

Mon père Espoir semblait avoir hérité du caractère dur et froid de Brouillard enrobé de la douceur et du sourire de Bonté. Menthe givrée recouverte de chocolat ou Main de fer dans un gant de velours comme on dit ici. Pourtant, de lui, je n’ai connu que le velours et le chocolat. Quand Espoir est mort, c’est mon père qui a disparu mais aussi une partie de moi, ma raison de vivre. A partir de ce jour, c’est dans les deux sens du terme que j’ai perdu tout espoir. Je me suis contentée de me laisser aller, faisant ce qu’on me disait de faire ou faisant le contraire, mais toujours sans but, uniquement guidée par les émotions du moment.

Mes espoirs étaient morts en même temps que mon père.

Tel les vases communiquant, c’est à la mort d’Espoir que ma mère s’est mise à espérer. Espérance d’une vie meilleure, d’amour, de liberté.

Sur certains points, on peut dire qu’elle a réussi mais, je pense que, sans doute, je n’ai pas pu supporter de la voir elle si pleine d’espoir alors que j’avais perdu tous les miens.

Elle m’a dit des choses horribles qui m’ont touchée profondément. Pourtant, jamais je ne pourrais en vouloir à mon père. Pour moi, il n’était que douceur et tendresse, amour et bonté. Mon espoir, c’était lui.

Peut-être serait-il tant aujourd’hui que je trouve un autre espoir, ma propre voie.

Je tournai la page.

Quelles étaient mes espérances ?

Je rejetai les feuilles sur le lit. Quelqu’un vint débarrasser le repas et je lui tendis mes vêtements encore humides pour les faire nettoyer. Il faudra que je trouve de quoi me changer. Ensuite, je passai la journée en peignoir à regarder dehors les gens fuir la pluie. Et eux, qu’espéraient-ils ? Pensais-je encore en me glissant sous les draps.

J’étais épuisée, mais le sommeil me fuyait, comme si les nerfs avaient pris le dessus. Je me sentais seule, toujours seule. Avec une sorte de nostalgie, je repensais à mes dernières soirées sur les Maÿcentres quand, sur le point de m’endormir, Orage venait me trouver dans ma chambre. Il se glissait dans mon lit et se blottissait contre moi sans un mot. Parfois, il restait accroché à lui le léger parfum de vanille de Tempête. Jamais je n’en avais éprouvé la moindre jalousie. Orage, Pluie et Tempête ne pouvaient que s’entendre. Autant Orage pouvait être dur pendant la journée, autant il savait être doux pendant la nuit. J’aimais sa douceur alors que Tempête était la compagne de ses mauvais coups et jamais alors que nous étions tous les deux, il n’aurait pensé à autre chose qu’à moi. Toujours d’une tendresse infinie, quelque chose ressemblant presque à de l’amour. Je me laissais aller proche du sommeil pensant aux doux baisers d’Orage et il fut près de moi, m’enveloppant de sa présence. Ma solitude disparut et je m’endormis rêvant de l’océan rose de Taegaïan, de ses prairies roussies par la chaleur et de l’écorce des canneliers qu’on faisait sécher au soleil.

L’odeur se dissipa peu à peu et je m’éveillai. Il faisait grand jour. La pluie avait fait place à une journée ensoleillée, pourtant, comme souvent, l’idée de me lever me faisait horreur. Ma première impulsion fut de rattraper Orage et de le garder près de moi, mais il avait sa vie et j’avais la mienne. En plus, ce dont je voulais m’occuper ne regardait que moi. J’avais toujours pensé que ma mère se tenait à l’écart des travaux d’Espoir. Pourtant, j’avais acquis l’intime conviction que ça n’avait pas toujours été le cas et qu’elle avait été mêlée à des choses qui dépassaient de loin tout ce que j’avais pu imaginer. Pourtant, en y repensant, c’était évident. On ne pouvait joindre Archuleta si facilement. Si elle avait réussi à faire passer un message dans une base qui met tant en œuvre pour préserver son secret, c’est qu’elle avait été mêlée à bien plus qu’elle ne voulait le faire croire.

Il fallait que j’en sache plus, mais je ne savais pas comment m’y prendre.

Je me remémorai avec quelle facilité, elle avait chassé ma volonté. Si elle avait la possibilité de faire ce genre de chose, d’autres le pouvaient sûrement. Si elle apprenait ça aux hommes des Maÿcentres ?

Sentiment disait avoir découvert que certaines personnes sur Terre possédaient des caractéristiques génétiques Adarii. J’aurais dû lui demander des détails. Apparemment, il ne s’agissait pas uniquement de génétique. Cette situation me dépassait, je n’avais plus les idées claires. Tout aurait été beaucoup plus simple si mon père m’avait parlé de ses recherches. Mais, il était ainsi. Il pouvait disserter pendant des heures sur tous les sujets possibles, mais au fond, de lui, personne ne savait jamais rien.

J’en étais arrivée à cette constatation peu réjouissante tandis que j’atteignais le hall de l’hôtel sans avoir la moindre idée de l’endroit dans lequel je pourrais me rendre.

Un homme à la réception m’interpella pour me rappeler que je n’avais pas laissé de caution. Il risquait de m’embêter avec ses détails et, comme dans sa règle numéro 3, mon père me vantait toujours les mérites de l’honnêteté et du respect du travail de l’autre, je décidai de me rendre à la banque. Au moins, cela me ferait un but. Je n’avais pas vraiment la notion de ce dont j’aurais besoin. Il me faudrait payer l’hôtel, me trouver quelques vêtements, un billet d’avion pour retrouver les autres, de quoi manger. Bref, je demandai cinq mille livres sur le compte qu’Espoir avait ouvert pour Emma dont j’avais pris le numéro même si je n’étais pas sûre que c’était uniquement le respect du travail et l’honnêteté qui avait permis à mon père de l’approvisionner.

A tout hasard, j’en profitai pour demander combien il restait et le préposé au guichet me donna un montant qui m’immunisait de tout ennui éventuel de ce coté.

J’allais faire demi-tour mais une impulsion soudaine me fit revenir en arrière. Ma mère avait dit qu’elle n’était pas comme les autres. Quels autres ? A tout hasard, je demandai à quand dataient les derniers prélèvements sur le compte.

La réponse me vint après quelques minutes de pianotage sur un clavier.

« La semaine dernière, paiement par carte à l’aéroport de Montréal Canada »

La banquière parut suspicieuse devant mon air ahuri, me redemanda une pièce d’identité, et je lui répétai qu’elle pouvait me faire confiance avant de continuer : « Au nom de qui le retrait ?»

- Au nom de la société. Vous savez, sur ce genre de compte, les cartes ne sont pas nominatives.

- Bien sur, évidemment » répondis-je alors que je me perdais de plus en plus. « Et au niveau des papiers, des renouvellements de carte, ils sont bien envoyés à quelqu’un en particulier ? »

Elle me sortit un numéro de boite postale à Monte-Carlo au nom de la société Espoir.

Je passai toute l’après midi à analyser les relevés du compte. La plupart des retraits venaient du Canada et certains de France, des Etats-Unis aussi. Il y avait un peu de tout. Billets d’avion, notes d’hôtel, retraits de liquide, et même un paiement à un magasin appelé Sex and after… Je pensais à écrire à la boite postale de l’entreprise. Je pourrais envoyer un mot en laissant mes coordonnées pour leur demander des informations. Plus encore que le ridicule de la situation, je m’inquiétais de ce que je pourrais trouver. Au fond, je ne savais rien des recherches de mon père. Sur qui pourrais-je tomber ? Je venais d’apprendre que ma mère savait résister aux manipulations mentales ? Les autres le pouvaient-ils ? Cela voudrait dire que je serais sans défense. Qui sait quelles seraient leurs intentions envers moi ? Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais démunie. Je devais en savoir plus et la seule personne à qui je pouvais le demander n’allait sans doute pas m’accueillir chaleureusement.

Tout en reprenant le chemin menant chez ma mère, je pensais que j’aurais dû être beaucoup plus gentille. J’hésitai devant la porte et finis par faire demi-tour lâchement préférant attendre le lendemain pour aller la voir sur son lieu de travail. Au fond, elle aurait plus de mal à faire un scandale là-bas. Sur le retour, j’en profitais pour faire quelques achats : Une longue jupe noire, un pantalon de fine toile, noir également et la vendeuse était d’une humeur si agréable qu’elle réussit à me faire sourire et troquer mon envie de noir pour acheter un débardeur rose dont les fines bretelles d’argents ne conviendraient pas longtemps à la saison mais serait du plus bel effet au Pérou. Je m’arrêtai aussi dans une bijouterie, j’achetai quelques bracelets pour ma cheville et repassai à la banque car il me paraissait maintenant évident que je n’aurais jamais assez de cinq mille livres pour couvrir mes frais. Ensuite, je profitai du beau temps pour me cacher derrières une fine paire de lunettes aux verres aussi bleu que mes yeux, en moins agressif.

Le lendemain matin, je me dirigeai vers la société où travaillait ma mère espérant qu’elle n’ait pas changé d’activité. Je fus rassurée quand la secrétaire à l’entrée se contenta de demander si j’avais rendez vous.

« Bien sur » répondis-je en souriant, « j’ai rendez-vous de suite ». Au moins, jusque-là, c’est plutôt facile pensai-je en frappant à la porte dont la plaque indiquait Emma Diarety : DRH. Je reconnus la voix de ma mère dans la personne me proposant d’entrer aussi je relevai mes lunettes sur la tête et poussai la porte. Je me sentais beaucoup plus calme que lors de notre dernier entretien et presque de bonne humeur mais je compris vite que je n’aurais pas droit aux effusions qui m’avaient accueillie deux jours plus tôt.

« Qu’est-ce que tu veux Pluie ? » Le ton de sa voix était encore plus froid que celui de Sentiment et Glace réunis. Il s’agissait de faire preuve de beaucoup de diplomatie. J’hasardai la manoeuvre du grand sourire que j’avais déjà testée sans succès deux ans plus tôt quand je m’étais essayée au concept : “ avenante et gentille ” et répondis : « Je voudrais qu’on arrête de se disputer. Nous pourrions trouver un terrain d’entente.

Je n’ai qu’une mère » ajoutai-je dans un feint apitoiement que je pensais assez réussi. « Je ne veux pas la perdre.

- Et moi, je n’ai qu’une fille et elle est en train de me mentir effrontément. Dis-moi ce que tu veux ? »

Je voulais savoir si elle disait cela parce que je mentais très mal ou parce qu’elle avait des capacités dépassant encore ce que j’avais imaginé de pire. Pluie, sois diplomate pensai-je encore.

« Je voudrais m’excuser ».

Emma se décida à lâcher l’écran de son ordinateur et tourna son fauteuil vers moi. « T’excuser ?!!

Tu en as des excuses à faire oui. Mais ça prendrait trop de temps. Dis-moi plutôt ce que tu veux vraiment. »

Je n’allais pas y passer la journée. J’avais l’impression de me retrouver ce jour maudit où j’avais dû faire mes excuses à la Main qui jubilait d’une joie mauvaise à me voir m’aplatir devant elle. Rien que d’y penser, une vague de nausée m’envahit. « Je voudrais des informations sur la société Espoir. »

Ma mère ébaucha l’ombre d’un sourire avant de rire franchement « Tu veux dire qu’à force de garder ses petits secrets, Espoir a fini par les emporter dans sa tombe ? Voyons, que ferait-il l’homme que tu admirais tant face à une telle question ?

Ha oui, il se demanderait ce que ça lui rapporterait de parler. Réflexion, quel intérêt aurais-je à te le dire ? Réponse : Aucun. Au revoir Pluie. » Elle se retourna et se remit à taper sur son clavier comme si j’étais déjà partie

« On pourrait prendre ça vers un premier pas vers la réconciliation » Je sentais mon sourire crispé, décidément, ce n’était pas mon fort.

« Une sorte de troc : des informations contre un peu de considération. Je réfléchis. C’est non. »

Je cessais de m’évertuer à sourire. De toute façon, je n’y arrivais pas « Maman, je pourrais te pourrir la vie, te faire renvoyer, n’importe quoi.

- Chantage, de mieux en mieux. Tu es bien la fille de ton père en effet ».

Elle se leva et, passant devant moi sans un regard, ouvrit la porte et me désigna la sortie « Quand on est tombé dans l’eau, la pluie ne fait plus peur. »

Je m’approchais de la sortie mais au dernier moment, je pris le parti de refermer la porte. Je n’allais pas partir ainsi. Il devait exister un moyen pour rattraper le coup. Il y en a toujours « Maman, ne pouvons-nous pas discuter ?

- D’accord, discutons. Tu m’as dit que Glace avait réussi à prendre la place à Archuleta. Je suppose que ses abrutis ont accepté car ils avaient besoins de communications rapides et que les liaisons télépathiques sont les seules qui ne soient pas soumises aux temps et à la distance. »

J’acquiesçai méfiante. Où voulait-elle en venir ?

« Qui fait la liaison sur les Maÿcentres ? » reprit-elle « Calme Azlan ? »

C’est vrai que ma mère le connaissait celui-là. Le père de Sentiment était venu voir mon père juste avant son départ.

« Décédé en même temps qu’Espoir. Au cas où tu l’aurais oublié, ils étaient partis ensemble : Espoir, Calme et Tendresse. » Ce n’était pas du tout de cela que je voulais discuter, mais au moins c’était déjà un pas vers la communication.

Elle fit une moue de dédain « Tendresse ! En voila bien une qui portait mal son nom. Les Adarii ne savent même pas ce que c’est. De toute façon, Je vois mal Glace partager Archuleta, vu la mentalité des Adarii, il a dû garder ça pour Taegaïan. Qui a daigné porter le moindre intérêt à ce qu’il pouvait se passer hors de son nombril ? A moins qu’il se serve de toi pour ce sale boulot ? Mais vu ton sens innée de la diplomatie, si c’était le cas il y aurait longtemps que les Maÿcentres vous auraient tous renvoyés dans l’enfer dont cette race doit être issue ».

Je n’avais aucune envie de parler de ma participation là-dedans. En ce moment, je n’en étais pas fière. « C’est Orage .

- Glace et Orage ? Le petit Orage ! » Après un instant de surprise, Emma se prit d’un rire hystérique des plus malvenus. « Toute la diplomatie entre les mains de deux gamins totalement irresponsables. Et dire que tu as peur de ce que je pourrais raconter ! Tu ferais mieux de craindre ce qu’ils feront là-bas. Ils vont se détruire tout seul. Ce ne sont que des gosses. Des gosses prétentieux et imbus d’eux-mêmes. Et toi, pareil. Vous vous pavanez à cause de vos tours de sorciers et parce que vous inspirez la crainte autour de vous, mais bientôt vous tomberez sur plus fort que vous, et là, vous allez vous en prendre plein la tête, parce que personne ne sera là pour vous aider. Vous serez tout seul. A dénigrer le monde entier, personne ne vous supportera plus et ce n’est pas la poignée d’Adarii de Plume qui pourra rivaliser avec le reste de l’univers.

Bientôt, il ne restera que des cendres de la puissance Adarii et dans pas longtemps si tu veux mon avis. A ce moment là, je regretterai sans doute de ne pas voir ça. »

Je ne disais rien, mais ses paroles me déchiraient le cœur comme autant de petits poignards. C’était beaucoup trop réaliste à mon goût. J’aurais voulu pouvoir fermer mes oreilles, la faire taire, mais je restai là, bêtement, à l’écouter me narrer la destruction de tout ce qui était cher à mon cœur.

« Vu ta tête, je suppose que je suis encore plus près de la vérité que je ne l’imaginais. » Et cela la fit sourire.

« Sors d’ici Pluie et, si tu t’avises de jouer un mauvais coup, tu apprendras ce que tu veux savoir de la bouche du général Gentry en personne. »

Parce qu’en plus, elle connaissait même le nom du responsable d’Archuleta. D’où avait-elle appris tout ça !? Bon, il ne me restait plus qu’à écrire à la boite postale. Le tout était de savoir quoi écrire.

Et puis, Qu’est-ce que j’en avais à faire au fond ? Je venais d’être rejetée par ma propre mère et je devais bien admettre qu’elle avait toutes les raisons de le faire. Avant cela, je m’étais faite renvoyer des Maÿcentres. Il était peut-être temps de grandir un peu. J’avais toujours considéré ma mère comme une moins que rien, mais elle avait raison de bout en bout. Tout ce qui arrivait était notre faute. La nuit était tombée et, à chaque pas que je faisais, je me sentais plus mal. Je ne pouvais pas dire que c’était la culpabilité qui me rongeait. Plutôt la lassitude. Je n’avais rien à faire ici. Je respirais profondément l’air humide, mélange de gaz carbonique et de goudron. Ce n’était pas chez moi ça.

De retour à l’hôtel, Je restai un bon moment le stylo suspendu au dessus de ma page blanche. Je n’arrivais pas à me concentrer. Trop de choses s’étaient passées. Quand enfin, je me décidai à écrire, ce fut pour noter le mot fin dans la calligraphie de mon enfance puis, je soulignai ce nouveau titre.

J’avais perdu ma mère aujourd’hui. Je l’avais perdue parce que je n’avais pas su l’aimer. Mais qu’est-ce que l’amour ? Pour moi, c’était des cités de pierres blanches et des déserts de cotons roses. Mélange de la chaleur du soleil et de fraîcheur de la mer. L’amour, c’était des montagnes abruptes, un paysage aride qu’on avait su façonner sans abîmer. C’était mon premier baiser volé avec Ambre adossé contre les remparts de Taé, c’était les chants des paysans durant la moisson, les fêtes improvisées au bord de l’eau, les escalades sur les remparts surplombant l’océan. L’amour, c’était mon père qui nous emmenait Glace et moi, le soir venu, sur le sommet des falaises. De là, l’océan rose s’embrassait soudain d’orange et de pourpre sous les feux du soleil couchant. Il se retournait ensuite vers la cité dont les pierres blanches prenaient à cette heure une teinte entre le rose et le doré. Il étendait ses bras et disait que la cité n’était pas à nous mais que nous étions à elle. « Préservez-là et elle vous protégera ». Tous les jours, il nous répétait ces mots.

Qu’avions-nous fait pour elle ? Glace était parti à Archuleta. Moi, je perdais mon temps ici. Même si ça m’arrachait le cœur de l’avouer, il n’y avait que Prestance qui ait pris soin de Taegaïan. Je n’avais jamais eu beaucoup d’amitié pour ma sœur, peste prétentieuse trop parfaite toujours prête à me rabaisser. Mais il fallait admettre qu’elle était la seule à faire vraiment son devoir. Pourtant, moi aussi, c’était ça que je voulais préserver, c’était mon passé, c’était mon futur, c’était mon espoir.

« C’était Taegaïan et c’était mon espoir. » Je me répétais cela. C’était si évident.

Face à cela, quelle importance pouvait avoir les découvertes d’Espoir ou d’hypothétiques cités antiques ? Depuis sept ans, j’étais en exil. Maintenant, il n’était plus temps de se battre pour rien. La seule chose que je désirais c’était rentrer chez moi et je mettrais tout en œuvre pour y parvenir. J’irais voir Prestance et je me mettrais au service de Taegaïan. Mon père était quelqu’un de bien. Je n’avais pas envie de connaître des informations que risqueraient de mettre en doute cette affirmation.

Arrivée à cette conclusion, je pus enfin m’endormir calmement et rêver de cités blanches, de vergers couverts de fruits et de baiser à la cannelle.

***

Une sonnerie stridente, me réveilla. Ce n’était pas tout à fait vrai. Je ne dormais plus depuis un bon moment, mais ce n’était pas une raison pour avoir envie d’être dérangée. Il fallut que le son désagréable se répète plusieurs fois pour que je comprenne qu’il s’agissait du téléphone. Je pris l’écouteur et une voix m’informa qu’un certain Max cherchait à me joindre. « Je connais pas » répondis-je.

« Il dit que c’est important. »

Il fallait que je sois encore bien endormie pour accepter de parler à n’importe qui ainsi.

« A qui ai-je l’honneur ? » me dit la voix à l’autre bout du fil.

Il se moquait de moi, c’était lui qui appelait. « A votre avis ?

- Je sais que vous êtes inscrite à l’hôtel sous le nom de Val Diarety, que vous avez retiré de l’argent sous celui d’Emma Diarety mais, l’un comme l’autre, j’ai des doutes. Non, je rectifie. En ce qui concerne Emma, elle vient de me raccrocher au nez de chez elle. »

C’était trop beau. Voila que la personne que je cherchais me tombait dessus. Non, je la cherchais avant. Maintenant, je ne voulais pas m’engager dans quoi que ce soit qui risquait de retarder mes projets. Ces histoires ne me concernaient plus. Pourtant, je ne pus m’empêcher de demander « Qui êtes-vous ?

- Max

- Max comment ?

- Je ne dis pas mon nom à n’importe qui. Dites-moi d’abord qui vous êtes ? »

En voila un discours passionnant. Mais, j’avais un sérieux avantage sur lui. Moi, qui il était, au fond, ça m’était égal. « Je ne suis pas n’importe qui. Au revoir »

J’aurais dû raccrocher mais ma curiosité maladive m’obligea à écouter la réponse. « Vous avez utilisé mon compte bancaire »

Son compte, rien que ça, « ce n’est pas votre compte ! Cet argent ne vous appartient pas et j’aimerais bien savoir à quoi vous le dépensez ?

- Je dois vous rencontrer.

- Non »

Là, je raccrochai. Bien sur, environ une minute plus tard, j’étais rongée par le remord. J’étais sur le point d’apprendre tout ce que je voulais savoir sans lever le petit doigt, peut-être des choses importantes et j’avais tout gâché. « Pluie, encore une fois, tu brilles d’une diplomatie exemplaire » dis-je tout haut face au miroir. Je passai la matinée à attendre qu’il se décide à rappeler, en vain. De toute façon, c’était mieux ainsi, ça ne m’aurait apporté que des ennuis. L’après-midi, je fis encore quelques achats, ce qui était inutile puisque j’allais m’en aller au plus vite. Je passai un pantalon de cuir beige qui s’ajustait parfaitement à ma taille fine et un haut de lin découvrant les épaules, le temps ayant l’air de virer au beau tout comme mon humeur. Le soir, je descendis au restaurant de l’hôtel, et pris ma table habituelle, près de la fenêtre pour voir passer les gens et dos à la salle pour qu’on ne s’intéresse pas à moi.

« Cette place est libre ? »

Je me tournai pour voir celui qui était en train de m’importuner. Cinquantaine, costume impeccable, plutôt mince, banal, sans intérêt. « Non »

Je n’avais pas dû être assez claire car il s’assit tout de même en face de moi.

Je le regardai fixement espérant que cela suffise à lui donner envie de changer d’air mais il se contenta de baisser les yeux ressentant à peine un léger malaise. Je devinais assez facilement qui il pouvait être.

Je ne savais pas si je devais être contrariée ou heureuse de ce contretemps mais, puisqu’il était là, ça ne me coûterait pas beaucoup d’en apprendre un peu plus. Pour une fois au moins, je saurais quelque chose avant les autres.

« Bon, Max, vous vouliez me rencontrer. Je peux savoir pourquoi ?

- Je vous l’ai dit. Je voulais savoir qui se permettait de piocher ainsi sur le compte de la société Espoir. Comme vous n’avez pas daigné me répondre, j’ai pris l’avion et me voila.

Et le voila, comme si c’était si simple. Je me penchais sur mon assiette et me concentrai sur mon repas comme si ça pouvait me faire oublier la personne en face de moi. C’était fade. Tout était fade pensai-je en regardant par la fenêtre. Le temps si beau, quelques minutes encore auparavant, s’était couvert et la pluie s’était remise à tomber. « Et qu’est-ce qui vous fait penser que je serais disposée à en dire plus maintenant ?

- Vous n’avez pas besoin de me le dire. Votre nom est tatoué dans votre dos et ce n’est pas Diarety ».

Par réflexe, je cherchai à regarder derrière mon épaule comme si je pouvais voir le dessin. C’était mon père qui m’avait tatoué l’idéogramme utilisé pour écrire Taegaïan dans la langue Adarii. C’était un dessin très complexe avec de nombreuses courbes et, petite fille, j’avais passé pas mal de temps avant d’arriver à le reproduire.

Ma mère avait été furieuse quand elle avait vu ça sur ma peau. Elle disait que mon père me marquait comme du bétail qu’il voulait s’approprier. Moi, je débordais de fierté.

Quoiqu’il en soit, ce n’était pas le genre de chose très connu par ici.

« D’où tenez-vous ce genre d’information ?

- Je l’ai vu sur certains documents. Je sais que les Taegaïan s’en servent comme signature. Un temps je m’étais évertué à le reproduire sans jamais y arriver, et puis on m’a dit que…

- Que vous n’aviez pas le droit de le reproduire ». Finis-je. Il espérait sans doute que je m’étonne d’avantage. J’aurais dû sans doute, mais au fond, ça n’avait plus d’importance. Mon père était mort et connaître ses activités ne me le rendrait pas. Pouvait-il comprendre que c’était fini tout ça ? Que j’étais las d’être traînée d’un endroit à l’autre. Pourtant, quand j’ouvris la bouche, ce fut pour demander : « Comment connaissez-vous tout ça ?

- J’essaie de me tenir au courant mais malheureusement, ces derniers temps, les informations se font rares. »

Depuis le début de l’entretien, il n’avait pas jeté un regard sur moi. Il se méfiait, sans aucun doute. Si, comme ma mère, il avait une volonté suffisamment forte pour nous résister, il n’hésiterait pas à me regarder. Ca me redonna un peu de courage.

« Je suppose que vous êtes sa fille ? » dit-il

« La fille de qui ?

- La fille d’Espoir. Vous avez ses yeux. Trop jeune pour Prestance donc, j’ai le grand honneur de dîner en compagnie de Pluie Taegaïan.

Bonne déduction ? »

Je reconnus dans ses paroles les mêmes simplifications que les Maÿcentres utilisaient en prenant le nom du lieu d’appartenance comme nom de famille. Ca ne me choquait pas, j’avais l’habitude mais je me demandais ce que mon père lui avait expliqué exactement. A son air confiant et sûr de lui, il croyait tout savoir mais j’en doutais.

« Et Pluie Taegaïan n’a pas pour habitude de dîner avec des inconnus.

- Vous pouvez m’appelez Max ou Maxim, mais si vous avez vraiment envie de savoir ce qui est écrit sur ma carte d’identité, c’est Maximilien d’Altière ce qui, je suppose, ne vous apprends rien de plus. Où est-il ?»

La promptitude avec laquelle il était passé des présentations à la question me décontenança « Qui ?

- Votre père

- Il est mort il y a déjà cinq ans.

- Ho » Un instant l’homme resta les yeux dans le vague comme hypnotisé. Le choc avait cassé ses protections et je ressentis sa tristesse. Il était capable de dissimuler au moins en partie ses émotions.

« C’est impoli de faire partager ses émotions négatives.

- désolé »

J’aurais voulu qu’il en profite pour m’en dire un peu plus sur ses capacités mais il se contenta d’appeler le serveur et commanda une bouteille de vin. « Je crois que je vais en avoir besoin.

Quand je n’ai plus eu de nouvelles, j’avais songé à cette éventualité mais je l’ai toujours écartée. Qu’est-il arrivé ?

- Un accident. Maintenant, tu as posé assez de questions. Puisque tu es là, tu vas me dire ce que tu faisais avec lui. »

Je ne tenais pas à le savoir, mais il aurait été stupide qu’il parte ainsi.

« Quand J’ai rencontré votre père, j’étais encore étudiant. Ca remonte à une bonne vingtaine d’année. Je préparais un doctorat d’astrophysique et je m’étais passionné d’ufologie. Espoir m’a littéralement appâté. Il a commencé par m’envoyer quelques courriers. C’était toujours des lettres écrites à la machine et signées Taegaïan avec dessous le pictogramme que vous avez sur l’épaule ajouté à la main. Ces lettres évoquaient quelques théories sur lesquels je travaillais avec des éléments nouveaux tout à fait révolutionnaires en particulier au niveau des systèmes de propulsion et des théories sur les courbures de l’espace. J’ai très vite compris que je n’avais pas à faire à quelqu’un d’ordinaire. J’ai reçu plusieurs lettres ainsi durant quelques mois puis, il m’a proposé de le rencontrer et il m’a imposé un marché. Il m’en disait plus mais, en échange, je travaillais pour lui.

- Quel genre de travail ?

- Je me suis spécialisé en désinformation. »

Je compris mieux d’un coup et commençai à me détendre.

D’accord, tu es de ceux qui racontent que l’on découpe du bétail en petit morceau ou qu’il y a des expériences louches sur des fœtus humains.

- Ha non, je ne me permettrais pas. Non, ses histoires de bétail viennent d’Archuleta. Ils se figurent que ce genre de rumeurs peut éloigner les curieux. Je ne suis pas du tout d’accord avec ce genre de raisonnement… » Il avait baissé la voix à un tel niveau que je fus obligée de me pencher vers lui pour entendre la fin de son discours.

« Donc, tu ne travailles pas pour Archuleta ?

- Non, je vous l’ai dit, je travaillais uniquement pour votre père. Il n’aimait pas ce qui se passait là-bas, il pensait que ça ne mènerait jamais à rien et qu’ils s’enlisaient dans leur complot. Il évoquait Archuleta comme un îlot sans surveillance que la pression ne tarderait pas à faire exploser »

Je pensais qu’il n’avait pas tout à fait tort « Mais tu étais aussi dans la création de rumeur ?

- Oui, disons que, quand il y a des histoires d’ovni quelque part, je m’arrange pour les amplifier à un point que ça en devient ridicule et que plus personne n’y croit. Je trouve des témoignages contradictoires ou des éléments illogiques et d’un autre coté, je banalise l’information. Votre père souhaitait que les phénomènes étranges soient tellement banalisés que, lorsque quelqu’un verrait un vaisseau se poser dans le jardin de son voisin, il se contente de penser : “ceux-là, ils font des trucs pas clair”.

- Ce n’est pas prêt d’arriver.

- Sauf votre respect, vous n’imaginez pas le nombre de gens qui, s’ils voient un ovni par leur fenêtre, préfèrent se tourner et regarder le mur.

- Et c’est comme ça que tu t’es retrouvé à faire de la désinformation. Pas très glorieux pour un ufologue.

- J’admets mais c’était le prix du savoir, et vu ce que j’ai appris depuis, ça ne me paraît pas cher payé. Mon ambition a toujours été la connaissance. Je voulais toucher la vérité. Après, ma foi, que les autres n’en profitent pas, je peux m’y résigner. En plus, en contrepartie, mes recherches en astrophysique ont fait un bon de géant. »

Oui, c’était bien le style de mon père. Il restait à savoir pourquoi il faisait ça car je ne voyais pas l’intérêt qu’il aurait à travailler sur la désinformation s’il n’avait pas quelque chose à cacher.

« Est-ce que tu travaillais seul ?

- Non, à l’origine, nous étions six, mais je pense que les autres n’ont jamais vraiment su qui était Espoir. Sauf Emma.

- Parle-moi d’elle ? »

Il me regarda en souriant. « Vous disiez vous appeler Diarety, vous devriez la connaître !! »

Donc, lui-même ne savait qu’une partie des expériences d’Espoir. Ce n’était pas moi qui lui révèlerait la suite. « Contente-toi de répondre.

- Emma. Voyons, je ne sais que peu de chose à son sujet. Elle était très jeune quand je l’ai rencontrée. Elle faisait partie d’un autre projet dont Espoir ne voulait pas me parler. Il faisait des recherches sur certains surdoués. C’est comme ça qu’il est venu à ramener Emma. C’était une très jeune fille, très jolie mais un peu dérangée. Non, mal adaptée plutôt, elle était très douée, avait une intelligence hors du commun mais était incapable d’avoir de bons rapports avec les autres. Je pense qu’elle n’avait pas eu de chance dans la vie. Ses parents adoptifs n’avaient jamais su comment se débrouiller avec une enfant surdouée. Elle gâchait ses potentiels, ça ne faisait aucun doute. Je ne sais pas pourquoi votre père s’occupait d’elle. En tout cas, sûrement pas par charité.

J’ai perdu tout contact avec elle quand Espoir est parti. Je l’ai retrouvé il y a environ quatre ans. Je ne sais pas pourquoi elle était venue s’enterrer ici. Elle a refusé d’en discuter. Elle m’a juste dit qu’elle ne voulait plus entendre parler de ses histoires et que si j’avais la moindre moralité, je ferais bien d’en faire autant.

Je ne suis pas d’accord avec elle. Je ne dirais pas qu’Espoir, n’avait aucune morale, juste qu’elle était différente. »

D’un simple regard, je lui fis comprendre que je n’étais pas là pour entendre ses conceptions philosophiques. J’en avais appris suffisamment pour cerner que, quand les gens d’ici ou des Maÿcentres parlaient de moralités, ce n’était jamais pour dire du bien de nous.

« Oui, donc Espoir, je l’ai revu il y a neuf ans mais il n’est resté que quelque mois. Il s’intéressait encore plus aux surdoués enfin à certains du moins mais comme je vous ai dit, il me tenait peu informé de ce projet. Je pense que c’est Hélène qui devait s’en occuper à l’époque.

- Hélène ?

Oui, c’était une autre recrue d’Espoir mais je la voyais peu. Ensuite, il est revenu en France il y a sept ans et il a commencé par recruter deux autres jeunes. Mike puis Thibault.

Mike avait son père haut placé dans le milieu militaire et il espérait le faire entrer à Archuleta mais, que je sache, Il a disparu avant de pouvoir mettre ce plan à exécution et je l’ai perdu de vue. Thibault était de loin le plus doué. Le plus jeune aussi. Quand j’ai fait sa connaissance, il avait seize ans et préparait une licence en thermodynamique. Depuis, je sais qu’il a passé un doctorat d’archéologie et s’est spécialisé dans les cultures précolombiennes. Il a aussi étudié les langues anciennes et mené quelques expéditions, le tout en travaillant parallèlement au niveau des énergies solaires.

- Civilisations précolombiennes ? Pourquoi ? » J’avais touché le gros lot.

« Aucune idée. Votre père avait tendance à garder pour lui ses petits secrets et nous n’avions pas intérêt à lui poser des questions sur les sujets dont il ne voulait pas parler. Sauf Thibault. Il se permettait beaucoup plus de choses et je pense qu’Espoir l’avait pris en affection pour supporter son caractère disons, un peu spécial.

- Et qu’a-t-il découvert ce petit génie ?

- Je ne sais pas. Aux dernières nouvelles, il travaillait au Canada pour un laboratoire de recherche sur les énergies non polluantes mais j’ai vu qu’il avait fait un retrait pour un billet d’avion. Il est d’origine française. Il est peut-être revenu en France mais, je n’ai pas eu le temps de vérifier. Je suis souvent obligé de le surveiller. Il a tendance à utiliser le compte de la société pour des motifs personnels. »

Donc, les retraits du Canada, c’était lui pensais-je

« Bien, tu me mettras en relation avec ce Thibault. En ce qui me concerne, ses recherches ne m’intéressent nullement mais je connais quelques personnes qui voudront en savoir plus. »

Max parut hésiter. « Je ne sais pas si je peux. Peut-être votre père avait-il des raisons de vous tenir éloignée de ses projets ? Après tout, je travaillais pour lui. C’était sa société et j’en suis le gérant. »

Pour une fois, j’avais trouvé quelqu’un encore plus mauvais que moi pour les négociations. D’abord, il me disait tout et ensuite seulement il se demandait s’il n’aurait pas dû se taire.

« Pour quelqu’un qui ne veux pas parler, tu en as beaucoup dit. Tu diras à ce Thibault de nous rejoindre au Pérou dans une semaine avec les informations qu’il a pu accumuler. Je lui laissai l’adresse de l’hôtel où étaient descendue Sentiment et Tempête et quittai la table en précisant que maintenant le patron, c’était moi. J’en avais suffisamment entendu.


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