lundi 26 novembre 2007

Résumé

Pluie, alias Val est une jeune fille associale et aigrie écrasée par un égo démesuré (un portrait cruel pour un de mes personnages préférés). Elle déteste le monde dans lequel elle vit (le nôtre) et en cela, elle a de la chance puisque ce n'est pas le sien. Elle va donc réussir à le quitter, quitte à contrecarrer les projets prévus pour elle, avec l'aide d'autres personnages aux caractères trempés eux-aussi.
Si dans la plupart des oeuvres de fiction, nous retrouvons le thème : grand pouvoir=grande responsabilité, dans Pluie nous voyons le résultat quand grand pouvoir=je me fiche des conséquences et ne m'occupe que de moi. Et ça se passe mal pour mon plus grand plaisir.

Mélange de science fiction et de magie, Pluie puise son inspiration dans une multitude de mystères tel que l'étrange cité de Tihuanaco sur les bords du lac de Titicaca, les théories du complot extraterrestre, les mythes de l'Atlantide et des Terres de Mu, puis les mythologies Sumérienne pour les volumes suivants.

Partie 1 : Chapitre 14

14

"C'est de l'intérieur de soi que vient la défaite. Dans le monde extérieur il n'y a pas de défaite. La nature, le ciel, la nuit, la pluie, les vents ne sont qu'un long triomphe aveugle."

Pascal Quignard


« Orage »

Etait-ce un cri ? Non, un coup de tonnerre. Une Tempête dévastait la paisible falaise surplombant l’océan rose, doux refuge de mes rêves. Je sentis une main douce et chaude m’attirer dans un cocon de bien-être, une odeur douce, sucrée et légèrement épicée.

La porte s’ouvrit entraînant avec elle un flot de lumière, J’ouvris les yeux et les refermai aussitôt.

« Orage » Là, c’était sur, c’était bien un cri. Toute cette lumière, c’était trop. Et dire qu’à peine trois mois plus tôt, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’il fasse jour à des heures normales.

Je n’avais pas le courage d’ouvrir la bouche. Ce n’était pas des façons de réveiller les gens. Je reconnus Tempête par son parfum de vanille et étouffai un bâillement tandis qu’un flot de parole envahissait ma chambre.

Orage émergea difficilement. En général, il valait mieux éviter de le réveiller si on ne voulait pas l’entendre crier toute la journée. « Ca ne t’est pas venu à l’esprit que je pourrais simplement dormir ? » dit-il, sans doute en réponse au discours de Tempête.

Cette dernière haussa les épaules. « Bien sur que si » dit-elle « d’ailleurs, vu que tu ne répondais pas, j’ai commencé par te chercher dans ta chambre et j’ai vu que tu n’y étais pas. Alors Sentiment m’a dit d’arrêter de gesticuler inutilement. Je lui ai dit que j’avais besoin de te joindre. Elle m’a dit que tu devais dormir, je lui ai dit que tu n’étais pas dans ta chambre. Alors elle m’a regardé en murmurant quelque chose entre ses dents. “pathétique” je crois. Puis, elle m’a dit que tu n’étais pas non plus dans la sienne et que tu n’y serais jamais.

- Même si elle venait me supplier à genoux » confirma Orage en se serrant plus fort contre moi m’enivrant de sa présence.

« Je le sais bien. D’ailleurs, c’est ce que j’ai dit. Alors, elle m’a dit d’une voix de demeurée : “Dans ce cas, tu n’as qu’à procéder calmement par élimination. S’il ne dort pas dans sa chambre, ni dans la mienne, ni dans la tienne, c’est qu’il est avec Pluie.”

En fait, elle n’a pas eu le temps de finir sa phrase. J’avais compris avant » Je commençais à la connaître suffisamment pour savoir que, quand elle jouait le rôle de la petite idiote, il fallait s’attendre au pire. Mais, je ne posai pas de question. Je tirai le drap au dessus de ma tête essayant vainement de me débarrasser de toute cette lumière. Si Tempête pouvait se taire aussi, ça m’arrangerait. Elle fit semblant de ne pas avoir perçu cette dernière pensée et reprit de plus belle : « Tu ne devrais pas dormir avec Orage, il est dangereux.

- C’est pour me montrer à quel point ton sens des déductions est développé, que tu es venu nous réveiller ou pour dire du mal de moi ? »

Tempête haussa les épaules « Jamais je ne dirais du mal de toi, je t’aime trop. Il paraît que le premier conseiller Sinshy aurait une piste à propos de l’agression d’Eysky. » Elle était passé si vite d’un sujet à l’autre que mon esprit embué de sommeil eut du mal à cerner la suite de ses propos. Orage comprit plus vite que moi « C’est ça oui, ce ne serait que la vingt-troisième pistes qu’ils suivent.

- Oui, mais là, il aurait envoyé une bonne partie de sa garde personnelle fouiller les villes souterraines. C’est Plumeau qui me l’a dit. Elle l’a appris de…

- Peu importe. » coupa Orage « Tu commences à m’intéresser.

- Sinon, une autre bonne partie des forces a été mobilisée pour garder les funiculaires afin de surveiller les allées et venues sur le plateau et puis, bien sur, pour garder la villa Adarii pour la réception de ce soir. »

Le silence emplit soudain la pièce et je compris qu’ils continuaient à parler mentalement prenant bien soin de m’exclure de leur conversation.

Je pris sur moi de ne rien demander sachant que de toute façon, ils ne me diraient rien, comme d’habitude, et cherchai vainement à retrouver le sommeil.

Orage me lâcha d’un coup et enfila à une vitesse que je n’imaginai pas possible, une tunique de soie noire rebrodé d’un lézard à l’air presque aussi féroce que lui. « On y va » dit-il en prenant la main de Tempête « Pluie, occupe-toi de préparer la réception de ce soir. Nous, nous avons des choses à faire ».

La violence de son départ me réveilla tout à fait « Ca ne va pas non. Je veux savoir ce qu’il se passe ? »

- Il ne vaut mieux pas me dit Orage tendrement avant de me rejeter violemment de ses pensées.

Un jour, il faudra absolument que je trouve quelque chose, n’importe quoi, à leur cacher. Je passai toute la matinée à fulminer. En plus, ils me laissaient juste le jour où il y avait un travail fou. Comment pourrais-je tout préparer toute seule ? Je n’y connaissais rien en réception. Je passais toute la matinée à tenter de résoudre des problèmes de cuisine avec Fleur, ou de décoration avec Aiguille, mais au fond, ils s’y connaissaient mieux que moi et la tension qu’ils dégageaient était insupportable. Si au moins ceux de Saphir étaient restés, ils auraient pu m’aider. Seulement, jamais ils n’auraient acceptés de participer à cela. Ho non, ils étaient bien trop fiers pour côtoyer les hommes des Maÿcentres. C’était bon pour la petite colonie de Plume ça. N’empêche qu’ils nous avaient laissé de beaux cadeaux pensai-je caressant la petite perle de nacre sur mon nombril. La délégation d’Archuleta était partie elle aussi. Nous avions ensuite eu droit aux interrogatoires incessants d’Eysky concernant Saphir. Le ton était monté des deux cotés et nous en étions restés là. Orage avait promis au président une réception grandiose pour flatter l’ego et la curiosité de la haute société des Vengeance-Maÿcentres ce qui avait mis Eysky de bonne humeur même s’il avait gardé ses soupçons et, trois mois après, la situation était toujours aussi tendue.

Vers la fin de matinée, je croisai Sentiment qui descendait tranquillement l’escalier et passait devant moi sans un regard.

Maintenant, c’était suffisant « Tu vas me dire ce qu’il se passe » Ce n’était pas une question mais un ordre

Elle me regarda éberluée. « Pour qui te prends-tu à m’agresser ainsi ? »

Du haut de mon mètre soixante, elle n’avait pas de mal à me toiser de haut, pourtant je ne me laissai pas faire. « Je me prends pour l’Adarii Pluie de la principale cité de Taegaïan. Et toi ?

- La gamine se rebelle. Bon, que veux-tu savoir encore ? »

Elle me prenait pour une idiote ou quoi « Je veux savoir, ce que vous êtes partis faire ce matin. Et d’ailleurs, où sont Tempête et Orage ?

- De quoi parles-tu ? J’ai passé la matinée chez moi.

Je n’avais pas pensée une seule seconde qu’elle puisse ne pas être dans le coup. D’habitude, il n’y avait que moi qui n’étais au courant de rien. Découvrir que, pour une fois, Sentiment en savait encore moins me mit en joie.

Je lui expliquai ce qu’avait dit Tempête et comment Orage s’était précipité pour partir avec elle.

Sentiment devint blême et s’écria : « les imbéciles ! Il faut les retrouver. J’y vais. Toi, tu t’occupes de la réception. »

Elle détala avant même que je puisse faire la moindre remarque et je restai les bras ballants, seule, au bas de l’escalier. Je ne savais rien de plus et je réalisais en plus que Sentiment avait passé la matinée à se prélasser plutôt que de m’aider.

Je passai tout le reste de la journée dans une humeur encore plus massacrante tout en essayant le mieux possible de gérer toutes les demandes des domestiques pour la réception. Je tentai vainement de les pousser à se débrouiller pour le plus de choses possibles mais il fallait toujours qu’ils viennent se référer à moi à chaque fois que quelque chose n’allait pas, comme si j’étais omnisciente.

Glace profita du pire moment, tandis que j’étais empêtrée entre je ne sais quelle plat qui avait brûlé, et des histoires de bougies qui étaient perdues.

- Ce n’est pas le moment Glace.

Mais sans qu’il en dise d’avantage, je compris que c’était important et je montai m’installer au calme.

- Il faut que tu parles à Emma.

Je n’y étais pas du tout, de quoi parlait-il encore ?

- Comment ça Emma ?

- Ta mère.

Qu’est-ce qu’il venait me parler de ma mère celui-la ? C’était bien le moment.

- Elle est en train de nous concocter un scandale et a réussi à faire parvenir des menaces comme quoi, si tu n’allais pas la voir, elle révèlerait à Archuleta certaines choses qu’ils n’ont absolument pas besoin de savoir. Je pense qu’elle imagine qu’on te séquestre

Qu’est ce que sa cervelle bizarre avait encore concocté ?

J’essayais de plaisanter. J’avais des affaires bien plus urgentes à régler - Désolé, mais là ça me parait difficile. Tu n’as qu’à te débrouiller pour me l’amener et je lui parlerai. Mais pas aujourd’hui.

- Tu t’arranges comme tu veux, mais tu devras faire un aller-retour sur Terre discrètement et régler cette histoire avant qu’elle ne dévoile de quoi me faire renvoyer.

- Non, la Terre, j’ai donné. Arrange-toi pour lui faire parvenir ce message de ma part : « qu’elle aille se faire voir »

J’envoyai Glace le plus loin possible de moi. Je savais que je ne m’en tirerais pas à si bon compte, mais là, j’avais d’autres priorités.

Les premiers invités étaient arrivés et j’étais encore seule pour m’occuper de tout.

« Adarii Pluie » Plumeau était de plus en plus gênée à chaque fois qu’elle venait me demander conseil et ça devait bien être la dixième fois et cela uniquement durant la dernière heure « Tu es sûre que c’est quelque chose que tu ne peux pas régler par toi-même ?

- J’ai bien peur que non » dit-elle terrifiée. « Le président est arrivé ».

Jusque là, c’était normal, il était invité.

Plumeau continua « Il a demandé à parler aux Adarii Maniya et Azlan comme il les appelle. Il est furieux » précisa-t-elle « Quand je lui ai dit qu’elles étaient absentes, il s’est mis en rage et m’a ordonné de lui ramener n’importe qui de votre race. C’est lui qui l’a dit » précisa-t-elle comme pour se justifier. « Je l’ai fait entrer dans la bibliothèque. »

Il ne manquait plus que ça. Et en plus, je n’avais aucune idée de ce qu’elles faisaient ou avaient fait plutôt. « Plumeau. Je ne suis pas naïve, je sais bien que tu passes ton temps à écouter aux portes. Dis-moi vite, As-tu la moindre idée de ce que manigancent Tempête et Orage ?

- Non, aucune idée. Je les ai juste vu partir ce matin avec précipitation. De toute façon, ils ne complotent jamais en parole et savent toujours quand je suis derrière la porte » marmonna-t-elle

Il aurait fallu que je la plaigne sans doute.

J’aurais dû interroger les autres domestiques à ce sujet mais maintenant, je n’avais plus le temps.

J’essayai encore de contacter quelqu’un, n’importe qui.

- On arrive Tempête avait coupé le contact aussi vite, mais au moins, c’était déjà ça. Il ne me restait plus qu’à gagner le plus de temps possible.

Je me dirigeai à contrecœur vers la bibliothèque. Je n’étais pas vraiment d’humeur à entendre les remontrances d’Eysky surtout que, comme d’habitude, je n’y étais pour rien. C’était encore ça qui me gênait le plus. Pourquoi est-ce qu’on me mettait toujours à l’écart des plans intéressants ? Evidemment, après, c’était quand même à moi à faire les excuses.

Dès que je me présentai à la bibliothèque, je sus que, pour une fois, les craintes de Plumeau n’étaient pas exagérées. Il était debout, entouré de deux gardes du corps qu’il avait refusé de laisser dehors, et il émanait de lui une colère dont la puissance était presque douloureuse. Je soupirai intérieurement à l’idée de la corvée qui m’attendait.

« Président Eysky, vous honorez la maison Adarii de votre présence » dis-je selon la formule consacrée, sentant que je ne m’en tirerais pas à si bon compte.

« Adarii Pluie, je veux voir immédiatement les Adarii Tempête et Sentiment.

- Elles ne sont pas là. » J’aurais sans doute dû mettre un peu plus de forme et de courtoisie mais son attitude avait du mal à m’inspirer des sentiments agréables

« Dans ce cas, pour une fois, utilisez vos facultés bizarres intelligemment et dites-leur de venir en vitesse ».

Il était excessivement pénible quand il criait ainsi « Je pense qu’elles ont sans doute autre chose à faire.

- Pluie, quand vous êtes arrivée sur les Maÿcentres, j’ai naïvement pensé, pendant les premiers temps, qu’on pourrait peut-être faire quelque chose de vous. Mais non, vous êtes devenue aussi arrogante et irrespectueuse que tous ceux de votre race. »

Ca y est, ça allait me retomber dessus.

« Vos amies se sont attaquées à mon bras droit, le premier conseiller Sinshy. C’est un acte de haute trahison. Le motif vous paraît suffisant ? »

Je restai un instant abasourdie. Non pas de penser qu’ils auraient pu aller jusqu’à s’attaquer au premier conseiller, je savais qu’ils en rêvaient depuis toujours mais je ne comprenais pas ce qu’ils avaient pu faire pour que ça tourne aussi mal. En plus, Sentiment devait les ramener pas jouer leur jeu.

Je n’eus cependant pas le temps de les appeler car la porte d’entrée claqua violemment et Tempête entra comme une furie suivie de Sentiment. Elles s’arrêtèrent net à la vue du président. « Président Eysky vous honorez la villa Adarii de votre présence » dit Tempête comme on récite une leçon apprise par cœur rendant ses paroles protocolaires presque plus méprisantes qu’une injure tandis que Sentiment posait distraitement une pile de document dans un coin de la bibliothèque.

« Ecoutez-moi toutes les deux, votre vaisseau est prêt à appareiller. Ce soir, vous allez me faire le plaisir d’être des hôtes agréables et de ne pas vous faire trop remarquer et demain, vous faites vos adieux aux Maÿcentres. Si vous êtes encore la demain soir, j’envoie toute ma garde contre vous deux. »

Il avait crié mais Tempête n’avait pas bougé d’un pouce. Sentiment s’était contentée de s’asseoir à l’écart et d’observer la scène.

« Président Eysky » s’exclama Tempête en montant encore d’un ton, l’assemblée Adarii n’appréciera pas…

- Très bien » coupa-t-il « très bonne idée, rentrez sur Plume et allez voir votre conseil. Je pense que, s’il a un minimum de morale, il condamnera vos agissements autant que je le fais. Sinon… Hé bien sinon, dites-vous bien que les Maÿcentres ne craignent pas les Adarii ». Il avait légèrement frémi en prononçant ses dernières paroles mais la colère l’avait emporté.

Orage entra à ce moment-là, tout sourire et se mit en devoir d’escorter le président vers la salle de réception comme si de rien n’était.

Le silence qui envahit la bibliothèque prenait des allures de fin du monde. Tempête finit par se retourner vers nous. « Pour qui se prend-il à nous parler ainsi ?

- Il se prend pour l’homme le plus important de la confédération remettant à leur place des dignitaires d’une planète jugée primitive. Dignitaires prit en flagrant délit de trahison » précisa Sentiment.

« Alors c’est bien vrai ! » m’exclamai-je comme si j’en avais douté, « que s’est-il passé ?

- Je voudrais bien le savoir » reprit Tempête « Une chose est sûre, on est tombé dans un traquenard. Une habile manœuvre, un piège immonde de la part du conseiller Sinshy. Ce personnage abject et méprisant doit se délecter de sa victoire à présent.

- Vas-tu me dire ce qu’il s’est passé ?

- Hé bien voilà, ça fait des mois, que dis-je, des années, qu’on soupçonne Sinshy de préparer quelques complots perfides contre nous mais on n’arrive à rien avec lui. On a glané quelques brides de pensées confirmant nos soupçons et d’ailleurs, il ne se gène pas pour nous faire ouvertement des allusions sur de possibles menaces contre Plume. Tu le sais aussi bien que moi. Ces derniers mois, il nous a poussé à bout à force de sous entendus déplacés. Il est irrespectueux au possible. Et lâche avec ça. En plus, c’est un maniaque de la sécurité. Imagine, Pluie, il a poussé le vice jusqu’à demander à sa garde personnelle de ne pas obéir à ses ordres pendant la journée.

- Prends-moi pour une idiote. Je le sais, je le côtoie encore plus que toi qui passe ton temps à te cacher dans tes laboratoires pour tes mystérieuses recherches.

- Il rassemble ses hommes chez lui tous les matins, leur donne leurs instructions pour la journée, et ils ont ordre de les suivre quoiqu’il arrive. Tout ça au cas où il serait victime d’une hypothétique manipulation mentale au cours de la journée. Non mais, c’est du délire » cria-t-elle comme si je n’étais pas au courant.

« Il n’a pas foncièrement tort » intervint Sentiment.

« Là n’est pas la question, c’est un malade » continua Tempête comme si parler pouvait la calmer « il ne quitte pas ses gardes du corps de toute la journée.

Bref, il m’a fallu des semaines pour concocter un plan avec Orage pour arriver à nos fins. On avait tout prévu, ça n’aurait pas dû tourner ainsi. On s’était mis ensemble pour éloigner très subtilement les gardes du corps et Orage avait la charge de les garder sous son contrôle. J’avais conduit Sinshy là où on voulait sans qu’il ne se doute de rien. En plus, cerise sur le gâteau, Sentiment était arrivée à ce moment-là pour nous aider.

- Pour vous ramener, pas pour que ça tourne ainsi.

- Sans doute. Mais, quitte à être là, elle a daigné dans sa magnanimité accepter de le garder sous son contrôle le temps que je fouille jusqu’au tréfonds de son petit esprit dégoûtant dans le but tout à fait honorable de découvrir ses manigances.

- Vous ne m’avez pas vraiment laissé le choix.

- Justement, si tu avais moins discuté et plus agi, peut-être n’en serions-nous pas là » Dit Tempête agressant presque Sentiment avant de reprendre pour moi : « Il n’aurait dû y avoir aucun problème. On avait tout vérifié. je m’étais suffisamment insinuée en lui pour être sûre qu’il ne se doutait de rien mais, pile à ce moment là, la garde du complexe est arrivée venue de nulle part alors qu’elle était censée fouiller les villes souterraines. Le conseiller Sinshy a dénoncé tous nos projets, alors qu’il ne devait pas s’en être rendu compte. Il n’avait pas à réagir ainsi. Ce n’est pas logique. Je suis convaincue qu’il se trame quelque chose d’énorme.

- Pourquoi ne m’avez pas prévenue ?

- A cause de Glace. Déjà, il ne voulait pas qu’on fasse ça. Sachant qu’on n’en ferait qu’à notre tête, il a exigé qu’au moins tu n’y soies pas mêlée. Il passe son temps à te surprotéger et il s’imagine encore que sa gentille petite sœur est un petit agneau pure et sans défense. Erreur à mon avis.

- En effet, grosse erreur. Et Orage dans tout cela ? Je croyais qu’il était avec vous ? Il a l’air de s’en être bien sorti lui ?

- Ho lui » reprit Tempête méprisante « Il a réussi à faire oublier sa présence à la garde du conseiller et même au conseiller lui-même et il a poussé le vice en trouvant quelques personnes qui témoigneront, en cas de besoin, qu’ils avaient passé la matinée avec lui à l’autre bout du complexe.

- Mauvaise idée à mon sens » exprima Sentiment « si quelqu’un fait passer un entretien approfondi à ses personnes afin de savoir les sujets de discussion qu’ils ont abordés pendant la matinée, l’endroit où il était assis, ou d’autres éléments ; n’importe qui pourra se rendre compte que les soi-disant témoins n’ont aucun réel souvenir.

- Je ne m’en fais pas pour lui » reprit Tempête l’air dédaigneuse, « il s’en sort toujours. Il est vraiment très puissant. Mais tu l’aurais vu, Pluie, je dois dire qu’il s’est surpassé.

Parce que tu penses, on en n’est pas resté là. On a été conduit dans les quartiers du conseiller qui, cela dit en passant, sont d’un mauvais goût rebutant et je ne parle pas de l’odeur de ses infâmes cigarettes qu’il ne quitte jamais, avec au moins une vingtaine d’hommes pour nous surveiller. Nous, deux simples jeunes filles. Aucun honneur je te dis. Et là, on a eu droit à toute la panoplie des reproches. La honte que l’on faisait à notre rang, la bassesse de nos actions, la prétention de nos capacités et j’en passe. Et, pendant ce temps-là, Orage est venu pour en rajouter une couche. Il est arrivé avec un air horrifié qui ne pouvait tromper personne, et il a commencé par s’excuser platement au conseiller de notre comportement irresponsable, précisant qu’il s’occuperait personnellement de nous, que c’était une honte, que jamais l’assemblée Adarii et encore moins lui-même, ne cautionneraient de tels délits. Il a continué en précisant que, bien sur, il n’était au courant de rien, qu’il ne l’aurait pas admis et qu’il avait une totale confiance envers les conseillers des Maÿcentres ainsi qu’envers leur président. Qu’il espérait de tout cœur que ces histoires sordides n’altèreraient pas les relations qui liaient depuis si longtemps la confédération Vengeance-Maÿcentres aux Adarii en général et à lui en particulier et autres boniments dans le style. »

La situation était tragique mais imaginer la mise en scène d’Orage m’aurait presque donné à rire. « Et ils l’ont cru ?

- Tu le connais » dit Sentiment « il a un tel talent oratoire qu’il arrive à convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Même Tempête se délecte à croire ses beaux discours et toi, tu ne vaux guère mieux.

Tempête soupira profondément s’écroulant presque sur le tapis après avoir jeté un regard noir à Sentiment.

« En tout cas » reprit cette dernière, « je ne serais pas mécontente de quitter cet endroit même si j’aurais préféré partir dans de meilleures conditions. » Elle s’arrêta un instant puis reprit en soupirant « Pour l’instant, j’ai peur que nous n’ayons pas le loisir de nous reposer. Va rejoindre Orage auprès des invités » me dit-elle « Nous nous changeons et nous arrivons. »

Suivant les directives de Sentiment, je rejoignis Orage qui brillait tout sourire au milieu de sa cours. Toute personne non doué d’empathie aurait pu le croire adulé, mais, autour de lui, ce n’était que fragrance de jalousie, envie et méfiance. J’éloignai tous ses sentiments désagréables. Ce soir, je ne voulais rien ressentir de tout cela. Orage me vit et s’approcha de moi.

« Ca n’a pas l’air d’aller jolie Pluie ? » dit-il à peine arrivé à mes cotés.

« A ton avis ?

- A mon avis, la situation est tellement désespérée qu’il ne reste plus qu’une chose à faire » dit-il d’un ton détaché.

J’imaginais naïvement qu’il avait une solution et le regardais plein d’espoir.

« Quand tout va mal, il faut danser » dit-il en me tirant vers le centre de la salle. « Il est temps d’ouvrir le bal.

- Tu ne peux pas être sérieux une minute ?

- Si, mais plus tard. » Il m’entoura la taille et m’entraîna dans la danse. Petit à petit, j’oubliais nos soucis, ne me préoccupant que de ses yeux verts plongeant dans les miens. Il m’embrassait tout en dansant et je me serrais contre lui pour répondre à ses baisers. Plus rien n’avait d’importance, et j’oubliai tout pour un instant ou pour toute la nuit. Je me laissais aller aux rythmes de la musique, enlacée à mon cavalier. Pour une fois, on oubliait les prudes Maÿcentres. Ce soir, nous étions chez nous. Nous pouvions agir comme bon nous semblait. A l’extrême limite de mon champ de vision j’aperçus, sans y prêter attention, la jolie Syhy Dyasella Lïtïl sortant de la salle, les yeux embués de larmes, Tel un prince charmant de conte de fée, Syhy Ryun Eïskï s’empressa de suivre sa belle. Orage me fit tourner et je ne vis plus rien d’autres que la brillance des lustres de cristal et le vert de ses yeux.

La musique ralentit. Sentiment était entrée. Ses cheveux sombres étaient relevés en une coiffure compliquée dans laquelle brillaient des reflets d’argent. Sa robe, long fourreau beige drapé dans une pièce de soie, mettait en valeur sa peau bronzée. A ses cotés, Tempête, plus sensuelle que jamais, brillait dans une robe trop courte aux reflets dorés. Je leur souris tandis qu’elles s’avançaient vers nous mais, sans aucune préméditation, Ryun les bouscula se dirigeant vers Orage et moi toujours enlacés.

« Orage Taegaïan » hurla-t-il « vous avez déshonoré ma fiancée. »

***

Je fermai les yeux. Le temps s’était arrêté. Pourquoi gâcher ce petit moment de bonheur ? Pouvait-on imaginer, que, ne fut-ce qu’une seule personne, n’ait pas entendu ? »

Le silence était de plus en plus oppressant.

Je reposai mon front sur la poitrine d’Orage. Il fallait trouver quelque chose à dire, très vite. Réfléchir. Vite. Il n’avait rien dit au fond. Déshonorer, qu’est-ce que ça voulait dire ? Pourrait-on faire passer ça comme une manipulation quelconque, un regard trop insisté, ou une autre de ces bagatelles dont les Maÿcentres se plaisaient à nous acculer quotidiennement ? Vite, réfléchir, dire quelque chose. Je me perdais ne sachant plus, dans ma confusion, différencier mes pensées et celles de mes amis. Serait-il envisageable de faire oublier les paroles de Ryun à toute la salle ? Je rejetai aussitôt cette idée absurde, commençant à être assaillie par la puissance des émotions ambiantes. Quelque chose à dire, n’importe quoi ?

« Tout le monde dehors, la fête est finie ».

Je fermai les yeux et m’appuyai plus fermement contre Orage. Non, ce n’était pas cela qu’il fallait dire, sûrement pas. Il fallait minimiser au contraire. Mais le président Eysky ne l’entendait pas de cette oreille et, sous son ordre, les invités commençaient à se disperser.

Pendant longtemps encore, je n’osais bouger.

Quand je relevai enfin la tête, la salle s’était vidée. « Président Eysky » dit Orage en m’écartant doucement. Sa voix était fière et assuré, comme à son habitude. « Comment osez-vous chasser mes invités ? Et je ne parle pas de votre fils qui me fait un scandale au milieu de ma réception.

- Lâchez mon fils » criait le président à Tempête sans écouter le moins du monde les paroles d’Orage.

Ryun était assis. Il ne bougeait pas. Il ne parlait pas. Seul l’infime mouvement de sa cage thoracique et la colère intense qui émanait de lui attestait de sa vitalité tandis que Tempête ne le lâchait pas des yeux.

« Qu’avez-vous fait à ma fille ? » hurla l’ambassadeur Paktyl en désignant un petit tas de chiffon apeuré, bouillant intérieurement de rage dans un coin sombre du salon.

« Papa non, Laisse-le » dit la gamine se relevant soudain. « Orage n’y est pour rien »

Orage parut satisfait de la réaction de la jeune fille et en reprit encore plus d’assurance : « Ne me parlez pas sur ce ton Sy Paktyl. Vous êtes encore dans ma maison et je suis votre supérieur. Ce n’est pas à vous de poser les questions. »

Je crus qu’il allait se jeter sur Orage mais un des gardes du président le retint.

« Laisse-le » hurla encore sa fille hystérique

Je remarquais que les gardes avaient remplacé les invités.

Orage fit signe au président qui vociférait contre Tempête qui gardait toujours Ryun sous sa volonté. « Président Eysky, si vous voulez bien me suivre, je pense que nous avons certaines choses à nous dire.

- Lâchez mon fils d’abord.

- C’est à moi que vous avez à parler » reprit Paktyl toujours aussi en colère.

Orage fixa ce dernier en silence avant de répondre : « Non finit-il par dire. Vous, je n’ai rien à vous dire. Par contre, si vous continuez à vociférer ainsi sous mon toit, il se peut en effet que je m’intéresse à vous. Mais sûrement pas de la façon dont vous l’espérez. »

Mentalement, je suppliais Orage de se calmer. Il ne faisait qu’envenimer les choses.

- Laisse-le. Un instant je restai sous le choc. Tempête n’avait pas l’habitude d’être si autoritaire dans ses pensées. - Il y a des fois ou l’attaque est la défense la plus efficace. Il sait ce qu’il fait. Le plus fort l’emportera. Elle avait laissé partir Ryun. Ce dernier se précipitait vers nous crachant des obscénités. Tandis qu’il passait près de moi, je ne pus résister et le giflais.

Il resta un moment pétrifié se tenant la joue tandis que son père arrivait « Vous » dit-il en me désignant « je ne veux plus vous voir sur les Maÿcentres. » Tout en disant cela, il attrapa Ryun et l’entraîna à sa suite.

« Occupez-vous de votre fille, Sy ambassadeur, pendant ce temps, je parlerais à Orage avec ma garde » précisa-t-il en suivant Orage qui se dirigeait déjà dans la bibliothèque.

J’entendais encore Orage vociférer, le ton de sa voix diminuant tandis qu’il s’éloignait avec le président : « C’est de la folie Eysky. Vous disiez vouloir à tout prix éviter qu’on se fasse remarquer et voila que vous êtes le premier à créer un esclandre au sein de la villa Adarii ! Que dis-je, le deuxième après votre fils. »

Paktyl me pointa du doigt ainsi que Sentiment et Tempête qui m’avait rejoint « Je ne resterais pas avec ses… » Il s’arrêta tandis que Sentiment le fixait avec insistance.

« Avec ses quoi ?» dit-elle

Tempête intervint et attrapa le bras de Sentiment. « Laisse » dit-elle. « Je n’ai pas plus envie de le voir qu’il ne souhaite notre présence.

Veuillez quitter notre maison de suite ambassadeur.

- Sûrement pas avant d’avoir éclairci cette histoire.

- Allez régler vos affaires de famille sous votre toit, elles ne nous concernent pas. »

L’ambassadeur parut hésiter, salua sa femme selon la coutume de Vengeance vis à vis d’un supérieur. « On s’en va » lui dit-il sur un ton nettement moins cérémonieux. Dyasella sembla se rebeller refusant de partir aussi son père la prit brusquement par le bras et l’entraîna vers la sortie.

Un silence presque réconfortant envahit le salon de réception maintenant désert, mais Sentiment nous observait encore ne cherchant même plus à cacher sa colère.

Ha non, ça n’allait pas me retomber dessus ça. « Cesse de me regarder ainsi Sentiment, ce n’est tout de même pas ma faute si Orage a eu une liaison avec Dyasella Lïtïl.

- Orage et Dyasella ? » Elle avait dit ça plutôt tranquillement. Le temps sans doute d’enregistrer les faits et de les analyser. Son calme me parut de bon augure. Au moins, si elle ne prenait pas la situation au tragique, c’était peut-être parce que ce n’était pas aussi grave que je ne l’avais imaginé. De plus, je constatais avec plaisir, qu’au fond, elle était tenue à l’écart de beaucoup choses.

« Orage et Dyasella !! » Elle avait répété ses mots beaucoup plus forts. Pour la première fois, je voyais Sentiment vraiment en fureur et j’espérais de tout mon cœur ne plus jamais assister à ça.

« Il ne s’arrête jamais lui. Il veut nous démolir. Mais qu’est-ce qui lui a pris bon sang ? Ca ne lui suffisait pas de s’attaquer au premier conseiller, il fallait aussi qu’il s’en prenne à la première famille de Vengeance. Et Pourquoi ? » Le ton de sa voix allait crescendo. Je pensais qu’elle avait atteint le paroxysme de sa puissance quand la voix de Tempête, soudaine toute petite et menue tenta, comme à son habitude de défendre Orage.

« C’est elle qui… » Tempête venait de faire une grosse erreur. Même moi, j’avais compris que ce n’était pas le moment d’ouvrir la bouche.

« Savoir qui a commencé n’a aucune importance ». Sentiment venait de prouver qu’elle était capable de crier encore plus fort. « Et évidemment, tu le savais aussi et tu n’as rien fait. Dès qu’il y a un mauvais coup, il faut que vous y soyez mêlés. »

En ce qui me concerne, je suis rarement mêlé à quoi que ce soit dit une petite voix à l’intérieur de moi mais ce n’était sans doute pas le moment de le préciser.

Tandis qu’elle continuait à vociférer contre Tempête, j’en profitais pour m’éloigner discrètement. Elle ne remarqua même pas quand je sortis de la vaste salle de réception et fermai la porte derrière moi.

Je me dirigeai à pas de loup, traversant le grand hall d’entrée avant de pousser la porte du salon d’accueil que je parcourus dans toute sa longueur. Je ne fus même pas étonnée de voir Plumeau toute gênée, devant la porte fermée de la bibliothèque d’où sortait des éclats de voix.

Je lui désignai sans un mot la porte par laquelle j’étais entrée. Elle passa devant moi penaude, hésita, puis ne put s’empêcher d’ajouter : « Eïskï fils a beau avoir été élevé sur Vengeance, il n’en demeure pas moins membre des Maÿcentres. Vous ne me ferez pas croire qu’il serait si choqué si sa jeune épouse n’était pas tout à fait vierge.

- Plumeau, tu sors d’ici et vite ». Comment pouvait-elle être aussi insupportable ? Tout d’un coup, je me demandai comment elle se débrouillait. Je l’imaginais mal passer ses moments de liberté seule et je ne la voyais pas se contenter d’une seule liaison et encore moins suivre cette coutume absurde des Maÿcentres stipulant qu’il fallait respecter une sorte de période de deuil et d’abstinence avant de passer d’un compagnon à l’autre. Pourtant, je n’avais jamais entendu le moindre scandale portant sur les mœurs « dépravées » des domestiques venant de Plume. J’eus soudain plus de respect pour eux. Par contre, j’en eus beaucoup moins envers moi, quand je repris sa place derrière la porte. Le président s’était mis à crier : « Vous me pourrirez la vie jusqu’au bout. Et en plus, avec la fille d’une des plus influentes familles de Vengeance.

Pourquoi ? Non, comment plutôt. Comment avez-vous perverti cette gamine ? »

On entendait si bien que je me permis de m’éloigner un peu et de m’asseoir dans le fauteuil le plus près de la bibliothèque. Je n’écoutais pas à la porte, je me contentais de me reposer après une journée des plus fatigantes. Fatigante n’était pas le terme. Exténuante ? Non, catastrophique plutôt. Voire désastreuse.

« Sauf votre respect, vous délirez. » Répondait Orage le plus tranquillement du monde « Vous imaginez que je l’ai obligée à traverser toute la ville pour tomber de force dans mes bras. » Orage n’avait pas pris le parti de la soumission ni des excuses. Pourquoi est-ce que je devais toujours m’excuser alors que lui, envenimait tranquillement les situations déjà compliquées ?

Ryun vociféra et son père le fit taire avant de reprendre encore plus fort : « Vous rendez-vous compte des implications dans la culture de Vengeance ? »

Je me retournai en sursautant tandis que la porte s’ouvrait. Tempête apparut et je lui fis signe de se taire tout en écoutant la suite.

Tu espionnes telle une domestique de bas étage ? Me dit-elle mentalement dans un effluve de vanille

Je haussai les épaules et ne répondis pas à ses allusions « Eysky lui a dit que selon la loi de Vengeance, il devrait s’unir à Dyasella. »

Ryun tenta à nouveau de se mêler à la conversation : « Ca va pas père, il ne…

- Tais-toi » La voix du président résonnait encore dans la bibliothèque.

Tempête se précipita sans un bruit jusqu’à la porte et tendit l’oreille n’essayant même pas de cacher son excitation.

Orage parlait toujours aussi tranquillement mais je le sentais proche de moi, il savait pertinemment qu’on écoutait et ne cherchait pas à nous éloigner pour autant.

« Bien sur Président, quelle grande idée. Vous démolissez la vie de cette pauvre fille, celle de votre fils qui semble l’apprécier et vous pouvez dire au revoir à tous vos beaux projets de rapprochement politique entre les Maÿcentres et la première province de Vengeance.

- Peut-être que l’idée de vous pourrir la vie suffirait à me faire supporter tous cela.

- Je n’en doute pas. Mais malheureusement, je ne pense pas satisfaire les exigences nécessaires aux unions de Vengeance. J’ai un peu trop… d’expérience. Et, de toute façon, ici nous ne dépendons pas des lois de Vengeance mais de celles des Maÿcentres. C’est vous-même qui vous vantez que tout le monde ici peut vivre suivant ses propres coutumes. Hé bien, c’est ce que je fais, et selon nos coutumes, j’ai tout à fait le droit d’aimer n’importe quelle femme, où je veux et quand je veux, pourvu qu’elle soit d’accord. Et je peux vous assurer qu’elle était bien plus que d’accord.

Cependant, par respect pour vous, quand j’ai su que Ryun la courtisait, j’ai même cessé de la voir pour faire honneur à vos restrictions monogamiques.

- Vous êtes trop bon » ironisa Eysky.

« Toujours selon mes lois, rien ne m’y obligeait.

- Je connais vos mœurs dépravées.

- Et bien sur, vous ne les jugez pas, car : “nul sur les Maÿcentres n’est en droit de juger les coutumes d’autrui”. » Il reprit plus sérieux : « Maintenant, voyons les choses différemment, Vous avez amené votre fils ici pour l’unir à Dyasella selon les lois de Vengeance.

Très bien.

Combien de personnes, à votre avis, ont été témoins de toutes les avances qu’il faisait à Pluie alors même qu’il était venu s’engager envers Dyasella ?

- Orage bon sang, il ne s’est jamais rien passé entre eux.

- Qu’en savez-vous ?

Non, ne dites rien, vous avez raison, il ne s’est rien passé. Je pense qu’il serait honnête que vous alliez remercier ma petite amie (comme on dit ici) à ce sujet.

Maintenant, même si je sais que vous avez un goût immodéré pour les réunions qui durent des heures, ce n’est pas mon cas. Alors, vous allez parler à Paktyl et lui dire que l’union avec votre fils ne saurait être remise en cause. Vous allez sermonner votre fils pour qu’il ne fasse plus d’histoire sous mon toit et vous allez remercier l’Adarii Pluie de n’avoir pas perverti votre fils, comme vous dites si bien.

Maintenant, je veux tout le monde dehors.

- Faites-moi confiance, je parlerai à l’ambassadeur Paktyl et à la Syhy Lytyl mais çà m’étonnerait qu’ils acceptent ça si facilement. L’honneur de sa fille est perdu. Jamais elle n’aura droit à une cérémonie d’union.

- Et tout ça, à cause de Ryun. S’il n’avait rien dit, personne n’en aurait jamais rien su.

- Vous avez fait votre dernière erreur Orage, vous allez déguerpir de cette planète en vitesse. »

Je me retournai d’un bon en entendant la porte s’ouvrir à la volée.

La Syhy Lytyl traversa le salon à grande enjambée sans un regard pour nous. Sa fille sur ses talons semblait vouloir la raisonner. Elle n’avait plus rien de la femme effacée que j’avais vu le jour où j’avais été chercher Ryun.

« Vous avez couché avec ma fille ! » hurla-t-elle utilisant le terme le plus vulgaire qui soit, en ouvrant d’un coup les deux battants de la porte de la bibliothèque.

Tempête et moi étions si étonnées que nous n’avions même pas eu le temps de songer à l’arrêter. Plumeau arrivait derrière dépitée, nous serinant ses vains efforts pour l’empêcher d’entrer.

« Fiche le camp Plumeau » dit Tempête dans un souffle.

La voix de la Syhy Lytyl retentissait forte et dure dans la pièce à coté. Orage était tranquillement installé dans un canapé arborant toujours une parfaite assurance au milieu d’une atmosphère surchargée d’une colère étouffante. Le président était debout. A sa droite, son fils trépignait de rage et la famille Lytyl lui faisait face nous tournant le dos.

« Vous l’avez détruite. Pourquoi vous être attaqué à cet être innocent ? Jamais elle n’aura l’honneur de s’unir avec un homme. La Syhy Lïtïl a perdu son honneur à cause de vous ».

Au moins, ainsi, avec les portes grandes ouvertes, nous entendions nettement mieux. Orage pensait qu’elle en avait gagné bien d’avantage et pendant un instant, je crus sentir le souvenir du plaisir qu’avait pu avoir Dyasella avec lui. Je m’écartai gênée d’avoir surpris de telles pensées mais Orage ne parut pas s’en offusquer. Au contraire, il me jeta un regard en biais plein de promesses tandis que Dyasella continuait à supplier sa mère :

« Maman, je te l’ai dit, il n’a rien fait. C’est moi qui suis allée le voir et je ne regrette rien, tu entends maman.

Je l’aime.» ajouta-t-elle après une hésitation.

Je crus que Ryun allait bondir, mais son père le retint d’une seule main.

Comment peut-on être bête à ce point pensais-je désolée de voir à quel point elle pouvait être naïve.

- Ne le sois pas me dit Orage mentalement, elle va peut-être Arranger nos affaires.

Tempête acquiesça. Elle avait l’air de s’amuser de la scène.

Orage se leva tranquillement, m’envoya mentalement l’équivalent d’un baiser et se dirigea vers la jeune Dyasella. J’eus l’impression qu’il allait la prendre dans ses bras et mon cœur s’accéléra en imaginant la réaction de sa mère mais il se contenta d’approcher la main de sa joue laissant un écart à la limite de la décence. La jeune fille parut fondre sous un désir contenu et Orage prit la parole : « Au fond, si cette pauvre jeune fille se retrouve rejetée à cause d’un simple écart de conduite dans vos coutumes d’esclavagistes je pourrais peut-être la garder avec moi » dit-il entourant Dyasella d’un regard sensuel. « En plus, elle mérite mieux que de vivre dans ces horreurs que vous appelez maison. Je lui offrirai ce qu’on fait de mieux. Je pourrais parer son corps de bijoux et de soies. C’est ça que tu veux Dyasella ?

Pourquoi pas au fond ? » Continua-t-il sans attendre la réponse. « Et comme je commence à en avoir marre de cet endroit, je repartirai chez moi. »

Une bouffée de rage envahit la Syhy Lytyl qui avait compris où il voulait en venir, mais Orage lui intima de se taire d’un seul regard. Les autres étaient tellement perdus qu’ils ne s’en rendirent même pas compte.

Il se détourna de la fille pour s’intéresser à la mère et lui parla d’un ton nettement plus dur « Alors si vous continuez à nous poser des problèmes, je la ramènerai chez moi. Elle vivra dans une des villas Adarii des prestigieuses cités de Taegaïan et selon nos coutumes. » Il avait dit ses mots très lentement pour qu’ils prennent bien toutes leurs significations auprès de la Syhy Lytyl.

Comme personne ne répondait complètement terrorisé, il insista : « Vous aimez votre fille, c’est ça que vous voulez pour elle ?

Allez, réfléchissez » continua-t-il en passant au milieu d’eux « Vous me donnerez votre réponse un autre jour. En ce qui me concerne, votre fille n’est pas la seule qui m’attende » et d’un air provocateur, il attrapa Tempête par la main et lui embrassa le bout des doigts gardant sa main enlacée dans la sienne.

- Tu en fais trop Orage, et en plus ça te plait de les provoquer ainsi.

- C’est toi qui me plait Pluie

- En ce qui me concerne, j’accepterais volontiers de vivre à Taegaïan et de suivre les coutumes dépravées de Plume. Tout en disant cela, je m’approchais de lui et l’embrassai. Au point où on en était.

« C’en est trop » hurla Lytyl en passant devant nous traînant derrière elle, une Dyasella plus perdue que jamais. « Je ne resterai pas une minute de plus dans cette maison de fou ». Le président les suivait toujours furieux, tenant son fils prêt à nous étriper, suivi de deux gardes et de Luico qui avait quitté son masque impassible nous laissant voir à quel point il était désolé pour nous « je vous verrais demain matin, alors profitez de cette dernière soirée » cria encore le président avant de sortir.

Bon débarras. Je ne perçus pas de qui venait cette pensée, mais sans aucun doute, elle traduisait nos sentiments à tous.

Une fois la villa libérée, Sentiment entra dans le salon un verre d’alcool de rose à la main.

« Comme on le fait sur Terre, je bois à notre pitoyable défaite » commença-t-elle. » Je lève mon verre en l’honneur des vainqueurs. Vu son ton, elle ne nous avait pas attendu pour trinquer.

Au conseiller Sinshy qui, par un habile stratagème qui m’échappe encore, a réussi à nous faire chasser des Maÿcentres, à Emma Diarety qui ne va pas tarder à renvoyer Glace de la Terre après avoir démoli notre réputation, »

Je l’avais oubliée celle-là. Apparemment, Sentiment était au courant et vu l’absence de réaction des autres, elle n’était pas la seule.

« Mais surtout, honneur et prospérité pour la future union de l’Adarii Orage protecteur de la cité de Maé de Taegaïan avec la Syhy Dyasella Lïtïl » dit-elle en s’esclaffant.

« La ferme Sentiment.

- Désolé Orage. Sais-tu que si tu veux la quitter, tu devras te faire castrer ?

- Je t’ai dit de te taire »

Je corrigeai je ne sais pourquoi : « stériliser »

- Tu ne vas pas t’y mettre aussi

- Bon, dans ce cas, honneur aux vaincus » continuait Sentiment imperturbable.

Elle leva son verre et recommença son discours. Je ne l’avais jamais entendu parler autant, rien que son haleine était suffisante pour me faire tourner la tête.

« A Orage qui n’est même pas capable de se contrôler plus de deux minutes devant une jolie fille même humaine. A Orage qui passe sa vie à élaborer des plans plus machiavéliques les uns aux autres afin de nous mettre l’univers à dos.

- On t’a dit de te taire Sentiment » Tempête s’y mettait aussi toujours prête à prendre le parti de l’homme qu’elle aimait.

« A Tempête alors » continua Sentiment « qui a commencé par se faire bannir du complexe du conseil à force de séduire tous les conseillers dans ces tenues provocantes dans le seul but d’intensifier leur malaise.

Parce que c’est ça au fond. Tu aimes provoquer cette sensation chez les autres, la peur, l’attraction ? Réveiller leurs instincts. Leur appréhension naturelle ne te faisait plus assez fantasmer, il fallait aller toujours plus loin. C’est ça que tu aimes toi. Les voir se brûler de désirs pour toi alors que la moindre idée de t’approcher les remplit d’effroi. Quel plaisir peux-tu avoir à les sentir se consumer ainsi ?

- Tu exagères Sentiment, ils n’en sont pas encore là.

- Pas encore, comme tu dis. Ca te désole n’est-ce pas ?

- Arrête ». Je ne sais pas pourquoi j’avais dit ça. J’étais horrifiée par ce que disait Sentiment. Surtout parce qu’au fond de moi, je savais que c’était la vérité et je n’aimais pas entendre Sentiment parler des perversions de Tempête. C’était mon amie, et même si je ne me faisais plus vraiment d’illusion à son sujet, je voulais garder l’image de la jeune et naïve jeune fille espiègle qui sentait la vanille.

« Et voilà que Pluie s’y met aussi. A ton sujet aussi, je ne me suis jamais fait la moindre illusion. Dès la première fois où je t’ai vue, j’ai pensé : voilà une nouvelle calamité. J’ai tout fait pour dissuader Glace de t’emmener ici ou au moins d’attendre un peu. De clarifier la situation ici d’abord. Mais non, il ne m’a pas écouté. Il avait pitié de sa petite sœur innocente, perdue sur Terre. Et maintenant, la pauvre petite Pluie s’est mise tous les conseillers et le président à dos en passant sa vie à faire n’importe quoi sans réfléchir, poussée uniquement par ses instincts dominateurs, et son égocentrisme exacerbé qui la pousse à traiter son entourage comme des moins que rien pour ensuite finir en apothéose en giflant le fils du président.

- Ca y est, tu as fini. Je suppose qu’on doit te dire que tu avais raison et que tu nous l’avais bien dit ?

- Non, je n’aurais pas cette audace. Je bois aussi à ma santé. A la défaite de celle qui est restée quatre ans ici dans le but de vous empêcher d’en arriver là. A ma haine des Maÿcentres qui m’a trop souvent aveuglée au point de vous laisser faire n’importe quoi. Voire pire, de me laisser entraîner à y prendre part quelquefois.

Quelle prétention de ma part. Pluie, Orage et Tempête ont ravagé les Maÿcentres. Que pouvait y faire un simple Sentiment ? » Ajouta-t-elle en posant son verre sur la table avant de quitter la pièce.

Tempête fut la première à briser, sous forme d’un soupir, le silence qui était retombé dans le salon. « Elle est dure avec nous »

Orage réfléchit quelques instants avant de répondre : « Elle n’a pas tout à fait tort »

Je me sentais complètement perdue « et du coup, on fait quoi ? »

Orage sourit « on lève nos verres à la santé des trois calamités.

- Je n’ai pas de verre » remarqua Tempête pragmatique.

« Alors on va se coucher. La journée de demain promet d’être aussi riche que celle d’aujourd’hui »

A suivre


Les parties 2 et 3 de Pluie sont prêtes à télécharger sur simple demande en commentaire



Partie 1 : Chapitre 13

13

"Le plus haut degré de la sagesse humaine est de savoir plier son caractère aux circonstances et se faire un intérieur calme en dépit des orages extérieurs."

[Daniel Defoe]
Extrait de Robinson Crusoë

Ils étaient tous sortis depuis longtemps que je restais encore, les jambes recroquevillées, caressant distraitement les bracelets de mes chevilles. Nous ne pouvions pas en arriver là. Que ce soit Vengeance ou les Maÿcentres, personne ne pourrait faire du mal à la douce planète Plume. Tout au fond de moi, je cherchais mille raisons pour lesquelles les Maÿcentres ne pourraient pas nous faire de mal. Je n’en trouvais aucune. Tout ça, c’était de notre faute. Si nous ne passions pas notre temps à les narguer, nous n’en serions pas là. Nous aurions même pu nous en faire des alliés. Serait-il temps de nous rattraper ? Le président devait être furieux qu’on se soit allié avec le deuxième satellite pour faire venir les Adarii de Saphir.

J’en étais encore à ses réflexions alors que je traversais le salon Taegaïan.

« Tu rêves Pluie » Orage était assis dans le coin le plus sombre de la pièce. « Nous sommes allés beaucoup trop loin pour revenir en arrière ». Ce n’était pas un reproche. Juste une constatation. Un fait qui, au fond, lui plaisait bien.

« C’est une guerre contre la confédération que tu prépares ?

- Non, ce sont les Maÿcentres et Vengeance qui préparent une guerre contre nous. Et le jour où ça explosera, je préfèrerais être du bon coté de la mèche.

Je regardais Orage comme si je me trouvais face à un inconnu. « Jamais tu n’as envisagé de maintenir l’entente entre nos peuples ?

- Tu parles d’entente ? Naïve Pluie, il n’y a jamais eu la moindre entente entre nous. Tous ce qu’ils veulent c’est le pouvoir. Tu devrais bien le savoir pourtant. Presque deux ans que tu suis leurs démêlés avec la Terre. Ne vois-tu pas leur petit jeu ? Devant les Terriens, tout doux tout miel, mais le jour où ils comprendront qu’ils n’obtiendront jamais que la Terre se plient à leur volonté, ils la massacreront subtilement comme ils le font de Saphir.

- Arrête Orage, tu divagues. Il n’y a pas pire pacifiste que les Maÿcentres.

- Non, il n’y a pas de pire pacifiste que le président Eysky. Mais il est seul. Il est adulé par le peuple mais la plupart de ses conseillers ne supportent plus ses idées idéalistes. Ils veulent passer à l’action, se faire connaître de la Terre, créer des alliances, démolir leur économie, et pomper leurs ressources. Te souviens-tu du réseau que vous avez démantelé sur Terre ? Ne t’es-tu jamais demandé quel était son rôle ? Ils avaient en charge d’infiltrer leur réseau informatique pour pouvoir en prendre le contrôle à tout moment. Voilà comment agissent la pacifique planète Vengeance. Et ils ne seront pas plus conciliant pour Plume. Si le président Eysky nous garde à ses cotés, c’est surtout pour se préserver de tous ceux ayant ce genre d’idée. Même s’il ne l’admettra jamais, il sait très bien que si nous n’étions pas là pour préserver sa petite personne, ses conseillers l’auraient supplanté depuis longtemps.

- Alors toi, tu espères retrouver d’hypothétiques puissances cachées. Tu cherches à rompre le pacte. Tu ne vaux pas mieux qu’eux. » Je tentais de rejeter Orage de toute mon âme mais mon esprit recherchait son contact. « Tu es bien pire même » J’insistais bien là-dessus dans l’espoir de m’en convaincre moi-même.

« Tu ne penses même pas ce que tu dis jolie Pluie. » Dit-il en souriant

Il s’approcha de moi, les flammes du feu mettant des reflets auburn dans ses cheveux sombres. « Ha, la gentille Pluie » dit-il en me caressant les cheveux. « La douce et fine petite Pluie comme disait Espoir. Sans doute, il y a longtemps. Je te connais, ma cousine, peut-être même mieux que toi-même. Tu les méprises. Tu méprises les Autres encore plus que moi. Plus que Sentiment même. D’autant plus que tu as vécu parmi eux. »

Je secouai la tête face aux vérités qu’Orage m’assenait en pleine figure. « Ceux de la Terre sans doute » répondis-je sans en être convaincue comme hypnotisée par la présence d’Orage « Pas les Maÿcentres.

- Bien sur, c’est pour cela que tu passes ton temps à rager contre eux ?

Orage s’était encore approché enserrant ma taille d’un seul bras, tandis que de l’autre il enroulait mes boucles entre ses doigts. Son haleine de cannelle sucrée m’envahissait me faisant tourner la tête. Dans ses bras, j’avais l’impression de sentir le sable chaud et la caresse du soleil. J’avais horreur de le voir me cerner avec tant de justesse alors que j’essayais moi-même de me convaincre du contraire.

Je me repris : « Tu ne m’auras pas comme ça Orage. Je ne suis pas Tempête pour céder à tes moindre caprices ».

Orage éclata de rire. « Comment pouvez-vous être aussi naïve Sentiment et toi. Même Liées à Tempête, vous ne percevez que l’écervelée amoureuse. D’accord pour Sentiment qui a envers Tempête un lien artificiel et superficiel, mais toi, tu me déçois. Penses-tu sincèrement que je m’intéresserais à une fille stupide qui n’aurait pas la moindre volonté ?

- Une fille comme Dyasella par exemple ?

- Mauvais exemple, Dyasella est peut-être jeune et naïve mais elle est loin d’être stupide et je n’ai nulle besoin des runes d’Amaerua pour savoir qu’un jour elle aura une place importante ici ou ailleurs. Cependant, c’est bien autrement que j’aime Tempête. Peut-être pour tout ce qu’elle cache. Elle est forte. Bien plus que Sentiment. Mais toi aussi tu es puissante jolie Pluie. Un jour, les Maÿcentres plieront le genou devant nous. Un jour, ils se prosterneront devant toi Pluie.

- Ce n’est pas ce que je veux.

- Bien sur que si, c’est ce que tu veux. La Main s’écrasant à tes pieds ?

- Tous ce que je veux c’est qu’ils cessent de m’assener leur mépris en pleine figure.

- Ce que tu veux, c’est qu’ils te respectent. Tous autant qu’ils sont. Qu’ils aient la même déférence envers toi que le peuple de Plume.

- Ce n’est pas le genre de chose qu’on obtient par la force.

- Déjà, la gentille Pluie ne me contredit plus. Non, tu n’es pas gentille. Sentiment l’est peut-être, mais pas toi. Demande au président s’il te considère comme gentille ? Demande à ses conseillers à qui tu mènes une vie impossible. Combien de fois ne m’a-t-on pas supplié de reprendre ta place. Ils n’en peuvent plus de tes sautes d’humeur. Mais moi, j’aime ça. » Je frissonnai sentant la douce chaleur de la main d’Orage passant sous la soie légère de ma tunique. Je fermai les yeux et eus l’impression de me retrouver à Taegaïan. Je crus presque entendre le bruit des vagues. Je me repris et tentai de retirer sa main sans conviction. Il ne m’aurait pas ainsi. Je n’étais pas à sa disposition.

- Tu as raison, c’est moi qui suis à tes pieds, arrogante Pluie. Ses baisers m’envahissaient, doux et sucré à la fois tandis qu’il cherchait un contact de plus en plus intime avec mon esprit et son désir renforçait le mien me submergeant telle une vague de passion trop longtemps refoulée.

D’une main, il détacha la fibule retenant le fin tissu révélant une épaule nue. Il caressa un instant mon tatouage, idéogramme de Taegaïan qu’il couvrit de ses lèvres.

« Lâche-moi » soupirai-je sans pour autant opposer la moindre résistance.

Il dégrafa la deuxième attache laissant tomber ma robe à terre. Tandis que de ses doigts, il effleurait ma poitrine, je tendis mes lèvres vers les siennes et lui rendis ses baisers au goût de cannelle.

***

Malgré l’heure tardive à laquelle nous nous étions couchés, je me réveillai tôt le lendemain complètement désorientée de ne pas me retrouver dans ma chambre. Il faisait noir, ce qui ne voulait rien dire . A travers la baie vitrée face à moi, deux petites lunes s’étaient déjà levées. Je me glissai hors du lit ôtant délicatement le bras d’Orage qui dormait toujours. Je le regardais sous la pâle lueur des deux satellites. Il était paisible ainsi. J’aurais dû lui en vouloir mais je n’y arrivais pas et c’est uniquement mon orgueil qui me détourna de lui. Qu’il ne s’imagine pas que je suis à ses pieds pensai-je en refermant doucement derrière moi la porte de sa chambre. Je lorgnai un instant la porte de ma propre chambre avec l’idée de me recoucher. J’étais épuisée. J’y renonçai cependant assez vite. J’avais rendez-vous au complexe du conseil pour suivre une réunion avec les délégués d’Archuleta et les suivre dans leur visite et je me souvenais que je devais me rattraper. Je repensais à ce qui avait été dit la veille. Jamais il n’y aurait de conflits entre les Maÿcentres et Plume pensai-je. J’y veillerais. Ce qu’il fallait juste, c’était faire preuve d’un peu de diplomatie avec eux. Après tout, nous n’avions rien fait de mal. En tout cas, rien d’irréparable.

C’est vrai, Orage avait fait venir les Adarii de Saphir dans le but de se lier avec eux contre les Maÿcentres. Mais, au fond, ils n’en savaient rien. Ils pourraient penser que c’est juste pour renouer des relations diplomatiques. Ainsi qu’avec l’ambassadeur Paya.

Non, personne n’y croirait. D’un autre coté il n’y avait aucune preuve et on ne faisait rien d’illégal.

Et puis, il y avait cette histoire avec Dyasella Lïtïl. J’avais pris quelques renseignements et c’était encore plus grave que ce que j’avais imaginé. Elle faisait partie de la famille dirigeante de la première province de Vengeance. Mais bon, il n’y avait pas de raison qu’elle parle de quoi que ce soit.

De mon coté, je m’en étais pris à la Main, mais ce n’était pas la première fois. Et au fils du président, mais c’était de sa faute. N’empêche que, associé aux autres choses, ça commençait à faire beaucoup. D’un autre coté, on ne pouvait pas associer les frasques d’Orage aux miennes. Je n’avais rien à voir avec ses histoires. Mais je ne me faisais pas d’illusion, le président se contenterait de tout cumuler sans plus se demander qui a fait quoi.

Et puis, il y avait cette histoire de retour sur les Maÿcentres où on avait tenté de doubler le président pour rester uniquement avec les Terriens. C’était l’idée de Glace qui craignait de les laisser trois jours en tête à tête avec Eysky mais ça m’était retombé dessus.

Bon, je ferais mes excuses à la Main. Je soupirai de dégoût à cette idée. En plus, je n’étais même pas certaine que ce soit suffisant.

Il faudrait aussi que j’arrive à convaincre Tempête de se calmer. Je ne suis pas sûre que le président ait bien pris ses menaces à peine déguisées lors du dîner à la villa. Elle n’arrêtait pas de le narguer.

Je me rendis compte que j’allais être en retard.

Le président ne m’en voudrait pas. Il semblait prendre plaisir à s’entretenir avec les Terriens derrière notre dos. Cette dernière pensée me motiva. Je ramassai ma robe dans un coin du salon, soudain prise par quelques remords à l’idée qu’Orage ait pu avoir si facilement ce qu’il voulait. Et que je voulais aussi pensai-je avant de rejeter cette idée.

Je me préparai rapidement. Je n’avais pas le temps de demander qu’on me monte quelque chose à manger, aussi, je pris rapidement un morceau de pain des mains de Fleur dans la cuisine, passai ma cape de cuir sur mes épaules et rabattis le capuchon avant de sortir assaillie par le froid et la nuit.

Malgré tous ces efforts, j’arrivais en retard. Tout en traversant la salle pour prendre ma place au coté d’un président fulminant de rage, je pris sur moi de faire un gros effort et m’excusai de mon retard devant tout le monde. Les mots avaient du mal à passer et j’avais l’impression de les extirper de force. Le président ne répondit pas et j’en fus soulagé. Rien d’intéressant ne fut mentionné. La réunion se bornant à un état des lieux ce qui ne m’étonnait pas. Ma seule présence coupait désormais toute envie d’aborder des sujets risqués. Les conseillers sortirent les uns après les autres tandis que le soleil se levait à peine. Seul restait le président, les délégués de la Terre, le conseiller Umya qui les accompagnait et moi-même, quand la Main entra comme à son habitude après chaque réunion. Je sentis que le président s’apprêtait à dire quelque chose et je le devançais.

« La Main, je suis désolée de ce que je t’ai fait subir » dis-je trop vite.

Le président et la Main se regardèrent interloqués. Je sentis à quel point l’un et l’autre se méfiaient mais la présence des Terriens les empêchait d’en dire plus. J’avais bien choisi mon moment pour une fois.

« C’est Dya » me dit-elle « et vous pouvez utiliser un ton un peu plus respectueux. »

Je me sentis rougir de rage. « Dya » repris-je pourtant « je suis désolée pour ce que je vous ai fait subir » répétai-je.

« Bien » dit le président profitant de la situation.

« Conseiller Umya, voulez-vous m’attendre dehors avec nos invités, nous vous rejoignons de suite et faites entrer Luico »

Le président les suivit des yeux pendant qu’ils sortaient. Le conseiller Umya bouillait d’excitation et de curiosité et je fus soulagée de le voir partir. Pendant une interminable minute, le silence fut intenable puis Luico entra. Le président ne lui adressa pas un regard.

Je me contentais de fixer le sol dans une attitude de déférence extrême. Comme si ça ne suffisait pas, Eysky prit mon capuchon du bout des doigts et me le rabattit sur la tête.

« Vous vous rendez compte que vous l’avez frappée.

- En fait, techniquement, c’est elle qui s’est frappée toute seule.

- Ne jouez pas sur les mots, vous avez fait acte de violence. Causer une douleur physique est une infamie, c’est barbare, c’est…

- Attendez, je ne lui ai pas fait de mal.

- Si ». La voix de crécelle sur les son i, c’était atroce. Et quand elle mentait, c’était pire.

- La Main. » Je soupirai et me repris « Dya, vous ne me ferez pas croire qu’avec toutes les connaissances que vous engrangez sur nous telle une petite fouine, vous ne savez même pas que nous ne sommes pas capable de faire du mal à quelqu’un de cette façon. Le corps ne se soumet pas aux actions qui risqueraient de lui causer une souffrance.

- C’est vrai ? » Dit Eysky subitement intéressé.

- Bien sur que c’est vrai.

- Dya » reprit le président « Pluie t’a-t-elle fait mal ? »

- Peut-être pas au sens où nous l’entendons, mais l’humiliation est douloureuse »

Je constatai avec plaisir que le président était vexé de s’être fait abuser par les pleurnicheries de la Main. Après tout, elle ne s’en tirerait peut-être pas si facilement. Cependant, moi non plus.

« Vous ferez aussi les mêmes efforts avec mes conseillers ? »

J’inspirai profondément « oui Syhy Président » dis-je sans desserrer les dents.

« Et vous ferez des excuses à mon fils ?

- Ha non, il ne faut tout de même pas exagérer. C’était à lui d’obéir. S’il imagine que son impertinence va impressionner sa fiancée… »

Je m’arrêtais soudain et me mordis la langue

« Bien dit le président. Si vous aviez accepté cela aussi, j’aurais été intimement convaincu que vous nous prépariez un autre mauvais coup. Je suppose cependant que vous vous êtes rendue compte à quel point je suis proche de l’idée de vous renvoyer, tous autant que vous êtes et.. »

Je le coupai. « Vous n’ignorez pas que nous sommes les plus aptes à assurer votre sécurité ».

Ce n’était pas la chose à dire.

« Taisez-vous, Adarii, tous autour de moi pensent que le plus grand danger ici, c’est vous. Moi seul, suis encore prêt à vous faire confiance, et uniquement parce que je me souviens que c’est vous qui m’avez sauvé la vie et peut-être aussi par égard pour votre père. Mais, décevez-moi encore une fois et vous ne mettrez plus jamais les pieds ici. Alors, à partir de maintenant, vous allez tous faire des efforts. D’abord pour arriver à l’heure et ensuite pour vous tenir correctement. Vous avez encore scandalisé toute l’assemblée par vos comportements insupportables à la réception d’hier »

Je pensais qu’il allait me parler de Saphir, mais pas de notre attitude qui, pour une fois, avait été très correcte. C’était simple, je n’avais pas dit un mot.

« Je ne veux plus voir l’Adarii Maniya envoûter mes invités et surtout pas ensorceler mon fils par ses techniques de séduction pernicieuses. En fait, je ne veux plus la voir ni entendre la moindre remarque à son sujet.

Je ne veux plus voir Orage vous embrasser ni même vous toucher. Ni vous, ni l’Adarii Maniya, et encore moins l’une après l’autre au milieu des réceptions officielles. »

Je fixais le petit bout de sol que me laissait entrevoir ma capuche. Malgré cela, j’avais l’impression de voir comme avec mes yeux le sourire de satisfaction pervers de la Main tandis qu’Eysky brillait d’une aura de fierté malsaine en énumérant des broutilles. Les phrases d’Orage me revinrent en mémoire. « Tu les méprises Pluie, encore plus que moi ». Je chassai cette pensée mais je la savais gravée à tout jamais dans mon esprit.

Pourtant, je me contentai d’acquiescer à toutes ses demandes, même si, pour la plupart, elles ne me concernaient pas. De toute façon, je n’avais pas vraiment le choix. A ma plus grande surprise, après une énumération interminable de peccadilles, il arrêta son discours afin, selon ses dire, de profiter des quelques heures de clarté pour faire visiter aux Terriens les « merveilles des Maÿcentres ».

Je n’en revenais pas qu’il n’ait même pas eu la moindre allusion à Saphir obnubilé par ses petites règles de bienséances protocolaires.

Je fus étonnée aussi de constater que les Terriens paraissaient sincèrement impressionnés par les insignifiantes Maÿcentres et je supposais que ce devait être plus par l’attrait de la nouveauté que par les réelles beautés du site.

Le président les emmena ensuite manger dans cette espèce de grotte dans laquelle j’avais passé la première soirée de sortie sur les Maÿcentres. Je me souvenais que, dans un sens, moi aussi, j’avais été impressionnée à l’époque.

Comble du déshonneur, le président me demanda d’aller manger avec Luico. Je serrai les poings et obéis.

« Je peux vous appeler Pluie ? » demanda Luico vers le milieu du repas.

- Non » me contentai-je de répondre sans lever la tête. Il n’allait pas s’y mettre aussi lui.

- Je suis rassuré. Votre attitude de soumission soudaine me parait encore bien pire que tout ce que vous avez pu inventer jusqu’ici. Il paraît que sur Terre, on dit le calme avant la Tempête.

- On dit aussi après la pluie le beau temps. Je sais oui.

- Vous resterez toujours la Pluie, l’Orage et la Tempête. Trois calamités. »

Luico savait qu’il pouvait se permettre de parler avec moi bien plus ouvertement que je ne l’acceptais de quiconque. J’oubliais ses effronteries, reposée par son masque impassible d’où ne transpirait jamais le moindre sentiment désagréable. Comme il disait, il avait de bons rapports avec nous parce qu’il reposait notre empathie. Ce n’était pas faux au fond.

La plupart des gardes du complexe avaient de lointaines origines du deuxième satellite de Vengeance. Leur corpulence impressionnante était un atout pour ce genre de poste mais peu avait été élevé là-bas, car en général, ces gens-là méprisaient les Maÿcentres presque autant que moi.

« Enlevez-moi ça Adarii » dit-il en faisant glisser l’écharpe de soie qui avait remplacé mon manteau. « En ce qui me concerne, vous me faites plus peur quand vous vous cachez là-dessous. Je ne sais pas si vous m’écoutez ou si vous êtes en train de comploter avec vos amis. »

Je levai les yeux vers l’énorme masse de Luico.

« Tu penses sérieusement qu’on mijote quelque chose ?

- Je n’aurais pas l’audace de vous poser la question. »

Il laissa un instant fuser une pointe de curiosité parfaitement maîtrisée.

Pendant quelques minutes, je fis semblant de ne pas l’avoir remarqué mais j’avais déjà suffisamment de monde contre moi pour en rajouter. « Vas-y Luico, pose là ta question.

- Impressionnant » dit-il comme à chaque fois que nous avions ce genre d’échange. « Je me demandais pourquoi vous en vouliez tellement à Dya ?

- Tu te le demandais où tu avais déjà élaboré une hypothèse de réponse ?

- D’accord, je reformule. Je me demandais, si vous en vouliez à Dya parce qu’elle ne vous aime pas ? »

Je tapai mon bol sur la table plus que je ne le reposai. « Tu plaisantes. Ce n’est pas qu’elle ne m’aime pas. Elle me déteste, elle ne me supporte pas, elle me hait. »

Je diminuai d’un ton sentant les reproches muets du président venant de la table à coté. « Je la dégoûte. Dès qu’elle me voit, elle a envie de vomir. Et cela dès le premier jour où elle m’a vue.

- Je ne veux pas vous faire de peine, mais elle n’est pas la seule dans le cas.

- C’est ça, tu n’as qu’à remuer le couteau dans la plaie.

- Je comprends.

- Qu’est-ce que tu comprends Luico ?

- Je comprends pourquoi les Adarii ont un tel mépris pour les Maÿcentres. Il y a de quoi devenir fou à force de ressentir ce genre de chose. »

Il m’avait pris de court. Je ne savais comment lui expliquer que c’était bien plus complexe que ça. Je secouai la tête. Si, c’était tout à fait ça en fait. Comment pouvait-on supporter des gens qui passaient leur temps à vous mépriser ?

« Le président vous appelle Adarii. »

Je me retournai vers la table à coté. Qu’est-ce qu’il me voulait encore ?

« Venez nous rejoindre Pluie. »

Je jetai un dernier regard à Luico qui me tendit mon écharpe. Après réflexion, je serais bien restée à sa table.

« Vous m’avez demandé Syhy président Eysky » dis-je d’un ton dégoulinant de mièvrerie.

« Oui, nous parlions de vous, enfin de vos semblables, et bien sur, je n’imaginais pas parler de ce genre de choses derrière votre dos. »

Je fronçai les sourcils. Méfiance pensai-je quand il mentait avec tant d’assurance, ça ne présageait rien de bon.

« Je disais que nous avions déjà établi quelques relations commerciales très profitables avec Saphir et que nous regrettions que Plume ne nous laisse pas en faire autant. »

Je bondis telle une furie sans réfléchir. « Vous êtes en train de détruire Saphir et en plus, vous vous en vantez !? »

Quelques pointes d’étonnement fusèrent des Terriens. Evidemment, ils n’allaient pas se laisser berner par une absurdité pareille. « Cette jeune fille n’a pas l’air d’être aussi enthousiaste que vous. Pourriez-vous nous donner votre avis Adarii ?

- Ils se sont imposés de façon pernicieuse sur Saphir sous le couvert de soi-disant échanges commerciaux. Ils détruisent tout le système en place et pervertissent le peuple.

- Ce n’est pas tout à fait ce que vous m’aviez dit président »

Et voila. J’avais démoli tous les espoirs du président pour s’approprier la confiance de la Terre. Ca risquait de m’en coûter mais j’en étais très fière. Si fière que je ne remarquais même pas à ce moment-là à quel point le président était ravi alors que mon comportement aurait dû le mettre au comble du désespoir.

« Ca dépends pour qui » Le sourire du président et son air beaucoup trop assuré me firent soudain froid dans le dos, mais c’était un peu tard.

« Disons que, d’un coté, elle n’a pas tout à fait tort. Il se trouve que pas mal de gens se sont enrichis mais, comme vous l’avez sans doute compris, Plume et Saphir sont soumises à un régime dictatorial.

- Pas du tout » m’indignai-je. Qu’est-ce qu’il racontait encore comme absurdité ?

« Un pouvoir absolu et sans aucun contrôle par le peuple, vous appelez ça comment ? » reprit-il tranquillement.

« Ca n’a rien à voir. »

Gentry tentant de calmer les choses proposa plutôt de comparer notre régime à une monarchie, ce qui n’arrangea pas mon humeur.

« Monarchie absolu alors selon votre définition, vu que le peuple n’a aucun droit de décision » précisa le président.

« Bref, nous ne sommes pas là pour jouer sur les mots. » Continua-t-il avant même que je puisse répliquer « Le résultat, c’est que, maintenant que sur Saphir le peuple connaît autre chose, il a, disons, plus de réticence à aduler leurs dirigeants comme il convient là-bas. Mais bien sur, ce genre de problème ne concerne pas la Terre qui, tout comme nous prône le pouvoir démocratique. N’est-ce pas ? »

J’allais me faire avoir, il fallait que je reprenne la situation en main et vite. Le président se servait des idéologies Terriennes pour raconter n’importe quoi « Vous ne savez rien de ce qu’il se passe sur Plume, nous avons un des régimes les plus efficaces qui soit, et personne ne s’en plaint.

- Comment le saurait-on ? Nous n’avons pas le droit d’y aller ?

Voyez-vous, messieurs, l’important dans un empire tel que le nôtre, c’est de respecter le plus possible les coutumes de chacun, même si nous ne les approuvons pas toujours. Ainsi, nous tolérons leurs mœurs polygamiques, disons, originales, et nous sommes bien obligés d’accepter qu’ils utilisent des domestiques qui n’ont droit à aucun salaire.

- Nos domestiques ont droit à bien plus de choses que la plupart de vos employés.

- Mais rien à eux. Il faut dire que le peuple tout entier de Plume ne possède rien. Ni le sol qu’il cultive, ni les objets qu’ils fabriquent, ni les habitations dans lequel ils vivent. Je pense que c’est surtout ça qui fait rêver les habitants de Saphir. L’idée de pouvoir posséder quelque chose. Avoir un bien à eux. Pour nous, ça parait la moindre des choses, mais eux, ils n’ont droit qu’à ce que les Adarii daignent leur laisser. Et encore, ils peuvent tout reprendre suivant leur bon vouloir vu que la planète entière et tout ce qu’elle contient leur appartient.

Au fait Pluie, Au niveau du peuple de Plume, est-ce que leurs enfants leur appartiennent ? »

J’allais répliquer mais je sentis le piège arriver. A chaque mot que je disais, je m’enfonçais un peu plus. Il était en train de me manipuler. Moi toute seule, je détruisais toute considération des Terriens envers notre peuple. Il n’était plus temps de parler sans réfléchir mais je ne savais plus quoi dire « Rien n’est à nous nous plus.

- C’est vrai, tout est au territoire. Les personnes n’ont que la jouissance des biens. Dans l’ordre hiérarchique c’est bien cela ?

Et c’est vrai qu’à ce niveau, vu que les Adarii ont la priorité pour s’approprier ce qu’ils désirent, ça ne leur coûte rien de s’approprier aussi certaines jolies choses pour leurs domestiques. Etre domestique dans une maison Adarii est un des statuts les plus élevé pour le peuple de Plume.

- On ne s’approprie pas…

- Oui, je sais, la propriété privée n’existe pas, n’empêche que le résultat est le même.

Ha, c’est une culture intéressante, je n’aimerais pas y vivre mais c’est intéressant. »

Je ne m’en sortirais jamais, Orage, lui, saurait quoi dire. Oui c’est ça, demander à Orage. Non, Glace, c’est lui qui s’occupe de la Terre. Non, il allait m’en vouloir, Orage plutôt. J’étais tellement perdue que de toute façon, je n’arrivais plus à trouver personne. Je sentis quelqu’un m’effleurer l’épaule rapidement. De ce contact, je ressentis un plaisir malsain, une joie sadique, la fierté de quelqu’un en train de vaincre. Je me tournais vers le président qui avait déjà retiré sa main. « Rester avec nous Adarii, vous n’allez pas nous faire l’affront de préférer discuter avec un de vos amis ou un de vos petits amis plutôt qu’avec votre président et ses invités ?

- Vous n’êtes pas mon président.

- Je suis désolé » dit-il pas le moins du monde gêné par son mensonge flagrant. « C’est ce que je vous disais » dit-il en se tournant vers le général. « La difficulté de gérer les différences culturelles, nous commettons très vite des impairs sans le faire exprès. Voyez-vous, pour les Adarii, il est impensable d’avoir une autorité qui ne soit pas de leur race. Enfin si on peut s’exprimer ainsi.

C’est bien cela ? » Insista-t-il

Non, là je ne dirais plus rien, j’allais encore m’enfoncer.

« Ceux qui ne possèdent pas leurs talents bizarres comme nous, ou comme vous sont considérés comme inférieurs.

S’en était trop. Ils ne devaient pas entendre ça « N’écoutez pas »

Je sentis mon ordre fuser tout autour de moi. J’avais réussi à imposer ma volonté sur les deux Terriens à la fois. Ni Tempête ni Sentiment n’y arrivaient. Je me féliciterais de ce genre de chose une autre fois, je ne tiendrais pas longtemps. Bien sur, le président avait pris soin d’éviter mon regard entraîné par des années de paranoïa.

« Vous êtes en train de nous démolir » lui dis-je.

« Vous êtes en train de comploter contre nous avec le deuxième satellite et Saphir. Vous choisissez vos alliés, je choisis les miens. Mais, continuez ainsi, une fois qu’ils se seront rendus compte de l’étendue de vos capacités,… »

« Vous disiez ? » Je n’avais pas fait exprès de les lâcher mais, c’était trop difficile de les garder ainsi. Ils s’étaient libérés d’eux-mêmes.

Le président se tut instantanément et en une fraction de seconde, retrouva son sourire courtois.

« Je disais, que le soleil n’allait pas tardé à se coucher. Si nous nous dépêchons, nous devrions pouvoir assister à ce spectacle passionnant du haut de l’esplanade.

***

Des journées si courtes et si riches en problèmes, c’était inconcevable. J’ouvris la porte et croisai Paya qui s’apprêtait à partir. Je m’effaçai pour le laisser passer ainsi que sa sculpturale compagne et ignora ses regards de pervers concupiscents qui parait-il était une marque de flatterie dans leur culture.

Je me penchai au dessus de l'épaule de Sentiment afin de mieux voir les documents qu'elle était en train de lire dans la bibliothèque. « Sur quoi travailles-tu » lui demandai-je ?

« En quoi ça te regarde microbe ? Ne me demande pas ce que je fais et je ne te demanderais pas chez qui tu as passé la nuit. »

Ca faisait bien longtemps que je ne me vexais plus de la façon de parler de Sentiment. Elle était plus froide qu'un iceberg. Je ne m’étonnais pas qu’elle sache déjà que j’avais passé la nuit avec Orage, il n’y avait pas moyen d’avoir la moindre intimité dans cette maison. Je savais aussi qu’elle désapprouvait, elle m’avait déjà fait la morale quand elle avait appris qu’on était lié tous les deux en me disant qu’il allait m’entraîner dans ces idées malsaines.

« C'est la marque de Taegaïan qui est au bas de ce document » lui fis-je remarquer.

Elle replia soigneusement les feuillets et s'étira. « En effet, ça te concerne. » Elle eut un léger frisson et se rapprocha du feu. Le froid était arrivé en même temps que la nuit. Pourtant, il devait être encore tôt. Et dire que je me plaignais, il y a quelques mois, d'avoir des journées qui n'en finissaient pas ! Maintenant, j'avais l'impression que, quand il faisait jour, j'avais à peine le temps de prendre mon manteau qu'il faisait déjà nuit.

« Ca fait partie des recherches de ton père » m'expliqua Sentiment. « J'ai retrouvé dans la bibliothèque des dossiers sur certaines recherches des Maÿcentres. Le genre d’étude qu'il a intercepté et fait disparaître avant que les résultats ne parviennent à trop de monde.

- Recherches portant sur quoi ?

- Des travaux de génétiques afin de savoir si les Adarii et les Humains pouvaient être considérés comme étant de la même race. »

Je fronçai les sourcils. La veille, j’aurais encore affirmé envers et contre tout à quel point il était impensable d’imaginer que nous puissions être issus de deux races différentes même si je ne pouvais m’empêcher de faire la distinction. D’un autre coté, c’était plaisant d’imaginer ne pas avoir des bases génétiques communes avec la Main ou Ryun même si je n'imaginais pas que, scientifiquement, on puisse réellement faire une distinction.

Sentiment parut réfléchir quand je lui en fis la remarque ou peut-être se contentait-elle de se laisser bercer par le mouvement des flammes.

Aiguille entra en portant un plateau de thé.

« Ce n’est pas trop tôt » lui dit Sentiment « j'ai l'impression de t'avoir demandé cela il y a au moins vingt minutes.

- Désolé Adarii. J'ai été retardé. Eïskï fils demande l'autorisation d'entrer. »

Sentiment se tourna vers moi comme si c'était de ma faute.

« Quoi ? Ne me regarde pas ainsi, je n'y suis pour rien.

Aiguille, dis-lui que je n'ai pas envie de le recevoir.

- Tu as tenté de lui dire qu'à tes yeux il était encore moins qu'un animal ?

- Quelle délicatesse Sentiment !

Mais, si ça peut te rassurer, il veut toujours me passer sur le corps mais plus du tout de la façon dont tu l’imagines et cela depuis un certain temps déjà. »

Une fragrance de curiosité glacée transpira de l’armure impassible de Sentiment. « Que lui as-tu fait ?

- Vous savez qu'il neige dehors ? »

Tempête venait de rentrer dans la bibliothèque « J'ai croisé Ryun qui traversait le jardin. Il a l’air furieux. Ce n’est pas bien de faire du mal aux gens ainsi Pluie. Il me fait pitié.

- N'importe quelle bestiole te fait pitié mais ça ne dure jamais bien longtemps » dit Sentiment

« Qu'en sais-tu ? Tu ne sais même pas ce que ce mot signifie »

Tout d’un coup, je jetais un œil nouveau sur Tempête.

Son manteau de fourrure ouvert laissait paraître, comme à son habitude, ses longues jambes galbées. Aiguille arriva à ce moment et elle le laissa glisser pour le lui remettre révélant sa mini robe de cuir noir dont le laçage pas assez serré dévoilait un décolleté paraissant insensible au froid. De fins maquillages argentés formaient des entrelacs, comme des guirlandes de fleurs, sur ses jambes nues au dessus de ses bottes de satins, noires également. Son épaisse chevelure bouclée tombait librement sur ses épaules jusqu’au milieu du dos tandis qu’elle se baissait pour ôter ses bottes couvertes de neige en faisant sonner une multitude de bracelets d’argents.

Non, ce n’était pas le genre de fille à avoir pitié de quoi que ce soit. Elle se retourna soudain vers moi et me sourit d’une façon que je ne lui connaissais pas. Qu’avait-elle surpris de mes pensées ?

Sentiment ne daigna même par répondre à Tempête. « Qu’as-tu fais au Syhy Eïskï ? ». La façon cérémonieuse qu’elle avait utilisé dénotait bien à quel point elle désapprouverait mon intervention quelque soit sa teneur.

Je ne répondis pas. Si je ne devais pas me montrer curieuse, il n’y avait pas de raison que je réponde aux questions des autres. Surtout quand il s’agissait de Sentiment. Je repris sur le sujet qui m’intéressait : « J'aimerais finir la conversation aux sujets de ses recherches. »

Sentiment me jeta un regard noir mais n’insista pas. Après tout, elle n’avait pas envie d’en savoir d’avantage.

Tempête s'approcha des documents. « Ha ceux-là, si tu veux mon avis, ça ne va pas plaire à Pluie.

De toute façon, je vous laisse. Orage m'attend en haut.

- Regarde-là se précipiter au moindre appel d'Orage. Elle est désespérante.

- Qu'est-ce qui ne va pas me plaire ?

- D'après ses recherches, il y aurait des incompatibilités génétiques entre Adarii et les Autres. En tout cas, suffisamment pour qu'il soit impossible pour les deux parties de se reproduire ensemble.

- Oui, hé bien là, je pense qu'ils s'avancent un peu, sinon je ne serais pas là.

- Espoir soupçonnait certains Terriens d'avoir les caractères génétiques spécifiques des Adarii. C'était pour travailler là-dessus qu'il était revenu sur Terre. Je pense que ta mère devait être ce genre de spécimen et que pour vérifier jusqu'où pouvait aller la similitude génétique, il lui a fait un enfant.

Je ne sais pas pourquoi, cette idée ne me plaisait pas. Sans doute parce que j'aurais bien aimé être prévenue. Quoique, j'avais toujours su que j'étais le résultat d'une expérience. j'imaginais mal que mon père n’ait jamais pu avoir plus de sentiment pour ma mère qu’Orage en avait pour Dyasella.

- Il n'aurait pas fait des analyses sur ma mère pour vérifier ça ? »

Sentiment secoua la tête « pas trouvé » me dit-elle. Mais le seul fait que tu sois là prouve en soi qu'Emma était génétiquement plus proche de nous que les hommes que l’on trouve ici. »

En tout cas, ce n'était pas flagrant. Ma mère était aussi pénible que n'importe quelle Autre. Plus même. A ce sujet, j’avais omis de l’appeler avant mon départ. J’aurais peut-être dû.

« Et de plus, tu n'as aucune caractéristique commune avec eux. Tu es exactement comme nous, enfin, génétiquement » Continua-t-elle.

« Qu'en sais-tu ? Il faudrait faire des analyses pour vérifier.

- Déjà fait. Tu te souviens quand Orage t'a piqué avec ce petit instrument bizarre le mois dernier. C'était pour avoir un échantillon de sang.

- Et vous ne pouviez pas demander tout simplement ?

- Pourquoi, tu nous aurais dit non ?

- Bien sur que non, j'aurais accepté.

- Alors quelle différence ?

- J'aurais voulu le savoir c'est tout.

- Hé bien, tu le sais maintenant. »

Quand on partait dans ce genre de discussion, il était impossible d'avoir la moindre information pertinente. Je préférais me lever et monter avant de me fâcher contre Sentiment. J’avais eu ma dose dans la catégorie journée infernale. Entre les excuses à la Main, le président qui en profitait pour raconter n’importe quoi, les réunions sans intérêt pour finir par me retrouver telle le rat de laboratoire de Sentiment. Je n’en pouvais plus.

Je retrouvai Tempête complètement affalée sur le tapis entre les bras d’Orage « Pluie, je disais justement à Orage que…

- Je m’en fiche. Je suppose que ça vous aurait fait du mal de me parler des recherches de Sentiment ?

- Désolé » dit Tempête « je ne voulais pas t’embêter avec ce genre de détails.

- C'est ça oui » J’attrapai un peignoir dans ma chambre et m’apprêtai à descendre aux thermes. Je dis en passant à Tempête que le président lui faisait dire qu’il ne voulait plus entendre parler de la moindre conduite inconvenante à son sujet.

Elle sourit d’un air franchement vicieux « inconvenant comme ça » dit-elle en embrassant Orage.

« Ca et tout le reste. En particulier cette habitude que tu as de séduire n’importe qui » dis-je en claquant la porte derrière moi avant de descendre aux thermes. Je me dévêtis et plongeai dans la piscine en espérant que le contact de l’eau fraîche calme un peu mon humeur. Les panneaux solaires n’étaient pas suffisants pour chauffer une telle masse d’eau en permanence et, même si la salle était chaude, je ne tardais pas à grelotter. Je sortis de l’eau et enfilai mon peignoir. Je m’apprêtai à remonter, mais fis volte face. Je ne voulais pas risquer de croiser Sentiment. Je ne sais pourquoi, ce qu’elle m’avait dit m’avait fait mal. Je savais bien que je n’étais que le résultat d’une expérience mais je ne voulais pas pour autant que Sentiment mette son nez là-dedans. Elle me dénigrait déjà suffisamment. Pour la première fois, je me demandais ce que mon père avait éprouvé pour ma mère ? Avait-il seulement ressenti quelque chose ? S’était-il moqué de son ignorance, ou avait-il eu pitié d’elle ? Et si mon sang ne s’était pas révélé Adarii, mon père m’aurait-il rejeté ? Sans aucun doute. Il m’aurait renvoyé sur Terre avec ma mère et ne se serait plus jamais préoccupé de moi. Peut-être qu’au fond ça n’aurait pas été si terrible. Au moins, personne n’aurait peur de moi. J’aurais pu trouver un vrai travail, quelque chose que les gens apprécieraient et personne ne me regarderait comme si j’étais un monstre. J’aurais pu me faire des amis. Des vrais, qui ne passent pas leur temps à comploter derrière mon dos et qui ne surprennent pas mes pensées dès que j’ai le malheur de me laisser un peu aller.

Orage était rentré dans la pièce. Pour une fois, il n’avait pas fait de bruit. Je me blottis, assise dans un coin sombre, et ramenai mes jambes vers moi tentant de disparaître dans le mur mais il ne pourrait ignorer ma présence comme je ne pouvais ignorer la sienne. Il avança droit vers moi et me prit la main. « Tu vas mourir de froid à rester ainsi sur le carrelage ». Je me laissais conduire jusqu’au salon. Je n’en avais pas envie mais n’osais pas refuser. Si j’avais ouvert la bouche pour dire quoi que ce soit, j’aurais fondu en larme. Toute mon énergie était concentrée dans le seul but de garder un semblant de dignité. Orage avait fait monter du chocolat chaud et l’odeur sucrée embaumait la pièce se mélangeant aux effluves du feu parfumé à la balsamine. J’avais une grosse boule dans la gorge qui ne m’aurait jamais permis de boire et je rejetai de la main le bol qu’il me tendait. Je me sentais horriblement seule et, d’un autre coté, je ne voulais voir personne. Je me rappelais, quand j’étais petite, afin de ne jamais être seule, je m’étais inventé un ami imaginaire qui me rejoignait la nuit durant mes rêves. Je souris à cette pensée, je n’en avais même pas besoin, j’avais déjà la présence rassurante de mon père à mes cotés. Et Glace aussi. A cette époque, il ne passait pas son temps à jouer les grands frères autoritaires. Maintenant, je n’avais plus rien.

Je sentis un goût salé qui s’immisçait dans ma bouche et une humidité bien trop grande au niveau des yeux. Je pris une grande inspiration et refoulai mes larmes et mes émotions.

Après quelques profondes inspirations, je commençais à reprendre le contrôle de moi.

« Orage ? » Il n’était pas dans mon champ de vision. Pourtant, je le devinais debout devant la baie vitrée, perdu dans la contemplation de la nuit.

« Qu’est-ce que tu veux Pluie ? »

Qu’est-ce que je voulais ? Il en avait de ses questions lui. Je n’en avais pas la moindre idée.

Si, bien sur que je le savais. D’un coup, j’eus l’impression de me libérer d’un poids énorme. C’était Sentiment qui m’avait donné la réponse. J’avais été vexée. Du coup, je n’avais pas mesuré l’importance de ses paroles. Les Adarii ne seraient jamais semblables aux Autres et, si je pouvais pester sur le fait qu’elle analyse mon sang sans prendre la peine de me demander mon avis ou qu’elle me traite d’hybride, les résultats parlaient d’eux-mêmes. J’étais Adarii. Pour la première fois, je savais réellement qui j’étais et ce que j’étais.

« Embrasse-moi » Dis-je à Orage sur un ton impératif.

J’entendis Orage s’étrangler. Il devait être en train de boire. En effet, il s’avança vers moi d’un pas rapide et posa son bol sur la table basse. Il ne s’attendait pas à cela. Il me regarda, parut hésiter, puis explosa de rire. « Dois-je comprendre qu’aujourd’hui, c’est toi qui tombe à mes pieds ? Ca ne te ressemble pas. »

Je me levai et fis face à lui. Toute tristesse avait disparu. « Aujourd’hui » lui dis-je « je me suis fait humilier par la Main, dégrader par le président Eysky, mépriser par les Terriens, et Ryun a tenté de venir m’achever » Je gardai pour moi la façon dont le président avait subtilement démoli notre culture. Il aurait bien le temps d’apprendre cela plus tard.

« Je ne suis pas sûre d’approuver tes méthodes contre les Maÿcentres, mais je ne les laisserais pas continuer ainsi. Il est temps qu’ils voient qui sont les plus forts. »

Je levai mon visage vers lui cherchant les mots pour le convaincre. Je n’eus que le temps de lui dire : « Je suis avec toi Orage » avant de sentir ses lèvres sur les miennes.