samedi 24 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 6

6
"Si tu attires la pluie, étaie les bananiers."
Proverbe kongo

Ca faisait presque sept mois que j’étais arrivée ici et je venais d’avoir seize ans. Autant dire qu’aux yeux des Adarii, j’étais adulte. Dans un certain sens, cette promotion, si je puis m’exprimer ainsi changeait mes rapports avec ceux qui partageaient ma vie. Ils ne pouvaient plus me considérer comme une petite fille à surveiller mais comme leur égal. Tempête avait commencé des recherches sur les plantes curatives pour la Terre ce qui la retenait souvent en dehors de la ville. Quand elle revenait à la villa, elle ne parlait que de pseudo civilisations Terriennes disparues, de pyramides géantes, de blocs de pierres de plusieurs tonnes déplacés sur des kilomètres, de soi-disant pistes d’atterrissage datant de plusieurs millénaires et de divers mythes ou légendes sortis de quelques vieux documents laissés par mon père.

J’étais sceptique. Je commençais à connaître un peu d’histoire et je savais que les techniques de pliures de l’espace permettant de rapprocher deux points éloignés afin de raccourcir les distances, étaient très récentes. Même si la Terre et Vengeance ou Conquête étaient très proches, sans cette technologie il aurait fallu des années de voyages pour y parvenir. En plus, une telle civilisation aurait laissée des traces autrement plus importantes que quelques vieilles pierres.

Mais Tempête y croyait et je pense qu’elle restait sur les Maÿcentres uniquement dans le but de trouver une occasion de retourner là-bas.

J’avais été étonnée que le président Eysky n’ait pas encore trouvé un moyen de l’expatrié vu l’animosité qu’il pouvait avoir envers elle. Orage m’avait expliquée qu’il ne pouvait se résoudre à la renvoyer à cause de ses talents de guérisseuse sans lesquels il ne serait aujourd’hui qu’un légume incapable de se déplacer.

Sentiment avait précisé que la chute du président qui avait nécessitée les soins de Tempête avait fait partie d’un plan minutieusement préparée par cette dernière afin de se rendre indispensable auprès de lui. Tempête a toujours niée une quelconques implication dans « cet heureux coût du sort ». En ce qui me concerne, je préfère ne pas me poser de question et penser qu’aucune idée aussi machiavélique ne pourrait germer dans la tête de mon amie même si je sais que c’est plutôt naïf de ma part.

Autant Tempête parlait, mais pour ne rien dire, autant Sentiment était des plus secrètes. En vérité, je n’avais jamais vraiment compris en quoi consistaient ses activités. Je savais qu’elle travaillait en tant qu’anthropologue spécialisée dans les cultures de la Terre mais elle n’en discutait jamais. De toute façon, elle ne communiquait guère, en particulier avec moi. C’était elle aussi qui avait la fonction d’ambassadeur de Plume, ce qui la cantonnait à d’ennuyeuses réunions dont elle ne me disait jamais rien.

J’en appris aussi d’avantage sur l’avancée des contacts avec la Terre. Glace m’avait donné une mine d’information à ce sujet. Ainsi, je savais déjà que les Maÿcentres avaient des contacts secrets avec de hauts dignitaires de cette planète. Il avait été convenu que rien à ce sujet ne devait parvenir au peuple de la Terre sans ce qu’ils appelaient une « préparation du public à la nouvelle » qui s’éternisait inlassablement. Toutes les excuses étaient bonnes à ce niveau et les hommes de la Terre discouraient allègrement de chocs culturels, de bouleversement économiques majeurs et autres problèmes sociaux en tout genre afin de se justifier et s’enfoncer dans une conspiration à mon avis des plus futile voir délétère.

Il fallait admettre que, dans le secret, ils n’avaient pas fait les choses à moitié ayant creusés des kilomètres de galeries à Archuleta Mesa, une zone montagneuse perdue au fin fond du nouveau Mexique, transformant une bonne partie de la région en un véritable gruyère dans lequel ils avaient implantés une base souterraine dans le seul but de se prélasser dans leur complot. J’attendais impatiemment de voir comment, après un mensonge pareil, les gouvernements Terriens pourraient garder la moindre trace de crédibilité.

La Terre tramaient contre son propre peuple, les Maÿcentres leur dissimulaient certaines facultés propres aux Adarii soi-disant pour ne pas les alarmer mais surtout dans le secret espoir de pouvoir un jour convaincre Glace de les manœuvrer suivant leur bon vouloir : Genre de détail qui faisait scandale à la moindre incartade chez eux mais beaucoup moins répréhensible quand il s’agissait des autres.

Orage faisait de la rétention d’information entre Glace et les Maÿcentres. Tempête établissait un plan afin de s’expatrier sur Terre à la recherche d’hypothétiques civilisations disparues malgré l’interdiction absolue d’intrusion extraterrestre non contrôlée dans leur périmètre.

Et moi, je devenais folle à force à rester ici.

« Adarii Pluie ? »

Je posai mon crayon avant de refermer le petit calepin dans lequel j'étais en train d'écrire, seul souvenir de mes années sur Terre. Il était presque plein maintenant. Il faudrait que je demande à Plumeau de me trouver quelque chose de similaire.

« Qu'est-ce qu'il y a Plumeau ?

- Une affaire à régler »

La domestique avait un tempérament plutôt engageant : souvent tranquille et souriante. Mais, pour d’obscures raisons, de temps en temps, une vague de mauvaise humeur la submergeait et elle devenait invivable. C’était le cas aujourd’hui. Au fond, c’était compréhensible. La vie ici n’était pas des plus agréable pour elle non plus. N’empêche qu’elle pourrait faire un effort. J’évitais de lui demander ce qui lui posait problème, je n’avais aucune envie qu’elle me serine ses ennuis et la suivis jusqu'à l'office. C'était une grande salle bien équipée mais qui paraissait vide en comparaison des cuisines des villas de Plume dans lesquels se relayaient toujours plusieurs cuisiniers. Les plats étaient plus simples ici et surtout, nous étions peu nombreux. La pièce était déserte excepté un homme assis sur une chaise, la tête affalée sur la table au milieu de miettes de pain.

« C'est quoi ça ?» demandai-je à Plumeau en le désignant du doigt.

« Il est arrivé il y a une heure » répondit-elle, « il dit être originaire de Plume. D'Incarada plus précisément. Ce doit être une sorte d'aventurier qui a voulu pousser la chance en s'embarquant sur un des vaisseaux qui transite dans le désert rose. On en récupère de temps en temps. Ils rêvent de gloires et de fortunes et finissent par croupir au fond des villes souterraines avant de venir pleurer ici. C’est ce genre de larve qui détruit la réputation de Plume. Il s’appelle Aiguille » ajouta-t-elle.

Je m'assis en face de l'homme évitant de relever les paroles crues de Plumeau. Il ne devait pas être beaucoup plus âgés que moi. Notre conversation ne l'avait même pas réveillé. Il devait être épuisé. Il avait dû se laver mais ses mains étaient sales, d'une crasse incrustée, et entaillées en de nombreux endroits. Il n'avait que la peau sur les os et ses vêtements étaient usés et déchiré par endroit. C’était étonnant qu’il ait réussi à prendre le funiculaire pour monter jusqu’ici. En général, les contrôles étaient plutôt pointilleux.

Je me tournai vers Plumeau : « Restent-ils des chambres libres dans la maison des domestiques ?

- Bien sur, vous pensez, nous sommes très peu nombreux. D'ailleurs, justement deux domestiques pour entretenir une telle surface et les jardins, c’est…

- Quatre » rectifiai-je sans faire attention

« Crayon et Miroir ne comptent pas, ils ne sont jamais là. C’est à peine s’ils ne vivent pas dans le vaisseau Taegaïan pour éviter les corvées. D’ailleurs, ils sont encore partis dans le nord avec les Adarii Tempête et Sentiment alors qu’un des deux aurait largement suffit.

- Je ne t'ai pas demandé de me faire un état des lieux Plumeau. Les Maÿcentres trouvent déjà qu’on a trop de domestiques. Le jour où tu arriveras à les convaincre qu’on ne vous réduit pas à l’esclavage, on verra ce qu’on peut faire. En attendant, Contente-toi de me servir quelque chose à boire et ne t’énerve pas ainsi, c’est fatigant.

La petite domestique commença à s’affairer dans la cuisine mais ne se calma pas pour autant. Elle qui était toujours si enjouée. Il avait dû se passer quelque chose mais j’avais suffisamment de soucis avec l’autre qui dormait toujours pour m’occuper de ses états d’âmes. Tout en cherchant se dont elle avait besoin, elle me frôla suffisamment pour que je perçoive ses pensées me faisant sursauter.

Même pas moyen d’être de mauvaise humeur tranquille ici, dois faire tout le boulot et en plus soigner leur empathie

« Plumeau » criai-je presque « tu l’as fait exprès. Tes états d’âmes ne m’intéressent pas.

Va lui préparer une chambre et ne recommence jamais ça ».

Elle déposa la tasse sur la table sans un mot et passa de la colère à la confusion avant de sortir. Au moins, elle admettait qu’elle avait exagéré.

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? Pensais-je face à l'homme toujours assoupi malgré mes cris. Je portai à mes lèvres la tasse de thé et me brûlai légèrement avant de l’écarter, la gardant suffisamment près pour profiter de l'odeur apaisante de la menthe.

Je respirai ce parfum et sentis mon frère à mes cotés. Je n’avais pas besoin de cela mais, j’ignorais pourquoi, j’avais associé l’odeur de menthe à Glace.

- J'ai un problème. Je lui expliquai ce que m'avait dit Plumeau au sujet de notre visiteur et ajoutai que les filles étaient parties pour de mystérieuses recherches, sans essayer de dissimuler l’agacement que me procurait leurs petites cachotteries et qu'Orage rentrait de plus en plus tard lui aussi sans me donner de raison.

- C’est de plus en plus fréquent me confirma-t-il ignorant mes sous-entendus. Des jeunes surtout. Ils se sentent prêt à conquérir l'univers entier sans aucune connaissance et ils se retrouvent exploités par les Maÿcentres ou Vengeance.

- Je croyais qu'il y avait des formations pour ceux qui désiraient tenter leur chance avec les Maÿcentres ?

Je me souvenais que petite, je suivais le même enseignement que les enfants du peuple et dans les dernières années, ils apprenaient les bases de politiques et d'économie des Maÿcentres et de Vengeance. En fait, ce n'était pas tout à fait exact. Peu de jeunes suivaient ses enseignements jusqu’au bout. C’était considéré comme du temps perdus.

Glace me le confirma. - Nous proposons des formations, nous poussons même certaines personnes à venir se former ici pour ensuite enseigner sur Plume mais ça intéresse très peu de monde. Ils sont trop pressés et voilà à quoi ça les mène.

Je jetai un coup d’œil, tandis qu’il commençait à bouger.

- Et on en fait quoi de celui-là ?

- Pareil que les autres. Tu lui fournies le gîte et le couvert et, en échange, il travaille sous les ordres des domestiques de la villa et il a l'obligation de suivre en même temps des études sur les Maÿcentres. Ensuite, quand l'un d'entre nous rentrera sur Plume, on le raccompagnera. Quand Orage a fait un aller retour avant ton arrivée, il en a ramené trois. C'est aussi à ça que nous sert notre pied à terre ici.

Je m'éloignais de Glace tandis que le paquet d'haillon relevait la tête. Il sursauta en me voyant en face de lui et faillit tomber de sa chaise. Je le laissai reprendre son équilibre en buvant une gorgée de thé avant d’engager la conversation : « Tu t'appelles Aiguille, c'est bien cela ?

- Oui Adarii. Je suis d'une famille de tisseur au bord du désert de Plume. Mais je ne suis pas bon tisseur moi-même et...

- Et tu as imaginé que tu serais capable de t'en sortir seul et sans la moindre formation dans ses pays de sauvages. »

Aiguille baissa la tête comme un gamin réprimandé. Il était plus âgé que j’avais pensé en prime abord. Sans doute approchait-il les trente ans.

« Ils m'ont dit qu'ils me formeraient à un métier. Je travaillais dans les mines des villes souterraines mais ils ne me donnaient pas suffisamment. Je n'avais même pas de quoi me loger. Je dormais dans la rue et… »

Je le coupais. Je n'avais aucune envie d'écouter ses jérémiades affligeantes, celles de Plumeau m’avaient suffi. Ils étaient bien trop assistés sur Plume, incapable de se débrouiller seul à force d'être protégé.

« Et donc, tu es venu pleurer ici dans l'espoir qu'on te sorte de là. »

Il me regarda un instant avec des yeux implorants avant de se détourner. « Pas vraiment ».

Je fronçai les sourcils. Jamais sur Plume, il n’aurait ne fut-ce que imaginer raconter n’importe quoi.

« En fait, si » se reprit-il, se rendant compte à qui il parlait « c'est tout à fait ça.

- Les Adarii d'Incarada n'ont-ils pas dit que ceux qui voulaient tenter leur chance avec les Maÿcentres ou Vengeance devaient suivre une formation et avoir de quoi se payer un billet retour ?

- C'est impossible. Ce n'est pas avec la vie que l'on mène sur Plume qu'on aurait les moyens de se payer un billet retour. Je pensais économiser ici.

- Et tu pensais apprendre sur le tas sans doute. Vous arrivent-t-ils de réfléchir un peu avant de vous engluer dans les problèmes ou préférez-vous vous contenter de penser qu'on finira par vous en sortir ? Et après, on s'étonne que les Maÿcentres jugent Plume comme une planète primitive. »

Je me levai et me dirigeai vers la fenêtre. Elle donnait sur le jardin. Miroir avait taillé les buissons. On pouvait maintenant apercevoir le haut de la fontaine. Un jour, autorisation ou pas, je devrais aller voir ses villes souterraines. Orage les comparait à un entassement de déchets humains. Ce n'était pas en restant ici que je me ferais une idée réaliste de la vie sur les Maÿcentres. Le silence était tombé dans la pièce. Aiguille n'avait pas répondu. Ca n'avait pas d'importance, ses sentiments parlaient pour lui.

« Tu logeras dans la maison des domestiques. Ils te diront quoi faire pour te rendre utile. Tu suivras aussi l'enseignement des jeunes des Maÿcentres.

- Mais, je veux rentrer sur Plume ».

Je respirai profondément et fermai les yeux quelques instant pour maîtriser l’exaspération qui montait en moi. « Je lui tendais la main et il m'aurait mangé le bras. » Enfermé entre la mauvaise humeur de Plumeau et le désespoir d’Aiguille, j’allais devenir dingue.

J'avais voulu parler calmement mais je criai presque : « C'est sur les Maÿcentres qu'on t'a appris à discuter les ordres des Adarii ? Tu feras ce que je t'ai dit. Tu imagines qu'on est là dans le seul but de prendre soin de toi ? »

Je continuai plus calmement « Tu rentreras quand l'un de nous rentrera, et une fois de retour à Incarada, tu transmettras aux jeunes de là-bas ce que tu as appris en espérant en dissuader un ou l'autre d'agir aussi bêtement.

C'est compris ? »

Son visage était décomposé, mais ce n'était pas que la peur. La fatigue, la malnutrition et les mauvais traitements devaient y être aussi pour quelque chose.

« Est-ce que c'est compris ? » répétai-je plus doucement.

Aiguille répondit d'une toute petite voix. « Oui Adarii ».

Je me retournai vers la porte tandis que Plumeau revenait ne faisant toujours aucune effort pour garder sa mauvaise humeur pour elle accompagné d'Orage qui lui jetait des regards désapprobateurs.

« Va avec Plumeau » lui dis-je, « elle te montrera ta chambre. »

Il se leva en vacillant. Pendant un instant, je crus qu'il allait me tomber dessus et je m’écartai mais il avança d'un pas vacillant jusqu'à la porte, salua Orage comme il se doit et Plumeau le soutint en sortant de la pièce.

Je me rassis et finis mon thé d'un trait perdu dans la contemplation d'une branche qui se balançait au gré du vent derrière la vitre. Pour se calmer, il n'y avait rien de plus efficace que de ne penser à rien. Malheureusement, Orage ne m'en laissa pas le loisir.

« Jolie Pluie, voilà un discours comme je les aime. Je finissais par craindre qu'on arriverait à rien avec toi à te voir déambuler dans cette grande maison vide comme une âme en peine mais en fait, quand tu veux, tu sais remettre les gens à leur place. Ca me plait.

- Je suis pas d'humeur à écouter tes éloges Orage ».

Il fit mine de partir puis fit demi-tour et vint se placer derrière moi pour me masser la nuque. « Je sais ce que tu penses. Tu es désespérée de voir à quel point ce pauvre garçon est mou et simple. Et le pire, c'est qu'ils sont tous ainsi. Incapable de se débrouiller sans nous. Résultat de générations successives d'assistés.

- Tu as une solution ?

- Tu as très bien agi. Accepte-les tels qu'ils sont. On peut s'en plaindre mais, c'est nous qui les avons rendu si dépendant, et au final, ça nous arrange bien. Regarde, la première chose qu'ils apprennent en venant ici, c'est à discuter les ordres. Et pas qu'ici d'ailleurs, même sur Plume on en trouve pour poser des questions de plus en plus impertinentes, faire des histoires et je ne parle pas que de Plumeau. Qu’est ce qu’elle a encore à nous faire profiter de son humeur massacrante ? Bref, je les préfère encore assister.

- Je ne suis pas sûre » je me perdais encore dans la contemplation de la branche derrière la vitre « Il est tard non ?

- Oui. J'avais un petit détour à faire avant de rentrer, deux trois choses à régler.

- Le soleil ne se couche jamais dans ce pays ?

- Pas beaucoup non, du moins en cette saison. Je pensais régler mes obligations ce soir mais je crains de devoir m'absenter encore demain. Tu me remplaceras auprès du président. »

Je me tournai soudain vers lui. « Ca ne va pas non ! »

- Toi aussi tu devrais apprendre à faire ce qu'on te dit » dit-il en riant. « Allez, Tu peux bien le faire pour moi. Si je laisse le président tout seul il va encore venir se lamenter ».

C'était impossible de résister à son sourire charmeur. « Que veux-tu que je fasse ?» soupirai-je.

« Des broutilles, tu ne peux pas trouver d’occupation plus stupide. Tu surveilles que les abrutis qui lui lèchent les bottes ne disent pas de conneries.

- Tu exagères. Que manigances-tu encore ?

- Je ne vais pas te le dire. Le président va te le demander et tu serais obligée de lui mentir car je ne tiens pas à le voir mettre son nez dans mes affaires. Ca risquerait de faire des histoires. Ensuite, ça me retomberait dessus et Glace se plaindrait et…

- C'est bon, de toute façon, je m'en fiche. Je ferai ton sale boulot, » dis-je en me levant coupant court à la discussion. La seul chose à laquelle j'aspirais c'était un bon bain et retrouver mon lit. « Réveille-moi demain matin si tu ne veux pas que je sois en retard. »

***

Traverser l'esplanade au pas de course m'avait un peu calmée. Que m'avait dit Orage en venant me réveiller ce matin ? « La réunion du président commence dans trente minutes ». Je lui avais crié dessus en lui disant qu'il aurait pu me réveiller plus tôt et il avait simplement déclaré que ça ne le gênait nullement que je sois en retard. Ensuite, il était parti dans une tirade sur l’éclat et la grâce d'une femme endormie. Je ne me souvenais pas précisément, je n'avais pas écouté. Je chassais ses souvenirs de mon esprit. J'aurais dû tout simplement le laisser se débrouiller seul ce matin. J'étais bien trop gentille. Je laissai les gardes m’ouvrir la porte principale du complexe du conseil en constatai avec satisfaction que j'étais presque en avance. J’en profitais pour ralentir le pas et entamer tout en marchant la brioche que j’avais prise avant de partir, mais je me rendis vite compte que, vu la taille du bâtiment, j'étais loin d'être arrivée.

Je suivis les instructions d’Orage : « Tu traverses deux grandes salles qui ne servent à rien. Ensuite, un bureau grouillant de monde car ces simples d’esprit n’ont jamais adoptés la notion de couloirs ». En effet, le plan du bâtiment paraissait incohérents dans son enchevêtrement d’immenses halls déserts la plupart du temps et de jardins intérieurs contenant une profusion de plantes qui pousseraient très bien à l’extérieur. Je traversai encore des espaces de travail sans prêter attention aux employés qui se levèrent tous et s’écartèrent sur mon passage. Ce serait plus rentable de faire des couloirs latéraux ou au moins d’alléger leur protocole. Comment pouvaient-ils travailler s’ils devaient s’arrêter au passage de chaque personnalité des Maÿcentres ? Encore un hall désert. Je levai la tête vers le plafond dix mètres au dessus de ma tête. Avaient-ils vraiment besoin d'une telle hauteur ? Existait-il quelques mystérieux géants qui pourraient trouver une utilité à un tel endroit ? Grotesque. N'empêche, j'étais complètement perdue. Je fis des yeux le tour de la salle et finis par apercevoir une modeste table perdue entre deux immenses colonnades de verre. L'endroit était désert. Je m'approchai cependant et immédiatement, une porte à l'arrière de la salle s'ouvrit. J'eus le temps d'entendre un brouhaha incohérent de voix puis le silence revint instantanément après la fermeture de la porte, seulement interrompu par les pas de celui qui approchait de la table. Il devait faire partie de la garde présidentielle vu sa stature imposante et le grand manteau noir que ces gens-là gardaient en toute saison capuchon rabattu afin de ne paraître qu’une ombre anonyme.

Je cherchais des yeux par quel moyen il avait pu voir que quelqu'un approchait et finis par apercevoir une toute petite ouverture vitrée dans le mur entre les deux salles. Ils poussaient le vice à s'entasser dans un bureau surpeuplé pour surveiller par un trou minuscule une salle déserte. J'en revins à l'homme qui était arrivé derrière le bureau. Il restait debout dans une position crispée à attendre que je consente à lui adresser la parole.

« Je cherche la salle de la Liberté » Là aussi, j'avais beaucoup ri quand Orage m'avait raconté avec le plus grand sérieux qu'ils donnaient ce genre de nom à leur salle de réunion. Mais, visiblement, l'homme en face de moi devait être habitué, car il n'ébaucha pas un sourire quand il répondit « C'est la salle où le président tient conseil.

- Je sais oui, (prends-moi pour une idiote) tu peux m'y conduire ? »

L'homme hésita. Ma question toute simple semblait être pour je ne sais quelle raison, quelque chose de presque insurmontable et j’étais déjà en retard.

« Je ne sais pas » finit-il par dire « C'est pourquoi ? »

Un instant, j’eus l’impression d’avoir ma mère devant moi. Elle aussi était une spécialiste du pourquoi. En particulier, quand la réponse n'avait aucun intérêt. Ou alors, quand ça ne la regardait pas. Ici, sans aucun doute, il cumulait les deux. Si on continuait à ce rythme-là on n'était pas arrivé.

J'ôtai mon écharpe de soie dégageant mon visage et la reposais sur mes épaules « Tu sais qui je suis ?

- Je sais que vous êtes Adarii. » Il était de plus en plus désorienté. Déjà, il n'avait pas ajouté de « mais » pour continuer sa phrase. Il y avait de l'espoir.

« Donc, tu sais que tu n'as pas à me poser de questions ? »

Le oui par lequel il répondit était déjà beaucoup moins assuré aussi, je me dépêchai de continuer avant qu'il trouve une parade.

« Alors, tu me conduis à la salle Liberté de suite ».

Je commençais à comprendre pourquoi Orage revenait exaspéré tous les soirs. J'étais à peine arrivée devant la porte de la salle que j'étais déjà sur les nerfs. J'avais viré l'autre simplet dès qu'il m'avait désigné la porte du doigt, avant qu'il ait l'idée de me faire encore des complications, mais je n'avais aucune idée quant à la meilleure façon d'interrompre avec tact une réunion du conseil. Et puis, tant pis pour le tact pensais-je en poussant d'un geste brusque les deux battants. Derrière les immenses portes, je fus étonnée de trouver une salle à taille humaine. Deux longues tables étroites de métal brillant étaient disposées de chaque coté de la porte et, au fond de la salle, derrière une troisième table nettement plus petite, je reconnus le président Eysky. Tout en m'avançant, je comptais mentalement le nombre de personne attablés tandis qu'elles se levaient sur mon passage. J'en comptais dix-huit. Neuf de chaque coté. C'était une petite réunion intime

« C'est quoi ça ? »

C'était dit beaucoup trop fort pour quelqu'un qui ne veut pas être entendu et je tournai la tête pour me retrouver face à face avec le premier conseiller. Je ne l'avais jamais vu mais Orage m'en avait souvent parlé ainsi que les deux filles d'ailleurs. Je le reconnus surtout grâce à son crâne rasé. Orage disait qu'une tête d'œuf, quelque soit son titre ou son rang, restait toujours une tête d’œuf. On le différenciait aussi aisément à ses deux gardes du corps qui le suivait jusque dans les salles de réunion. Un vrai maniaque de la sécurité m’avait-on dit.

Je m'approchais de quelques pas vers lui. « Vous voulez que je vous explique ce que je suis ? »

- Adarii Pluie Taegaïan, venez ici. Conseiller Sinshy, surveillez votre langage ». Je me détournai de lui presque avec regret et obéis au président.

« Pourquoi êtes-vous ici ?

- Je remplace l'Adarii Orage.

- Et peut-on savoir où est ce dernier ?

- Non »

Le président hésita avant de continuer. « Nous allons dire alors que, provisoirement du moins, je me contenterai de ces informations très éclairantes afin de ne pas retarder d'avantage cette réunion. Venez vous asseoir à coté de moi et on reprend. »

Le président était monté d'un cran dans mon estime. J'avais admiré la façon dont il s'en était sorti sans s'enfoncer dans des dizaines de questions inutiles. Mon intérêt ne resta cependant pas longtemps en éveil devant les discours pompeux et ennuyeux de chaque personne sur des sujets que je ne maîtrisais absolument pas. Je laissai mes pensées dériver et remarquai à peine la légère et piquante effluve mentholée.

- Petite Pluie

Glace me fit presque sursauter. Il arrivait à point pour m'empêcher de m'assoupir.

- Il paraît que tu es promue garde du président.

- Je ne comprends pas comment j'ai pu accepté ça. Je m'ennuie.

- Ca ne change pas beaucoup. Tu dis la même chose quand tu restes à la villa.

- C'est vrai, ma vie n'est qu'une spirale où se succède lassitude et morosité.

- Je te plaindrai un autre jour. Le projet du conseil pour hâter les relations entre les Maÿcentres et la Terre à été rejeté sans aucune discussion possible.

- Qu'est-ce que je m'en fiche !

- Je m'en doute mais ça intéressera le président.

Je tendis une oreille en entendant que ce dernier parlait de la Terre. « Conseiller Huyman, pourriez-vous nous répéter ce que vous nous disiez à ce sujet au début de la réunion ? »

Tout le monde se tourna vers la personne en question qui cherchait ses mots. Il ne fallait pas être très intelligent pour traduire la question du président par : Voulez-vous répéter vos bêtises devant Pluie. Je n'avais même pas écouté le début. On devait être là depuis des heures.

« Je pense que j'avais dit ».

Je compris que j'allais déjà avoir une version épurée de ce qu'il avait dit avant mon arrivé. La situation devenait marrante et j'y prêtais un regain d'attention à le voir se tortiller pour savoir comment il allait pouvoir s'en sortir.

« Disons que, d'après les calculs de mon équipe, ça devrait sans doute être avantageux pour l'économie de la Terre ».

Je regrettais maintenant de ne pas avoir entendu le début pour savoir de quoi il s'agissait exactement. Déjà, j'avais admiré comment il reportait la faute sur son équipe ainsi que la profusion d'éléments modérateurs qu’il avait ajouté. Il ne cherchait plus à convaincre personne mais juste à s'en sortir.

Tout le monde avait dû comprendre aussi bien que moi car les regards s'étaient portés directement du conseiller non pas au président mais à moi.

Je pris la parole un sourire au lèvre. « Vous pensez au profit de la Terre, des Maÿcentres, ou au vôtre ? »

Les regards s'étaient à nouveau portés sur le conseiller Huyman. Ce dernier se contentait de regarder le président. « Je ne suis pas absolument certain que ce genre de question soit très à propos et…

- Conseiller Huyman, répondez à la question », ordonna le président

« Il est vrai que j'ai des idées d'ouverture sans doute intéressantes sur le marché Terrien et je trouve absurde de voir nos relations se cantonner à un trou à rat au milieu d'un désert. Mais, nous en sommes tous là. Ca fait plus de vingt ans qu'ils ne bougent pas d'un pouce. Ils disent vouloir avancer posément mais là, c'est à peine s'ils ne reculent pas. Qui sommes-nous pour nous écraser ainsi devant cette petite planète qui commence juste à poser un pied mal assuré vers la civilisation ? On leur sert tous leur désirs comme si nous étions leurs esclaves et ils nous cantonnent à une base encore plus basse que les villes souterraines. Il serait temps qu’ils comprennent quicommande. »

L’approbation générale qui s’élevait de la salle était presque palpable. Archuleta ne durerait plus longtemps pensai-je. Le président ignora le propos du conseiller et revint à sa préoccupation principale : « Et maintenant, allez-vous m’exposer sans ambages les résultats des simulations d'un contact direct avec la Terre sans passer par Archuleta au niveau de leur économie. »

Le conseiller Huyman me regarda un instant avec un air de dégoût qui me donna envie de l’enfoncer d’avantage. « C'est impossible, il y a bien trop de variable pour calculer quoi que ce soit. »

J'étais déçue, il avait dit la vérité, cependant il retenait les détails. « Soyez plus précis conseiller ».

Il me jeta un rapide coup d’œil glacial. « Mais il y a de fortes présomptions qu'en effet, dans un premier temps, il y ait des bouleversements majeurs. Mais, ils s'en remettront.

- Vous êtes sûr conseiller ? » C'était la première fois que ça me plaisait autant de voir mentir quelqu'un.

« Mais est-ce qu'elle va me lâcher celle-là ? Sauf votre respect président, nous commençons tous à en avoir assez de vos petits espions ».

Je me levai d'un bond et fixai le conseiller dans les yeux. « Hors de ma vue » dis-je en désignant la porte. J'avais donné en même temps un ordre mental et de précipitation, il se prit les pieds dans son fauteuil et s'étala presque avant de se précipiter vers la sortie.

Il fallait avouer que c'était efficace. A retenir.

Le président ne semblait pas de cet avis. Je remarquais que le silence avait envahi les lieux. Tous paraissaient se concentrer intensément sur leurs documents ou sur les graphiques tournoyant dans un écran holographique et la tension dans la salle était montée d’un cran. Seul le président me regardait. « Adarii, je ne veux pas ce genre de pratique ici ».

- Dans ce cas, Président Eysky » dis-je d'un ton mielleux. « Apprenez à vos hommes à me parler correctement ».

- Dois-je aller rechercher le conseiller Huyman ? »

Le conseiller Sinshy en profitait pour mettre son grain de sel.

« Non, il n'avait pas à parler ainsi. Un peu d'air lui remettra sans doute les idées en place ».

Je souris de plaisir à voir la tête déconfite du premier conseiller.

« Et ça vaut pour tout le monde. » Continua le président. « L'Adarii Taegaïan fait son travail et le prochain qui lui fait des réflexions à ce sujet. JE le mets dehors. Et il aura droit à une petite réunion avec nous en privé ».

Il avait insisté sur le « je » en me regardant. Je ne fis aucun commentaire. Cependant, je réalisais avec horreur que j'allais devoir avoir un entretien avec le conseiller Huyman et le président. Cette journée allait vraiment être interminable.

« On reprend. Nous verrons tout à l'heure les prévisions du conseiller Huyman. Reste le projet qui a été transmis à Archuleta.

- Ils ne veulent pas en entendre parler ».

Le président se tourna vers moi. « Comment, ils ne veulent pas en entendre parler ? »

Je m’évertuais à me rappeler les mots exacts de Glace. « Il a été rejeté sans aucune discussion possible.

- C'est de l'Adarii Glace Taegaïan que vous tenez ces informations ? »

En voila une question intéressante, mais non voyons, je suis en relation directe avec le Dieu des Terriens ou alors la divine triade de Vengeance et la clique de divinité qui vont avec Je me contentai de dire « De qui voulez-vous que ce soit ?

- Il me faudrait des détails. Que vous a-t-il dit d'autre ?

- Rien, vous voulez que je lui demande ? »

Le président réfléchit. « Oui, mais pas ici. Vous venez dans mon bureau et pour les autres, la réunion est ajournée et je veux vous voir demain matin ici même. »

Je jetai un oeil au garde du corps qui nous suivait pendant l'expédition menant de la salle du conseil au bureau du président. Expédition n'était sans doute pas le terme approprié mais, après trois plates-formes d’élévations différentes chacune séparées par une multitude de salles, de bureaux et de serres, je trouvai que le terme n'étais pas si malvenu.

« Je croyais que les Adarii vous servaient de garde du corps. A quoi vous sert-il alors lui ? » Dis-je en désignant l’indécollable géant taciturne dans son manteau noir.

« Déjà, il a l'intérêt d'être là dès que j'en ai besoin et non suivant son bon vouloir et ensuite, il est là pour vous surveiller vous ».

Je souris. J'aimais sa franchise et sa façon de s'en sortir toujours la tête haute. « Vous pensez que je ne suis pas digne de confiance ?

- Il n’y a malheureusement personne pour me le dire. Je faisais confiance à votre père et j’ai fini par apprendre que lui aussi avait de fâcheuses tendances à s’occuper un peu trop de ce qui ne le regardait pas. J’ai bien trop d’estime pour sa mémoire plus lui en tenir gré mais maintenant, je me méfie. Tous ce que vous pouvez dire est vérifié. N’imaginez pas une seconde que je puisse me reposer entièrement sur vous »

Je toisais le géant de bas en haut tandis qu'on prenait une nouvelle plate-forme d'élévation. Il devait mesurer un peu plus de deux mètres. J’attrapai presque un torticolis à le regarder. Il détourna les yeux mais ne broncha pas. Contrairement aux autres ici, il n’émanait de lui aucune crainte ni aucune autre émotion désagréable. C’était reposant. « Contre moi, il n'a aucune chance » dis-je au président tandis que la plate-forme nous déposait au sommet du complexe.

« Je n'en doute pas Adarii, sinon vous ne seriez pas là.

- Il ne parle jamais ?

- Si, mais pas à n’importe qui. »

Je réfléchissais encore au sens de cette réponse quand je reconnus la salle dans laquelle nous étions arrivé. J'y étais passé lors de mon arrivé sur les Maÿcentres. Il y avait de cela une éternité. J’entamais un calcul plus précis. Non, en fait ça ne faisait que sept mois. Il y avait toujours la même femme assise à la même table au milieu d'une profusion excessive de plante. Elle se leva et vint à notre rencontre. Saluant le président puis moi-même avant de nous précéder et de nous ouvrir la porte. Elle avait l’air de me cracher son dégoût en pleine figure. Je me forçais à me préserver d’avantage de ses sentiments négatifs. Déjà sur Terre, j’avais appris de moi-même à me tenir à l’écart des sentiments des autres. Mais ici, j’étais obligée de me contrôler d’avantage pour ne pas ressentir la répugnance que j’inspirais à certaines personnes. Toi aussi tu me dégoûtes, pensais-je en regardant la secrétaire. Dommage qu’elle ne sache pas discerner les sentiments que j’avais pour elle alors que je devais subir les siens.

« Dya, tu diras au conseiller Huyman de venir nous rejoindre. Je veux aussi de quoi manger pour l'Adarii Taegaïan et moi ainsi que pour Luico et Ansilme. »

Je me tournai à nouveau vers la secrétaire pendant que le président donnait de nouvelles instructions à son garde du corps.

J’approchai prestement la main de son bras. La pauvre femme fit un bon en arrière et j'éclatai de rire.

« Ce n’est pas bientôt fini vos enfantillages. Veuillez laisser Dya tranquille. Entrez et asseyez-vous.

C'est inadmissible, vous avez quel age ?

- seize ans.

- Evidemment. » Reprit-il après une pause « Je suppose que ce n'est pas la peine d'espérer avoir quelqu'un de responsable pour ce poste. Qui a dit que les Adarii étaient plus matures que nous ?

- Nous avons des meilleures capacités d’apprentissages et de mémoire, c’est tout. Soyons sérieux président, quelqu'un de mature et responsable ne mettrait pas les pieds ici. »

Le président ferma la porte derrière moi envahi soudain par une grande lassitude.

« Votre molosse ne nous suit pas dans le bureau ?

- Il est dans la pièce à coté. »

Je me tournai vers le coté désigné par le président. Un large miroir recouvrait la moitié du mur. « Vous faites de la surveillance à travers des miroirs sans tains. Que c'est vicieux. Vous côtoyez trop les hommes de la Terre si vous voulez mon avis.

Je suppose qu'il nous entend aussi ? » Dis-je en faisant un petit signe de la main.

« Bien sur, c'est l'intérêt principal. Je veux pouvoir avoir un compte rendu de chaque entretien avec chaque personne passant dans ce bureau.

- D'accord. Et il surveille aussi que vous ne vous fassiez pas agresser dans votre bureau par une gamine de seize ans.

- Aussi oui.

- C'est de la paranoïa. Vous n'avez jamais pensé à des solutions moins extrêmes ?

- Si bien sur » dit-il en souriant. « Nous avons pensé à vous renvoyer sur Plume et à détruire la Plate-forme de plissement de l'espace afin que, plus jamais vous ne puissiez revenir sur les Maÿcentres.

- Certains doivent sans doute en rêver, mais pas vous, Président.

- En effet, dans la situation actuelle, c'est plus intéressant de vous garder ici. Mes idées ne font pas l’unanimité, loin de là, mais elles ont l’intérêt d’être plus ou moins en concordance avec les vôtres. En plus, je ne désespère pas de voir céder un jour les frontières de Plume aux Maÿcentres. La Terre n'est pas la seule planète qui devrait s'ouvrir sur l'extérieur.

- Rien sur la primitive Plume n'est digne de la grandeur des Maÿcentres » dis-je en imitant l'accent ironique d'Orage.

« Merci, je connais la rengaine.

Je suis allé à Taegaïan » me dit-il. « J'ai été invité par votre père. J'ai vu les cités que vous bâtissez. Si les gens du commun connaissaient les merveilles que vous cachez là-bas, ils vous tiendraient sans doute en plus haute estime.

- Bien sur, et l'ouverture du marché de Plume rapporterait-il plus à Plume ou aux Maÿcentres ? A moins que cela puisse servir de palliatif aux intrigues du conseiller Huyman ? »

Comme en écho à ses dernières paroles, la secrétaire entra et annonça le conseiller Huyman évitant au président de devoir donner une réponse. Le conseiller entra les bras chargés de rouleau de papier, fit un large détour pour passer le plus loin possible de moi comme si j’étais contagieuse et finit par s'asseoir sur le deuxième fauteuil, sans doute bien trop près à son goût. Je ramenai mes jambes pour m’asseoir en tailleur et lui prêtai une oreille distraite tandis qu’il dégrafait son bracelet et le posait sur le bureau pour activer le projecteur. « Je vous ai porté les simulations. Comme je vous disais, ce n'est pas des plus fiables.

L'hypothèse la plus vraisemblable lors d'une ouverture des relations commerciales avec la Terre donnerait, dans un premier temps, une période de crainte au cours de laquelle l'activité économique serait fortement ralentie. Ensuite, le problème se situerait dans l'augmentation soudaine de la demande au niveau des produits qui nous intéressent, ce qui devrait produire une montée des prix à un tel niveau que les ceux de la Terre ne devraient plus avoir accès à certains de leurs propres produits. Un enrichissement de ceux qui travailleront avec nous bien sur. A plus long terme, d'autres devraient se lancer dans ses parts de marché fructueuses et certains domaines devraient être négligés. Ces domaines sont intéressants à classifier car c'est là qu'il faudra faire des propositions d'offres.

Mais, au sujet de la Terre, il devrait avoir un basculement des richesses. Je pense que, grâce à nous, une certaine partie de la population peut s'enrichir considérablement, en particulier pour ce qu’ils nomment la haute technologie. Pour les autres, ce n'est pas tant qu'ils s'appauvriront mais l'inflation devrait être telle qu'ils ne pourront pas suivre. Mais tout ça n'est qu'hypothèses bien entendu ».

Voilà pourquoi Plume ne devait pas s'ouvrir aux Maÿcentres pensais-je m’endormant presque à suivre les petites lumières vacillantes des hologrammes.

« Et au sujet de l'armement ? » Je me tournai vers Huyman pour mieux écouter la réponse qu'il donnerait au président.

« Là aussi, c'est un soucis. Tant que le commerce sera restreint, il devrait être possible de contenir le risque de propagation d'armes illicites sur les Maÿcentres. Mais à long terme ? » Le conseiller fit un pause semblant peser ses mots avant de continuer : « La Terre a déjà tout un réseau de trafic. Ils l’appellent : “marché noir”. Il ne faudrait pas longtemps pour diffuser pareille entreprise ici.

Après, culturellement, la Terre est une planète violente. Je vois mal un de nos hommes assassiner un être humain quelques soit les armes qu’il puisse avoir à sa disposition. Même les Adarii ne le font pas.

- Que veux-tu dire par là ?

- Ne vous vexez pas Adarii, ce que je veux dire c'est que ce ne sont pas les armes qui rendent les gens violents mais ce sont les gens violents qui créent des armes ».

Je n'aurais pas été si catégorique. On s'était fait tirer dessus à peine sept mois auparavant par des hommes des pacifiques Maÿcentres. Sans doute ne nous visaient-ils pas, et encore, on ne pouvait pas en être certain. Dans tous les cas, c'était déjà un premier pas qu'il ne fallait pas négliger.

Le président avait dû penser comme moi car il congédia le conseiller après lui avoir demandé d'établir de nouvelles simulations à ce sujet.

« Vous avez des spécialistes des cultures Terriennes pour travailler là-dessus ? »

On nous avait enfin servi à manger. J'avais si faim que je pris presque plaisir à avaler les plats insipides que j'avais devant les yeux.

« Oui, nous avons plusieurs équipes pluridisciplinaires avec des spécialistes en psychologie, en histoire, en politique, en économie, en anthropologie et j'en passe. Tous tournés vers la Terre »

Je pris encore une sorte de petit sandwich indéfinissable et m'approchai de la baie vitrée. La vue était magnifique. Nous dominions tous les environs. D’un coté, la villa paraissait un petit point perdu au milieu d'un nid de verdure. De l’autre, la ville en contrebas se perdait dans le brouillard.

« C'est ma ville » me dit le président en s'approchant, « ma cité comme vous l'appelleriez ».

Je respectais le ton en même temps fier et protecteur avec lequel il avait dit ça pourtant, je ne pus m’empêcher de le remettre à sa place « Ca n'a rien à vous n'avez rien construit ici. Ni vous, ni aucun de vos ancêtres. Vous vous contentez de gérer quelque chose qui vous dépasse. Un point c'est tout.

- Peut-être, mais est-il si inconcevable d'imaginer que je pourrais aimer ce monde autant que vous devez aimer le vôtre ?

- Je ne sais pas » dis-je en finissant ma dernière bouchée. « Je devrais peut-être réunir une commission pluridisciplinaire de spécialistes des Maÿcentres pour débattre du sujet.

- Je vois. Nous allons revenir à la Terre alors. Il me faut des détails. Pourquoi les Terriens ont-il refusé le projet ?»

Je laissai aller mon esprit, les yeux toujours plongé dans le brouillard de la ville.

- Glace ?

Je sentis comme un frémissement. - Pas maintenant Pluie et le contact se rompit.

« Il ne peut pas me parler maintenant.

- Nous attendrons, j'ai l'habitude. Parlez-moi de l'Adarii Orage Taegaïan alors.

Pourquoi n'est-il pas ici ?

- Je ne sais pas.

- Vous aurez du mal à me faire croire que vous vous faites des cachotteries entre vous.

- Pourtant, nous sommes bien moins souvent le nez fourré dans les affaires des autres que vous.

- Ne pourriez-vous pas le contacter ? »

Il avait gardé son calme mais commençait à frémir légèrement. Il risquait de se mettre en colère s'il n'avait pas ce qu'il voulait.

« Non.

- Bon sang, ne condescendriez-vous pas à faire un effort une fois de temps en temps pour obéir.

- Je ne suis pas capable de le contacter » précisai-je avant qu’il n’éclate « Je ne suis pas liée à lui.

- Je ne suis pas au courant de toutes ses subtilités. Si j'ai bien compris vous ne pouvez communiquer qu'avec quelqu'un avec qui vous avez établi un lien.

- C'est ça oui.

- Et ça se fait comment ?

- Certains comme Sentiment peuvent le faire de force. je ne sais pas comment. C'est plutôt rare. Sinon, ça se fait tout seul par la proximité affective.

- Précisez ?

- C'est à dire que, quelqu'un avec qui on se sent proche, sera toujours près de nous quelque soit la distance.

- Ca paraît simple mais en même temps j'ai certaines difficultés à saisir. Vous ne pouvez pas communiquer avec Orage parce que vous ne l'aimez pas en gros ?

- Si, j'aime Orage, et je pense que j'y arriverais un jour, il faut du temps c'est tout. Avec Glace c'était plus facile car c'est mon frère et maintenant, je commence aussi avec Tempête. »

Je me remémorai la première fois où j’avais réussi à joindre Tempête. Je la cherchais et j’étais allée voir si elle n’était pas dans son appartement, mais il était vide. Comme à son habitude, il embaumait la vanille. Cette odeur m’avait tellement fait penser à elle, qu’en un instant, ce fut comme si elle était dans la pièce à mes côtés. Depuis, dès qu’elle s’approche de mon esprit, j’ai l’impression de sentir la vanille.

« Avec Orage, il reste sans doute une distance que nous n'avons pas encore réussi à franchir. C'est parfois plus difficile avec quelqu'un du sexe opposé parce qu'il s'agit de partager une intimité qu'il est délicat de laisser à n'importe qui. C'est rare que deux personnes de sexes opposés liés ensemble sans être parents ne soient pas aussi Amants. Ca arrive mais ce n'est pas courant.

- Je comprends mieux maintenant pourquoi vous avez tous plusieurs partenaires.

- Rien à voir. Les gens du peuple de Plume aussi ont souvent plusieurs amants. Non, c'est juste que personne n’a jamais trouvé l'intérêt de se limiter à une seule personne.

- Pluie, je suis tout à toi.

Je fis signe au président de se taire et raffermis le contact.

- Il me faut des détails sur le refus d’Archuleta.

- Méfiance, ils n'ont aucune confiance en nous. Ils disent qu’ils ne connaissent que ce que nous voulons bien leur montrer. Ils veulent en savoir plus. Ils veulent des garanties. Ils craignent qu’on leur cache certaines choses. Voilà pour la version officielle. Mais surtout, ils sont bien contents de nous garder ainsi à leur merci. Mais il n’est pas utile de préciser ce détail à Eysky.

Je transmis une partie de ses informations au président qui parut réfléchir. « On s’échine depuis des années à faire leur quatre volontés pour gagner leur confiance et voilà comment nous sommes remerciés. Que pourrions-nous faire de plus ? Quoiqu’on entreprenne, s'ils ne nous croient pas, nous n'avancerons jamais.

- Tout à l'heure, vous m'avez dit qu'on pourrait gagner l'estime des Maÿcentres en leur montrant nos cités. »

Le regard du président s'illumina « Il y a des chance oui. le monde ne supporte pas l'idée que vous fermiez votre planète ainsi. Vous seriez prête à défendre l'idée d'ouvrir les frontières de Plume aux Maÿcentres et à Vengeance ? » Du coup, le président avait totalement oublié la Terre. Son regard concupiscent me donna la nausée « Uniquement dans vos rêves les plus fous, président Eysky. Les cités Adarii sont pour le peuple de Plume, elles n'ont pas été crées pour satisfaire la curiosité malsaine des Maÿcentres.

Je faisais juste un comparatif. Vous n'avez qu'à vous-même ouvrir votre ville aux hommes d’Archuleta. Invitez une délégation ici. Ils verront ce qu'ils veulent voir.

- Vous savez que ce n'est pas bête. Je vais soumettre cette proposition au conseil demain matin. Il faut que j'y réfléchisse. Vous pouvez rentrer chez vous en attendant et, si ça ne bouleverse pas vos projets, j'aimerais que vous reveniez demain concrétiser ça.

Ensuite, demain soir, j'ai une soirée d’inauguration en ville. J'ai besoin de l'un d'entre vous pour m'accompagner.

- Ca, ça m'intéresse. »

Depuis mon arrivée je n'étais jamais descendue de la colline du conseil, me contentant de scruter l'activité de la ville en me penchant au dessus des rambardes de l'à pic de la falaise.

« Je préférerais Orage, vous êtes un peu jeune mais, s'il n'est pas libre, vous ferez l'affaire ».

***

Et comment qu'il ne sera pas libre pensais-je tandis que je retraversais l'esplanade pour rentrer chez moi. Je n’allais pas rater une si belle occasion de voir ce qu'il se passait en bas. J'étais encore de mauvaise humeur à cause du dédain qu'il avait pris en disant que : vraiment, s’il n'y avait pas d'autre solution, il se contenterait de ma modeste petite personne. Qu'est ce qu'il imaginait ? Que parce que je n'avais que seize ans, je n'étais pas capable de me contenter de le suivre et de repérer éventuellement quelqu'un ayant des mauvaises intentions à son égard ? Ou d'écarter des sujets trop collants. Ho non, ce n'était pas cela, monsieur voulait quelqu'un qui en jette. Monsieur trouvait sans doute que ça lui donnait une meilleure image d'avoir à ses cotés le bel et puissant Orage plutôt que la petite Pluie, voilà tout. Comme si je n'étais pas capable d'avoir moi aussi une certaine classe. Je ruminais encore ses réflexions toute la soirée et même le plongeon dans l'eau froide des thermes ne m'ôta pas mes idées noires. J'enroulai un peignoir autour de ma poitrine, un autre pour emprisonner mes cheveux mouillés et remontais l'escalier, presque aveuglée par l'éclat du soleil après la pénombre du sous-sol. Ca devait faire des semaines que je ne l'avais pas vu se coucher. Il paraît qu'il faisait nuit pendant quelques heures mais je m'endormais toujours avant et me réveillais après.

J'ouvris la porte du salon. Orage lisait un document qu'il roula bien vite en me voyant approcher et se mit en devoir de s'attaquer aux petits fours posés sur la table devant lui.

« Garde tes émotions négatives pour toi et viens partager mon repas.

- Non, je n'ai pas faim. Je vais me coucher ». Je me dirigeai vers ma chambre. Arrivée près de la porte, je fis volte face « Le président m'a demandé de revenir demain.

- Miracle » dit Orage « ça me fera des vacances. Dois-je en conclure que tu ne l'as pas trop malmené ?

- C'est plutôt moi qu'on a traumatisé. Ces gens sont si limités, ils racontent n'importe quoi et n'ont aucun respect pour rien. Mais le président, je l'aime bien.

- Il est comme les autres. La moindre de leur décision est toujours étudiée sous forme de coût bénéfice. Tant que tu leur rapportes plus d'avantages que d'inconvénients, ils sont prêts à tout. Il n'hésiterait pas à se débarrasser de nous si notre absence pouvait arranger ses petites magouilles. Méfie-toi de lui »

Je haussai les épaules. Je n’étais pas choquée, c'était pareil de notre côté après tout.

« Il a besoin de quelqu'un pour l'accompagner à une réception » Ajoutai-je. Je cherchais comment exprimer au mieux ma requête.

« Et ? » me dit Orage qui avait bien cerné que je laissais quelque chose en suspend.

« Et il veut que ce soit toi, sans doute parce que tu présentes mieux. Mais moi, je veux y aller. Je ne suis jamais sortie d'ici, je voudrais voir ce qu'il se passe en bas ».

Orage s'était levé et était arrivé près de moi. « Tu veux dire que le président t'as dit que tu ne présentais pas bien ? » Je n'avais pas prévu qu'il se mette en colère pour si peu.

« Pas vraiment, il m'a dit qu'il préférait quelqu'un de plus âgé.

- Qu'il aille se faire voir celui-là. Quand j'ai commencé à travailler avec lui, je n'avais que seize ans moi aussi et il s'en contentait fort bien. Je ne pense pas qu'avoir quatre ans de plus aujourd’hui change vraiment quoi que ce soit. Quant à ton allure fine et délicate jolie Pluie, je connaîtrais plus d'un homme qui s'en accommoderait et moi en premier » dit-il en essuyant du bout des doigts quelques gouttes d'eau le long de ma nuque. Je ne pus réprimer un frisson et il en profita pour me prendre dans ses bras ses mains glissant le long de la serviette que je portais pour unique vêtement. Je cloisonnai mon esprit pour qu'il ne devine pas à quel point j'avais du mal à résister à ses caresses. « Lâche-moi Orage, j'ai d'autres soucis pour l'instant ».

Il obéit et s'éloigna mais, malheureusement, j'en éprouvais plus de regrets que de soulagements et me concentrai sur le problème du moment « Je peux y aller alors ? »

- Où ? »

C'est pas vrai, avait-il seulement écouté ce que je lui avais dit ?

« Accompagner le président.

- Tu sais ce que ça veut dire ? »

Comment, si je savais ce que ça voulait dire ? En fait non, je n’en savais rien.

« Cela veut dire que tu dois veiller à sa sécurité. Surveiller que personne n’ait de mauvais sentiments à son égard, lui veuille du mal. Ce genre de chose. »

J’acquiesçais sans réfléchir mais je discernais bien qu’il me manquait certains détails. « Non, je n’ai rien compris en fait.

- C’est simple pourtant. Tu sais, ses jolies barrières que tu t’évertues à dresser inutilement entre toi et les autres pour soulager ton empathie. Et bien, tu dois les faire tomber ».

La métaphore était jolie mais la réalité nettement moins. Dès que je me laissai aller, je ne ressentais que des sentiments négatifs à mon égard. Alors, moins j’en savais, mieux je me portais et j’en sentais encore trop.

« Vu ta tête, tu as compris » répliqua Orage devant mon air désabusé.

« Alors, tu veux toujours y aller ?

- Je n’en peux plus de rester ici. Je ferais n’importe quoi, même supporter ça. Mais, sérieusement, personne n’en veut au président ?

- Bien sur que non, c’est juste qu’il est un peu paranoïaque. Son but principal, c’est de t’avoir à ses cotés pour faire croire qu’il est plus fort que nous. Son peuple est impressionné et il se sent valorisé.

- Donc, au fond, si je ne surveille pas trop ce que les gens ressentent, personne ne le remarquera ?

- Je peux y aller si ça te dérange.

- Non, hors de question. J’irais m’immerger dans le flot de leurs émotions putrides si il faut mais je ne resterais pas enfermée ici un jour de plus. De toute façon, mes petites barrières, comme tu dis ne m’ont jamais préservées de grand-chose »

***

Demain, j’irai visiter les Maÿcentres. Je m'endormis en méditant cette plaisante perspective et du coup, j'arrivai même à l'heure à la réunion du lendemain matin. Je les laissais discuter inlassablement pendant plusieurs heures sans qu'ils puissent se décider pour savoir s’il serait bon ou non d'emmener une délégation d’Archuleta sur les Maÿcentres, évaluant chaque risque et chaque intérêt. Pendant ce temps, je réfléchissais à ce que je pourrais porter pour la réception. Il me fallait quelque chose qui me mette en valeur, qui me fasse paraître plus âgé. Mais pas trop tout de même. Je perdis le fil de ma réflexion ramenée à la réalité par le ton qui montait dans la salle. Un conseiller se révoltait à l'idée d'une délégation Terrienne qui risquait de mettre son nez jusque dans les villes souterraines.

« Ce n'est pas cela qui l'inquiète » soufflai-je au président avant de repartir dans mes spéculations. Il me fallait quelque chose d'élégant mais de pratique à la fois. Je risquais de devoir rester debout. J’avais pris la mauvaise habitude ici de m’habiller toujours très simplement comme les gens d’ici, avec de longues tuniques de lin trop larges et des étoles colorées mais il était peut-être temps que je fasse des efforts à ce niveau. Il faudrait surtout que je me contente de ce qu'il y avait.

Je tendis un instant l'oreille à la conversation. Le président avait demandé au conseiller dont je n'avais même pas fait attention au nom ce qui l'inquiétait vraiment.

Du coup, il avait été obligé de mettre en avant le fond de sa pensée en révélant qu'il craignait que le conseiller Huyman en profite pour lancer des propositions d'achats sur certains produits Terriens.

Le conseiller Huyman s'était levé rouge d’indignation tapant du poing sur la table avant de jeter un coup d’œil dans ma direction et de s'asseoir. Je sentis toute sa colère à l'encontre de son rival se déplacer soudain sur moi.

Mais j'ai rien fait ! Avais-je envie de dire. Au fond, qu'ils pensent ce qu'ils veulent. Je pourrais aller fouiller dans les placards de Sentiment ou de Tempête il devait bien y avoir quelques jolis coupons. Il y avait peu de robes cousues sur Plume. Juste des tissus mais j’avais appris depuis toutes petites toutes les façons possibles de les nouer à l’aide de nœuds et de fibules. Il y avait aussi des pantalons et certaines tuniques, mais c’était peu élégant. Tempête avait fait faire des robes par certains tailleurs des Maÿcentres, mais elles seraient trop larges pour moi. Et trop courtes.

Je revins à la discussion. Le ton s'était calmé mais le débat continuait toujours aussi insipide. Ceux étant pour la venue d'une délégation semblaient avoir pris l'avantage. Ils en venaient même à parler de ce qu'il serait avantageux de montrer mais aussi, ce qui devrait être dissimulé.

Sentiment devait avoir aussi fait confectionner des robes, elle était toujours habillée de façon impeccable. Parfaite jusqu’au bout des ongles. Quoique trop dénudée pour les prudes Maÿcentres. mais ses robes seraient trop grandes, il me faudrait quelqu'un pour faire un ourlet. Aiguille devrait savoir le faire. Après tout, il venait d'une famille de tisseur.

Les conseillers finirent par se mettre d'accord pour établir un compte-rendu d'étude afin d'analyser les intérêts d'inviter une délégation d’Archuleta et les risques qu'une telle entreprise pourraient susciter. Vu qu'en deux jours, j'avais compris que leurs réunions se terminaient toujours ainsi, j'avais du mal à saisir pourquoi ils persévéraient dans leurs longues discussions stériles. Après tout, si Eysky était président, il n'avait qu'à imposer son opinion. Son peuple pouvait toujours élire quelqu’un d’autre s'il n'était pas satisfait, C’étai bien à cela que serait leur concept de démocratie.

« Adarii Pluie Taegaïan ! »

Je sortis de ma torpeur « Oui Président Eysky »

La salle s'était vidée. Il ne restait plus que le président, son géant de garde du corps impassible et sa secrétaire Dya qui me jetait des regards suspicieux comme si j'allais me jeter sur son maître les crocs en avant « Ne me regarde pas comme ça, tu me fais peur », lui dis-je en tentant d'avoir l'air sérieuse.

« Qui vient avec moi ce soir ? » Demanda le président.

« C'est moi.

- Orage ne pouvait pas venir ? » Je sentis sa déception. Je n'allais sûrement pas lui donner le plaisir d'une excuse raisonnable. « Moi, j'avais envie de venir ».

- Dans ce cas, vous arrêter de narguer Dya et vous vous tenez correctement. C'est une réception officielle. Je veux vous voir à l'heure à la plate-forme d'embarquement et je ne veux aucun scandale ».

On passait son temps à se faire insulter ici. J'avais l'impression de me retrouver sur Terre. Pluie, fais ceci, Pluie, fais cela. C'est qu'il serait capable d'y aller tout seul si je faisais ma mauvaise tête. Et cela, uniquement pour m'accabler.

Ma contrariété fondit instantanément quand je découvris au fond des placards de Tempête une soie encore plus belle que ce que j'espérais. Sa couleur bordeaux était si foncée qu'elle paraissait presque noire mais chatoyait à la lumière et les bordures étaient rehaussées de fils dorés. Le tissu était d'une finesse remarquable mais devait être plombé car son maintien était parfait. Je le passai au-dessus de la poitrine comme j'avais appris étant petite, pour en faire un fourreau qui dénudait mes épaules, attaché dans le dos sous mon tatouage et laissant le drapé retomber jusqu'aux pieds. J’avais réussi aussi à attacher mes cheveux trop courts ne laissant que quelques boucles sombres autour du visage et je trouvai aussi quelques paillettes d'or pour mettre en valeur mes yeux bleus. Même si je ne devais pas les montrer, c’était agréable. Je finis le maquillage par quelques touches dorées sur le décolleté et sortis.

Je croisai Orage dans les jardins. Il m’attrapa par les épaules après un hoquet de surprise « Quelle vision de rêve, Pluie habillée normalement. Comme quoi, quand tu fais un effort, tu es capable de ressembler à ce que tu es. »

S’il se lançait dans un de ses interminables monologues, j'étais bonne à passer la soirée ici. « Et qu'est ce que je suis ? » demandai-je agacée, sentant qu'il ne me lâcherait pas avant que je lui pose la question.

« Une Adarii petit bout de Taegaïan » dit-il en me lâchant et en continuant vers la villa. « Et bientôt la mienne ».

Dans tes rêves oui, pensai-je en espérant m'en convaincre.