samedi 24 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 8

8
"Il faut laisser passer l’orage"
Proverbe Français

J'émergeais d'un doux songe par des hurlements. J'ouvris les yeux et fus éblouie par le soleil qui entrait à flot dans la bibliothèque. J'avais dû m'endormir là. Quelqu'un avait posé un châle sur mes épaules. Je le remontai par dessus ma tête pour atténuer la lumière, changeai de position et refermai les yeux. La voix d'Orage se remit à tonner. Ne pourrait-il pas être capable de parler d'une voix normale au moins une fois dans sa vie ? J'entendis prononcer mon nom. L'idée qu'il parle de moi attira mon attention et je m'éveillai tout à fait. Je replaçai le châle sur mes épaules et me levai. Un violent mal de crâne accompagna cet effort et je fus tenter de me recoucher.

J'aperçus Orage dans le couloir et l'interpellai de loin : « Tu ne peux pas te taire, j'ai mal à la tête.

- Je t'ai réveillée jolie Pluie ? »

- A ton avis ? » Je m'approchai jusqu’au hall d’entrée et aperçus le président Eysky, Luico à ses cotés, son capuchon rabattu en arrière.

« Qu'est-ce que vous faites ici ? »

La perspective de tout ce beau monde au réveil ne me réjouissait pas du tout. Vu les cernes accrochés à leurs yeux, ils n'avaient pas dû dormir de la nuit. D'ailleurs, ils portaient les mêmes vêtements que la veille.

« Je suis passé prendre de vos nouvelles avant de rentrer chez moi » me dit Eysky. « Et vous remercier de ce que vous avez fait pour moi.

- Hé bien, elle ne va pas bien du tout par votre faute. Alors, ne comptez plus jamais sur elle pour quoi que ce soit. »

J'avais horreur d'entendre Orage répondre à ma place. A croire que j'étais une gamine incapable de prendre des décisions par moi-même.

« Orage, je n'ai pas besoin de chaperon. Et arrête de crier ainsi ». Je continuai plus calmement « C'est moi qui voulais y aller. J'avoue que je n'avais pas imaginé que ça puisse tourner aussi mal, mais j'ai fait ce que je devais. Affaire réglée.

- Elle a raison. Si vous ne vouliez pas lui faire courir de risque vous n'aviez qu'à être là. C'est votre travail qu'elle a fait.

- Vous rigolez président, la seule raison pour laquelle vous voulez qu'on vous suive partout, c'est pour épater la galerie en faisait croire aux abrutis qui vous vénèrent que vous avez une quelconque autorité sur nous et accessoirement, les effrayer.

- Votre rôle premier est d'assurer ma sécurité et votre cousine paraît l'avoir compris mieux que vous.

Croyez-vous que je supporterais vos insubordinations quotidiennes et votre sale caractère uniquement pour épater la galerie comme vous dites ?

- Parce que vous pensez sans doute que vous réussirez mieux à mater l’innocente Pluie pour votre sale boulot.

- On parle d'une innocente qui au bout de deux heures avait déjà jeté dehors un de mes conseillers tout de même. Alors, ne me faites pas croire que c'est un être faible et sans défense. Malheureusement, aucun d’entre vous ne l’est.

- C'est vrai, jolie Pluie, tu as fait ça ? »

J'ôtai son bras de mes épaules. Son air de fierté soudain me paraissait des plus malvenus.

« En ce qui me concerne » reprit le président, « je suis nettement plus fier de son intervention dans les villes souterraines. Elle m'a sauvé la vie et je pense que grâce à son intervention, certaines personnes comprendront mieux pourquoi je vous garde auprès de moi.

- Votre vie est le dernier de mes soucis. La seule chose qui m'importe, c'est Pluie.

- Orage, je vais bien. Tu ne vas pas en faire un drame.

- Tu ne t'imagines pas à quel point je me suis inquiété. Tempête et Glace m'ont dit que quelque chose n'allait pas avec toi et personne n'a réussi à te contacter, tu les as repoussés.

- J'ai paniqué c'est tout. La prochaine fois...

- Il n'y aura pas de prochaine fois.

Parce que maintenant Orage pensait pouvoir me donner des ordres comme quand j’étais une petite fille. Il était resté trop longtemps à faire le chef sur les Maÿcentres. Je n'étais sûrement pas comme Tempête qui cédait à tous ses caprices, ni comme Sentiment qui l'ignorait superbement se contentant de fermer la porte quand ses colères l’assourdissait. Ho non, je n'allais pas me laisser faire aussi facilement.

« Orage, tu n’as pas d'ordre à me donner ». J'avais parlé d'une fois forte, les mains sur les hanches, comme l’aurait fait Glace, mais je n'avais pas crié. J'aperçus Luico qui tentait de réprimer un sourire. Je réalisai soudain que nos disputes ne regardaient en rien les Maÿcentres.

« Veuillez repasser à un autre moment Président Eysky. Je crois que nous avons tous besoin d'un peu de calme.

- Je crois qu'en effet, le moment est mal choisi. J'ai cependant un message à vous transmettre. Mon fils demande l'autorisation de venir vous faire une visite dans l'après midi.

- Non » dit Orage.

Je le regardais emplie d’une fureur que je ne me fatiguai même pas à garder pour moi. « Dites à votre fils que je serais ravie de le recevoir » répondis-je au président tout en toisant Orage.

« Parce qu'en plus tu veux copiner avec Eïskï Fils ! Tu ne vas pas bien Pluie. »

La porte s'était à peine refermée sur le président qu'Orage avait commencé son discours « Les Autres sont tous les mêmes, sauf le peuple de Plume qui est sans doute mieux éduqués. Pour le reste, moins tu les fréquentes, mieux tu te portes. D'ailleurs, malgré son ton mielleux et ses remerciements, le but de la visite du président Eysky était tout de même de te demander si, une fois remise, tu pourrais lui faire un compte-rendu de ce que tu avais pu sonder dans l'esprit de celui qui aurait mieux fait de ne pas rater le président. »

Orage était capable de faire preuve d’une intelligence extraordinaire mais d’une bêtise tout aussi grande.

« Bien sur, comme ça, le conseiller Sinshy prendrait sa place. Je ne suis pas persuadée que cette perspective te plaise beaucoup.

Que lui as-tu répondu ?

- Que s’il commençait à nous obliger à sonder les pensées, on finirait par y prendre goût. »

Je me surpris à sourire de ses plaisanteries, mais lui ne riait pas du tout.

« J'irais faire un compte-rendu, voilà tout.

- Pas question. S'il le faut, j'irais arracher toutes les informations que cet abrutit a dans le crâne et ça ne m'étonnerait pas que je trouve Sinshy derrière mais toi, tu ne te mêles plus de ça.

Je t'ai laissé faire car, jamais il n'y a eu la moindre violence sur les Maÿcentres. Si on commence à voir ici des armes illicites et des tueurs... » Il s'arrêta en laissant sa phrase en suspends. Quand il reprit c'était d'une voix plus douce : « Je ne veux pas qu'il t'arrive malheur Pluie. Tu ne vois donc pas à quel point je tiens à toi ?

- Dans ce cas, laisse-moi respirer. Tu ne peux pas me garder cloîtrer, j'étouffe ici. Je ne vais pas mentir en disant que je trouve passionnantes les réunions du conseil mais au moins, je vois du monde, je m’instruis et puis, j'ai vu pleins de choses dans les villes du bas. Pas toujours agréables mais c'est intéressant aussi d'être consciente de ce qu'il se passe là-bas.

- Et tu serais prête à risquer ta vie pour ça ?

- J'ai paniqué, je n'étais pas préparée et, tout comme toi, je n'avais jamais imaginé que ça puisse être dangereux et j'ai agi sans réfléchir. Imagine ce que ça peut donner de sentir l'envie de tuer, l'excitation procurée par l'idée d'un tel acte ». Je m'arrêtai refusant d'en dire d'avantage. Je préférais éviter de me remettre ça en mémoire.

« C'est de cela que je veux te préserver » Orage s'était approché et m'avait fait asseoir dans un canapé du salon principal. « Tu comprends ?

- Non, tu peux m'apprendre à affronter ce genre de choses. Tu peux m'accompagner même, mais tu ne peux pas m'enfermer ici sous prétexte de me protéger. Je cours bien plus de risque ici.

Orage s'assit à coté de moi sans paraître comprendre « Quels risques pourrais-tu courir ici ?

- Je risque de devenir folle.

Orage me regarda sans comprendre puis éclata de rire. « Tu es encore plus butée que moi. Il s'approcha et posa un baiser sur mes lèvres « Dans ce cas, fais ce que tu veux indomptable Pluie. »

***

« Quoi ?

- Le fils Eïskï demande l'autorisation d'être reçu par l'Adarii Pluie »

Je relevai la tête de mon lit et la tournai vers Plumeau en lui faisant une grimace d'ennui.

« Si vous voulez, je dois pouvoir lui dire de partir. Que je sache, il n'y a que le président qui peut exiger d'être reçu.

- Non, c'est moi qui l'ai autorisé à venir ». Pour faire les pieds à Orage. Mais je me contentai de penser cette dernière phrase.

Plumeau était sortie et je me recouchai sur mon lit. Je m'étais lavée, j'avais mangé, j'avais réussi à me débarrasser de Glace qui m'avait fait la morale comme quoi je devais rester à l'écart des Maÿcentres puis de Tempête qui trouvait mon histoire follement amusante. Cette dernière m'avait d'ailleurs bien remonté le moral. Et maintenant, je n'aspirais qu'à une bonne sieste. Je me levai à contrecœur, attrapai une pièce de soie pourpre et la drapai autour de moi avant de passer la main dans mes cheveux pour en retirer les nœuds et les replacer correctement et descendis l'escalier en baillant.

Ryun Eïskï se leva à mon entrée dans le salon d’accueil. Je remarquais qu'on lui avait servi à boire et à manger.

« Asseyez-vous Ryun » dis-je en m'asseyant dans le canapé à ses cotés.

Je le sentais toujours gêné par ma présence. Il regardait partout autour de lui sauf vers moi.

« Vous n'avez pas amené de garde du corps ?

- Des gardes du corps pour me protéger de celle qui a sauvé mon père, vous plaisantez, c'est grotesque.

Vous avez une maison magnifique » continua-t-il. « Bien plus belle que toutes celles de la colline, même que celle de mon père. »

Ce n'était pas difficile. Le seul bâtiment des Maÿcentres pour lequel ils paraissaient avoir fait un réel effort était le complexe du conseil. En encore, une grande partie de son charme tenait aux plantes qui grimpaient sur la façade et cachait la médiocrité de l'architecture. De ce que j'avais pu voir, les maisons particulières des privilégiés étaient toutes bâties sur le même modèle : Une architecture simple cachée sous une profusion de fleurs. Seul la villa Adarii était construite en pierre avec un auvent sculpté à l'entrée. Le tour des baies vitrés aussi avaient été sculptés avec des motifs géométriques. Toute végétation avait été éloignée des abords immédiats des murs pour mettre en valeur le travail de la pierre.

« C'est une architecture typique de Plume. La maison est dans le style de celles qu’on retrouve à Taïla dans le désert rose. Je suppose que ceux qui l'on construit ont voulu se sentir ici comme chez eux.

- Père dit que sur Plume, ce sont les Adarii qui construisent les maisons pour tout le monde.

Je secouai la tête. « Les Adarii ont construit des cités, des routes, des arches, des bâtiments publics et les villas Adarii. Et encore, avec l'aide de tous. Pour les maisons des humains de Plume, ils se débrouillent.

- Parce que les Adarii ne sont pas humains ? »

Voilà un grand débat existentiel que je n'avais pas du tout envie de mener avec qui que ce soit surtout aujourd’hui. C’est vrai qu’on avait toujours du mal à savoir comment nommer ceux qui n’étaient pas Adarii. Sur Plume, on les appelait le peuple de Plume mais ici, il n’y avait pas d’équivalence. Sentiment avait pris l’habitude de les désigner en utilisant le terme qui voulait dire « être humain » dans la langue des Maÿcentres mais ce n’était sans doute pas le mieux approprié. Cette désignation pouvait paraître péjorative. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’elle l’employait. Orage, les appelait « Autre ». pour lui, il y avait les Adarii et les Autres. Au fond, ce n’était pas mieux. Tempête trouvait des petits noms enfantins et moi, j’évitais le plus possible le sujet. Aussi, je ne répondis pas et attendis espérant qu'il reparte sur un autre sujet.

« Comment faites-vous pour travailler la pierre ainsi ? Jamais personne ici n'a réussi de tels chefs d'œuvre.

- Ca ne vous regarde pas ».

Ryun finit par se tourner vers moi et fronça les sourcils « Savez-vous que jamais personne n'a osé me parler avec tant d'insolence. Je suis le fils du président.

- Et moi je suis la sorcière de ton père comme certains ont la présomption de m’appeler derrière mon dos. Alors ravale ta fierté et cesse de me poser des questions avant d’avoir deux y à ton nom. »

Ryun, contrairement à toute attente, parut se détendre et s'installer plus confortablement, caressant distraitement un coussin de soie.

« J'ai dit à mon père que je voulais venir personnellement vous présenter mes remerciements pour l'intervention qui lui a sans doute sauvé la vie.

Il m'a dit : “soit je les transmets en ton nom, soit tu y vas et tu en prendras plein la tête”. Mais en fait, son discours était encore plus cru.

- Et alors ?

- Il avait raison, j'en ai pris plein la tête. » Il se leva et s'approcha de la sortie avant de reprendre : « Me permettez-vous de revenir un autre jour quand j'aurais appris à vous parler comme il se doit ? »

Tant de déférence soudaine de la part de quelqu'un des Maÿcentres était plus que suspect mais je ne voyais pas comment refuser sa requête.

Je restais muette ne sachant que dire.

Il sourit et parut se contenter de mon silence.

« A bientôt alors » me dit-il en sortant dans un salut très élaboré.

J'avais la désagréable impression de mettre faite avoir sans arriver à cerner où, ni comment, ce qui m'irrita encore d'avantage.

- Je pense plutôt que c'est lui qui s'avance sur un terrain glissant.

- Tu m'espionnes Tempête ? Je n’étais pas étonnée, je l’avais sentie arrivée, douce et sucrée comme un parfum des îles, une odeur enfantine, un effluve de vanille.

- Bien sur, tu m'as dit qu'un beau garçon devait venir te voir, je ne voulais pas rater ça.

- Je n'ai jamais dit qu'il était beau.

- Son père n'est pas mal. J'en ai déduit que le même plus jeune devait être très appréciable.

- Pourquoi penses-tu que Ryun s'avance sur un terrain glissant ?

- Parce qu'il me semble si sûr de lui qu'il serait capable de se croire assez habile pour te mater. Il veut te séduire.

- Je sais. Il n'a pas la moindre chance

- Ne lui dis pas de suite, laisse-le s'enfoncer dans sa vanité, ça lui fera les pieds et ce pourrait être amusant.

***

Je me présentai le lendemain dans le bureau du président pour faire mon rapport et Orage m'accompagnait ne pouvant se résoudre à me lâcher d’une semelle comme si j’étais une poupée fragile.

Le conseil était en effervescence. Qu'une arme Terrienne ait pu être infiltrée sur les Maÿcentres était déjà impensable mais qu'on s'en serve dans l'idée d'assassiner le président dépassait l'imagination. Moi, je ne voulais plus en entendre parler.

Eysky nous expliqua que toutes les navettes partant ou revenant de la Terre étaient fouillées et que très peu de personnes circulaient entre ces deux mondes. En encore, uniquement vers Archuléta. Je me permis de faire remarquer qu'on en avait trouvé d'autre mais le souvenir de cet épisode ne parut pas réjouir le président. « Nous avons récupéré tout le monde » dit-il. Il en profita pour préciser que cela n’avait pas été une mince affaire par notre faute. La gratitude était de courte durée chez lui. Il précisa qu’aucune technologie Terrienne n'était arrivée sur les Maÿcentres avec eux. La façon dont il avait dit ces derniers mots mettait fin à toute discussion.

Orage fixait avec insistance le conseiller Sinshy qui, tassé dans un fauteuil dans le coin le plus reculé du bureau, ne paraissait nullement vouloir prendre part à la discussion mais ne semblait pas pour autant avoir l'intention de se retirer. Ses deux gardes du corps ne le quittaient pas d'une semelle, même dans le bureau du président. Il tirait sur une sorte de fine cigarette d'herbes acres expirant des ronds de fumée piquantes et irritantes. Sale habitude des villes plates de Vengeance. D’après ce que je savais, c’étaient les seuls avec la Terre à avoir ce type de manie.

Au bout d’un moment, Orage ne réussit plus à se contenir : « Et toi, conseiller Sinshy, n'aurais-tu pas quelque chose à voir là-dedans ? »

Sinshy sourit d'un air pervers en désignant le bandage qui me ceignait le front. « Pourquoi cette gosse n’est-elle pas encore réparée ? Dois–je en déduire que votre petite amie s’est absentée ?

- Leur guérisseuse est en mission sur mon ordre conseiller alors abstenez-vous de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas. » reprit le président. Je lançai un petit sourire de vainqueur à Sinshy. « Quant à vous Orage » continuait-il « Veuillez prendre un autre ton pour interpeller le premier conseiller et cesser de le harceler sans arrêt. Depuis le temps, il me paraît évident que sa loyauté n'est plus à mettre en doute.

- Permettez-moi d'en douter » répliqua Orage trop bas pour pouvoir être entendu par le président. De toute façon, il n'écoutait pas. Il voulait me faire dire ce que j'avais perçu exactement. Je lui expliquais ce que j'avais vu des souvenirs du tueur. Comment quelqu'un l'avait persuadé que c'était la seule chose à faire, l’espèce de conditionnement qu’il avait reçu qui avait durer plusieurs mois, l’homme qui lui parlait.

- Décrivez-le moi encore ?

- Je ne peux rien dire. Il avait un manteau qui le recouvrait entièrement comme tout le monde ici. »

Orage hocha de la tête. « Voilà où mène la pudeur outrancière. Impossible de reconnaître qui que se soit. »

J’acquiesçai tandis qu’Orage continuait : « Et encore, tu n’as pas tout vu. sur Vengeance, il y en a qui sont si prudes qu’ils portent des masques pour être sur de ne dévoiler pas la moindre parcelle de leur personne.

« Mon visage avait dû s’illuminer « Oui, je crois qu’il portait quelque chose du genre. Une sorte de masque dans un métal argenté. » Je me tournai vers Orage « tu crois que ça voudrait dire qu’il vient de Vengeance ? »

Orage secoua la tête : « Cette mode commence aussi à se répandre ici mais elle est réservé à la haute société, jamais tu ne trouverais d’accessoires du genre dans les basses villes. A mon avis ça doit avoir une signification mystique. N’as-tu pas remarqué les statues de leur dieux aussi sont masquées. »

Je l’avais remarqué en effet mais je voyais plutôt dans cette pratique un prolongement de leur envie de se fondre dans la masse. Je commençais à développer cette théorie quand le président m’interrompit ne nous laissant pas le loisir de dévier de ses préoccupations alors qu’en ce qui me concernait, j’aimais beaucoup entendre parler des bêtises vestimentaires issues de Vengeance « Il était grand, petit ? »

J’eu besoin de quelques secondes pour comprendre qu’il parlait de son agresseur.

« Plus grand que l’homme que vous avez arrêté.

- Et son manteau, quel genre était-ce ?

- Une sorte de longue cape, avec un capuchon. Un peu dans le style du manteau que porte Orage mais plus clair et bien moins joli.

- C'est l'Adarii Taegaïan qui a fait le coup » siffla le conseiller Sinshy tirant une nouvelle bouffée de son cigarillo.

- Taisez-vous conseiller » ordonna le président tandis qu'Orage lui lançait un regard chargé de haine.

« Quel genre de matière ? En général vous avez l’œil pour ces détails. Ce manteau paraissait-il élaboré, élégant ?

- Il avait des découpes compliquées mais le tissu était de piètre qualité, plutôt simple.

- Simple comme les tissus grossiers qu'on peut voir dans les basses villes ou plutôt une loque sortie des villes souterraines. »

J'eus une grimace de dégoût en repensant à ceux qui vivaient là-bas. Comment pouvait-il en parler si tranquillement ? A croire qu'il ne se préoccupait pas le moins du monde que des personnes dont il avait la responsabilité vivent dans une telle misère.

J'éloignais ces idées, ce n’était pas mon problème, et me remémorai le manteau. Je secouai la tête, « non pas à ce point là. Plutôt dans le style que vous portez ».

Le président me jeta un regard noir et Sinshy fut pris d'un fou rire impossible à maîtriser. « Un manteau aussi grossier que celui de l'homme le plus important de tout l'univers connu. » dit-il entre deux éclats de rire.

« Conseiller Sinshy veuillez sortir » dit le président en pointant la porte du doigt.

« Bien président » dit-il en se levant et se dirigeant vers la sortie. « De toute façon, j'en ai assez entendu » marmonna-t-il au milieu d’éclats de rire étouffés. « Piètre qualité. »

Orage le suivit des yeux puis revint vers le président. « Elle n'a pas tout à fait tort. »

Je n'avais toujours pas compris ce qui les avait tous mis dans un tel état.

« Adarii » dit-il en s'adressant à tous les deux « le jour où vous accepterez que vos artisans fassent commerce de vos soieries, vos cuirs et vos fourrures avec la confédération Vengeance-Maÿcentres, vous aurez le droit de critiquer ce qu'on fabrique. »

Je me mordis les lèvres gênées, mais il fallait savoir aussi, puisque, soi-disant, la seule valeur d’un objet était son sens pratique, il ne devait pas être vexé si on lui faisait remarquer que ce qu’il portait n’était pas des plus élégants. N’empêche que, pour la diplomatie, j’avais peut-être encore un ou deux trucs à apprendre.

***

Plus les semaines passaient, plus les Maÿcentres s'enlisaient. Les recherches tournaient en rond ressassant toujours les mêmes faits déjà connus sans avancer d'avantage. La sécurité frisait la paranoïa et tout le complexe était saturé d’effluves d’anxiété très désagréables. Je passais de plus en plus de temps à escorter le président. Orage pestait à me voir prendre ainsi mon indépendance mais au fond, il était bien content d'avoir plus de temps libre pour vaquer à quelques petites affaires dont il ne me parlait pas.

Je dormis mal cette nuit-là. J’avais passé la soirée à écouter les élucubrations Terriennes de Tempête en baillant et, une fois au lit, ses propos astro-géologiques tournaient encore dans ma tête. Elle imaginait toujours qu’une hypothétique civilisation Terrienne disparue était la source des colonisations des planètes du cercle, comme les Maÿcentres appelaient le petit bout de galaxie regroupant les systèmes solaires habités. J’étais toujours sceptique car je n’arrivais pas à concevoir que, dans ce cas, la Terre n’en garde aucun souvenir.

« As-tu déjà entendu parler d’Ellipse ? »

Voilà comment Tempête avait commencé à me pourrir la soirée alors que, même si j’étais encore dans le salon, j’envisageais sérieusement d’aller me coucher. Avant même qu’elle pousse la porte de communication des deux appartements, j’avais senti son exaltation qui ne présageait rien de bon pour ma soirée tranquille. Je l’avais regardée fusant un profond ennui mais elle feignit de ne pas s’en apercevoir aussi, je m’obligeai à répondre : « C’est le nom que Vengeance a donné à une des planètes du système solaire de la Terre. La plus lointaine, je pense. Celle qui a une trajectoire elliptique.

« Vrai et faux » me répondit Tempête. « Elle est bien, et de loin la plus lointaine mais, ce n’est pas toujours le cas. Vu sa trajectoire très particulière, à son périgée, elle devrait passer entre la Terre et Mars. »

- Passionnant » murmurai-je en me demandant si j’appelais Plumeau pour qu’elle me monte une autre bouilloire d’infusion ou si j’avais encore des chances de m’en sortir assez vite.

« Les hommes de la Terre ne la connaissent pas, si je ne m’abuse ? » reprit-elle m’ôtant tout espoir d’une discussion rapide.

Je m’étirais et me couchai dans le sofa, résignée à remettre mon sommeil à plus tard. « Vrai et faux » répondis-je reprenant ses termes. « Concrètement non mais certaines mythologies l’évoque. Les Sumériens entre autres qui l’avaient nommée Nibiru et actuellement, l’hypothèse de cette planète se répand dans une partie de la communauté scientifique sous le nom de planète X. »

Tempête ouvrit de grands yeux étonnés. « C’est incroyable ce que tu dis là. Il faudrait prévenir Eysky. Tu sais que selon les lois des Vengeance-Maÿcentres, quand il y a une planète habitée dans un système solaire, les autres planètes de ce système lui appartiennent. Si Ellipse a été nommée par la Terre, on devrait reprendre le nom qui lui a été attribué.

- Tu as tout à fait raison. Il me paraît d’une urgence capitale de savoir comment appeler cette planète. Je suggère que tu ailles en parler à Eysky de suite. Après tout, il n’y a pas de raison qu’il dorme. Qui voudrait bien pouvoir se coucher à cette heure-ci ? » Comme je l’imaginai, Tempête ne tint pas compte de mon allusion pourtant flagrante et continua de plus belle : « Par contre, dans ce cas, j’ignore si on doit l’appeler Nibiru ou planète X. Je préfèrerais Nibiru, c’est plus joli. Planète X, ça ne veut rien dire.

- C’est un symbole pseudo mystérieux car son existence n’est pas prouvée et surtout, le x représente le chiffre dix dans l’écriture romaine et comme elle est la dixième planète…

- La onzième » coupa Tempête

- La dixième connue.

- Comment est-ce possible que des mythes Terriens évoquent l’existence d’une planète dont ils ne sont même pas capables de prouver l’existence avec leur technologie actuelle ? »

J’hésitais à répondre imaginant tout à fait où elle voulait en venir « Non, je ne veux pas entendre parler de civilisations archaïques ultra développées à cette heure-ci.

- Je suis juste en admiration devant tes connaissances. En général, ce n’est pas le genre de sujet qui te passionne.

- Au milieu de la nuit, il n’y a pas beaucoup de sujets qui me passionnent. Si je suis au courant de ses détails, c’est parce que j’ai discuté de cette planète avec Déborah. Je t’ai déjà parlé de Déborah ? »

Tempête acquiesça et je continuai : « Donc, dans un moment d’inattention, sans doute étais-je aussi fatiguée que ce soir, j’ai évoqué l’existence de cette planète à Déborah qui est férue d’astronomie. Je ne savais pas que la Terre ne la connaissait pas. Je n’avais pas eu le temps de me reprendre qu’elle était déjà sur Internet pour vérifier et, contre toute attente, elle a trouvé les hypothèses que je t’ai évoquées.

- Tu peux m’en dire plus » me dit Tempête en s’asseyant face à moi.

« Pitié » répliquai-je « pas ce soir. Ecoute, pourquoi viens-tu soudain me parler de ce caillou sur lequel même Vengeance n’a rien trouvé d’intéressant à extraire ?

- Vengeance n’a même pas cherché à extraire quoi que ce soit, le système solaire appartient à la Terre. Mais là n’est pas la question. Tu connais mon hypothèse comme quoi la colonisation des planètes du cercle viendrait de la Terre ?

- Tempête, je ne connais que ça » soupirai-je au bord de l’agonie.

« Je sais oui, si c’était le cas, il en resterait des traces. Et aujourd’hui, je te réponds : sauf si toute cette civilisation a disparu lors d’un cataclysme gigantesque provoqué par un basculement de l’axe de la Terre dû à la proximité de la planète Ellipse, il y a de cela dix mille ans si mes calculs sont exacts. Après un tel cataclysme, il n’est pas étonnant qu’on ne retrouve plus trace d’anciennes civilisations.

Orage entra à ce moment, revenant d’une de ces mystérieuses expéditions à cette heure tardive. Je le soupçonnais fortement d’avoir trouvé un moyen pour descendre dans les basses villes malgré l’interdiction d’Eysky mais il éludait systématiquement mes questions à ce propos. Eysky aussi se méfiait de lui. Surtout depuis qu’il m’avait fait la remarque qu’on ne trouvait pas de masques dans les basses villes tel un vrai connaisseur. Grosse erreur de sa part. Peu de temps après, Plumeau s’était vue interceptée par plusieurs gardes présidentielle afin sans doute de vérifier d’ou il tenait cette information. La domestique avait spontanément avoué que s’était d’elle qu’Orage tenait ses informations, qu’elle allait souvent dans les basses villes, en particulier pour se procurer des produits frais et qu’elle aimait beaucoup visiter ses marchés. Ses dires ont paru suffirent à duper les hommes d’Eysky. En ce qui me concerne, je connais suffisamment Plumeau pour savoir qu’elle a beaucoup trop d’orgueil pour s’abaisser à aller dans les basses villes. Elle aurait trop peur de se salir les mains. En tout cas, la présence d’Orage ce soir était une vraie bénédiction. Tempête se précipita sur lui, heureuse de trouver enfin une oreille attentive à ses propos et j’en profitais pour me glisser subrepticement dans ma chambre en pensant que l’amour ne rendait pas seulement aveugle, il devait aussi rendre sourd pour qu’Orage réussisse à supporter avec tant de patience les lubies de son amie.

Malheureusement, mon cycle de sommeil était passé et je restai un bon moment à me poser des questions comme si, après coup, je me rendais compte de l’importance du discours de Tempête. Que provoquerait exactement comme dégâts la proximité d’Ellipse alias Nibiru ? Quels calculs avaient effectués Tempête ? Ces questionnements et d’autres encore tournaient dans ma tête et je me retrouvais autre part. L’odeur de l’océan m’envahissait. Il s’étendait face à moi à perte de vue. Si bleu, si profond. J’étouffais soudain tandis que l’océan prenait la teinte du feu d’où sortait des flammes de plus en plus hautes m’entourant de toute part. Une cité apparut s’élevant au milieu du brasier puis tout disparu d’un coup. Je sais que tu es là dit une voix comme sortie de ma tête réponds Cette puissance soudaine m’arracha un cri de surprise et je me retrouvais assise dans le noir baignant dans un silence irréel. Je restai sans bouger attendant que mon cœur reprenne un rythme normal. Je tremblais et j’étais en sueur comme après un immense effort. J’essuyais quelques larmes. J’avais dû pleurer pendant mon sommeil. Pourtant, je ne pensais pas m’être endormie. J’avais eu l’impression que la cité de mon enfance était en feu. La douleur me submergea de nouveau. Pas quelque chose de physique mais plutôt ce qu’on ressent à la perte d’un être cher.

Une toute petite voix chuchotait à la limite de ma conscience, comme quand mon père me rassurait étant enfant mais c’était autre chose, sucré, intensif, séduisant. Ce n’était pas le contact chaleureux et amical aux effluves de vanille de Tempête. Ni celui froid et dur de Sentiment ou la fraîcheur de mon frère. C’était comme une vague de désir qui serait restée trop longtemps enfuie et qui explosait soudain avant de s’atténuer en une simple caresse.

Orage, pensais-je, je m’étais liée à Orage

Le contact que j’avais de lui ne ressemblait en rien à ce que je connaissais de mon cousin toujours enflammé et dénigrant l’univers entier. Pourtant, je le reconnus - C’est finit, ça va aller. Son contact était doux bien plus que ce que je pouvais imaginer de lui. Je m’y accrochai comme je me serais blottie dans ses bras et petit à petit, la douleur s’atténua.

- Ce n’est rien, je crois que j’ai fait un cauchemar. Je ne voulais pas te le faire partager, je suis désolée.

Je me concentrai encore sur ma respiration afin de me calmer. J’avais juste fait un cauchemar. Mais si réel !

J’avais encore l’impression de sentir la chaleur des flammes. Et, quelqu’un m’appelait.

- Etait-ce toi ? demandai-je à Orage le sentant encore proche de moi.

- Non.

De toute façon, avant même qu’il me réponde, je savais que ce ne pouvait être lui. Le contact était tout à fait différent. Glace peut-être pensais-je loin d’en être convaincue.

- Ce n’était qu’un mauvais rêve jolie Pluie. Je vais venir te voir

Son contact m’envahissait d’un désir que je ne maîtrisais pas. Je paniquais à l’idée de ce qu’il pourrait arriver s’il était près de moi maintenant.

- Non. Le lien se rompit et je me retrouvai seule. Je transpirais et mon cœur battait la chamade. Que m’arrivait-il soudain ? Je n’arrivais plus à réfléchir. Je me recroquevillai dans mon lit, les jambes repliées contre ma poitrine et me mis à trembler. Je regrettais de ne pas avoir accepté la présence d’Orage. Je le sentais à la limite de la conscience. Il suffirait que je m’approche à peine et il m’entendrait. Je repensais au violent désir qui m’avait assaillie. Pourrais-je lui résister ? Non, et pourtant, je le devais. Je ne savais pas pourquoi mais il le fallait. Je m’allongeai dans le grand lit plus frustrée que jamais. En plus, si j’étais liée à lui, je devrais faire encore plus attention. Il pourrait percevoir mes pensées et cette idée ne me plaisait pas du tout. Je soupirai et eus l’impression de sentir un parfum de cannelle.

***

« Pluie. »

L’évocation de mon nom me fit ouvrir les yeux. Je bredouillai quelque chose avant de me rendre compte que ces paroles ne m’étaient pas destinées. Il faisait grand jour. J’avais dû dormir tard. Des voix me parvenaient du salon. C’était sans doute cela qui m’avait réveillée. Je m’étirai mais n’eus pas le courage de me lever. Sortir du lit était un calvaire quotidien. Je roulai sur le ventre et tendis l’oreille aux discussions venant de la pièce à coté.

« Qu’est-ce que tu espères encore Orage ? » Les paroles de Sentiment n’étaient qu’un murmure et je fus obligée de me concentrer pour comprendre leurs contenus mais Orage ne se fatigua pas à baisser la voix pour répondre.

« J’espère exactement ce que tu crois mais pas pour les raisons que tu imagines.

- Stupide, dangereux, malsain. Tu n’as rien de plus intéressant que t’occuper de tes petites vengeances mesquines ? » La suite des paroles de Sentiments ne me parvint pas. Comme le silence se prolongeait, je me décidai à me lever et à passer une longue tunique de soie blanche.

« Plumeau, tous les jours qui passent tu es plus pénible. Si tu continues ainsi, tu pourras retourner sur Plume sans le moindre espoir de pouvoir à nouveau travailler dans une villa Adarii. » C’était Orage qui tempêtait comme à son habitude.

« Tu serviras sans doute un mauvais artisan au fin fond des montagnes, ça t’apprendra un peu ce qu’est la vrai vie. Pire, tu pourrais travailler pour les Maÿcentres, je suis sûr qu’ils se feraient un plaisir de te sauver de ton soi-disant esclavage »

Je n’entendis pas sa réponse. De toute façon, j’imaginais mal qu’elle ait l’audace de répondre quoi que ce soit. Quoique, avec elle, on peut s’attendre au pire.

C’était à présent la voix chaude et musicale de Tempête qui s’élevait : « On devient tous dingue à rester enfermé ici. C’est ça qui n’est pas sain. On devrait bouger, voir du monde, recevoir. On finit par se marcher dessus à vivre toujours ensemble ».

De la suite, je ne saisis qu’un murmure venu de Sentiment. Par contre, la réponse de Tempête explosa tel un volcan en fureur.

« Sentim, arrête de dire n’importe quoi. Je t’interdis de critiquer Orage. Tu ne le connais pas comme je le connais »

J’étais prête à sortir de ma chambre mais préférais attendre un peu. J’avais déjà entendu à quel point Tempête se mettait en colère dès qu’on touchait à son amant. Il valait mieux dans ce cas attendre que le calme revienne. En général, ses éclats ne duraient pas longtemps.

« Justement, l’amour t’aveugle, tu ne perçois plus ses manœuvres perfides ».

Sentiment avait haussé le ton suffisamment pour que je l’entende très distinctement. En effet ce n’était pas le moment de sortir, la Tempête allait sûrement se déchaîner. Sentiment s’était toujours méfiée d’Orage, mais en général, elle se gardait bien de dire ce genre de chose devant Tempête.

« Hé bien oui, je l’aime d’une passion sans égale. Peut-être que toi, ça ne te ferait pas de mal d’être amoureuse, mais tu es bien trop soupçonneuse pour te laisser aller au moindre sentiment malgré ton nom.

- Halte Tempête » Je reconnus la voix d’Orage qui riait. « Que ferais-je sans toi pour protéger mon âme sans défense. Mais calme ta fureur et laisse couler les sarcasmes d’absence de Sentiment. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de te savoir près de moi et ton amour me préserve de la dureté de ce monde.

- Pitié, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre entre vous deux.

Pourrais-tu un jour réfléchir avec ta tête plutôt que de te laisser entraîner dans tes passions dévastatrices ? Orage te mène par le bout du nez, encore pire que ne le fait Cobalt. Deux amants et, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. D’ailleurs qu’est-ce qu’il fait encore Cobalt ? C’est tout de même lui qui a discrédité l’ancienne présidente des Maÿcentres. Si on l’avait laissé faire, il aurait été capable de prendre sa place.

- Discréditer, tout de suite les grands mots. Ha Cobalt, vous verriez comme il est beau. Peut-être pas autant qu’Orage, mais il a quelque chose » Tempête cherchait ses mots. Si personne ne l’arrêtait, elle partirait dans des explications détaillées de ses ébats. « Quelque chose de sexuel, je dirais. Il te déshabille du regard, c’est excessivement excitant. Quand je rentrerais sur Plume, j’irais à Incarada avant même d’aller embrasser ma mère et mes sœurs à Mayine. J’irai voir Cobalt et on se perdra dans une passion sans fin pendant des jours.

- Elle durera des jours ou sera sans fin ? » La remarque de Sentiment me fit sourire. Elle avait lancé Tempête dans un sujet qui, s’il n’était pas plus calme, était sans doute moins risqué. J’osais ouvrir la porte et m’aventurer dans le salon. Orage était assis à l’autre bout de la pièce, appuyé contre la cheminée, serrant Tempête contre lui comme pour l’empêcher de s’envoler tant elle brassait l’air de ses bras pour accompagner la description de ses futurs exploits amoureux.

Orage riait de la voir ainsi survoltée tandis que Sentiment paraissait au comble du désespoir.

« Je pensais que ta passion pour moi était sans égale belle Maniya ? » Disait Orage

Tempête se retourna sur lui. Elle le regarda, ses yeux perdus dans ceux d’Orage. Je ne sus pas ce qu’ils échangèrent.

« Incomparable » dit-elle tout haut avec un grand sourire.

Sentiment s’étira et se leva. « Je vous laisse à vos mièvreries. J’ai du travail. Pluie, je te souhaite bien du courage, tu vas en avoir besoin »

Je ne saisissais pas de quoi elle parlait. J’avais l’habitude des éclats passionnels de Tempête que ce soit pour Orage ou pour son ami Cobalt qu’elle avait laissé sur Plume et ils avaient plutôt tendance à m’amuser.

Sur les Maÿcentres, certains disaient que les Adarii n’étaient capable d’aimer que leur cité. Au moins, Tempête prouvait le contraire.

Je m’assis près de la table pour manger quelques fruits.

« Sentiment a encore attaqué ton pauvre Orage ? »

Tempête rougit comme une gamine. « Tu as entendu ? Je ne t’ai pas réveillée au moins ».

Orage se mit à rire au éclat. « Je vois mal comment elle aurait pu ne pas entendre vu le scandale que tu nous as encore fait ».

Tempête haussa les épaules, « je n’aime pas qu’on s’attaque à toi. » Elle continua en se tournant vers moi : « Sentiment est fâchée parce que Orage a établi un lien avec toi ».