samedi 24 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 2

2


"Agir dans la colère, c’est s’embarquer dans la tempête"

Proverbe allemand

J’avais attendu le bus pour l’aéroport très mal à l’aise. Je ne voulais pas gâcher le peu d’argent que j’avais pour un taxi, mais je gardais un très mauvais souvenir de la seule et unique fois où j’étais montée dans un bus. J’avais été soulagée en constatant qu’il était presque vide mais, malgré tout, je m’étais assise près de la sortie. On ne sait jamais.

J’avais eu peur d’avoir certains soucis à l’aéroport. J’avais un passeport, mais j’ignorais si j’avais besoin d’un visa ou d’une autorisation parentale. Pourtant, personne n’avait fait le moindre commentaire. J’avais tendu mon passeport, insistant bien sur le fait que tout était en règle fixant le douanier d’un air assuré qui contredisait totalement l’état d’esprit dans lequel je me trouvais et, à ma plus grande surprise, l’employé bedonnant m’avait laissé passer sans difficulté. J’étais restée quelques secondes sans oser y croire, puis j’avais presque couru vers la salle d’embarquement comme pour fuir d’hypothétiques poursuivants. Je m’étais demandé si Sentiment était dans le coin mais ne l’avais pas remarquée. Ensuite, s’en était suivi un long calvaire au cours duquel je m’étais retrouvée serrée dans un espace étriqué et bruyant entouré d’une foule immonde. Ils appelaient ça un avion. Bizarrement, c’était ma première expérience de ce type. En fait non, j’avais déjà pris ce moyen de transport quand ma mère m’avait forcée à déménager en Angleterre, mais la blessure causée par la perte de mon père était si douloureuse à cette époque que je n’y avais pas prêté attention. Ce voyage devait être bien plus agréable, pourtant j’étais au bord de l’agonie. A ma gauche, un individu dormait, la tête en arrière, la bouche ouverte, le nez légèrement pris. Il émettait une sorte de sifflement désagréable à chaque expiration. Je n’aurais su dire si l’odeur qui me submergeait à me rendre malade provenait de son haleine ou de sa sueur. Je m’en éloignais le plus possible, ce qui n’était pas assez car, à ma droite, se trouvait une vieille femme angoissée, sans doute à l’idée que cette masse métallique puisse tenir dans les airs. Enfin, je soupçonnais qu’elle s’imaginait plutôt que cette chose risquait de s’écraser. Un simple coup d’œil de ma part la terrorisa encore plus et elle se recroquevilla contre son hublot dont elle avait baissé le store m’empêchant de profiter de la seule distraction du voyage.

Je m’enfonçai dans mon siège tentant de refouler les effluves de peur provenant de la vieille et l’odeur méphitique de mon autre compagnon de voyage. Il restait une autre correspondance entre Lima et Cusco mais ce serait plus court. Le pire, je l’endurais maintenant.

Je fermai les yeux et tentai de relativiser. J’étais en train de réaliser mon seul désir. A peine deux jours plus tôt, une telle chance était impensable et je trouvais encore le moyen de me plaindre. Sentiment avait raison, j’avais tendance à exagérer. Je n’avais pas vraiment saisi ses intentions. En tout cas, elle n’était pas venue de son plein gré. Quand je l’avais vue, me toisant de haut en bas, j’avais eu l’impression de retrouver ma sœur. Elle non plus ne me supportait pas et je lui rendais bien. Tout le monde l’aimait. Moi, elle m’exaspérait. Mon frère disait que j’étais envieuse. De quoi ? De son sourire trop travaillé pour être naturel ? De sa tenue toujours irréprochable ? De son langage châtié ? On l’avait appelé Prestance, ça résumait bien le personnage. Je n’étais pas pressée de la revoir celle-là.

Je pris encore une bonne inspiration. C’était ce cloisonnement qui me rendait dingue. Trop de gens, trop d’émotions, trop serrée, il n’était pas étonnant que je n’arrive à voir que le mauvais coté des choses dans ces conditions. Une fois sortie de cet enfer, je devrais me sentir mieux.

Mon hypothèse sembla se confirmer à mon arrivée à Cusco. Après une attente interminable à la douane où je tendis pour la dernière fois mon passeport d’un air convaincant suppliant la chance de ne pas me laisser tomber pour cette dernière formalité, je me retrouvai à l’air libre.

J’avais à peine dormi dans l’avion. J’avais traversé la moitié du globe mais n’étais pas du tout fatiguée. J’avais eu un moment d’angoisse en réalisant qu’il était impossible que je sois à l’heure au rendez-vous qu’on m’avait fixé mais, quand l’avion avait atterri et que l’équipage, après nous avoir remercié d’avoir choisi leur compagnie, nous avais indiqué la température au sol et de l’heure, j’avais réalisé que le décalage horaire me fournissait quelques heures supplémentaires et maintenant, je me sentais enfin libre et mes idées noires s’étaient envolées. Il faisait chaud mais pas autant que je ne l’avais imaginé. C’est vrai qu’on était en altitude. J’ôtai tout de même ma veste. Je m’en serais bien débarrassé mais me contentai de la passer sous le bras. J’aurais dû prendre une tenue plus légère. Comble du bonheur, je trouvai sans mal un bus presque vide pour m’emmener à Sacsayhuanan qui semblait être un endroit touristique très prisé. Je devais admettre que mes intérêts étaient peu portés vers ce continent et que mes connaissances de l’endroit se limitaient à quelques rudiments d’espagnol jamais pratiqués. Arrivée sur les lieux, l’après-midi était bien avancé. Il ne me restait plus qu’à aborder un problème auquel je n’avais pas encore songé : qu’est-ce que je faisais maintenant ? Je parcourus l’immense site du regard. Les ruines étaient magnifiques et je me laissai envoûter par l’atmosphère ancestrale de ces constructions d’un autre temps, appréciant cette immense surface dégagée après le confinement du voyage. Il n’y avait pas foule. La saison était peu touristique mais surtout, la taille du site y était pour beaucoup. Je restai saisie devant de gigantesques blocs de pierres qui devaient peser plusieurs tonnes et écoutait distraitement un guide entamer, avec une passion de professionnel, un discours qu’il devait sans doute répéter inlassablement chaque jour, à un groupe de touristes dont la priorité semblait plutôt être d’immortaliser leur pitoyable petite personne dans des photos qu’ils exhiberont bientôt fièrement dans l’espoir d’attiser la jalousie de leurs amis et collègues. Il racontait que, pour la construction de la forteresse, les Incas avaient utilisés des blocs de pierre atteignant jusqu’à neuf mètres de haut et cinq de large s’emboîtant parfaitement les uns aux autres. Les plus gros blocs de granit pouvant peser jusqu’à trois cent soixante tonnes. J’ignorais que ce type de construction était utilisée par ici et tendis l’oreille intriguée. Je croyais que les Incas étaient un peuple disparu depuis bien cinq cent ans. Je ne savais plus exactement. Je ne m’étais jamais intéressée au sujet mais j’avais cru comprendre que les moyens techniques existant à cette époque étaient insuffisants pour gérer de telles masses. Le guide me sortit de mes réflexions en expliquant que la forteresse mesurait 360 mètres de large et que le parc archéologique s’étalait sur 3000 hectares. Autant dire rien face à l’étendue de l’empire Inca mais beaucoup trop quand il s’agissait de retrouver quelqu’un. Comment pourrais-je trouver Sentiment là-dedans ? Pourquoi m’avait-elle donné rendez-vous ici ? Ne voulait-elle pas seulement que je me perdre ? Comme ça, juste pour que je comprenne bien qu’elle ne s’abaisserait jamais à s’occuper de moi.

Tout en y réfléchissant, je m’éloignai du guide expliquant toujours avec fougue le système théocratique et l’administration de l’empire Inca. Je quittai le site touristique pour m’enfoncer un peu plus dans le parc archéologique jusqu’à un cratère s’ouvrant à flanc de montagne quelques centaines de mètres plus loin. Les pierres de la fortification étaient minuscules par rapport au bloc qui gisait là. Je suivais des yeux les escaliers sculptés dans ce roc de la taille d’un bâtiment d’au moins quatre étages.

« Vingt mille tonnes de roche, et en un seul bloc. »

Je me retournai. Je n'avais pas vu arriver la jeune femme qui m’avait adressée la parole. Pourtant, elle ne passait pas inaperçue. Elle portait un simple débardeur rouge et une minijupe en jean avec une paire de tong, ce qui était déjà des plus inadapté pour circuler dans ce terrain accidenté. Son visage était, de plus, à moitié dissimulé par un de ces immenses sombreros vendus pour le plus grand plaisir de certains touristes. Sur un autre, cet accoutrement aurait prêté à rire, mais elle était suffisamment jolie pour porter avec grâce n’importe quel attirail. En plus, son maintien parfait aurait plutôt fait penser à quelqu’un de la haute société et tranchait avec ses bras nus et ses jambes couvertes de poussière. Sans doute une étudiante en archéologie. J’appréciais que quelqu’un m’adresse la parole, c’était plutôt rare. Sans doute aussi à cause du charme des lieux, j’engageai la conversation : « C’est stupéfiant.

- Regardez les escaliers ! Ils sont à l’envers, il est renversé. Vous imaginez la puissance qu’il faut pour retourner un tel ouvrage ?

- Comment cela se peut-il ? » Demandai-je réellement impressionnée.

« Mystère » répondit-elle, relevant son chapeau qui couvrait des yeux couleur d’ambre brillant d’excitation « mais je trouverai. »

Cette déclaration me paraissait bien prétentieuse, mais je ne voulais pas la vexer ; en plus, elle continuait son discours : « A votre avis, combien d’Adarii devraient réunir leurs forces pour avoir une puissance télékinésique suffisante pour déplacer une telle masse ? »

Non, apparemment, elle n’était pas étudiante. Ou alors, ils avaient fortement changés les programmes d’étude.

« Qui es-tu ?

- Pure spéculation Tempête » je me retournai. Sentiment était assise sur un rocher derrière moi. Elle portait un pantalon de treillis et un débardeur. Avec ses cheveux noirs, sa peau brune et ses yeux trop verts cachés derrières des Ray ban, elle aurait pu sans aucun mal passer pour une indigène.

« Je n’ai pas accepté ta présence pour que tu me déballes de telles conjectures. » Elle était apparemment déçue.

« En effet, tu n’as rien accepté du tout, je me suis imposée. Je n’allais pas laisser Pluie seule avec toi, la pauvre. Mais, vu son air ahuri, je suppose que vous n’êtes pas venues ensemble.

- Plus ou moins » Reprit Sentiment « j’avais une place en classe affaire et elle, en classe économique ce qui fait que nous n’avons pas eu beaucoup le loisir de discuter pendant le voyage. »

- C’est mesquin. » Conclut l’autre avec le sourire avant de repartir dans la contemplation de son rocher « Ne sois pas dure envers ma protégée.

- Ta protégée est une gamine irréfléchie et insupportable.

- On le serait à moins à sa place.

- Elle manque de maturité, est encore plus irréfléchie que toi et se contente de se plaindre sans arrêt.

- Ca ne m'étonne pas. Elle a toujours eu un tempérament mélancolique. Sans doute est-ce pour cela qu’elle a été appelé Pluie » Tout en disant cela, elle ôta son grand chapeau révélant une cascade de boucles assorties à ses yeux d’où se dégageait un parfum vanillé.

Comment ne l’avais-je pas reconnue plus tôt ! Bien sur que je connaissais Tempête. On se voyait souvent durant les réunions du conseil à Maniya. J’étais sa poupée comme elle m’appelait. Elle s’amusait à me coiffer, pas toujours doucement d’ailleurs, et nous visitions ensemble les moindres recoins de la villa de Maniya. Tous mes souvenirs d’enfance rejaillirent soudain. Elle avait deux grandes sœurs insupportables et, déjà petite, elle se parfumait toujours à la vanille. Elle adorait cette odeur et elle m’amenait avec elle dans les sous-sols de la cité où étaient entreposées les gousses parfumées.

« C’est vrai, je me rappelle de toi, lui dis-je ravie. Tu me surveillais toujours en jouant à la grande sœur et tu me faisais la morale. Ma gouvernante t’adorait. C’était de vraies vacances quand tu étais là.

- Oui, elle était adorable ta gouvernante » reprit Tempête « Je me souviens qu’une fois tu avais été punie et que ton père t’avais obligée à aller à pied jusqu’à Mayasa avec les villageois. Elle était désespérée car elle devait t’accompagner et une journée entière de marche ne lui disait rien. Alors, je l’avais remplacée comme chaperon.

- Je me rappelle. On avait été dorloté par les villageois.

- Oui, tu penses, les petites filles des Adarii, c’était intéressant à choyer.

- Vous allez me faire pleurer toutes les deux. » On se retourna pour écouter les sarcasmes de Sentiment. Elle était toujours assise à la même place observant un à un quelques cailloux sans doute réunis par Tempête.

« T’es fâchée Sentiment ? » dit Tempête avec une moue enfantine avant de reprendre sans plus s’en préoccuper « Je me suis passionnée depuis quelques temps pour certains sites archéologiques. Des idées de ton père en fait. Quand j'ai su que Glace avait demandé à Sentiment de venir te chercher, je n'ai pas pu m'empêcher de venir avec elle. C'est époustouflant ce qu'on trouve ici. Dans les notes de ton père, j'ai retrouvé des allusions pour le moins étrange. Je ne sais pas ce qu’il manigançait mais je crois qu’il avait découvert quelque chose d’important. Se rendant compte soudain à qui elle parlait, elle se reprit et me transmit ses condoléances. Même après tout ce temps, ce geste simple m’embua les yeux aussi elle reprit vite ses préoccupations me changeant agréablement les idées : « Avant sa mort, Espoir avait commencé certaines recherches ici et, dans ses derniers documents, il évoquait une cité du nom de Tiwanaku ou Tiahuanaco. Il paraissait avoir une manie un peu spéciale consistant à écrire toute sorte de chose et apparemment, il devait aller voir cette cité mais il a changé ses projets à la dernière minute.

Je souris tristement les yeux toujours perdus sur le bloc de pierre. Cette manie d’écrire un peu tout ce qui lui passait par la tête, il me l’avait transmise.

Tempête continuait : « Toi qui a vécu ici, tu as déjà entendu parler de cette cité ?

- Tiwanaku tu dis ? Non, jamais.

- J'aimerais aller la visiter.

- C’est non » reprit Sentiment sans lever les yeux d’une pierre qu’elle polissait du bout des doigt. « Glace a dit qu’on venait discrètement, qu’on s’occupait de sa soeur et qu’on repartait le plus vite possible tout aussi discrètement. Or, il y a déjà dix jours que tu es là. Et je ne parle pas de discrétion. » Elle désigna du doigt l’immense chapeau de Tempête.

« N’est-ce pas qu’il est joli !» reprit Tempête rayonnante « et au moins, si les gens me remarquent trop, ils peuvent penser que c’est à cause de mon chapeau. En fait, c’est un camouflage » conclut-elle en faisant un clin d’œil tandis que Sentiment soupirait, désespérée.

« Donc, je disais qu’Espoir avait commencé des recherches sur la cité de Tiwanaku juste avant sa mort. Tu n'étais pas au courant ? »

Je réfléchis mais ce nom ne me disait vraiment rien. Je secouai la tête. « Mon père me parlait peu de ses recherches. Il partait souvent plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Je crois qu’il menait de front plusieurs projets. Des expériences sur les surdoués et je sais qu'il avait pour obsession de trouver un moyen d'espionner ce qu'il se passait sur la base d'Archuleta. Pourtant, il a décidé de s'installer en France, je ne sais pas pourquoi. Il me disait toujours que je lui poserais des questions quand je serais en age de le faire. »

- Un sage » reprit Sentiment

« Il s'en est passé des choses depuis. Plus besoin d'user de stratagèmes douteux. » Reprit Tempête. « On a mis la main sur Archuleta. Glace a pris la tête du projet.

- Tu Plaisantes ? »

Archuleta était la hantise de mon père. Une base secrète perdue au fin fond du nouveau Mexique. Théoriquement, il s'agissait d’un centre dont la fonction principale était d’établir des relations diplomatiques entre la Terre et certains peuples d’autres mondes. Enfin, surtout avec ceux de la Planète Vengeance et de son inséparable colonie des Maÿcentres. A première vue leur petite entreprise était tout à fait anodine. Il s’agissait d’échanges d’informations surtout et de relations pseudo-diplomatique. Je pense que tout cela n’allait pas bien loin car, pour une raison qui m’échappait encore, les contacts étaient fortement limités, les quelques dirigeants Terriens impliqués dans ce projet imposant de garder ce secret pour quelques mystérieuses raisons. Mon père aimait avoir la main mise sur les organisations les plus influentes et ce petit îlot sans surveillance le rendait malade. Surtout que, vu la distance, les communications étaient très compliquées entre la Terre et la confédération Vengeance-Maÿcentres, ce qui laissait une autonomie bien trop importante aux personnes impliquées dans ce projet, cloisonnées dans cette base souterraine perdue au milieu d’un désert rocheux sous le pic d’Archuleta. Parfois, il se laissait aller à en parler : « Trente ans qu’ils sont enfermés dans leur complot ! On ne me fera pas croire qu’ils se contentent de chercher un arrangement équitable pour les deux parties. » Disait-il juste pour se défouler. De là, ma mère s’exclamait qu’elle ne voulait pas l’entendre parler de ce genre de chose devant sa fille. « Pauvre Emma » lui répondait-il « vas crier plus loin et laisse ma petite Pluie tranquille, elle ne supportera pas ton agressivité longtemps ».

« Comment mon frère a-t-il pu entrer à Archuleta ? Demandai-je revenant au présent.

Tempête n’écoutait plus. Elle s’était éloignée pour récupérer les quelques pierres que Sentiment observait toujours. « Ces cailloux portent des marques de vitrification » lui dit-elle « d’où viennent-ils ?

- D’ici » répondit-elle en dissimulant dans un sac qu’elle portait en bandoulière.

Il n’y avait personne aux alentours. Les touristes limitant leur visite à la forteresse mais je m’approchai tout de même pour ne pas hausser la voix en répétant ma question. Les Maÿcentres avaient toujours refusés toute implication de notre peuple à Archuleta. J’imaginais mal que mon frère puisse y avoir ses entrées.

- Il a fallu toute une série d'événement pour qu'ils daignent en arriver à une telle extrémité », répondit-elle. « Et, pour une fois, on n’a rien fait. Ou presque. »

J'avais presque oublié Sentiment quand elle reprit la parole : « Justement, quand nous ne faisons rien, ils s'enlisent tellement qu'ils ne peuvent que nous supplier de venir les sortir de leur bourbier. Aucun honneur ces gens-là. »

Je fis remarquer qu’ils avaient dû avoir tout de même de sacrés ennuis pour en arriver à de telles extrémités».

Tempête secoua la tête faisant voler quelques boucles dorées. « Pas tant que ça en fait.

D'abord, il y a eu l'explosion de la navette qui a tué ton père mais aussi les deux parents de Sentiment qui travaillaient auprès de la présidente de la confédération Vengeance et Maÿcentres. »

L'évocation de cet accident m'arracha une grimace. Je me souvenais du départ précipité de mon père et de Tendresse et Calme qui étaient venus pour un projet dont mon père refusait de parler mais, je n’avais pas saisi que Sentiment était leur fille. Je me sentis soudain beaucoup plus compatissante à son égard. Elle ne daigna pas me porter le moindre regard pour autant.

Tempête continuait son histoire : « Déjà, en soi, cette explosion fut un scandale terrible. Le conseil Adarii de Plume a envoyé quelqu'un sur les Maÿcentres pour s'assurer que c'était bien un accident. Leur conseil s’est offusqué car le conseiller Sinshy avait identifié que la navette se dirigeait vers la Terre alors que personne n'avait le droit d' y aller sans autorisation. C'est à peine s'ils ne nous ont pas fait des menaces. On a frôlé le pire.

Dans le même temps, ils se sont rendus compte que, comme le craignait Espoir, l'équipe dirigeante d'Archuleta profitait du chaos pour faire passer certaines technologies illicites sur les Maÿcentres.

Le gouvernement en place s’est retrouvé submergé. Je te résume car la crise a durée une bonne année d’ici. Sur un coup de maître, le conseiller Eïsky a profité de cette débâcle pour pointer l’incompétence de la présidente et a réussi à prendre sa place à la tête de la confédération des Vengeance-Maÿcentres.

- Eïsky ? » Le nom ne m'était pas inconnu. « Mon père le connaissait je crois ?

- Oui, je ne sais pas exactement ce qu’Espoir manigançait avec lui. Je sais qu’ils se voyaient beaucoup quand il était sur les Maÿcentres, mais c’était il y a plus de trente ans. C’est un personnage assez singulier, il a imposé une politique très stricte envers ses collaborateurs. Son peuple lui voue une véritable adoration. On n’avait jamais vu quelqu’un élu à une si grande majorité. Par contre, la plupart des conseillers, en particulier ceux issus de Vengeance, ne supportent pas sa politique jugée bien trop idéaliste et dangereuse. D’ores et déjà, contre l’avis de tous, le conseiller Eïsky devenu président Eysky a demandé à Glace de gérer les communications entre la Terre et les Maÿcentres. Glace a accepté à condition d'avoir la place de responsable. L’opposition a été unanime mais le nouveau président a décrété qu’il ne voulait plus avoir cette base hors surveillance, qu’il mettrait tous les moyens possibles pour les surveiller et qu’il attendait qu’on lui soumette d’autres options.

Aucune autre proposition n’a émergée et Glace s’est retrouvé à la tête du projet. Il a ensuite demandé à Orage de faire les transmissions sur les Maÿcentres et accessoirement de surveiller ce qu'il se passe là-bas en reprenant la place des parents de Sentiment.

- Ca n’a pas dû plaire à tout le monde.

- C'est le moins qu’on puisse dire. Parfois, j'ai l'impression que si on est encore là, c'est uniquement parce que personne n'ose prendre la responsabilité de nous envoyer au diable. Ils craignent qu’Orage et Glace fassent de la rétention d’information.

- Et ce n’est pas le cas ? » Nos liens avec ces peuples avaient toujours été chaotiques et j’imaginais mal que la situation puisse avoir changé en si peu de temps.

« Pas vraiment. Glace est particulièrement intègre, il veut entrer dans les bonnes grâces de tout le monde, et il n’y arrive pas si mal. On est tous plus ou moins étonnés. Il fait très attention aux exigences de ceux d’Archuleta.

- Exigences qui, entre autre, stipulent que nous n’avons rien à faire ici » précisa Sentiment.

« Oui, il y fait beaucoup trop attention » reprit Tempête en faisant la moue. « Les dirigeants de cette base sont des paranoïaques maniaques de la sécurité. Ils veulent absolument connaître toutes les personnes qui entrent dans leur périmètre et refusent expressément qu’on y circule sans autorisation. Autorisation qu’ils ne donnent jamais »

Tempête avait rassemblé quelques affaires et remis son chapeau. Le jour commençait à baisser. J’avais l’impression d’avoir la tête prête à exploser. Le voyage, le manque de sommeil, et toutes ses informations à digérer d’un coup, c’était un peu trop. Sentiment s’était mise en route vers la forteresse sans un mot et Tempête l’avait suivie. Je restais un peu en arrière. Tout changeait si vite ! J’avais l’impression que hier encore, j’observais discrètement mon frère Glace rivalisant d’acrobaties périlleuses sur les remparts de la cité de mon enfance avec ses amis Orage et Ambre. Je les admirais comme toute petite fille devant des « grands » avant qu’ils se fassent réprimander à cause leurs comportements dangereux et irresponsables. Et puis, j’avais quitté la douce planète Plume pleine d’exaltation à l’idée de la grande aventure qui m’attendait. Si j’avais su, j’aurais été moins exaltée à l’époque.

Et maintenant, Glace et Orage étaient partis à leur tour. Mon père disait que nous ne pouvions pas ignorer les autres mondes. Il disait aussi que la puissance des Adarii ne devait pas se cantonner à Saphir et Plume. Et il était mort.

Je repris mes esprits voyant les deux silhouettes qui s’éloignaient et courus pour les rejoindre.

« Fascinant » lança encore Tempête quand j’arrivais à sa hauteur. Elle s’était arrêtée devant les fortifications et Sentiment continuait vers la sortie.

« Que cherches-tu exactement ici ? » demandai-je doucement tandis que quelques personnes passaient devant nous.

« L’origine.

Je fronçai les sourcils devant cette réponse énigmatique mais elle continua avant que je l’interroge : « Sais-tu que la Terre est la seule planète connue où la vie est apparue ? »

Je réfléchis « tu plaisantes ! Il y en a d’autre »

- C’est ce que certains disent sans jamais en avoir trouvé la preuve. »

J’avais voulu la contredire mais au fond, je n’y connaissais rien. J’étais arrivée sur Terre à dix ans. Mon père était décédé trois ans plus tard dans des conditions que je me promettais d’éclaircir un jour et depuis, ma mère avait tout fait pour m’en faire oublier le plus possible. Je suivis Tempête qui se dirigeait vers la sortie tout en souriant exagérément à un employé du site. Elle en revint à moi : « Vengeance est une planète colonisée. Les premières traces de vie autre que végétale datent d’à peine quinze mille ans, autant dire hier. Les premières traces de vie sur la planète Conquête étaient à peine plus anciennes, d’après ce qu’on a pu m’en dire, vu que la planète a disparu depuis. Les Maÿcentres, même si c’est le centre de décision le plus important ne sont au fond qu’une simple colonie de Vengeance. Et Plume, une colonie de Saphir qui, elle-même aurait vu ses premiers habitants arriver il y a à peine neuf mille ans. Alors que, sur la Terre, on retrouve une profusion d’animaux de toutes sorte, des fossiles vieux de millions d’années, et des traces de vie humaine de plusieurs centaines de milliers d’années, même si, à ce stade, on ne parle pas encore de civilisation. »

Tempête s’extasiait, prête à disserter pendant des heures. Sentiment l’arrêta quand elle arriva auprès d’elle « Ce que Tempête cherche à dire, c’est qu’elle pense qu’il existerait une ancienne civilisation sur Terre qui aurait été à l’origine de la colonisation des planètes que nous connaissons. Ce dont, nous n’avons aucune preuve, ni aucune trace nulle part.

- Evidemment qu’on n’en a pas, on ne peut pas passer une semaine sur ce caillou sans se faire mettre dehors par Glace. Au fond, ce devait être bien mieux avant qu'il ne soit mêlé au projet. Quand Espoir venait sur Terre, il n'y avait personne pour le surveiller. Il pouvait mener ses petites expériences paisiblement. »

- Je ne veux pas te décevoir Tempête, mais moi, je suis restée ici presque cinq ans et je n’ai jamais entendu parler d’une telle possibilité. Je sais qu’il a existé certaines civilisations intéressantes telles que celle qui a construit cette citadelle. Mais là, tu évoques un peuple capable maîtriser une technologie spatiale. Sois réaliste, il en serait resté des traces bien plus concrètes que quelques vieilles pierres.

- Pourtant, on a cinq planètes, six en comptant Conquête, dans un périmètre minuscule comparé à la taille de notre galaxie, et je ne parle pas de l’univers, et toutes peuplées par les mêmes espèces.

- Parle pour toi » répliqua Sentiment.

« Prétentieuse petite Adarii, c’est ce genre de remarque ridicule qui détruira notre monde. Et on en n’est pas loin. Tous semblable te dis-je.

Pourquoi penser qu’il existerait des hypothétiques planètes mères disparues alors qu’on a tout ici. Seule l’arrogance démesurée de gens comme toi met encore en doute de telles hypothèses. D’ailleurs, Vengeances et les Maÿcentres l'auraient admis depuis longtemps s’ils s'intéressaient un peu plus à leur histoire et un peu moins à leur nombril.

- Pluie, ne te laisse pas entraîner dans les lubies de Tempête. Elle est passionnée et pourrait convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Il y a à peine un siècle, la Terre était encore jugée comme planète primitive.

- Sentiment est née et a grandi sur les Maÿcentres » m’expliqua Tempête comme si ce détail justifiait son comportement. « Mais en ce qui nous concerne » continua-t-elle en interpellant Sentiment, « je te rappelle qu’on vient aussi d’une planète jugée primitive par les Maÿcentres. »

Sentiment soupira, « La situation de Plume n’est pas comparable, mais il n’empêche que cela ne fait que confirmer ce que je dis : Si nous sommes là aujourd’hui, c’est grâce à la technologie des Maÿcentres. Sans elle, tu ne contemplerais pas ces tas de pierres. » ajouta-t-elle désignant le site derrière nous.

Tempête ne paraissait pas du tout convaincue, et je devais avouer que je commençais à m’intéresser moi aussi au sujet, en tout cas je ne regrettais pas d’être venue.

« Pour ta gouverne, ce n’est pas des Maÿcentres que viennent les techniques de propulsion et de pliures de l’espace permettant les voyages spatiaux, c’est des planètes Conquête et Vengeance. Les Maÿcentres n’ont jamais rien inventé d’autres que les règles dans lesquelles ils se cloisonnent. En particulier, tous ces petits règlements fabriqués exprès pour nous.

Buenos evening. » Dit-elle sans transition au taxi qui s’était arrêté devant elle après un petit signe de la main. Elle fit son plus beau sourire au chauffeur ôtant d’un ample geste gracieux son chapeau trop grand avant de partir dans une conversation où se mêlait avec charme Anglais et Espagnol.

***

Tempête avait choisi une suite dans un grand hôtel de Cusco. Elle avait certifié à Sentiment qu’elle avait fait preuve d’une discrétion exemplaire. Pourtant, tout l’hôtel paraissait la connaître et la traiter comme une personnalité de la plus haute importance.

« Qu’est-ce que tu as encore fait pour t’attirer les bonnes grâce de tous ces gens ? » demanda Sentiment.

« Rien. Enfin, rien de particulier. Disons juste que, comme tu me le recommandes, j'étudie les mœurs indigènes et je me suis fait un petit scénario au cas où quelqu'un me demanderait qui je suis ».

Sentiment ne fit pas la moindre remarque se contentant d'ouvrir la porte indiquée par Tempête mais ne cacha pas sa méfiance pour autant.

La suite se composait d’un petit salon avec un mobilier qui se voulait typique mais qui était des plus moderne et de deux chambres spacieuses ayant chacune leur salle de bain. Avec une baignoire à bulles précisa Tempête. Sentiment alla se coucher directement après le dîner tandis que Tempête et moi restâmes encore à se rappeler de vieux souvenirs dans l’autre chambre. Nous nous remémorions notre enfance, le vieux berger chez qui je passais des heures, les jeux dans les ruelles de la cité.

- Par contre je ne me souviens pas de ta mère » dit-elle faisant monter en moi une boule d’angoisse. Ca faisait presque cinq ans que je m’enlisais dans mes mensonges. Je me voyais mal recommencer ici dans l’autre sens. Je pris une grande inspiration et répondis à sa question : « C’est normal, elle ne venait jamais à Maniya. En fait, elle ne sortait jamais de Taegaïan. Mon père lui avait fait construire une petite maison à l’extérieur de la cité. Elle menait sa vie là-bas. J’étais censée vivre avec elle, mais en réalité, j’y allais très rarement. Elle est revenue en Angleterre quelques années avant moi. Elle n’a jamais pu se faire à la vie là-bas » comme je ne me ferais jamais à la vie ici pensais-je à part moi.

« Glace m'a dit qu'elle était d’ici. Je l'ignorais.

J’étais soulagée de constater qu’elle connaissait les ascendances de ma mère et qu’elle ne paraissait pas trouver cela trop contre nature aussi, je repris avec plus d’entrain : « Peu de personne le savent. Tu imagines quel scandale ce genre d’information pourrait lancer. »

Je n’avais jamais su ce que mon père faisait avec ma mère. Ma sœur Prestance m’avait dit un jour qu’il n’avait pas trouvé de moyens plus concret pour vérifier jusqu’où pouvait aller la similarité entre nos deux races. Elle avait ajouté qu’un cheval et une ânesse aussi pouvaient se reproduire ensemble et que le résultat était toujours plus proche de l’âne.

« Je dois sans doute être le résultat d'une de ses expériences ». Me contentai-je d’ajouter.

Tempête ne démentit pas. « Il y a des chances, en effet.

Mais pourquoi avoir ramené ta mère avec lui ? »

Je ne le comprenais pas non plus. « Elle m'a dit un jour qu'il avait tenté de partir avec moi sans réussir mais j'ai du mal à imaginer ma mère empêchant le Maître Espoir d’agir à sa guise. En tout cas, elle a réussi à le convaincre de la laisser partir avec lui. Il a accepté à condition qu’elle ne révèle jamais qu’elle était ma mère. De toute façon, personne ne l’aurait cru. Elle aurait pu se faire une petite vie tranquille là-bas, mais elle ne cessait jamais de se plaindre alors mon père l’a fait raccompagner discrètement et elle nous a rejoint deux ans plus tard quand mon père est revenu pour parfaire certaines recherches en France.

- Je comprends mieux maintenant. Alors, tu es née sur Terre ?

- Oui, je crois que je suis partie pour Plume lorsque j’avais presque deux ans. Pourquoi me regardes-tu ainsi ?

- Donc tu as une identité ici ?

- Oui, je suis reconnue si c’est ça que tu veux dire, j’ai un acte de naissance portant le nom de ma mère et de père inconnu. Et j’ai été reconnue par mon père sur Plume sans problème puisqu’on ne donne pas d’identité aux enfants avant cinq ou six ans.

- Je comprends mieux pourquoi on voulait te laisser ici, c’est une couverture formidable, en particulier avec l’administration lourde et complexe qui existe ici.

- Oui, je pense que mon père aurait sans doute aimé que je m’infiltre dans le projet d'Archuleta mais, franchement, ça ne m'intéresse pas du tout. J'en ai assez vu de la Terre. En plus, si Glace a pris la tête du projet, on n'a plus besoin de moi. »

Pour une fois, quelqu’un paraissait réfléchir sérieusement à ce que je disais. Comme elle ne répondait plus, je commençais à me demander si Tempête ne s’était pas endormie la tête dans les coussins de son lit.

Elle la releva soudain.

« Si tu rentres sur Plume, tu seras toute seule. Glace et Orage travaillent respectivement sur Terre et sur les Maÿcentres. Si Glace avait repris Taegaïan après la mort d’Espoir, tout aurait été différent, mais il a renoncé à ses droits pour venir sur Terre et, contrairement à toute attente et toute logique, c’est Prestance qui a été placée comme protectrice des terres de Taegaïan »

Je fis la grimace. C’est sur que ma sœur ne me portait pas dans son cœur et qu’elle me mènerait une vie impossible. Ce n’était pas logique. Elle n’aurait pas dû avoir Taegaïan. Elle était rattachée au territoire de sa mère. Comment cette petite vicieuse avait-elle réussi à se glisser ainsi à la place d’Espoir ?

« Si tu restes avec nous sur les Maÿcentres » continuait Tempête, « ce n’est sûrement pas là que tu trouveras la moindre liberté. Ils ne nous supportent pas. Ils nous tolèrent, on les intrigue, voir on les fascine, mais ils ne nous aiment pas. En particulier au sein du conseil où on les dégoûte profondément. On a droit à tous les égards de façade car ils ont un grand respect de la hiérarchie mais, s’ils pouvaient nous mettre dehors, crois-moi, ils n’hésiteraient pas. Non, ce n’est pas facile tous les jours. En fait, j’envie ta place. C’est ici que tu es le plus libre. Tu peux agir à ta guise. Peut-être même pourrais-tu m’aider en faisant des recherches pour moi.

- Qu’est-ce que tu imagines que je pourrais trouver avec les moyens dont je dispose ?

- Ecoute, n’y pense pas. Pour l’instant, repose-toi. Je vais y réfléchir et on en reparle demain ».

***

Comment pouvais-je dormir, j’avais bien trop de choses à penser. Pourtant, à peine avais-je fermé les yeux que la nuit s’était écoulée. J’avais rêvé d’une falaise au bord de l’océan et de quelqu’un qui m’appelait. J’avais rêvé que j’étais seule, mais ce n’était plus qu’un rêve sans importance. A mon réveil, Tempête était déjà partie. Je me prélassais un instant dans mon lit me sentant plus libre que jamais. Il faisait chaud aussi, je rabattis le drap qui me couvrait espérant trouver un peu de fraîcheur. Dire qu’en Angleterre, le printemps commençait à peine. Je soupirais de contentement et me levais.

Dans le salon, Sentiment regardait la télévision.

« Tu as de quoi manger sur la table » me dit-elle sans me regarder. « Tempête prend un bain dans ma salle de bain » ajouta-t-elle.

Je m’assis et beurrai quelques toasts puis, tout en mâchant, je me servis un peu de café. Il était froid.

« Tu n’avais qu’à te lever plus tôt » dit sentiment face à mon dépit inexprimé.

« Comme on dit ici : Buenos diiias » s’exclama Tempête en arrivant à son tour recouverte d’un gros peignoir de bain. Ses cheveux étaient enroulés dans une serviette blanche qui tranchait sur sa peau brune. « Il fait magnifique aujourd’hui. Je sens qu’on va bien en profiter.

- En profiter pour partir d’ici oui », répondit Sentiment.

« Bien sur que non » répliqua Tempête enjouée « On doit d’abord savoir ce qu’on fait de Pluie » dit-elle en levant un doigt « puis attendre l’accord de Glace » Un deuxième doigt se leva « et enfin trouver un moyen discret de s’éclipser et de regagner les Maÿcentres sans se faire voir ». Tout en levant le troisième doigt elle admirait son vernis à ongle fraîchement posé.

« Tu étais censée t’occuper de tous ces détails.

- J’y travaille » La contemplation excessive de son vernis contredisait totalement ses dires.

« Qu’est-ce que tu regardes avec tellement d’attention dans ta boite à image ? »

- Un reportage sur la fission nucléaire » répondit Sentiment.

La Télévision s’éteignit instantanément. Tempête, les bras croisés, toisait Sentiment. Toute trace de sa mine réjouie avait disparue. « Je te rappelle que si on n’a pas le droit de se promener librement sur cette petite boule bleue, c’est en grande partie à cause de ce genre de chose. Leur technologie va à l’encontre de tous les traités anti-armement.

- C’est de la science Tempête, je ne vais pas faire exploser la planète en regardant un reportage.

Je les regardais se disputer sans comprendre. « Excuse-moi Tempête, mais, pour une fois, je suis d’accord avec Sentiment. Pourquoi te mettre dans un état pareil pour si peu ?

- Pluie, sais-tu seulement pourquoi Vengeance et les Maÿcentres se sont pris soudain d’un profond intérêt pour ce monde de barbare ?

- En fait, je ne me suis jamais posé la question.

- Bien sur, tu ne te poses jamais les bonnes questions.

- Tais-toi Sentiment » Reprit Tempête « Je crois qu’on a fait une grosse erreur en effet. Pluie pourrait être un atout extraordinaire pour beaucoup de chose. J’avoue qu’à première vue, la garder ici paraissait une bonne chose à bien des niveaux, que ce soit par discrétion ou pour l’utiliser mais, elle ne nous servira à rien si elle n’a pas un minimum de formation.

- Qu’est-ce que tu appelles un minimum ?

- Disons un maximum alors.

- Cette gamine est un hybride résultant des expériences d’Espoir !

- Cette gamine est la fille d’Espoir et la sœur de Glace. En plus, c’est ma petite poupée » ajouta Tempête avec espièglerie.

« Petite oui, mais sûrement pas poupée, peste plutôt.

- La ferme Sentiment. Je viens de Maniya, tu viens d’Azlan, je suis ta supérieure, tu te tais et tu obéis. » Cela étant dit Tempête cessa ses petite disputes pour en revenir à moi.

« Pluie, as-tu déjà entendu parler de la planète Conquête ?

- Oui, un peu. Je sais qu’il y a eu une guerre entre Vengeance et Conquête. Je sais aussi que la planète a disparu.

- Oui, c’est un peu près ça. L’histoire n’est pas très claire à ce sujet. Il y a en effet eu une guerre qui a duré des années, mais pas au sens où on l’entend sur Terre. C’était plutôt des conflits concernant des blocus commerciaux ou des monopoles sur certains produits, des surveillances entre les deux planètes et leurs colonies. Bref, ce n’était pas loin de ce qu’on retrouve actuellement entre les Maÿcentres et Plume. Mais leurs différents ont dégénérés et d’un coup, Conquête a été détruite. Cette catastrophe, la pire que l’histoire ait jamais connue, a provoqué plusieurs milliards de morts. Après cette tragédie, Les différents peuples se sont regroupées pour mettre en place une grande campagne de désarmement et toute recherche à ce niveau a été proscrite.

- J’ignorais que Vengeance ait possédé une telle puissance.

- Personne ne le savait. » Reprit Tempête « Et Vengeance l’a toujours nié. On n’a jamais vraiment compris ce qui s’était passé. Je pense que ce que cela fait parti des secrets les mieux gardés. Mais apparemment, cette technologie n’existe plus ni aucune autre de si grande envergure.

- Sauf sur Terre » ajoutai-je.

Tempête acquiesça. « Sauf sur Terre » répéta-t-elle « Il faut penser que ce drame s’est produit il y a plus de cinq cent ans. La Terre ne représentait aucun potentiel réel mais une civilisation moyenâgeuse tournée sur de perpétuelles guerres de territoires. Elle a donc été laissée à part. Mais, elle s’est développée à un point et une vitesse que personne n’aurait pu imaginer.

- Mais la Terre ne possède pas de technologie leur permettant de se déplacer dans l’espace.

- Pour l’instant non. Mais, à la vitesse à laquelle ils progressent, peut-être en seront-il capable d’ici peu. En tout cas, c’est officiellement pour cette raison que les Maÿcentres sont entrés en contact avec eux. Ils veulent s’en faire des alliés avant que la situation ne dégénère complètement et que la puissance de la Terre les dépasse.

- C’est plutôt honorable.

- A première vue oui. A condition que nous puissions faire tout à fait confiance aux Maÿcentres et à travers eux à Vengeance » précisa Sentiment. « Sinon, imagine ce que peut donner la technologie Terrienne avec les connaissances de la planète Vengeance en voyage spatiaux et le tout contre nous ? ».

L’idée me paraissait exagérée. je n’avais jamais été sur les Maÿcentres. Je savais que c’était le centre décisionnel de Vengeance mais, j’avais toujours entendu parlé d’eux comme des pacifistes invétérés. Je m’apprêtais à en faire la remarque quand on frappa à la porte. Tempête se précipita pour aller ouvrir avant que Sentiment n’ait l’idée de la retenir. Une dame d’un certain age se trouvait à la porte. Son air hautain et son tailleur impeccable très mal adapté à la température ambiante la classa de suite comme une cliente de l’hôtel. « Véronique », s’exclama-t-elle dans un anglais trop travaillés « très chère, vous m’aviez promis une revanche au bridge, j’espérais vous voir ce matin » Ajouta-t-elle tout en restant à bonne distance.

Je me tournais vers Sentiment essayant d’avoir une bride d’explication mais elle tenait sa tête dans ses mains, visiblement désespérée.

Tempête lui fit un petit signe comme pour lui ordonner de se taire et répondit en souriant : « Rien ne me ferait plus plaisir lady, permettez que je m’habille d’une façon plus convenable et je vous rejoins près de la piscine. Autant profiter du temps splendide dont nous bénéficions aujourd’hui. » La conversation continua ainsi quelques minutes sur la météo Péruvienne si agréable nous laissant le temps d’admirer la prestation de comédienne hors pair de Tempête et sa maîtrise de la langue anglaise avant que la lady en question ne finisse par nous apercevoir.

« Mais vous avez de la visite, je vous dérange sans doute. Comme je suis confuse » mais ces yeux avides, comme tout le reste de sa personne, exprimait plutôt la curiosité que la confusion. Tempête nous présenta comme deux amies qui lui avaient fait une si bonne surprise en venant lui rendre visite durant leur périple « car c’étaient » ajouta-t-elle « deux aventurières hors pair. Le genre de filles qui n’avait pas peur de marcher pendant des heures en pleine chaleur et qui comptait faire de la randonnée dans les cordillères des Andes. Ce qui n’était pas son style, car elle avait les pieds bien trop délicats pour ce genre d’expédition » Il nous fut bien évidemment proposé de participer à leur jeu, proposition que Sentiment coupa par un non qui ne laissait pas la moindre chance à la discussion.

« La fatigue du voyage sans doute » expliqua Tempête pour excuser l’impolitesse de son amie « quant à moi, j’arrive dans une vingtaine de minute ». La porte s’était à peine refermée que Sentiment bondit sur ses pieds. « Ce n’est pas ce que je t’ai demandé de lui dire » chuchota-t-elle.

« J’ai très bien compris ce que tu voulais, mais qu’y a-t-il de mal à ça ? Passer un peu de temps dans un endroit où personne ne me connaît, avec des gens bizarres et rigolos. N’est-ce pas extraordinaire ? Ici, je ne suis que l’intrigante étrangère française qui… »

Sentiment la coupa nette dans son élan. « Je ne veux pas savoir pour qui tu te fais passer. J’ai des choses à faire » finit-elle par dire en prenant un sac à dos avant de sortir de la chambre.

« Elle a un bon fond » me dit Tempête après son départ. Un peu stressée sans doute. « Je sais qu’elle a été un peu dure avec toi, mais crois-moi, c’était nécessaire ».

Je tentais de me rappeler ce qu’elle m’avait fait dans le parc. Je me souvenais d’avoir lutter contre son ordre de l’oublier. Le fait que je m’en souvienne voulait dire que j’avais réussi. Quoique, après, je ne me souvenais plus de rien. Si ce n’est que j’avais eu très mal à la tête. « Qu’est ce qu’elle m’a fait ?

- Elle a établi un lien de force avec toi afin de vérifier tes capacités.

- C’est possible ça ? » Je n’avais jamais entendu parler d’une même chose. En général, il fallait des mois pour arriver à établir un lien télépathique. Sauf peut-être avec sa famille proche.

- Certains en sont capables, mais ils sont rares à pouvoir le faire et le lien reste superficiel.

- Elle m’a tout de même fait traverser la moitié de la ville sans même que je m’en rende compte. »

Tempête se retint de rire à cette idée. « C’est parce que tu ne te maîtrises pas, tu ne fais attention à rien. Tu aurais dû sentir qu’elle était là. Mais tu apprendras.

Elle s’étira et fit sonner une myriade de bracelets d’argent « Bon, il faut que je me prépare pour mon bridge » reprit-elle en anglais avec un léger accent prétentieux.

Elle passa une robe griffée d’un grand couturier dont la longueur, à la limite de la décence, accentuait encore la finesse de ses jambes, enfila un gros collier de perle puis se para d’une paire de lunette de soleil avec des verres immenses qui cachaient une bonne partie de son visage. Elle me passa dans le même temps un maillot de bain ainsi qu’un paréo de soie et me recommandant vivement de profiter de la piscine.

Ainsi vêtue, elle me regarda avec un air moyennement satisfait. « Tiens toi droite, tu as l’air toute gênée ».

En général, on me disait plutôt que j’étais froide et distante.

« Et lève la tête, le sol n’est pas ce qu’il y a de plus joli ici. »

Je fis un effort pour lever les yeux vers elle. J’avais pris l’habitude de ne jamais regarder les gens, ça leur faisait peur. Je m’apprêtais à lui dire mais elle me devança « Achète-toi des lunettes de soleil. Il y en a de magnifiques à la boutique de l’hôtel. On devrait adopter ce genre d’accessoire sur les Maÿcentres quoique la luminosité est trop faible ». Elle continuait à parler tout en marchant dans le couloir. Je ne l’écoutais plus émerveillée par tout ce qui m’entourait.

Je ne m’étais pas rendue compte la veille que l’hôtel était si luxueux. Il faisait déjà nuit à notre arrivée. L’arrière donnait sur un parc regorgeant de palmiers et de bougainvilliers. Une vaste terrasse surplombait le jardin devant la piscine. Je me promenais un moment et quand je revins vers la piscine, Tempête était déjà attablée, en grande conversation avec la femme qui était venue la chercher, ainsi qu’un homme d’une cinquantaine d’année et un autre plus jeune que je cataloguais aisément comme son fils de part leur ressemblance. Malgré les cartes étalées devant eux, l’attention semblait plus porter sur le discours de Tempête que sur le jeu. J’entendis vaguement en passant qu’elle parlait de sa résidence de Monté Carlo dans laquelle elle avait passé les fêtes de fin d’année, ce qui était d’un triste, car un nouvel an sans neige n’était évidemment pas un nouvel an et que, l’année prochaine, elle retournerait à Courchevel, où au moins, l’ambiance était nettement plus conviviale. Je continuais vers la piscine et choisis un transat.

« Véronique » murmurai-je en riant toute seule. J’étais prête à parier qu'elle ne s'était même pas renseignée pour savoir exactement où se trouvaient les lieux dont elle parlait.

Je me demandai en passant comment elle avait obtenu les moyens financiers pour son séjour qu’elle qualifiait ouvertement de vacances. Sans doute d'une façon qui ferait bondir ma mère. Peut-être Sentiment avait-elle raison, il n’était pas bon que l’on s’attarde trop. Je parlais comme si je partirais avec elles et, tout naturellement, je compris qu’il ne pourrait pas en être autrement. Je pensais que je devrais prévenir ma mère puis mis ce problème de coté et profitais du décor pour me relaxer. Je ne vis plus personne avant le soir où Tempête fut obligée de refuser galamment une bonne dizaine d’invitation avant que nous puissions dîner en tête à tête au restaurant de l’hôtel. Son personnage de jeune héritière d’un empire financier avait sans aucun doute, beaucoup de succès. « Ce n’est pas ma faute » expliqua-t-elle pour se justifier, « plus j’en rajoute plus ils me croient. Ils avalent n'importe quoi et je suis bien obligée de parler si je ne veux pas qu’on m’emmène sur un terrain que je ne connais pas. Déjà, tu n’imagines pas toutes les recherches que j’ai faites pour maîtriser tout ça ».

Je bus une gorgée de vin. Elle avait suivi les recommandations du sommelier qui était sans doute de très bons conseil sur la qualité mais beaucoup moins sur le prix. « D'où te vient ton soi-disant héritage ? »

- C'est le tien » répondit-elle innocemment.

Je m'étranglais « Tu plaisantes ? »

- Pas du tout, Espoir avait laissé des notes sur les Maÿcentres. Entre autres les numéros de plusieurs comptes qu'il aurait ouverts au nom d'Emma Diarety dans certaines banques internationales. Je me suis faite passer pour ta mère et j'ai retiré un peu d'argent.

- Tu ne ressembles pas beaucoup à ma mère.

- Tu sais, convaincre les gens d'ici n'est pas bien difficile » Elle tendit le bras « Garçon » appela-t-elle en reprenant sa voix ridicule « Vous nous apporterez le dessert. Celui à la vanille » précisa-t-elle les yeux s'illuminant soudain d'envie.

Elle suivit un instant le serveur des yeux avec le même air d’envie qu’elle avait arboré en imaginant son dessert puis revint à moi.

« Tu n'es pas fâchée au moins ? J'ai pensé que si tu partais d'ici tu n'en aurais plus utilité et puis, je n'ai pas pris beaucoup et ce ne doit pas être difficile de réapprovisionner le compte. Voire, ce pourrait être amusant.

- Bien sur que non, je ne suis pas fâchée. Ma mère ne veut pas utiliser cet argent. Je suis ravie de savoir que c'est moi qui invite. D'ailleurs, dans ce cas, je vais reprendre un verre. »