lundi 26 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 12

12

"Ciel : Lieu de délices que l'on dit être le Paradis et d'où nous arrivent aussi la pluie, l’orage, la grêle et les bombes."

[Albert Brie]
Extrait de Le mot du silencieux

Non, décidément, ce n’était pas normal. Encore une fois, je fixai Sentiment. Elle portait une tenue magnifique réalisée à partir d’une pièce de soie bleue nuit dont les reflets scintillaient tour à tour de nuances mauves et doré. Drapé avec art, le tissu tombait en cascade jusqu’à ses pieds dévoilant une épaule et la moitié du dos. Mais là n’est pas la question. Que faisait Sentiment dans une réception du complexe du conseil ?

Je sentis monter la tension de la salle, comme un désir subtil mais partagé par de nombreuses personnes, presque sexuel, sensuel plutôt. Je dirigeai mon attention sur la pétillante Tempête qui venait d’entrer narguant le président dans un long drapé de mousseline rose transparente.

« Qu’elles soient jolies ou non m’importe peu » lui avait-il dit « vous allez me recouvrir ses jambes ». Il n’avait pas pu refuser de la laisser venir. Après tout, c’était elle qui faisait la plupart des recherches qui intéressaient la Terre. Elle, je savais ce qu’elle faisait là. Outre mettre tout le monde dans une situation inconfortable, elle était venue à cette réception dans le but d’obtenir une autorisation écrite de Gentry pour faire des recherches sur Terre. Et elle l’obtiendrait, sans aucun doute.

Orage s’approcha d’elle lui passant un bras autour de la taille et l’embrassa tandis qu’un mélange de confusion, de gène et d’envie se dégageait de la salle. Elle avait été furieuse contre Orage pendant toute la nuit et une bonne partie de la journée parce qu’il avait amené le scientifique à parler de ses recherches. C’était long pour une culture où le concept de rancune était quasiment inexistant. Je le vis désigner quelqu’un du doigt à l’autre bout de la salle. Tempête sourit d’un air de connivence et s’éloigna après un échange sans parole. Quelques personnes me cachèrent sa destination et je me déplaçai de quelques pas pour l’apercevoir enfin tendant un verre à Ryun.

Je sentis mon cœur s’accélérer légèrement tandis qu’une main frôlait la mienne. Je m’évertuai à prendre un air faussement dégagé et portai à mes lèvres le verre que je tenais depuis mon arrivée. Un léger parfum de cannelle fondit dans l’air tandis qu’Orage me soufflait légèrement dans le cou intensifiant la désapprobation ambiante.

« Tu veux qu’elle fasse du charme à Ryun dans l’espoir d’obtenir des informations ou pour masquer ta conduite inconvenante envers Dyasella en poussant Ryun à faire de même ? »

Orage sourit de plaisir « La première solution. La deuxième serait absurde, ça nous retomberait dessus à coup sur. Mais, je persiste à penser que ce serait mieux que tu t’occupes de ça. Dès qu’elle se sera éloignée de lui, il ne lui restera qu’un sentiment de confusion, tu es beaucoup plus à son goût.

- J’étais. » Je me remémorai la scène quand il était rentré quelques minutes plus tôt, me toisant de haut en bas. Il m’avait dit : « Ne m’adressez plus jamais la parole » comme si j’en avais eu l’intention.

« Je pense qu’il n’a pas apprécié la façon dont je l’ai ridiculisé devant sa fiancée.

- Et le président ? Qu’est-ce qu’il en dit ?

- Je n’ai pas eu le privilège d’une discussion avec sa grandeur. Il faut dire que je ne l’ai vu que lors de la soirée à la villa. Ce n’était pas le lieu pour me faire réprimander. Et ici non plus. Demain, je dois les accompagner pour une visite. Je verrai à ce moment-là.

- Et la Main, tu lui as fait des excuses ? »

J’eus un haut le cœur à cette seule idée « Je ne l’ai pas encore vue. Je m’en occuperai demain.

Ce n’est pas gagné » ajoutai-je en désignant discrètement du doigt Luico qui s’était interposé entre Tempête et Ryun.

Je me tournai encore vers Sentiment qui semblait ne pas avoir bougé « Pourquoi est-elle ici ?

- Pour les mêmes raisons que nous ».

Je plantai mes yeux dans ceux de mon cousin « je suis ici parce que tu m’as obligée à venir à coup de longs discours et de supplications lamentables. Ca m’étonnerait que ce soit de tels boniments qui l’aient convaincue de venir moisir ici.

- En effet, elle n’est pas là pour ça. Ca t’ennuie tant d’être ici ? »

Est-ce que ça m’ennuyait ? Evidemment, ce n’était pas peu dire. Nous étions debout depuis des heures. Que le président fasse une réception pour présenter la Terre à tout le soi-disant beau monde de la confédération, c’était une chose. Mais nous, nous les avions déjà suffisamment côtoyé. Surtout moi.

« Oui, apparemment ça t’ennuie » reprit Orage « Je suis désolé de t’avoir traîné ici » continua-t-il en me soulevant le menton pour déposer un léger baiser sur mes lèvres sous les regards scandalisés de ceux qui feraient mieux de s’occuper de leurs affaires « mais je pense que tu ne regretteras pas d’être venue »

Sur un signe du président, la foule avait commencé à se déplacer vers la salle adjacente. Au moins, là, je serais assise.

Ensuite, commença le long défilé de toutes les personnalités qui, une à une, furent présentées devant les Terriens qui s’ennuyaient presque autant que moi. Une fois la corvée passée, chaque personne se déplaça vers un emplacement où s’asseoir d’après la province qu’il représentait. Vu le peu de délégués de Plume, ils n’avaient pas poussé le vice jusqu’à faire une petite estrade pour chaque territoire, se contentant de deux banquettes réservées à Plume. A la gauche de la tribune présidentielle avait été aménagé un nouvel espace similaire pour la Terre. Ensuite, venait d’autres estrades pour les provinces-continents de Vengeance, ainsi que leur trois satellites. Je remarquais au passage que celle du deuxième satellite était vide.

Vide également, l’espace à nos cotés représentant la planète Saphir. Mais ça, c’était normal. Par contre, les trois estrades suivantes représentant les trois provinces des Maÿcentres étaient pleines. J’avais déjà participé à ce type de réunion mais je n’avais jamais vu tant de monde. La Terre attirait la curiosité et la convoitise. Maintenant, nous devrions avoir droit à un discours de chaque province. Ce serait interminable. Ensuite, on retournerait dans la salle qu’on venait de quitter et on resterait encore des heures.

« D’accord » me dit Orage, après le quatrième discours « après la réunion, tu pourras t’en aller, mais arrêtes de diffuser ton ennuis autour de toi.

- Tu es trop bon avec moi. De toute façon, je n’aurais pas attendu ton accord. » Jamais je n’aurais dû accepter de venir. Je savais bien que cette réunion n’aurait aucun intérêt. « Ha ça, tu peux être sûr que je ne resterais pas après leurs discours et c’est bien parce que je n’ai pas envie de me faire remarquer que je ne pars pas dès maintenant. »

Le cinquième discours était fini. Des chuchotements fusèrent au sein des différentes tribunes pour commenter ce qui avait été dit. En ce qui me concernait, je n’avais rien écouté. Orage non plus. Tempête avait oublié Ryun et faisait maintenant les yeux doux au premier conseiller Sinshy. Assis sur la tribune d’honneur auprès du président, Ce dernier lui envoyait en retour des effluves chargés de haine et de mépris tout en luttant afin d’éviter son regard. Ses talents ont des limites pensai-je. Quant à Sentiment, elle était toujours de marbre. Les discussions s’intensifièrent et les chuchotements se transformèrent en un brouhaha désagréable et sceptique. A ce rythme, nous n’aurions jamais fini.

Les bruits se turent un instant tandis que la porte s’ouvrait à la volée et l’ambassadeur Paya entra à grande enjambé tout bardé de cuir épais et d’une grossière cape de fourrure. A quelques pas derrière lui, suivait sa voluptueuse compagne dans une robe encore plus transparente que celle de Tempête. Seule une large ceinture d’or portée basse laissant encore un dernier rempart d’intimité. Arrivé à la hauteur du président, il attendit sa compagne et la prit par la taille comme on exhiberait un bijou précieux. J’étais plutôt contente de voir que nous n’étions pas les seuls à blesser la fragile morale des Maÿcentres et, même si cette intrusion ferait un discours de plus à supporter, les voir rompre ainsi la monotonie de cette réunion soporifique me mit du baume au cœur.

Il s’inclina et salua à la manière des Maÿcentres récitant ses noms et titres suffisamment fort pour que toute la salle puisse l’entendre et à mon avis, une grande partie du bâtiment aussi. Ce qu’il pouvait être rustre

« Comment peux-tu le supporter ? » soufflai-je à Orage.

Pour toute réponse, je ne ressentis qu’une puissante excitation. Il retenait son souffle tourné non pas vers l’ambassadeur mais vers la porte.

Ca y est, je m’étais encore fait avoir. Orage préparait un mauvais coup et j’allais encore me retrouver en plein milieu.

« C’est avec lui que tu manigances je ne sais quoi depuis des mois, n’est-ce pas ?

- Tais-toi, et si tu crois en la chance, fais-lui une prière pour moi. »

Si j’y croyais, c’est pour moi que je ferais une prière.

« Veuillez m’excuser pour ce retard, Président » disait Paya d’une voix tonitruante « j’ai eu quelques difficultés à entrer sur les Maÿcentres. On aurait presque pu croire que je n’étais pas attendu.

- Vous êtes évidemment le bienvenu et je suis flatté de pouvoir vous présenter nos invités » dit le président avec une politesse totalement opposée à ses sentiments.

Le conseiller Sinshy debout derrière le président le dévisageait de l’air de dégoût qu’il nous resservait d’habitude. Pour la première fois, j’étais d’accord avec lui. Il avait l’air d’un animal dans ses vêtements. Il en avait presque l’odeur. Quand il serra la main du professeur, je sentis presque sa réticence face à ses doigts écrasés par la grosse poigne velue de Paya. Il se tourna ensuite dans notre direction et, tout en saluant Orage, lui fit un signe de connivence avant de prendre sa place tandis qu’un parfum de suspicion se dégageait de la tribune présidentielle.

Le groupe suivant se leva pour entamer le sixième discours, saluant les personnalités présentes et exprimant la fierté de voir tous les représentants réunis ici comme un seul peuple.

Un seul peuple, à qui voulaient-ils faire croire ça ? Eux-mêmes ne pensaient pas ce qu’ils disaient.

Je me perdis dans la contemplation de la salle. Maintenant habituée aux tenues simples et confortables qu’affectionnaient les Maÿcentres, je constatais que tous avaient fait de sérieux efforts d’élégance pour l’occasion. Certains portaient des bijoux, d’autres des capes de laines brodées. Certains dignitaires de Vengeance avait le visage caché derrière un masque de métal précieux. Nouvelle mode de la haute société. On voyait quelques pantalons amples portés sous de longues tuniques aux larges manches ou des robes de toiles agrémentées de motifs et de pierres précieuses. Certaines ceintures de tissus étaient agrémentées d’un liseré d’or. Quelques personnes avaient aussi fait une certaines recherches au niveaux de leur coiffures, renonçant à leurs étoles, on retrouvait quelques tresses et certaines femmes portaient de longues hampes d’orchidées dans les cheveux malgré l’hiver.

La grande porte s’ouvrit à nouveau. Tout le monde se retourna en chuchotant tandis que le garde entrait. Je regardai d’un oeil distrait ce qui allait encore retarder l’heure du départ. De l’endroit où j’étais, je ne voyais pas la porte. Orage s’était avancé et me la cachait. De toute façon, les nouveaux venus seraient obligés de traverser la salle pour faire leur salutation au président et je les verrais à ce moment-là. Le silence se fit d’un coup si profond, que je commençais à m’inquiéter. Non, en fait, ce n’était pas moi qui m’inquiétais mais, malgré mes défenses, l’appréhension de la salle était devenue telle que je ne pouvais m’empêcher de la ressentir. Je m’avançai au bord du canapé pour observer la scène. Une femme était entrée, entièrement drapée dans un manteau d’une richesse digne des plus grands artisans de Plume. Elle le délassa doucement sans avoir l’air de se soucier le moins du monde des regards inquiets posés sur elle et le tendit négligemment à un des hommes de l’entrée révélant une multitude de jupons d’un tissu brillant. L’homme qui la suivait garda son manteau d’apparat se contentant uniquement de rabattre le capuchon en arrière. Les nouveaux venus traversèrent, d’un pas tranquille mais assuré, la salle d’où ne fusait même plus le bruit d’une respiration. Leur tenue et leur prestance faisaient paraître la plupart de ceux réunis là comme les derniers des rustres. Majestueux fut le premier adjectif qui me vint à l’esprit.

« Pas humains » soufflai-je à Orage devant ces apparitions.

Le garde qui les précédait était arrivé à la hauteur du président et s’inclinait maintenant devant lui. « Adarii Clarté du territoire d’Alméra. Ambassadeur de Saphir » dit-il d’un ton qui trahissait son inquiétude. La femme leva enfin ses grands yeux aux pupilles violettes sur le conseiller Sinshy qui recula d’un pas, vacillant soudain, plus mal à l’aise que jamais, puis sur le président Eysky et replaça une mèche de cheveux derrière l’oreille. Sa peau était lisse, seulement striée de quelques rides mais ses manières et sa chevelure argentée trahissaient son age. Le président travailla un sourire d’accueil qu’elle ne lui rendit pas.

« Adarii Liberté du Territoire de Néra » deuxième ambassadeur de Saphir, continua le garde tandis que l’homme arrivait à la hauteur de sa compatriote. Il était plus jeune qu’elle mais dégageait la même assurance. Entre la surprise et les regards froids des deux personnes qui le toisaient, je sentis le président perdre contenance, mais il se reprit.

« Je vous remercie, Adarii de Saphir de nous honorer de votre présence. Je ne doute pas que nos invités en soi très flattés. »

C’était une jolie tournure, mieux valait dire que les invités en soit flatté plutôt que lui-même.

Celui qui avait été présenté sous le nom de Liberté prit la parole dans la langue des Maÿcentres : « Président Eysky, Conseiller Sinshy, vos belles paroles sont en total désaccord avec l’accueil des plus discourtois de vos hommes mais je suppose que ce n’est ni le lieu ni le moment d’en parler aussi, je vous suggère de continuer vos discours au lieu de nous servir vos vaines flatteries. » Sa maîtrise de la langue était hésitante, mais on ne pouvait se méprendre sur le sens de ses paroles.

L’Adarii Clarté lui posa délicatement le bras sur l’épaule lui envoyant sans doute un message mental et les deux ambassadeurs prirent ensuite place à nos cotés sur les sièges de Saphirs qui, de ce que j’en savais, était vide depuis plus de cinq siècles.

- Orage comment as-tu fais ça ?

Son sentiment de fierté me transperça. Je n’étais pas d’accord. Ca allait encore nous attirer des ennuis. Déjà que le président était à la limite de nous jeter hors des Maÿcentres, ce n’était pas du tout le moment d’en rajouter. Cependant, pendant toute la réunion, je n’eus d’yeux que pour les représentants de Saphir. Je distinguais à peine Clarté. Ses longs cheveux argentés rehaussés de perle de bronze pendaient en une longue tresse d’où sortaient quelques mèches brillantes. Tout autour d’elle, son ample robe s’éparpillait en longues bandes soyeuses. Liberté, à ses cotés, avait les mêmes pupilles violettes que sa compatriote et ses cheveux blonds attachés aux niveaux des épaules paraissaient presque blancs sur sa peau cuivrée. Je fus soulagée qu’Orage ne prenne pas la parole mais je fus déçue que les envoyés de Saphir se taisent également.

« Orage, me diras-tu comment tu t’y es pris ? Et pourquoi ne m’as-tu rien dit ? »

Mes questions incessantes commençaient à l’exaspérer mais ça n’avait aucune importance. C’est Sentiment qui répondit : « Tais-toi, Pluie, on entends que toi. Il ne t’a rien dit parce que tu ne peux pas t’empêcher de poser des dizaines de questions dès qu’on te dit la moindre chose. »

De quoi se mêlait-elle ? A elle, je n’avais rien demandé. J’allais lui en faire la remarque quand Orage prit la parole à voix basse « C’est Paya qui est allé les chercher. Il leur fait passer des messages de ma part depuis plus d’un an. »

Enfin quelqu’un qui me disait quelque chose. Je fus pleine de gratitude pour cette information pourtant bien maigre.

J’imaginais très mal ces gens enfermés pendant plusieurs jours avec Paya et sa compagne et je comprenais mieux leurs airs renfrognés mais je me gardais bien de tout commentaire.

A peine la réunion finie, je me dirigeai subjuguée vers les nouveaux venus. Orage me retint par le bras « N’oublies pas que tu as dit, que tu partirais à la fin de la réunion »

Je restais, comme hypnotisée, par les reflets brillants de la chevelure de Clarté que j’apercevais parmi la foule. Malgré sa froideur, elle rayonnait d’une présence qui n’avait d’égal que celle de l’homme debout à ses cotés.

Je me tournai vers Orage qui me parut soudain fade et sans aucun intérêt et me contentai de lui dire que j’avais changé d’avis.

« Moi, je n’ai pas changé d’avis. Tu vas rentrer de suite. Il faut que tu dises à Fleur de préparer un appartement pour Saphir. En principe Plumeau a déjà dû s’en occuper, mais je ne lui fais pas confiance. Une collation aussi. Ce n’est pas le genre de chose qu’on nous servira ici qui pourra satisfaire nos invités. Et quelque chose de chaud. On se gèle sur cette planète. » Il énumérait encore tout ce qu’il y avait à faire et dont je ne m’occuperais pas vu qu’Orage ne m’avait pas traînée ici pour me renvoyer dès que ça devenait intéressant. Je ne l’écoutais plus, les ambassadeurs de Saphir venaient vers nous.

Même Orage parut ne savoir que faire un instant.

« Par les liens de cœurs qui nous unissent, les Adarii de Plumes sont honorés de recevoir les territoires de Saphir » C’était Tempête, qui, rayonnante comme à son habitude, s’était faufilée entre nous afin de prendre la première place, et faire les présentations dans la langue de Plume qui était aussi celle de Saphir « je suis Tempête du territoire de Maniya, premier territoire de Plume ». J’avais été choquée dans un premier temps qu’elle se mette en avant ainsi, mais elle avait raison. Les familles de Maniya étaient le sommet de la hiérarchie de Plume, et, même si les Maÿcentres avaient été confiées à Taegaïan, les ambassadeurs de Saphir reconnaîtraient plutôt sa position que la nôtre.

Elle continua imperturbable et charmante en nous présentant comme Pluie de la principale cité de Taegaïan et Orage du territoire de Taegaïan.

J’exultais de me voir ainsi placée avant Orage. J’avais tendance à oublier que, pour Plume, ma position était supérieure à celle d’Orage, et à celle de Sentiment à fortiori. Pourtant, c’était toujours moi qui me faisais avoir. Pourquoi au fond ? Parce que j’étais la plus jeune ? Et alors ? Je n’avais pas tant de différence ? J’avais peut-être dix ans de moins que Sentiment, mais à peine plus de quatre avec Orage et Tempête.

Tempête avait présenté Sentiment du territoire Azlan.

L’Adarii Liberté rendit nos salutations, puis reprit sur un mode beaucoup moins formel. Tout comme nous, ils n’étaient pas habitué à ressasser d’interminables formules de politesse pendant des heures. Il nous dit qu’il était ravi de nous rencontrer, même s’il aurait préféré un lieu, disons… Il regarda autour de lui cherchant sans doute les termes qui pourrait décrire la pièce nue et les émotions suspicieuses des personnes insignifiantes qui nous entouraient. Sentiment vint à son aide : « Plus raffiné, plus discret, plus agréable, mieux fréquenté ?

- Un peu tous ça oui » acquiesça-t-il.

« Malheureusement, officiellement, vous êtes venus pour accueillir les délégués de la Terre. Si nous partons de suite, ce sera très mal vu. Nous allons tenter de restreindre ses formalités au minimum. Ensuite, nous trouverons un endroit plus digne de vous »

Clarté prit la parole : « Nous sommes déjà passé par la villa. Vos domestiques nous ont préparé les appartements Azlan. Ils nous conviennent parfaitement. Maître Justice du territoire de Néra nous accompagne aussi, mais il a préféré rester là-bas, prétextant le privilège de son age et la fatigue du voyage pour éviter ses formalités.

- Il a eu tout à fait raison » reprit Sentiment « Pluie va rentrer s’occuper de lui et préparer votre arrivée »

J’ouvris la bouche mais la refermai aussitôt voyant le monde qui me fixait. - Tu n’as qu’à y aller dis-je mentalement à Sentiment.

Elle me toisa de haut en bas comme si je n’étais qu’un petit animal sans intérêt. - Tu sais quoi leur dire ou tu comptes rester la bouche ouverte comme un poisson à les dévisager comme une curiosité ? Sa réponse posée sur le même mode me glaça. De toute façon, dès qu’elle me parlait par ce lien artificiel qu’elle avait gravé en moi, j’avais l’impression qu’un froid intense m’envahissait. Je frissonnais et cherchai une réponse. Non, je ne savais pas quoi leur dire. Je me sentais bête et gauche.

Je pris une grande inspiration et formulai à haute voix la seule réponse possible. « Ce sera un plaisir pour moi de mettre tout en œuvre pour que votre séjour soit le plus agréable possible. D’autant plus si cela me permet d’abréger cette réunion.

- Clarté sourit et Liberté rit franchement. Je t’accompagnerais volontiers, mais je crains d’en avoir encore pour un petit moment. »

Je fus heureuse de constater que l’atmosphère s’était détendue. Je fis un pas vers la porte et faillis presque bousculer le président qui fut obligé de faire un écart pour m’éviter. Il devait s’en doute avoir attendu pour aller parler aux ambassadeurs de Saphir car je crus cerner qu’il faisait énormément d’effort pour garder son calme. Au fond, je ne me souvenais plus pourquoi j’en voulais à Orage et Sentiment de m’avoir écarté de leur petite réunion. Pour une fois, j’allais éviter de me retrouver au milieu de la mauvaise humeur d’Eysky. J’allais pouvoir être tranquille à la villa et en plus, je serais la première à rencontrer la personne la plus importante vu qu’ils avaient dit que Maître Justice se reposait à la villa. Je récupérai la cape de cuir que Luico me tendit en me disant qu’on aurait dû prévenir le président et qu’on allait avoir des problèmes. Nuance pensai-je, c’est Orage qui aurait des problèmes. Moi, je n’y étais pour rien. Arrivée à la villa, Plumeau me piqua avec sa curiosité insatiable. Je lui dis que je ne répondrais pas à ses questions et qu’elle ferait mieux de préparer quelque chose de bons et de chaud pour le retour des autres. Je lui demandai ensuite où était l’Adarii Justice.

« Installé dans les appartements Azlan » dit-elle frustrée avant de se diriger vers les cuisines pour aider Fleur.

Je traversai toute la villa par le patio afin d’aller plus vite. Ce coté n’était jamais utilisé et, malgré les murs chauffés par les panneaux solaires, il faisait encore froid. Je montai l’escalier en courant pour me réchauffer. Passai devant les appartements réservé aux autres territoires du désert rose, et je m’arrêtai pour reprendre mon souffle devant la porte gravée du symbole d’Azlan. Je lissai le tissu de ma robe ainsi que mes cheveux avant de frapper à la porte.

Un garçon d’une quinzaine d’année m’ouvrit la porte. Il portait un vêtement dans un drapé de tissu simple mais bien plus soigné que ce qu’on voyait ici. J’en déduisis que ce devait être un domestique des Adarii de Saphir.

« Vous direz à votre Maître que l’Adarii Pluie du territoire de Taegaïan désire lui souhaiter la bienvenue dans la villa Adarii des Maÿcentres.

- Maître Justice s’est endormi » me répondit-il.

Décidément, je n’avais jamais de chance pensai-je en retrouvant la douce chaleur de mes appartements. Je dégrafai les épingles de mon fourreau qui commençait à me comprimer la poitrine d’une manière désagréable. En échange, je me glissai dans une tunique plus simple que j’attachai à l’aide de deux fibules d’argent. Ensuite… J’attendis. Longtemps. Très longtemps. Beaucoup trop à mon goût. Plumeau était venue prendre ses instructions, accompagnée d’une femme un peu plus âgée qu’elle. Je réalisais que, par les domestiques de Saphir, elle devait maintenant en savoir plus que moi ce qui m’horripila d’avantage mais je me voyais mal m’abaisser à leur demander des informations. Je me demandai si j’étais la seule qu’on avait éloignée de cette histoire. Tempête devait le savoir, elle était trop proche d’Orage pour l’ignorer. Quoique, en y réfléchissant, elle avait bien réussi à lui cacher une bonne partie de ses recherches. Après tout, il aurait sans doute pu faire de même. Ils ont beau être souvent ensemble, ils se maîtrisaient parfaitement l’un et l’autre. En plus, s’ils affirmaient ainsi leur proximité, c’était plus par provocation qu’autre chose. En fait, ils avaient beau dire, ils devaient se méfier l’un de l’autre. Non, Tempête ne devait pas être au courant de la venue de Saphir. En plus, si elle l’avait su, elle aurait été beaucoup plus excitée. Quoique, elle l’était pas mal ces temps-ci et elle n’avait pas eu l’air étonnée quand la délégation était arrivée dans la pièce. Je n’avais rien ressenti d’elle. Donc, elle gardait ses pensées pour elle. Elle devait le savoir.

Et Sentiment ? Sûrement pas, Orage prenait un grand plaisir à lui cacher le plus de choses possible. C’était une manière perfide pour lui de se venger du fait qu’elle refusait tout lien avec lui, même les liens superficiels dont elle était capable. En plus, elle aurait fortement réprouvée de tels agissements qui risquaient d’entacher encore plus nos relations avec les Maÿcentres. Ce devait être pour cela qu’elle s’en était prise à moi. Elle devait être vexée d’avoir été mise à l’écart. Je m’arrêtai de respirer un instant tandis que la réalité fondait sur moi. Evidemment, qu’elle le savait, pourquoi serait-elle venue sinon ? Elle avait horreur des réceptions, horreur de tout ce qui touchait de près ou de loin le bâtiment du conseil, horreur de tous les Autres en général et du président en particulier. Et je ne parlais pas du conseiller Sinshy à qui elle vouait une haine incommensurable. Encore une fois, je me demandais ce qu’elle faisait là. Sa présence sur cette planète, n’avait aucun sens. Elle était arrivée avant moi, laissant deux filles sur Plume. Et pour quel motif ? Je n’en avais aucune idée. Elle jouait les ambassadeurs de temps en temps, et encore se faisait remplacer par Orage dans toutes les réceptions, ne gardant pour elle que les réunions les plus importantes.

Pourquoi est-ce qu’on me cachait toujours tout ? D’accord, je voulais bien admettre que tout le monde avait droit de garder une certaine intimité, mais dans ce cas, pourquoi étais-je la seule qu’on écartait ?

Il restait Glace. Je l’avais oublié lui. Voilà quelqu’un qui pourrait m’en dire plus. Si je le dérangeais pour ce qu’il appelait des futilités, j’allais encore me faire réprimander. Au fond, ça ne me changerait pas beaucoup pensai-je tout en cherchant sa présence. Je fis un rapide calcul tel qu’on me l’avait enseigné. Là où il était, la nuit était bien plus avancée qu’ici. Il devait dormir. Je m’écroulai sur mon lit de désespoir, roulai sur le coté et attrapai mon calepin et un crayon.

Je m’assis en tailleur sur mon lit et j’écrivis : « Saphir » sur une page blanche. Je soulignai ce nouveau titre et me mis à écrire :

De ce que j’ai pu apprendre, Saphir est la planète voisine de Plume. Sa planète mère comme on dit vu que tous les ancêtres de Plume viennent de là-bas. En fait, tout ce qu’on trouve sur Plume, que ce soit animal ou végétal, vient de Saphir. Excepté ses plantes duveteuses qui recouvrent les déserts avec lesquels on fait de si jolis tissus soyeux et dont la couleur est à l’origine de l’aspect rose de la planète vue de l’espace. Autant Plume paraît rose, autant Saphir, tout comme la Terre, a une dominance de bleue de part ses nombreux océans. Je suppose que, lorsque les premiers colons sont arrivés à proximité de la planète, sa couleur bleue leur a évoqué la pierre de la couleur correspondante. En tout cas, c’est ce que me racontait Ambre mon ami d’enfance.

Je m’arrêtais un instant, au souvenir d’Ambre. Je le voyais rarement car il habitait avec son père à Incarada mais on s’adorait étant enfant. Sa mère, Averse, était attachée à la même cité qu’Orage et il venait parfois profiter de la douceur de l’océan. Il me disait que, quand il serait grand, il voulait que je sois la première personne avec qui il établirait un lien. La dernière fois que je l’avais vu, c’était juste avant mon départ. Il m’avait parlé de Saphir en me remettant une pierre du même nom accrochée à un petit pendentif. Pour que je ne l’oublie pas avait-il dit. C’était dans le territoire d’Incarada qu’on taillait les plus belles pierres. Leur talent à eux, c’était l’architecture et la taille des pierres. Bien que tous les Adarii aient des dons dans ces domaines, ceux d’Incarada étaient de loin les meilleurs et ils possédaient tous des noms de pierres. Après m’avoir donné son cadeau, il m’avait embrassé. En y repensant, j’avais encore l’impression de sentir la douceur de ses lèvres. Un baiser d’enfant. Pur et innocent. Et puis, dans l’excitation du départ, j’avais oublié son cadeau. J’avais été très malheureuse quand je m’en été rendue compte car je voulais le garder pour moi seule. Peut-être quand je reviendrais à Taegaïan, je le retrouverai.

La perspective de rentrer un jour chez moi me mit du baume au cœur. Mais quand ?

Je repris mon crayon et poursuivis mon écriture.

Les premières traces de civilisation sur Saphir datent d’à peine huit mille ou neuf mille ans. L’hypothèse la plus en vue actuellement consiste à penser que Saphir aurait été colonisée par la planète Conquête. Ensuite, il y aurait eu un élément indéterminé qui aurait crée une mutation chez certaines personnes et cette mutation serait à l’origine du peuple Adarii.

Je réfléchis quelque instant : c’était le genre de chose que ne pouvait pas supporter Sentiment qui n’admettrait jamais qu’il puisse y avoir la moindre parcelle d’ascendance commune entre les races Adarii et les Autres, quelque soit notre ressemblance physique. Je n’étais pas totalement d’accord avec son avis si tranché, mais je devais admettre que cette histoire de mutation n’était pas claire. Comme à leur habitude, en ce qui concernait Vengeance et les Maÿcentres, le fait d’avoir trouvé une hypothèse suffisait à satisfaire leur curiosité, même sans aucune preuve pour l’étayer.

Je relus ce que j’avais écrit et repris le fil de mon historique sur Saphir : Les premières traces archivées de contacts entre Saphir et les autres mondes daterait d’environ mille cinq cent ans. En effet, à cette époque, la découverte par Vengeance de la technologie de pliure de l’espace permettant des voyages spatiaux beaucoup plus rapide (seul technologie digne de ce nom issus de Vengeance) a crée un véritable engouement pour l’exploration spatiale.

Je levai mon crayon. Je pensais que leur engouement ne s’était toujours pas taris aujourd’hui puisque de nombreux vaisseaux exploraient toujours l’espace de plus en plus loin, sans trouver nulle trace de vie mais ça, c’était une autre histoire. Je revins mille cinq ans en arrière :

A cette période, Vengeance avait déjà des contacts avec la planète Conquête, mais, avec cette nouvelle technologie, les deux planètes éloignées par des voyages de plus de cinq ans, ne se retrouvèrent plus qu’à deux jours de distance. Ensemble, ils partirent à la conquête de l’univers proche et, très vite, ils découvrent : dans un premier temps, la Terre. Planète primitive peuplée de sauvages passant leur temps à se battre. Ils restent un certains temps à étudier leur population, accumulant une bonne provision de documentation concernant les civilisations Terriennes de cette époque puis, une fois que quelques uns de leurs chercheurs furent égorgés en bonne et due forme pour sorcellerie, ils décidèrent d’abandonner provisoirement leurs recherches.

Leur deuxième découverte fut une petite planète envahie par une vie uniquement végétale. Elle ne présentait aucun intérêt. Pour je ne sais quelle raison, quelques personnes décidèrent de s’y installer. La prétention des hommes de l’époque étant digne de celle d’aujourd’hui, ils s’imaginèrent en droit de donner leur nom à la planète qu’ils appelèrent la planète des Maÿ du nom du dirigeant de la première expédition.

Le nom se transforma bientôt en titre honorifique et les premiers dirigeants portèrent le titre de Maÿ avant d’être supplanté par la pacifique noblesse Syhy issue de Vengeance, pour ensuite arriver à une démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est à dire où toute personne peut théoriquement accéder au pouvoir, mais où, concrètement, les Syhy dirigent toujours, se cachant juste derrière la fonction de président.

« Je m’égare là »

Après la Disparition de Conquête, le centre de décision fut déplacé sur la planète des Maÿ qui prit le nom des Maÿcentres. Pourquoi le pluriel est–il resté ? Encore une idée extravagante je suppose, mais je ne connais pas laquelle.

Ce n’est que dans un troisième temps que fut découvert, en allant à peine plus loin à l’échelle de l’univers, la planète Saphir. Là aussi, la technique d’approche fut la même que pour la Terre. Observation, d’abord à distance, ensuite se mêler à la population sans se faire repérer. J’imagine qu’ils ont dû découvrir des cités grandioses et une technologie nulle. Comme la beauté n’avait en soi aucun intérêt, la planète fut jugée tout aussi primitive que la Terre, et presque aussi violente.

Cependant, si la présence des chercheurs parut être passer inaperçue sur Terre, il n’en fut pas de même au sein des cités de Saphir, et il ne fallut pas longtemps aux Adarii pour repérer les nouveaux venus.

De là, la situation se complique et je ne connais pas les détails. Dans un premier temps, Saphir tolère quelques chercheurs en son sein à condition qu’en échange, certains scientifiques de Saphir aient la possibilité d’étudier leurs coutumes. Très vite, quelques Adarii s’installent sur la planète Maÿ qui, dans le même temps commence à devenir un centre stratégique important. Là, ils construisent une villa et commencent à en apprendre le plus possible.

Quelques années plus tard, les facultés particulières des Adarii sont découvertes et les chercheurs de Vengeance installés sur Saphir fuient la planète. Rien n’est dit sur ce qu’on leur avait fait endurer là-bas. En tout cas, les Adarii sont priés de ne plus mettre les pieds en dehors de leur planète. Pourtant, Saphir gardera de ses contacts quelques vaisseaux issus de la technologie de Vengeance. Grâce à elles, il y a cinq cents ans, peu après la disparition de la planète Conquête, Saphir colonisera sa voisine Plume.

Certains disent que la planète avait déjà été colonisée par Vengeance mais que les colons furent mis dehors en arguant du fait que, suivant les lois de Vengeance, la planète Plume lui appartenait se trouvant dans leur système solaire.

D’autres disent que Plume était déserte à l’arrivée des colons de Saphir et, d’autres encore, émettent l’hypothèse que les colons de Vengeance acceptèrent volontiers de se plier aux lois Adarii, mais ce dernier postulat me semble peu probable.

Les contacts entre Saphir et Plume s’étiolèrent vite, jusqu’à disparaître totalement. Les vaisseaux devinrent vite inutilisables faute de carburant et les deux planètes se retrouvèrent isolées. Cependant, selon les lois antiques, la planète Plume appartiendrait toujours à Saphir, ce qui fait que, théoriquement, Plume dépend toujours du premier territoire de Saphir qui au dernière nouvelles se trouvait être celui de Tiyana.

Comment ensuite les contacts ont-ils repris entre les Maÿcentres et Plume ? Voilà un point que je n’ai pas saisi. En tout cas, les Adarii de Plume s’approprièrent les ruines de la villa Adarii des Maÿcentres et se mirent en devoir de la reconstruire.

Les contacts reprirent quelques peu entre Plume et Saphir mais, si Plume voulait garder les contacts que l’on a aujourd’hui sur les Maÿcentres, Saphir refusait le moindre rapprochement. Les désaccords opposant les deux planètes réduisirent leur contact au minimum. Et, les Adarii de Saphir sur les Maÿcentres, cela n’avait pas dû se voir depuis plus de cinq cents ans.

Je posai mon crayon à nouveau et tendis l’oreille. J’avais cru entendre un bruit. Non j’avais dû rêver. Le silence était presque oppressant. Ils n’auraient tout de même pas poussé le vice jusqu’à ne pas me prévenir de leur retour. Je me rendis compte que dans mon énervement, je m’étais refermée sur moi-même ne laissant aucune possibilité à qui que ce soit de m’atteindre. Je me détendis un peu et tentai de me rapprocher des pensées d’Orage sans me faire voir comme il avait la si mauvaise habitude de faire avec moi.

- Mais la différence, c’est que je sais le faire et toi non.

La réflexion pleine de joie d’Orage était insupportable et je me refermai à nouveau sur moi-même. C’était bien là le problème. De part la hiérarchie de Plume, j’étais plutôt bien placée mais, comme on dit sur Terre, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Et moi, j’étais la plus faible. Je pestais encore une fois. Pourtant, j’aurais dû être contente. Après tout, j’aurais pu hériter de ma mère. Mes maigres talents n’étaient déjà pas si mal. Mais, face à ceux qui m’entouraient, je ne faisais pas le poids. Peut-être était-ce pour cela que je continuais à travailler avec les Maÿcentres. Même si je ne faisais rien d’intéressant, au moins, je pouvais me retrouver face à des gens sur lequel j’avais un minimum de contrôle. Comment pourrais-je acquérir plus de puissance ? Je repoussais cette idée malsaine mais elle resta tout de même à me titiller quelques instants et je tentai de penser à autre chose : Où sont les autres ? Tout en pensant cela, je cherchais Tempête mais c’est Orage qui me trouva.

- Tu comptes nous rejoindre ou bouder toute la soirée ?

Ils étaient rentrés en effet.

Je repris mon crayon et tournai la page sur une nouvelle feuille vierge. Pourquoi est-ce que je me retrouve toujours à obéir à Orage ?

Et je soulignais ce nouveau titre.

J’écrivis le chiffre un et je notai : - parce qu’il me propose des choses que j’ai envie de faire. Je barrai. Pas toujours. En fait, c’était plutôt rare.

- Parce qu’il avait toujours raison. Je barrai. C’était souvent le cas, mais je ne voulais pas l’admettre surtout par écrit.

- Parce qu’il est beau, je barrai aussi. C’était vrai mais pas suffisant. En plus, il serait capable de fouiller dans mes affaires et de lire ça, et il était suffisamment imbu de sa personne pour que j’en rajoute.

- Parce qu’il a beau être, immoral, méchant, mesquin, quelque soit la dureté de ses paroles et de ses contacts, il y avait toujours derrière une douceur infinie qui faisait qu’avec lui, je me sentais aimée. Je relus suffoquée. Avant d’écrire cela, c’était quelque chose que je n’avais jamais remarqué.

Je posai mon crayon et fermai mon calepin restant assise, interdite.

- Viens Pluie, la soirée s’annonce passionnante

Le contact vanillé de Tempête me ramena à la réalité. Je m’angoissais à l’idée qu’elle ait pu percevoir mes pensées mais non, je commençais à me maîtriser suffisamment pour garder ce qui m’importait pour moi.

Je descendis à pas de loup. Arrivée au bas de l’escalier, je me laissai guider par les murmures de conversation provenant du salon d’accueil. Je croisai Plumeau qui sortait de la pièce un plateau vide à la main et poussai doucement la porte avant qu’elle n’ait eu le temps de la refermer tout à fait. La pièce était éclairée uniquement par quelques bougies et le feu de cheminée. Sentiment était perdue dans la contemplation des flammes et Tempête était assise en tailleur dans un canapé bas appuyée contre Orage, ses doigts enlacés dans les siens.

Celui que j’identifiais immédiatement comme Le vieux Maître Justice avait choisi un fauteuil plus haut et plus dur et semblait dominer l’assemblé. Malgré son age, il se tenait droit et dégageait une personnalité d’une autorité sans faille. Clarté s’était assise dans un sofa qu’elle avait rapproché du feu. Je remarquai qu’elle aussi s’était changée et arborait un sari blanc et brillant. Liberté était assis à ses cotés. Personne ne disait mot et je me faufilai discrètement pour m’asseoir à coté de Tempête.

Maître Justice ne pouvait s’empêcher de bouger sur son fauteuil. Au bout d’un moment, il parut de plus pouvoir se retenir et lança : « On ne m’empêchera pas de penser que ce que vous faites ici ne peut que salir notre réputation. »

- Quelle réputation Maître Justice ? » Je me tournai vers Clarté qui avait pris la parole. Son regard froid s’était allumé sous les reflets des flammes. J’avais dû manquer une bonne partie de la conversation aussi, je préférai me tasser au milieu des coussins et me faire oublier. « Nous sommes déjà au bord de la ruine » ajouta-t-elle désespérée.

« La petite colonie de Plume semble s’en sortir bien mieux que nous » ajouta Liberté à l’intention du vieux Maître.

« Peut-être, pourriez-vous à votre tour nous dire comment se portent les domaines de Saphir ? » Tempête avait adopté devant Liberté son attitude mutine qu’elle réservait à la gent masculine. Ne pouvait-elle pas arrêter ses petits jeux au moins le temps d’une soirée ?

Cela dit, il était vrai qu’était plutôt plaisant à regarder. Elle en profita pour lâcher la main d’Orage et attraper un verre de vin chaud parfumé aux épices sur la table basse.

« On en n’est pas encore réduit à jouer les larbins de ceux qui sont en train de nous détruire ».

J’en déduisis que mes amis avaient dû leur expliquer ce qu’on faisait ici. J’aurais bien répliqué qu’on n’était pas des larbins et que ce vieux croûton ferait bien de surveiller ses paroles mais Orage m’en dissuada. Je l’avais toujours connu sur les nerfs et voici que c’était lui qui m’insufflait de me calmer.

« Mon oncle » reprit Liberté « il n’est plus temps de se voiler la face surtout devant nos semblables. Quoique vous pensiez de la colonie de Plume, ils sont Adarii, tout comme nous.

- Nous sommes au plus mal » continua Clarté en se tournant vers nous. « Les hommes de Vengeance sont en train de nous bouffer, voila la vérité. »

Le vieux Justice n’en pouvait plus. « Clarté, qui te permet de parler ainsi ?

- Je me le permets, Maître Justice. Je n’ai pas fait ce voyage dans le but de faire la morale à nos hôtes.

La situation est désastreuse » poursuivit-elle sans plus se préoccuper d’éventuels reproches « nous avons ignoré Vengeance autant que possible mais ils ont commencé par envahir les campagnes libres. Selon nos lois, ces campagnes n’appartiennent à aucun territoire. Ils en ont profité pour s’installer.

- Selon leurs lois, ils n’ont pas le droit de s’implanter sur une planète habitée sans autorisation écrites de tous leurs dirigeants » On se tourna vers Sentiment perdue dans un coin d’ombre.

- A trop les ignorer, personne ne s’est donné la peine de se soucier de leurs lois » reprit Clarté « Les campagnes étaient éloignées, à la limite des Terres des brumes. Nous avions d’autres préoccupations que quelques dizaines de personnes supplémentaires au milieu de ces terres stériles.

- Je suppose qu’ils n’en sont pas restés là ?

- Au départ si. Mais, petit à petit, nous avons remarqué que de plus en plus de monde s’exilait là-bas. Les hommes de Vengeance mettaient à leur disposition une technologie quasi magique, leur rendant la vie plus facile. Ho, cela ne s’est pas fait en un jour, mais de façon subtile et discrète.

Certains revenait ensuite après avoir amassé une fortune considérable et racontaient comment leurs marchandises étaient achetées à prix d’or par ces hommes venus d’ailleurs. »

Jamais je n’avais entendu parler de ce genre de produits sur les Maÿcentres

Tempête me résuma le début de la conversation : Apparemment, les Maÿcentres avait laissé à la planète Vengeance le bon soin de s’occuper de Saphir. Ainsi, ses affaires n’étant pas traitées ici, il y avait moins de risque qu’on s’en mêle.

« J’ai entendu parler que de tel produits se retrouvaient sur les étals de Vengeance, des articles bien trop délicats pour être façonnés par les Maÿcentres ou Vengeance » confirma Orage. « C’est ça qui m’a inquiété. Aucun Adarii de Plume n’admettrait que ses biens finissent dans ce genre d’endroit. Il y a bien un astroport de transit dans le désert rose de Plume mais les denrées qui y passent sont soigneusement contrôlées et j’imaginais mal Saphir plus conciliant.

- Qu’est-ce que vous imaginez ? » S’indigna Justice comme si on l’avait giflé « que nous sommes heureux de voir partir nos produits ? D’abord, c’était les artisans des campagnes libres. Maintenant, ce sont les gens de nos propres cités qui vont proposer leurs plus beaux produits à ces dégénérés.

- Comment osent-ils s’avilir ainsi ? Ils n’ont pas le droit de vendre des produits qui ne leur appartiennent même pas ? » Tempête s’était levée et chassa d’un revers de main Orage qui la poussait à s’asseoir.

« Il faut les comprendre » dit Clarté « la tentation devient trop forte entre vendre ses produits à prix d’or aux Maÿcentres ou les abandonner aux Adarii.

- Bien sur, alors ils profitent des avantages des cités, pillent vos terres pour fabriquer leurs marchandises et ensuite les vendre à Vengeance. C’est du vol, Voila tout ». Tempête arpentait maintenant la pièce comme une furie « Comment peuvent-ils seulement y penser ? Il n’y a pas de plus grand honneur que de voir ses marchandises choisies par les villas Adarii. Ils veulent la technologie de Vengeance, qu’ils partent là-bas ! Après quelques années dans les villes plates de Vengeance ou les villes souterraines des Maÿcentres, ils comprendront mieux la vie et n’hésiteront pas à venir pleurer devant leurs vrais protecteurs.

Vous leur laissez trop de liberté, voila le problème. Vos territoires sont trop vastes pour les cadrer. » Sentiment l’attrapa tandis qu’elle passait à proximité et la força à s’asseoir à coté d’elle et à se taire.

« Laisse-là dire Adarii Sentiment. Elle a raison et la vérité ne peut nous blesser. Ce sont les faits qui nous font mal. Vengeance va nous supplanter. Nous perdons toute crédibilité, relégué derrière les seigneurs de Vengeance comme ils les appellent.

- Chassez-les ! »

- Tais-toi. Orage s’était adressé avec une telle force à Tempête que son message mental m’était parvenue à moi aussi. Je le regardai incrédule comme si la réprimande m’était adressée.

« Désolé » me souffla-t-il en glissant jusqu’à moi sur le canapé pour me passer un bras autour de la taille. Par réflexe, je cherchai à l’enlever mais il me serra plus fortement et je le laissai faire.

« C’est-ce que nous aurions dû faire dès le départ. Maintenant, c’est trop tard. Ils sont trop nombreux. Ils ont converti à leur causes une bonne partie de la population. En plus, ils se sont crée une véritable armée en récupérant toute la mauvaise graine des campagnes libres. Ils les engagent, soi-disant pour s’occuper de la sécurité, mais en fait, ce sont des sortes de mercenaires qu’ils utilisent pour faire leur sale boulot. Ceux qui nous sont restés fidèles ont peur et nous n’avons pas les moyens de les protéger. Nous sommes trop peu nombreux. » Liberté s’était levé et rapproché du feu en disant cela. Les flammes mettaient des reflets dorés dans ses cheveux clairs Il était vraiment très beau. Je tentais de reprendre mes esprits. Ce n’était pas moi qui étais subjuguée ainsi. C’était les pensées de Tempête que je percevais. Je me coupai d’elle le plus possible. Comment pouvait-elle penser de telles choses dans un moment comme celui-là ? N’empêche qu’elle avait raison, avec son air désespéré, il était à croquer.

Orage resserra encore son étreinte. Il se retenait de rire. Décidément, il n’y en avait pas une pour rattraper l’autre pensait-il. Je frissonnai en sentant un de ses baisers dans mon cou.

« Nous ne savons plus quoi faire Adarii.

- Clarté, un peu de dignité je te prie » Justice tentait de garder le contrôle de la situation mais avec de moins en moins de conviction.

- L’heure n’est plus à la dignité Maître Justice mais à l’humilité.

Je n’approuve pas la conduite des Adarii de Plume, mais ils n’en ont pas moins réussi là où nous avons échoué.

- Nous ne sommes pas fier non plus de ce que nous faisons ici » dit Orage « Mais je le redis : Toutes nos actions sont tournées vers notre peuple et notre planète, dans le seul but de la préserver. Cependant, de là à dire qu’on a réussi, je ne serais pas aussi optimiste. »

Tempête coupa la parole à Orage avant que Sentiment ne puisse la retenir : « Et Tiyana ?

- Tiyana, oui. Voila une terre dont nous n’avons plus de nouvelle depuis longtemps » Dit Liberté d’un ton dédaigneux.

« Alors, c’est vrai, vous avez perdu contact avec eux ? » La voix de Tempête trahissait la tristesse d’une petite fille qui apprenait soudain que le père noël n’existait pas.

« Depuis une vingtaine d’année oui. Déjà avant cela, le conseil ne se réunissait plus à Tiyana » répondit Liberté. « l’unique cité de Tiyana se situe bien au nord des Terres de brumes. Rares sont ceux faisant un tel voyage. Les derniers qui s’y sont risqués ont dit avoir trouvé la cité détruite. Si vous voulez mon avis, il ne reste rien des Adarii de Tiyana. Les puissants princes de Saphir ont été détruits par les simples hommes de Vengeance, et bientôt, ce sera notre tour.

- Et vous n’avez pas fait des recherches ? Il faut savoir ce qu’il est advenu de la famille de Tiyana, reconstruire la cité, se battre. » Tempête n’en pouvait plus devant leur attitude résignée.

Liberté prit la parole : « Nous avons tous nos propres soucis à gérer. Nous ne pouvons pas lâcher nos territoires sans risquer qu’ils subissent le même sort. Ces gens-là prônent la non violence mais s’entourent d’une véritable armée qui vénère la planète Vengeance. Pour l’instant, le peuple se sent encore en sécurité aux abords des cités, mais les campagnes deviennent dangereuses. Les mercenaires pillent tous ce qu’il peuvent pour Vengeance car les terres des campagnes libres sont trop pauvres pour satisfaire les exigences de leurs nouveaux maîtres »

Clarté reprit la conversation et se tourna vers Orage. « Vous me paraissez avoir une bonne connaissance des fonctionnements des Maÿcentres maintenant, pourquoi rester ? Pourquoi ne pas simplement rentrer chez vous et interdire l’accès de Plume à la confédération Vengeance-Maÿcentres ?

- Nous ne resterons sans doute plus longtemps ici. De plus en plus de gens cherchent à nous chasser. Même le président commence à y songer sérieusement et ça m’étonnerait qu’il ait apprécié de voir réuni en bonne entente le deuxième satellite, Saphir et Plume. Les retombées ne tarderont pas. Il attendra juste de nous chasser au moment qu’il estimera le plus opportun.

- Alors, je repose ma question, pourquoi rester ?

- Soyons sérieux » dit Orage à Clarté « s’ils sont si conciliant avec votre peuple, ce n’est pas par pur charité. Vous l’avez dit vous-même, ils cherchent à vous supplanter. Nous avons trop d’influence à leur goût et notre existence est considérée comme une insulte à leur puissance. Ils n’ont que deux solutions : soit on devient leurs alliés, soit on doit disparaître.

Vous avez refusé de vous allier à eux » continua-t-il « du coup, ils vont grignoter votre pouvoir jusqu’à l’os.

Nous, ils nous ont gardés car nous leur étions utile mais ils ne sont pas dupes. Nous devenons bien trop dangereux et le jour où ils nous chasseront, nous aurons intérêt à assurer nos arrières si nous ne voulons pas subir le même sort que Saphir.

- Je vois. C’est ce que vous faites avec l’ambassadeur Paya ?

- Oui, nous assurons nos arrières.

Ce gros lourdaud de Paya est un rustre tout comme ses compatriotes et je ne vous ferais pas l’affront de m’enquérir de la qualité de votre voyage à ses cotés. Mais, c’est un mal aimé des Maÿcentres comme il dit. Leur mentalité guerrière primitive s’accorde mal avec les très prudes Maÿcentres. Ils ont peu de richesses mais possèdent une technologie spatiale avancée même si leur flotte est très limitée.

Mais, il n’y a pas que cela. Mon cousin Glace, le frère de Pluie travaille sur Terre. Tempête et Sentiment aussi font des recherches pour cette planète et pour nous aussi par la même occasion. »

Clarté fronça les sourcils « Pourquoi la Terre ? »

- Parce que c’est la seule qui n’a pas été soumise au traité de désarmement et que sa puissance à ce niveau est phénoménale. Associée à la technologie spatiale de Vengeance, ils seraient capables de nous détruire juste en appuyant sur quelques boutons.

- Parce que vous pensez qu’ils pourraient aller jusque là ?

- Je pense que, s’ils pouvaient nous menacer d’utiliser des armes Terriennes contre nous, ils n’hésiteraient pas. Quant à attaquer réellement ? Le président Eysky, sûrement pas. C’est un vrai Syhy, fourbe, manipulateur et non violent. Mais il ne sera pas toujours à la tête des Maÿcentres. Il y a quelques années, le conseiller Sinshy a failli prendre le pouvoir. Lui est issus de l’ancienne dynastie Maÿ et ils ont beau dire que maintenant, ils ne forment qu’un seul peuple fraternel et pacifique et autre foutaises, ces gens-là gardent en eux leurs rêves de conquêtes et leurs frustrations. Si quelqu’un comme lui arrive au pouvoir, je ne donne pas longtemps avant que les instincts se réveillent. La non violence n’est pas quelque chose d’innée chez les Autres.

Vous savez que quelqu’un a tenté de tuer le président ?

- Qu’il crève !

- Mon Oncle » s’indigna Liberté, sauf votre respect, personne ne peut souhaiter une telle chose, « c’est très grave. Comment cela s’est-il passé ?

- Avec une arme qui permet de tuer à distance. On appuie sur un bouton en visant la personne et c’est fait. Pas besoin de contact, pas besoin de force. C’est si facile. Je pense qu’il ne s’est même pas rendu exactement compte de ce qu’il faisait, mais ça prouve que leur conditionnement contre la violence n’est pas bien efficace ».

Un frisson me parcourut soudain. Nous ne parlions plus de querelles de pouvoir ici. Orage, tu n’imagines tout de même pas que nous puissions en arriver là ! C’est absurde. Ce n’est que des querelles sans importances, jamais ils ne s’en prendraient à Plume. Orage réponds !

Il ne répondit pas se contentant de retirer son bras et de s’éloigner légèrement pour ne pas me faire partager ses pensées. Bien sur que si nous en étions là. Chaque jour, j’étais entourée de gens ne rêvant que de ça. Dès que je me laissais aller, je pouvais ressentir l’aversion des conseillers à notre égard. Elle nous entourait. Tout autour de cette maison ce n’était que crainte voir pire à notre égard.

« Et je suppose que vous nous avez fait venir dans l’espoir de trouver un autre allié ? » Reprit Clarté.

« En effet oui « dit Orage

Clarté soupira « Piètre appui ! Nous ne possédons rien : ni armes ni vaisseaux. Notre propre peuple se désintéresse de nous et notre plus puissant territoire a disparu ».

Tempête ne put s’empêcher de reprendre la conversation « On dit pourtant que la puissance des Adarii de Saphir était immense avant le traité de désarmement ?

- Vous espérez retrouver de mythiques puissances des Annunaki de Tiyana ? Légendes pour endormir les enfants, rien de plus » dit Clarté. « Bien sur, ça n’a pas fait rêver que les plus jeunes. certains ont passé leur vie entière à chercher ses chimères sans en trouver la moindre trace. Si une telle puissance a existé, elle a disparu en même temps que toutes les autres pendant le traité de désarmement. Je suis désolée, mais j’ai peur de ne pouvoir vous aider » Clarté se leva visiblement épuisée.

Je révisai vite mes informations « Mais Saphir n’était plus en contact avec les Maÿcentres au moment de la disparition de Conquête, comment se fait-il que la planète ait signé ce traité ? »

Comme tout le monde me regardait avec un air étonné, je continuai. « D’après mes études, plusieurs siècles avant ce fameux traité, les Maÿcentres avaient cernés nos capacités et avaient rappelé leurs chercheurs. Les Adarii avaient été prié de ne plus remettre les pieds ici.

- C’est vrai » dit Sentiment, « mais les contacts ont continué malgré tout. D’ailleurs, Saphir a signé le pacte de désarmement.

- Saphir ne s’est pas contenté de si peu » Orage se leva et tendit un papier à Justice.

Le vieux maître prit le temps de le lire. Parut s’affoler et sembla le relire plusieurs fois.

« Qu’est-ce que c’est ? » murmurai-je à Orage.

« Tu ne vas pas tarder à le savoir. »

Après encore un instant de réflexion, il tendit la feuille à Clarté qui reprit sa place dans le fauteuil « Impossible » dit-il tandis que Liberté s’approchait pour lire en même temps que Clarté.

« Je suppose donc que vous n’étiez pas au courant »

J’observais Clarté qui blêmit. Liberté semblait ne pas comprendre.

« Où avez-vous trouvé cette abomination ?

- Maître Justice, je m’étonne qu’une personne telle que vous n’ait pas plus de respect pour l’écriture Adarii. »

Orage y allait un peu fort, ce n’était pas des façons de parler à quelqu’un de son importance. Le résultat ne se fit pas attendre : « J’en ai entendu assez pour ce soir. Tout cela est absurde, une mascarade ridicule. » Il se leva et se dirigea vers la sortie « Je vais me coucher et j’espère que demain vous n’évoquerez plus de telles hérésies. »

Je suivis des yeux le vieil Adarii qui, fier et droit, sortit de la pièce sans un regard en arrière mais personne n’eut l’audace de faire le moindre commentaire.

« Ca n’a aucun sens » dit Clarté en tendant la feuille à Orage. Je voulus intercepter le document mais Orage s’en empara. Il le tint quelques instants hors de ma portée, se complaisant sans doute de mon air furieux et me le tendit enfin.

« C’est une déclaration de guerre ».

Je ne sais pas s’il expliquait cela pour moi ou pour les invités.

« Ce formulaire datant de plus de cinq cents ans atteste que Saphir prend officiellement le parti de Vengeance dans le conflit l’opposant à la Planète Conquête.

Il y a cinq cents ans, Une planète qui, soi-disant, n’a quasiment aucune relation avec les Maÿcentres ou Vengeance, et encore moins avec Conquête va tout d’un coup officiellement déclarer la guerre à Conquête sans raison apparente. Trois jours après la date indiquée sur ce papier, j’ai bien dit, trois jours uniquement » insista Orage. « La planète Conquête sera détruite. »

Je ne pouvais quitter des yeux la fine écriture Adarii utilisée pour tous les documents officiels. La feuille était divisée en deux. Sur le haut de la page, le texte était dans une langue que je ne connaissais pas, sans doute une des anciennes langues de Vengeance, la deuxième partie intégrait la traduction dans notre langue avec cette calligraphie si particulière utilisée pour les documents importants.

Ca n’avait aucun sens, ce devait être un faux. Je ne croyais pas moi-même ce que je disais. La calligraphie utilisée était quasiment sacrée. Elle n’était pas utilisée à la légère.

« Où as-tu trouvé ça ? » soufflais-je à Orage.

Tempête l’a trouvé il y a quelque mois caché dans la chambre qu’occupait Espoir. De là, nous nous sommes dits que nous devions vous tenir informé »

Alors ça, c’était la meilleure. Non seulement, on ne me tenait au courant de rien, mais en plus, Tempête fouillait tranquillement dans les affaires de mon père et Orage paraissait trouver ça normal. Déjà, elle s’était appropriée toutes ses recherches mais là, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase Je me laissai emporter et interpellai Tempête devant tout le monde.

« Et peut-on savoir ce que tu faisais dans la chambre de mon père ? »

Tempête me regarda avec étonnement, C’est ça pensais-je, elle pouvait toujours essayer de jouer la pauvre petite candide, personne n’y croirait.

Peut-être avait-elle perçue ma pensée, en tout cas, elle devint rouge d’indignation. « La chambre qu’occupait Espoir, quand il venait sur les Maÿcentres, est celle d’Orage maintenant. Es-tu vraiment certaine de vouloir connaître les détails de ce qu’on était en train de faire quand je suis tombée là-dessus ? »

Non, je n’avais pas envie de le savoir. Je me mordis les lèvres et sentis que je devenais encore plus rouge que Tempête. Je m’enfonçai encore plus dans le canapé espérant pouvoir disparaître. Et en plus, il avait fallu que je me fasse remarquer devant tout le monde. Au moins, déjà, Maître Justice était parti.

- Voila un parfait exemple de toutes ses questions irréfléchies que tu poses sans relâche et qui explique pourquoi nous ne te disons jamais rien.

Je ne savais pas si je devais en vouloir à Sentiment de m’enfoncer davantage ou si je devais la remercier de ne pas avoir dit ça à voix haute. Je pris le parti de l’ignorer

« Bref, nous avons ici une déclaration de guerre signée par Maÿ Myluny gouverneur des provinces de Vengeance et Maître Aube protecteur du territoire de Tiyana et des rerritoires Adarii de Saphir ». Je me sentis envahie de gratitude en entendant Orage changer de sujet.

« J’ai vérifié » ajouta-t-il, « Le Maÿ Myluny était bien Gouverneur de Vengeance à l’époque. « Quant à Maître Aube ? » Il s’arrêta espérant sans doute une information sur le sujet. Les Adarii de Saphir étaient encore sous le choc et semblaient perdus.

Clarté finit par prendre la parole. « Aube est un nom très courant pour les Adarii de Tiyana et nous ne gardons pas les généalogies des territoires.

- Je vous rassure, sur Plume non plus, nous écrivons peu et voila le résultat : Nous nous sommes retrouvés en guerre, allié à Vengeance, et personne n’en sait plus rien. Nous ne savons rien de ce qui nous a amené à une telle situation, rien de ce qu’il s’est passé ensuite. Nous sommes en train de perdre toutes nos connaissances. Nous possédions peut-être une technologie suffisante pour avoir pris part à la destruction de Conquête et personne n’en sait plus rien. En plus, si la famille de Tiyana a disparu, leurs connaissances ont dû disparaître avec eux.

- Même si nous avions les moyens, Pourquoi aurions-nous détruit Conquête ? » Ca y est, je n’avais pas pu m’empêcher de poser encore une question. A peine les mots étaient-ils sortis de ma bouche que je commençais à m’inquiéter à l’idée de me faire rabrouer.

« Ca non plus, je n’en sais rien » répondit Orage

Liberté prit la parole : « Mais les Maÿcentres doivent le savoir. Eux, ils gardent par écrit ce genre de chose.

- Oui, là aussi, c’est étonnant, je n’ai trouvé aucune information sur le sujet. En fait, je n’ai pas trouvé la moindre information expliquant la disparition de Conquête. Il existe quelques rumeurs dont les plus connues seraient que la planète mettait au point une arme secrète qu’elle n’aurait su maîtriser, d’autres accusent Vengeances et d’autres encore nous accusent. Mais, concrètement, nous n’avons rien. Mais, le document que je vous ai transmis devrait être en leur possession. En effet, il est écrit dans leur langue puis dans la nôtre. C’est leur exemplaire. Sinon, ce serait notre langue qui primerait.

Il doit sans doute y avoir un exemplaire similaire quelque part, perdu sur Saphir mais je suppose que vous n’en avez jamais entendu parler. Après, si ce document est en notre possession, c’est sans doute qu’un des nôtres à jugé bon de se l’approprier sans doute pour garder cette “ anecdote” secrète. Dans ce cas, il n’est pas étonnant qu’on ne retrouve aucun autre document relatant une potentielle intervention de Saphir dans cette guerre. Sans doute est-ce les nôtres qui ont détruit toute preuve il y a de cela plusieurs siècles.

- D’accord » dit Liberté « Imaginons le scénario le plus fantastique possible : Pour une mystérieuse raison, il y a cinq cents de cela, Saphir prend part au conflit contre Conquête. La planète possède d’hypothétiques armes d’une puissance infinie alors que nous avons toujours refusé la technologie. Avec cette puissance, les Adarii, qui ont toujours été un peuple plus ou moins pacifique, détruisent une planète entière, des milliards d’hommes, de femmes et d’enfants. Ensuite, ils arrivent à dissimuler aux yeux de tous une telle intervention »

Vu la façon ironique avec laquelle il disait cela, il n’imaginait pas grand-chose. Moi non plus d’ailleurs. Ce scénario frisait le délire.

« Imaginons que tout cela soit vrai » continuait Liberté « Imaginons même que cette technologie n’ait pas été détruite lors du pacte de non violence. Ce qui irait à l’encontre du traité que nous venions de signer. Mais bon, imaginons toujours que vous retrouviez ces armes, que des dizaines d’aventuriers excentriques ont déjà cherchés. Qu’en feriez-vous ? »

Il s’adressait au groupe, mais c’est Orage qu’il fixait.

Ce dernier restait silencieux ne le lâchant pas des yeux. Nous attendions tous qu’il prenne la parole. Il prit sur la table un de ses bonbons à la cannelle qu’il affectionnait tant et le laissa fondre sous la langue avant de répondre : « Nous aurions un moyen de défense »


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