lundi 26 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 13

13

"Le plus haut degré de la sagesse humaine est de savoir plier son caractère aux circonstances et se faire un intérieur calme en dépit des orages extérieurs."

[Daniel Defoe]
Extrait de Robinson Crusoë

Ils étaient tous sortis depuis longtemps que je restais encore, les jambes recroquevillées, caressant distraitement les bracelets de mes chevilles. Nous ne pouvions pas en arriver là. Que ce soit Vengeance ou les Maÿcentres, personne ne pourrait faire du mal à la douce planète Plume. Tout au fond de moi, je cherchais mille raisons pour lesquelles les Maÿcentres ne pourraient pas nous faire de mal. Je n’en trouvais aucune. Tout ça, c’était de notre faute. Si nous ne passions pas notre temps à les narguer, nous n’en serions pas là. Nous aurions même pu nous en faire des alliés. Serait-il temps de nous rattraper ? Le président devait être furieux qu’on se soit allié avec le deuxième satellite pour faire venir les Adarii de Saphir.

J’en étais encore à ses réflexions alors que je traversais le salon Taegaïan.

« Tu rêves Pluie » Orage était assis dans le coin le plus sombre de la pièce. « Nous sommes allés beaucoup trop loin pour revenir en arrière ». Ce n’était pas un reproche. Juste une constatation. Un fait qui, au fond, lui plaisait bien.

« C’est une guerre contre la confédération que tu prépares ?

- Non, ce sont les Maÿcentres et Vengeance qui préparent une guerre contre nous. Et le jour où ça explosera, je préfèrerais être du bon coté de la mèche.

Je regardais Orage comme si je me trouvais face à un inconnu. « Jamais tu n’as envisagé de maintenir l’entente entre nos peuples ?

- Tu parles d’entente ? Naïve Pluie, il n’y a jamais eu la moindre entente entre nous. Tous ce qu’ils veulent c’est le pouvoir. Tu devrais bien le savoir pourtant. Presque deux ans que tu suis leurs démêlés avec la Terre. Ne vois-tu pas leur petit jeu ? Devant les Terriens, tout doux tout miel, mais le jour où ils comprendront qu’ils n’obtiendront jamais que la Terre se plient à leur volonté, ils la massacreront subtilement comme ils le font de Saphir.

- Arrête Orage, tu divagues. Il n’y a pas pire pacifiste que les Maÿcentres.

- Non, il n’y a pas de pire pacifiste que le président Eysky. Mais il est seul. Il est adulé par le peuple mais la plupart de ses conseillers ne supportent plus ses idées idéalistes. Ils veulent passer à l’action, se faire connaître de la Terre, créer des alliances, démolir leur économie, et pomper leurs ressources. Te souviens-tu du réseau que vous avez démantelé sur Terre ? Ne t’es-tu jamais demandé quel était son rôle ? Ils avaient en charge d’infiltrer leur réseau informatique pour pouvoir en prendre le contrôle à tout moment. Voilà comment agissent la pacifique planète Vengeance. Et ils ne seront pas plus conciliant pour Plume. Si le président Eysky nous garde à ses cotés, c’est surtout pour se préserver de tous ceux ayant ce genre d’idée. Même s’il ne l’admettra jamais, il sait très bien que si nous n’étions pas là pour préserver sa petite personne, ses conseillers l’auraient supplanté depuis longtemps.

- Alors toi, tu espères retrouver d’hypothétiques puissances cachées. Tu cherches à rompre le pacte. Tu ne vaux pas mieux qu’eux. » Je tentais de rejeter Orage de toute mon âme mais mon esprit recherchait son contact. « Tu es bien pire même » J’insistais bien là-dessus dans l’espoir de m’en convaincre moi-même.

« Tu ne penses même pas ce que tu dis jolie Pluie. » Dit-il en souriant

Il s’approcha de moi, les flammes du feu mettant des reflets auburn dans ses cheveux sombres. « Ha, la gentille Pluie » dit-il en me caressant les cheveux. « La douce et fine petite Pluie comme disait Espoir. Sans doute, il y a longtemps. Je te connais, ma cousine, peut-être même mieux que toi-même. Tu les méprises. Tu méprises les Autres encore plus que moi. Plus que Sentiment même. D’autant plus que tu as vécu parmi eux. »

Je secouai la tête face aux vérités qu’Orage m’assenait en pleine figure. « Ceux de la Terre sans doute » répondis-je sans en être convaincue comme hypnotisée par la présence d’Orage « Pas les Maÿcentres.

- Bien sur, c’est pour cela que tu passes ton temps à rager contre eux ?

Orage s’était encore approché enserrant ma taille d’un seul bras, tandis que de l’autre il enroulait mes boucles entre ses doigts. Son haleine de cannelle sucrée m’envahissait me faisant tourner la tête. Dans ses bras, j’avais l’impression de sentir le sable chaud et la caresse du soleil. J’avais horreur de le voir me cerner avec tant de justesse alors que j’essayais moi-même de me convaincre du contraire.

Je me repris : « Tu ne m’auras pas comme ça Orage. Je ne suis pas Tempête pour céder à tes moindre caprices ».

Orage éclata de rire. « Comment pouvez-vous être aussi naïve Sentiment et toi. Même Liées à Tempête, vous ne percevez que l’écervelée amoureuse. D’accord pour Sentiment qui a envers Tempête un lien artificiel et superficiel, mais toi, tu me déçois. Penses-tu sincèrement que je m’intéresserais à une fille stupide qui n’aurait pas la moindre volonté ?

- Une fille comme Dyasella par exemple ?

- Mauvais exemple, Dyasella est peut-être jeune et naïve mais elle est loin d’être stupide et je n’ai nulle besoin des runes d’Amaerua pour savoir qu’un jour elle aura une place importante ici ou ailleurs. Cependant, c’est bien autrement que j’aime Tempête. Peut-être pour tout ce qu’elle cache. Elle est forte. Bien plus que Sentiment. Mais toi aussi tu es puissante jolie Pluie. Un jour, les Maÿcentres plieront le genou devant nous. Un jour, ils se prosterneront devant toi Pluie.

- Ce n’est pas ce que je veux.

- Bien sur que si, c’est ce que tu veux. La Main s’écrasant à tes pieds ?

- Tous ce que je veux c’est qu’ils cessent de m’assener leur mépris en pleine figure.

- Ce que tu veux, c’est qu’ils te respectent. Tous autant qu’ils sont. Qu’ils aient la même déférence envers toi que le peuple de Plume.

- Ce n’est pas le genre de chose qu’on obtient par la force.

- Déjà, la gentille Pluie ne me contredit plus. Non, tu n’es pas gentille. Sentiment l’est peut-être, mais pas toi. Demande au président s’il te considère comme gentille ? Demande à ses conseillers à qui tu mènes une vie impossible. Combien de fois ne m’a-t-on pas supplié de reprendre ta place. Ils n’en peuvent plus de tes sautes d’humeur. Mais moi, j’aime ça. » Je frissonnai sentant la douce chaleur de la main d’Orage passant sous la soie légère de ma tunique. Je fermai les yeux et eus l’impression de me retrouver à Taegaïan. Je crus presque entendre le bruit des vagues. Je me repris et tentai de retirer sa main sans conviction. Il ne m’aurait pas ainsi. Je n’étais pas à sa disposition.

- Tu as raison, c’est moi qui suis à tes pieds, arrogante Pluie. Ses baisers m’envahissaient, doux et sucré à la fois tandis qu’il cherchait un contact de plus en plus intime avec mon esprit et son désir renforçait le mien me submergeant telle une vague de passion trop longtemps refoulée.

D’une main, il détacha la fibule retenant le fin tissu révélant une épaule nue. Il caressa un instant mon tatouage, idéogramme de Taegaïan qu’il couvrit de ses lèvres.

« Lâche-moi » soupirai-je sans pour autant opposer la moindre résistance.

Il dégrafa la deuxième attache laissant tomber ma robe à terre. Tandis que de ses doigts, il effleurait ma poitrine, je tendis mes lèvres vers les siennes et lui rendis ses baisers au goût de cannelle.

***

Malgré l’heure tardive à laquelle nous nous étions couchés, je me réveillai tôt le lendemain complètement désorientée de ne pas me retrouver dans ma chambre. Il faisait noir, ce qui ne voulait rien dire . A travers la baie vitrée face à moi, deux petites lunes s’étaient déjà levées. Je me glissai hors du lit ôtant délicatement le bras d’Orage qui dormait toujours. Je le regardais sous la pâle lueur des deux satellites. Il était paisible ainsi. J’aurais dû lui en vouloir mais je n’y arrivais pas et c’est uniquement mon orgueil qui me détourna de lui. Qu’il ne s’imagine pas que je suis à ses pieds pensai-je en refermant doucement derrière moi la porte de sa chambre. Je lorgnai un instant la porte de ma propre chambre avec l’idée de me recoucher. J’étais épuisée. J’y renonçai cependant assez vite. J’avais rendez-vous au complexe du conseil pour suivre une réunion avec les délégués d’Archuleta et les suivre dans leur visite et je me souvenais que je devais me rattraper. Je repensais à ce qui avait été dit la veille. Jamais il n’y aurait de conflits entre les Maÿcentres et Plume pensai-je. J’y veillerais. Ce qu’il fallait juste, c’était faire preuve d’un peu de diplomatie avec eux. Après tout, nous n’avions rien fait de mal. En tout cas, rien d’irréparable.

C’est vrai, Orage avait fait venir les Adarii de Saphir dans le but de se lier avec eux contre les Maÿcentres. Mais, au fond, ils n’en savaient rien. Ils pourraient penser que c’est juste pour renouer des relations diplomatiques. Ainsi qu’avec l’ambassadeur Paya.

Non, personne n’y croirait. D’un autre coté il n’y avait aucune preuve et on ne faisait rien d’illégal.

Et puis, il y avait cette histoire avec Dyasella Lïtïl. J’avais pris quelques renseignements et c’était encore plus grave que ce que j’avais imaginé. Elle faisait partie de la famille dirigeante de la première province de Vengeance. Mais bon, il n’y avait pas de raison qu’elle parle de quoi que ce soit.

De mon coté, je m’en étais pris à la Main, mais ce n’était pas la première fois. Et au fils du président, mais c’était de sa faute. N’empêche que, associé aux autres choses, ça commençait à faire beaucoup. D’un autre coté, on ne pouvait pas associer les frasques d’Orage aux miennes. Je n’avais rien à voir avec ses histoires. Mais je ne me faisais pas d’illusion, le président se contenterait de tout cumuler sans plus se demander qui a fait quoi.

Et puis, il y avait cette histoire de retour sur les Maÿcentres où on avait tenté de doubler le président pour rester uniquement avec les Terriens. C’était l’idée de Glace qui craignait de les laisser trois jours en tête à tête avec Eysky mais ça m’était retombé dessus.

Bon, je ferais mes excuses à la Main. Je soupirai de dégoût à cette idée. En plus, je n’étais même pas certaine que ce soit suffisant.

Il faudrait aussi que j’arrive à convaincre Tempête de se calmer. Je ne suis pas sûre que le président ait bien pris ses menaces à peine déguisées lors du dîner à la villa. Elle n’arrêtait pas de le narguer.

Je me rendis compte que j’allais être en retard.

Le président ne m’en voudrait pas. Il semblait prendre plaisir à s’entretenir avec les Terriens derrière notre dos. Cette dernière pensée me motiva. Je ramassai ma robe dans un coin du salon, soudain prise par quelques remords à l’idée qu’Orage ait pu avoir si facilement ce qu’il voulait. Et que je voulais aussi pensai-je avant de rejeter cette idée.

Je me préparai rapidement. Je n’avais pas le temps de demander qu’on me monte quelque chose à manger, aussi, je pris rapidement un morceau de pain des mains de Fleur dans la cuisine, passai ma cape de cuir sur mes épaules et rabattis le capuchon avant de sortir assaillie par le froid et la nuit.

Malgré tous ces efforts, j’arrivais en retard. Tout en traversant la salle pour prendre ma place au coté d’un président fulminant de rage, je pris sur moi de faire un gros effort et m’excusai de mon retard devant tout le monde. Les mots avaient du mal à passer et j’avais l’impression de les extirper de force. Le président ne répondit pas et j’en fus soulagé. Rien d’intéressant ne fut mentionné. La réunion se bornant à un état des lieux ce qui ne m’étonnait pas. Ma seule présence coupait désormais toute envie d’aborder des sujets risqués. Les conseillers sortirent les uns après les autres tandis que le soleil se levait à peine. Seul restait le président, les délégués de la Terre, le conseiller Umya qui les accompagnait et moi-même, quand la Main entra comme à son habitude après chaque réunion. Je sentis que le président s’apprêtait à dire quelque chose et je le devançais.

« La Main, je suis désolée de ce que je t’ai fait subir » dis-je trop vite.

Le président et la Main se regardèrent interloqués. Je sentis à quel point l’un et l’autre se méfiaient mais la présence des Terriens les empêchait d’en dire plus. J’avais bien choisi mon moment pour une fois.

« C’est Dya » me dit-elle « et vous pouvez utiliser un ton un peu plus respectueux. »

Je me sentis rougir de rage. « Dya » repris-je pourtant « je suis désolée pour ce que je vous ai fait subir » répétai-je.

« Bien » dit le président profitant de la situation.

« Conseiller Umya, voulez-vous m’attendre dehors avec nos invités, nous vous rejoignons de suite et faites entrer Luico »

Le président les suivit des yeux pendant qu’ils sortaient. Le conseiller Umya bouillait d’excitation et de curiosité et je fus soulagée de le voir partir. Pendant une interminable minute, le silence fut intenable puis Luico entra. Le président ne lui adressa pas un regard.

Je me contentais de fixer le sol dans une attitude de déférence extrême. Comme si ça ne suffisait pas, Eysky prit mon capuchon du bout des doigts et me le rabattit sur la tête.

« Vous vous rendez compte que vous l’avez frappée.

- En fait, techniquement, c’est elle qui s’est frappée toute seule.

- Ne jouez pas sur les mots, vous avez fait acte de violence. Causer une douleur physique est une infamie, c’est barbare, c’est…

- Attendez, je ne lui ai pas fait de mal.

- Si ». La voix de crécelle sur les son i, c’était atroce. Et quand elle mentait, c’était pire.

- La Main. » Je soupirai et me repris « Dya, vous ne me ferez pas croire qu’avec toutes les connaissances que vous engrangez sur nous telle une petite fouine, vous ne savez même pas que nous ne sommes pas capable de faire du mal à quelqu’un de cette façon. Le corps ne se soumet pas aux actions qui risqueraient de lui causer une souffrance.

- C’est vrai ? » Dit Eysky subitement intéressé.

- Bien sur que c’est vrai.

- Dya » reprit le président « Pluie t’a-t-elle fait mal ? »

- Peut-être pas au sens où nous l’entendons, mais l’humiliation est douloureuse »

Je constatai avec plaisir que le président était vexé de s’être fait abuser par les pleurnicheries de la Main. Après tout, elle ne s’en tirerait peut-être pas si facilement. Cependant, moi non plus.

« Vous ferez aussi les mêmes efforts avec mes conseillers ? »

J’inspirai profondément « oui Syhy Président » dis-je sans desserrer les dents.

« Et vous ferez des excuses à mon fils ?

- Ha non, il ne faut tout de même pas exagérer. C’était à lui d’obéir. S’il imagine que son impertinence va impressionner sa fiancée… »

Je m’arrêtais soudain et me mordis la langue

« Bien dit le président. Si vous aviez accepté cela aussi, j’aurais été intimement convaincu que vous nous prépariez un autre mauvais coup. Je suppose cependant que vous vous êtes rendue compte à quel point je suis proche de l’idée de vous renvoyer, tous autant que vous êtes et.. »

Je le coupai. « Vous n’ignorez pas que nous sommes les plus aptes à assurer votre sécurité ».

Ce n’était pas la chose à dire.

« Taisez-vous, Adarii, tous autour de moi pensent que le plus grand danger ici, c’est vous. Moi seul, suis encore prêt à vous faire confiance, et uniquement parce que je me souviens que c’est vous qui m’avez sauvé la vie et peut-être aussi par égard pour votre père. Mais, décevez-moi encore une fois et vous ne mettrez plus jamais les pieds ici. Alors, à partir de maintenant, vous allez tous faire des efforts. D’abord pour arriver à l’heure et ensuite pour vous tenir correctement. Vous avez encore scandalisé toute l’assemblée par vos comportements insupportables à la réception d’hier »

Je pensais qu’il allait me parler de Saphir, mais pas de notre attitude qui, pour une fois, avait été très correcte. C’était simple, je n’avais pas dit un mot.

« Je ne veux plus voir l’Adarii Maniya envoûter mes invités et surtout pas ensorceler mon fils par ses techniques de séduction pernicieuses. En fait, je ne veux plus la voir ni entendre la moindre remarque à son sujet.

Je ne veux plus voir Orage vous embrasser ni même vous toucher. Ni vous, ni l’Adarii Maniya, et encore moins l’une après l’autre au milieu des réceptions officielles. »

Je fixais le petit bout de sol que me laissait entrevoir ma capuche. Malgré cela, j’avais l’impression de voir comme avec mes yeux le sourire de satisfaction pervers de la Main tandis qu’Eysky brillait d’une aura de fierté malsaine en énumérant des broutilles. Les phrases d’Orage me revinrent en mémoire. « Tu les méprises Pluie, encore plus que moi ». Je chassai cette pensée mais je la savais gravée à tout jamais dans mon esprit.

Pourtant, je me contentai d’acquiescer à toutes ses demandes, même si, pour la plupart, elles ne me concernaient pas. De toute façon, je n’avais pas vraiment le choix. A ma plus grande surprise, après une énumération interminable de peccadilles, il arrêta son discours afin, selon ses dire, de profiter des quelques heures de clarté pour faire visiter aux Terriens les « merveilles des Maÿcentres ».

Je n’en revenais pas qu’il n’ait même pas eu la moindre allusion à Saphir obnubilé par ses petites règles de bienséances protocolaires.

Je fus étonnée aussi de constater que les Terriens paraissaient sincèrement impressionnés par les insignifiantes Maÿcentres et je supposais que ce devait être plus par l’attrait de la nouveauté que par les réelles beautés du site.

Le président les emmena ensuite manger dans cette espèce de grotte dans laquelle j’avais passé la première soirée de sortie sur les Maÿcentres. Je me souvenais que, dans un sens, moi aussi, j’avais été impressionnée à l’époque.

Comble du déshonneur, le président me demanda d’aller manger avec Luico. Je serrai les poings et obéis.

« Je peux vous appeler Pluie ? » demanda Luico vers le milieu du repas.

- Non » me contentai-je de répondre sans lever la tête. Il n’allait pas s’y mettre aussi lui.

- Je suis rassuré. Votre attitude de soumission soudaine me parait encore bien pire que tout ce que vous avez pu inventer jusqu’ici. Il paraît que sur Terre, on dit le calme avant la Tempête.

- On dit aussi après la pluie le beau temps. Je sais oui.

- Vous resterez toujours la Pluie, l’Orage et la Tempête. Trois calamités. »

Luico savait qu’il pouvait se permettre de parler avec moi bien plus ouvertement que je ne l’acceptais de quiconque. J’oubliais ses effronteries, reposée par son masque impassible d’où ne transpirait jamais le moindre sentiment désagréable. Comme il disait, il avait de bons rapports avec nous parce qu’il reposait notre empathie. Ce n’était pas faux au fond.

La plupart des gardes du complexe avaient de lointaines origines du deuxième satellite de Vengeance. Leur corpulence impressionnante était un atout pour ce genre de poste mais peu avait été élevé là-bas, car en général, ces gens-là méprisaient les Maÿcentres presque autant que moi.

« Enlevez-moi ça Adarii » dit-il en faisant glisser l’écharpe de soie qui avait remplacé mon manteau. « En ce qui me concerne, vous me faites plus peur quand vous vous cachez là-dessous. Je ne sais pas si vous m’écoutez ou si vous êtes en train de comploter avec vos amis. »

Je levai les yeux vers l’énorme masse de Luico.

« Tu penses sérieusement qu’on mijote quelque chose ?

- Je n’aurais pas l’audace de vous poser la question. »

Il laissa un instant fuser une pointe de curiosité parfaitement maîtrisée.

Pendant quelques minutes, je fis semblant de ne pas l’avoir remarqué mais j’avais déjà suffisamment de monde contre moi pour en rajouter. « Vas-y Luico, pose là ta question.

- Impressionnant » dit-il comme à chaque fois que nous avions ce genre d’échange. « Je me demandais pourquoi vous en vouliez tellement à Dya ?

- Tu te le demandais où tu avais déjà élaboré une hypothèse de réponse ?

- D’accord, je reformule. Je me demandais, si vous en vouliez à Dya parce qu’elle ne vous aime pas ? »

Je tapai mon bol sur la table plus que je ne le reposai. « Tu plaisantes. Ce n’est pas qu’elle ne m’aime pas. Elle me déteste, elle ne me supporte pas, elle me hait. »

Je diminuai d’un ton sentant les reproches muets du président venant de la table à coté. « Je la dégoûte. Dès qu’elle me voit, elle a envie de vomir. Et cela dès le premier jour où elle m’a vue.

- Je ne veux pas vous faire de peine, mais elle n’est pas la seule dans le cas.

- C’est ça, tu n’as qu’à remuer le couteau dans la plaie.

- Je comprends.

- Qu’est-ce que tu comprends Luico ?

- Je comprends pourquoi les Adarii ont un tel mépris pour les Maÿcentres. Il y a de quoi devenir fou à force de ressentir ce genre de chose. »

Il m’avait pris de court. Je ne savais comment lui expliquer que c’était bien plus complexe que ça. Je secouai la tête. Si, c’était tout à fait ça en fait. Comment pouvait-on supporter des gens qui passaient leur temps à vous mépriser ?

« Le président vous appelle Adarii. »

Je me retournai vers la table à coté. Qu’est-ce qu’il me voulait encore ?

« Venez nous rejoindre Pluie. »

Je jetai un dernier regard à Luico qui me tendit mon écharpe. Après réflexion, je serais bien restée à sa table.

« Vous m’avez demandé Syhy président Eysky » dis-je d’un ton dégoulinant de mièvrerie.

« Oui, nous parlions de vous, enfin de vos semblables, et bien sur, je n’imaginais pas parler de ce genre de choses derrière votre dos. »

Je fronçai les sourcils. Méfiance pensai-je quand il mentait avec tant d’assurance, ça ne présageait rien de bon.

« Je disais que nous avions déjà établi quelques relations commerciales très profitables avec Saphir et que nous regrettions que Plume ne nous laisse pas en faire autant. »

Je bondis telle une furie sans réfléchir. « Vous êtes en train de détruire Saphir et en plus, vous vous en vantez !? »

Quelques pointes d’étonnement fusèrent des Terriens. Evidemment, ils n’allaient pas se laisser berner par une absurdité pareille. « Cette jeune fille n’a pas l’air d’être aussi enthousiaste que vous. Pourriez-vous nous donner votre avis Adarii ?

- Ils se sont imposés de façon pernicieuse sur Saphir sous le couvert de soi-disant échanges commerciaux. Ils détruisent tout le système en place et pervertissent le peuple.

- Ce n’est pas tout à fait ce que vous m’aviez dit président »

Et voila. J’avais démoli tous les espoirs du président pour s’approprier la confiance de la Terre. Ca risquait de m’en coûter mais j’en étais très fière. Si fière que je ne remarquais même pas à ce moment-là à quel point le président était ravi alors que mon comportement aurait dû le mettre au comble du désespoir.

« Ca dépends pour qui » Le sourire du président et son air beaucoup trop assuré me firent soudain froid dans le dos, mais c’était un peu tard.

« Disons que, d’un coté, elle n’a pas tout à fait tort. Il se trouve que pas mal de gens se sont enrichis mais, comme vous l’avez sans doute compris, Plume et Saphir sont soumises à un régime dictatorial.

- Pas du tout » m’indignai-je. Qu’est-ce qu’il racontait encore comme absurdité ?

« Un pouvoir absolu et sans aucun contrôle par le peuple, vous appelez ça comment ? » reprit-il tranquillement.

« Ca n’a rien à voir. »

Gentry tentant de calmer les choses proposa plutôt de comparer notre régime à une monarchie, ce qui n’arrangea pas mon humeur.

« Monarchie absolu alors selon votre définition, vu que le peuple n’a aucun droit de décision » précisa le président.

« Bref, nous ne sommes pas là pour jouer sur les mots. » Continua-t-il avant même que je puisse répliquer « Le résultat, c’est que, maintenant que sur Saphir le peuple connaît autre chose, il a, disons, plus de réticence à aduler leurs dirigeants comme il convient là-bas. Mais bien sur, ce genre de problème ne concerne pas la Terre qui, tout comme nous prône le pouvoir démocratique. N’est-ce pas ? »

J’allais me faire avoir, il fallait que je reprenne la situation en main et vite. Le président se servait des idéologies Terriennes pour raconter n’importe quoi « Vous ne savez rien de ce qu’il se passe sur Plume, nous avons un des régimes les plus efficaces qui soit, et personne ne s’en plaint.

- Comment le saurait-on ? Nous n’avons pas le droit d’y aller ?

Voyez-vous, messieurs, l’important dans un empire tel que le nôtre, c’est de respecter le plus possible les coutumes de chacun, même si nous ne les approuvons pas toujours. Ainsi, nous tolérons leurs mœurs polygamiques, disons, originales, et nous sommes bien obligés d’accepter qu’ils utilisent des domestiques qui n’ont droit à aucun salaire.

- Nos domestiques ont droit à bien plus de choses que la plupart de vos employés.

- Mais rien à eux. Il faut dire que le peuple tout entier de Plume ne possède rien. Ni le sol qu’il cultive, ni les objets qu’ils fabriquent, ni les habitations dans lequel ils vivent. Je pense que c’est surtout ça qui fait rêver les habitants de Saphir. L’idée de pouvoir posséder quelque chose. Avoir un bien à eux. Pour nous, ça parait la moindre des choses, mais eux, ils n’ont droit qu’à ce que les Adarii daignent leur laisser. Et encore, ils peuvent tout reprendre suivant leur bon vouloir vu que la planète entière et tout ce qu’elle contient leur appartient.

Au fait Pluie, Au niveau du peuple de Plume, est-ce que leurs enfants leur appartiennent ? »

J’allais répliquer mais je sentis le piège arriver. A chaque mot que je disais, je m’enfonçais un peu plus. Il était en train de me manipuler. Moi toute seule, je détruisais toute considération des Terriens envers notre peuple. Il n’était plus temps de parler sans réfléchir mais je ne savais plus quoi dire « Rien n’est à nous nous plus.

- C’est vrai, tout est au territoire. Les personnes n’ont que la jouissance des biens. Dans l’ordre hiérarchique c’est bien cela ?

Et c’est vrai qu’à ce niveau, vu que les Adarii ont la priorité pour s’approprier ce qu’ils désirent, ça ne leur coûte rien de s’approprier aussi certaines jolies choses pour leurs domestiques. Etre domestique dans une maison Adarii est un des statuts les plus élevé pour le peuple de Plume.

- On ne s’approprie pas…

- Oui, je sais, la propriété privée n’existe pas, n’empêche que le résultat est le même.

Ha, c’est une culture intéressante, je n’aimerais pas y vivre mais c’est intéressant. »

Je ne m’en sortirais jamais, Orage, lui, saurait quoi dire. Oui c’est ça, demander à Orage. Non, Glace, c’est lui qui s’occupe de la Terre. Non, il allait m’en vouloir, Orage plutôt. J’étais tellement perdue que de toute façon, je n’arrivais plus à trouver personne. Je sentis quelqu’un m’effleurer l’épaule rapidement. De ce contact, je ressentis un plaisir malsain, une joie sadique, la fierté de quelqu’un en train de vaincre. Je me tournais vers le président qui avait déjà retiré sa main. « Rester avec nous Adarii, vous n’allez pas nous faire l’affront de préférer discuter avec un de vos amis ou un de vos petits amis plutôt qu’avec votre président et ses invités ?

- Vous n’êtes pas mon président.

- Je suis désolé » dit-il pas le moins du monde gêné par son mensonge flagrant. « C’est ce que je vous disais » dit-il en se tournant vers le général. « La difficulté de gérer les différences culturelles, nous commettons très vite des impairs sans le faire exprès. Voyez-vous, pour les Adarii, il est impensable d’avoir une autorité qui ne soit pas de leur race. Enfin si on peut s’exprimer ainsi.

C’est bien cela ? » Insista-t-il

Non, là je ne dirais plus rien, j’allais encore m’enfoncer.

« Ceux qui ne possèdent pas leurs talents bizarres comme nous, ou comme vous sont considérés comme inférieurs.

S’en était trop. Ils ne devaient pas entendre ça « N’écoutez pas »

Je sentis mon ordre fuser tout autour de moi. J’avais réussi à imposer ma volonté sur les deux Terriens à la fois. Ni Tempête ni Sentiment n’y arrivaient. Je me féliciterais de ce genre de chose une autre fois, je ne tiendrais pas longtemps. Bien sur, le président avait pris soin d’éviter mon regard entraîné par des années de paranoïa.

« Vous êtes en train de nous démolir » lui dis-je.

« Vous êtes en train de comploter contre nous avec le deuxième satellite et Saphir. Vous choisissez vos alliés, je choisis les miens. Mais, continuez ainsi, une fois qu’ils se seront rendus compte de l’étendue de vos capacités,… »

« Vous disiez ? » Je n’avais pas fait exprès de les lâcher mais, c’était trop difficile de les garder ainsi. Ils s’étaient libérés d’eux-mêmes.

Le président se tut instantanément et en une fraction de seconde, retrouva son sourire courtois.

« Je disais, que le soleil n’allait pas tardé à se coucher. Si nous nous dépêchons, nous devrions pouvoir assister à ce spectacle passionnant du haut de l’esplanade.

***

Des journées si courtes et si riches en problèmes, c’était inconcevable. J’ouvris la porte et croisai Paya qui s’apprêtait à partir. Je m’effaçai pour le laisser passer ainsi que sa sculpturale compagne et ignora ses regards de pervers concupiscents qui parait-il était une marque de flatterie dans leur culture.

Je me penchai au dessus de l'épaule de Sentiment afin de mieux voir les documents qu'elle était en train de lire dans la bibliothèque. « Sur quoi travailles-tu » lui demandai-je ?

« En quoi ça te regarde microbe ? Ne me demande pas ce que je fais et je ne te demanderais pas chez qui tu as passé la nuit. »

Ca faisait bien longtemps que je ne me vexais plus de la façon de parler de Sentiment. Elle était plus froide qu'un iceberg. Je ne m’étonnais pas qu’elle sache déjà que j’avais passé la nuit avec Orage, il n’y avait pas moyen d’avoir la moindre intimité dans cette maison. Je savais aussi qu’elle désapprouvait, elle m’avait déjà fait la morale quand elle avait appris qu’on était lié tous les deux en me disant qu’il allait m’entraîner dans ces idées malsaines.

« C'est la marque de Taegaïan qui est au bas de ce document » lui fis-je remarquer.

Elle replia soigneusement les feuillets et s'étira. « En effet, ça te concerne. » Elle eut un léger frisson et se rapprocha du feu. Le froid était arrivé en même temps que la nuit. Pourtant, il devait être encore tôt. Et dire que je me plaignais, il y a quelques mois, d'avoir des journées qui n'en finissaient pas ! Maintenant, j'avais l'impression que, quand il faisait jour, j'avais à peine le temps de prendre mon manteau qu'il faisait déjà nuit.

« Ca fait partie des recherches de ton père » m'expliqua Sentiment. « J'ai retrouvé dans la bibliothèque des dossiers sur certaines recherches des Maÿcentres. Le genre d’étude qu'il a intercepté et fait disparaître avant que les résultats ne parviennent à trop de monde.

- Recherches portant sur quoi ?

- Des travaux de génétiques afin de savoir si les Adarii et les Humains pouvaient être considérés comme étant de la même race. »

Je fronçai les sourcils. La veille, j’aurais encore affirmé envers et contre tout à quel point il était impensable d’imaginer que nous puissions être issus de deux races différentes même si je ne pouvais m’empêcher de faire la distinction. D’un autre coté, c’était plaisant d’imaginer ne pas avoir des bases génétiques communes avec la Main ou Ryun même si je n'imaginais pas que, scientifiquement, on puisse réellement faire une distinction.

Sentiment parut réfléchir quand je lui en fis la remarque ou peut-être se contentait-elle de se laisser bercer par le mouvement des flammes.

Aiguille entra en portant un plateau de thé.

« Ce n’est pas trop tôt » lui dit Sentiment « j'ai l'impression de t'avoir demandé cela il y a au moins vingt minutes.

- Désolé Adarii. J'ai été retardé. Eïskï fils demande l'autorisation d'entrer. »

Sentiment se tourna vers moi comme si c'était de ma faute.

« Quoi ? Ne me regarde pas ainsi, je n'y suis pour rien.

Aiguille, dis-lui que je n'ai pas envie de le recevoir.

- Tu as tenté de lui dire qu'à tes yeux il était encore moins qu'un animal ?

- Quelle délicatesse Sentiment !

Mais, si ça peut te rassurer, il veut toujours me passer sur le corps mais plus du tout de la façon dont tu l’imagines et cela depuis un certain temps déjà. »

Une fragrance de curiosité glacée transpira de l’armure impassible de Sentiment. « Que lui as-tu fait ?

- Vous savez qu'il neige dehors ? »

Tempête venait de rentrer dans la bibliothèque « J'ai croisé Ryun qui traversait le jardin. Il a l’air furieux. Ce n’est pas bien de faire du mal aux gens ainsi Pluie. Il me fait pitié.

- N'importe quelle bestiole te fait pitié mais ça ne dure jamais bien longtemps » dit Sentiment

« Qu'en sais-tu ? Tu ne sais même pas ce que ce mot signifie »

Tout d’un coup, je jetais un œil nouveau sur Tempête.

Son manteau de fourrure ouvert laissait paraître, comme à son habitude, ses longues jambes galbées. Aiguille arriva à ce moment et elle le laissa glisser pour le lui remettre révélant sa mini robe de cuir noir dont le laçage pas assez serré dévoilait un décolleté paraissant insensible au froid. De fins maquillages argentés formaient des entrelacs, comme des guirlandes de fleurs, sur ses jambes nues au dessus de ses bottes de satins, noires également. Son épaisse chevelure bouclée tombait librement sur ses épaules jusqu’au milieu du dos tandis qu’elle se baissait pour ôter ses bottes couvertes de neige en faisant sonner une multitude de bracelets d’argents.

Non, ce n’était pas le genre de fille à avoir pitié de quoi que ce soit. Elle se retourna soudain vers moi et me sourit d’une façon que je ne lui connaissais pas. Qu’avait-elle surpris de mes pensées ?

Sentiment ne daigna même par répondre à Tempête. « Qu’as-tu fais au Syhy Eïskï ? ». La façon cérémonieuse qu’elle avait utilisé dénotait bien à quel point elle désapprouverait mon intervention quelque soit sa teneur.

Je ne répondis pas. Si je ne devais pas me montrer curieuse, il n’y avait pas de raison que je réponde aux questions des autres. Surtout quand il s’agissait de Sentiment. Je repris sur le sujet qui m’intéressait : « J'aimerais finir la conversation aux sujets de ses recherches. »

Sentiment me jeta un regard noir mais n’insista pas. Après tout, elle n’avait pas envie d’en savoir d’avantage.

Tempête s'approcha des documents. « Ha ceux-là, si tu veux mon avis, ça ne va pas plaire à Pluie.

De toute façon, je vous laisse. Orage m'attend en haut.

- Regarde-là se précipiter au moindre appel d'Orage. Elle est désespérante.

- Qu'est-ce qui ne va pas me plaire ?

- D'après ses recherches, il y aurait des incompatibilités génétiques entre Adarii et les Autres. En tout cas, suffisamment pour qu'il soit impossible pour les deux parties de se reproduire ensemble.

- Oui, hé bien là, je pense qu'ils s'avancent un peu, sinon je ne serais pas là.

- Espoir soupçonnait certains Terriens d'avoir les caractères génétiques spécifiques des Adarii. C'était pour travailler là-dessus qu'il était revenu sur Terre. Je pense que ta mère devait être ce genre de spécimen et que pour vérifier jusqu'où pouvait aller la similitude génétique, il lui a fait un enfant.

Je ne sais pas pourquoi, cette idée ne me plaisait pas. Sans doute parce que j'aurais bien aimé être prévenue. Quoique, j'avais toujours su que j'étais le résultat d'une expérience. j'imaginais mal que mon père n’ait jamais pu avoir plus de sentiment pour ma mère qu’Orage en avait pour Dyasella.

- Il n'aurait pas fait des analyses sur ma mère pour vérifier ça ? »

Sentiment secoua la tête « pas trouvé » me dit-elle. Mais le seul fait que tu sois là prouve en soi qu'Emma était génétiquement plus proche de nous que les hommes que l’on trouve ici. »

En tout cas, ce n'était pas flagrant. Ma mère était aussi pénible que n'importe quelle Autre. Plus même. A ce sujet, j’avais omis de l’appeler avant mon départ. J’aurais peut-être dû.

« Et de plus, tu n'as aucune caractéristique commune avec eux. Tu es exactement comme nous, enfin, génétiquement » Continua-t-elle.

« Qu'en sais-tu ? Il faudrait faire des analyses pour vérifier.

- Déjà fait. Tu te souviens quand Orage t'a piqué avec ce petit instrument bizarre le mois dernier. C'était pour avoir un échantillon de sang.

- Et vous ne pouviez pas demander tout simplement ?

- Pourquoi, tu nous aurais dit non ?

- Bien sur que non, j'aurais accepté.

- Alors quelle différence ?

- J'aurais voulu le savoir c'est tout.

- Hé bien, tu le sais maintenant. »

Quand on partait dans ce genre de discussion, il était impossible d'avoir la moindre information pertinente. Je préférais me lever et monter avant de me fâcher contre Sentiment. J’avais eu ma dose dans la catégorie journée infernale. Entre les excuses à la Main, le président qui en profitait pour raconter n’importe quoi, les réunions sans intérêt pour finir par me retrouver telle le rat de laboratoire de Sentiment. Je n’en pouvais plus.

Je retrouvai Tempête complètement affalée sur le tapis entre les bras d’Orage « Pluie, je disais justement à Orage que…

- Je m’en fiche. Je suppose que ça vous aurait fait du mal de me parler des recherches de Sentiment ?

- Désolé » dit Tempête « je ne voulais pas t’embêter avec ce genre de détails.

- C'est ça oui » J’attrapai un peignoir dans ma chambre et m’apprêtai à descendre aux thermes. Je dis en passant à Tempête que le président lui faisait dire qu’il ne voulait plus entendre parler de la moindre conduite inconvenante à son sujet.

Elle sourit d’un air franchement vicieux « inconvenant comme ça » dit-elle en embrassant Orage.

« Ca et tout le reste. En particulier cette habitude que tu as de séduire n’importe qui » dis-je en claquant la porte derrière moi avant de descendre aux thermes. Je me dévêtis et plongeai dans la piscine en espérant que le contact de l’eau fraîche calme un peu mon humeur. Les panneaux solaires n’étaient pas suffisants pour chauffer une telle masse d’eau en permanence et, même si la salle était chaude, je ne tardais pas à grelotter. Je sortis de l’eau et enfilai mon peignoir. Je m’apprêtai à remonter, mais fis volte face. Je ne voulais pas risquer de croiser Sentiment. Je ne sais pourquoi, ce qu’elle m’avait dit m’avait fait mal. Je savais bien que je n’étais que le résultat d’une expérience mais je ne voulais pas pour autant que Sentiment mette son nez là-dedans. Elle me dénigrait déjà suffisamment. Pour la première fois, je me demandais ce que mon père avait éprouvé pour ma mère ? Avait-il seulement ressenti quelque chose ? S’était-il moqué de son ignorance, ou avait-il eu pitié d’elle ? Et si mon sang ne s’était pas révélé Adarii, mon père m’aurait-il rejeté ? Sans aucun doute. Il m’aurait renvoyé sur Terre avec ma mère et ne se serait plus jamais préoccupé de moi. Peut-être qu’au fond ça n’aurait pas été si terrible. Au moins, personne n’aurait peur de moi. J’aurais pu trouver un vrai travail, quelque chose que les gens apprécieraient et personne ne me regarderait comme si j’étais un monstre. J’aurais pu me faire des amis. Des vrais, qui ne passent pas leur temps à comploter derrière mon dos et qui ne surprennent pas mes pensées dès que j’ai le malheur de me laisser un peu aller.

Orage était rentré dans la pièce. Pour une fois, il n’avait pas fait de bruit. Je me blottis, assise dans un coin sombre, et ramenai mes jambes vers moi tentant de disparaître dans le mur mais il ne pourrait ignorer ma présence comme je ne pouvais ignorer la sienne. Il avança droit vers moi et me prit la main. « Tu vas mourir de froid à rester ainsi sur le carrelage ». Je me laissais conduire jusqu’au salon. Je n’en avais pas envie mais n’osais pas refuser. Si j’avais ouvert la bouche pour dire quoi que ce soit, j’aurais fondu en larme. Toute mon énergie était concentrée dans le seul but de garder un semblant de dignité. Orage avait fait monter du chocolat chaud et l’odeur sucrée embaumait la pièce se mélangeant aux effluves du feu parfumé à la balsamine. J’avais une grosse boule dans la gorge qui ne m’aurait jamais permis de boire et je rejetai de la main le bol qu’il me tendait. Je me sentais horriblement seule et, d’un autre coté, je ne voulais voir personne. Je me rappelais, quand j’étais petite, afin de ne jamais être seule, je m’étais inventé un ami imaginaire qui me rejoignait la nuit durant mes rêves. Je souris à cette pensée, je n’en avais même pas besoin, j’avais déjà la présence rassurante de mon père à mes cotés. Et Glace aussi. A cette époque, il ne passait pas son temps à jouer les grands frères autoritaires. Maintenant, je n’avais plus rien.

Je sentis un goût salé qui s’immisçait dans ma bouche et une humidité bien trop grande au niveau des yeux. Je pris une grande inspiration et refoulai mes larmes et mes émotions.

Après quelques profondes inspirations, je commençais à reprendre le contrôle de moi.

« Orage ? » Il n’était pas dans mon champ de vision. Pourtant, je le devinais debout devant la baie vitrée, perdu dans la contemplation de la nuit.

« Qu’est-ce que tu veux Pluie ? »

Qu’est-ce que je voulais ? Il en avait de ses questions lui. Je n’en avais pas la moindre idée.

Si, bien sur que je le savais. D’un coup, j’eus l’impression de me libérer d’un poids énorme. C’était Sentiment qui m’avait donné la réponse. J’avais été vexée. Du coup, je n’avais pas mesuré l’importance de ses paroles. Les Adarii ne seraient jamais semblables aux Autres et, si je pouvais pester sur le fait qu’elle analyse mon sang sans prendre la peine de me demander mon avis ou qu’elle me traite d’hybride, les résultats parlaient d’eux-mêmes. J’étais Adarii. Pour la première fois, je savais réellement qui j’étais et ce que j’étais.

« Embrasse-moi » Dis-je à Orage sur un ton impératif.

J’entendis Orage s’étrangler. Il devait être en train de boire. En effet, il s’avança vers moi d’un pas rapide et posa son bol sur la table basse. Il ne s’attendait pas à cela. Il me regarda, parut hésiter, puis explosa de rire. « Dois-je comprendre qu’aujourd’hui, c’est toi qui tombe à mes pieds ? Ca ne te ressemble pas. »

Je me levai et fis face à lui. Toute tristesse avait disparu. « Aujourd’hui » lui dis-je « je me suis fait humilier par la Main, dégrader par le président Eysky, mépriser par les Terriens, et Ryun a tenté de venir m’achever » Je gardai pour moi la façon dont le président avait subtilement démoli notre culture. Il aurait bien le temps d’apprendre cela plus tard.

« Je ne suis pas sûre d’approuver tes méthodes contre les Maÿcentres, mais je ne les laisserais pas continuer ainsi. Il est temps qu’ils voient qui sont les plus forts. »

Je levai mon visage vers lui cherchant les mots pour le convaincre. Je n’eus que le temps de lui dire : « Je suis avec toi Orage » avant de sentir ses lèvres sur les miennes.


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