samedi 24 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 9

9
"Et ne vaut-il pas mieux quelque orage endurer, Que d'avoir toujours peur de la mer importune ? Par la bonne fortune on se trouve abusé, Par la fortune adverse on devient plus rusé."

[Joachim du Bellay]
Extrait de Les regrets

Intimité :

L’intimité me semble un concept des plus intéressant de part l’ambivalence de ses définitions.

Sur les Maÿcentres, on parle d’intimité pour indiquer ce qui se fait hors du regard des autres ainsi que tout ce qui n’est pas codifié.

C'est-à-dire, peu de chose et beaucoup à la fois. En effet, il y a énormément de choses qui se font uniquement hors du regard des autres. D’ailleurs, la moindre marque d’affection en public est considérée comme un outrage à la décence. Par contre, il y a peu de chose qui ne soit pas codifié.

Sur Terre, On parle d’intimité pour parler de deux choses totalement contradictoires : On évoque ce concept comme un lien étroit entre deux proches, mais aussi pour parler de ce qui existe au fond de soi.

A mon avis, ça n’a plus aucun sens. Cela revient à dire que plus on a d’intimité avec quelqu’un moins on garde d’intimité.

J’ai une grande admiration pour Tempête et Orage qui semblent réussir à concilier les deux, partageant pourtant la plus stricte intimité, tout en maintenant l’autre à l’écart de certaines choses. Même si Tempête a toujours refusé de dormir auprès d’Orage de peur qu’il profite de son sommeil pour lui extirper quelques petits secrets, il est tout de même très rare sur Plume que des amants vivent avec une telle promiscuité pendant si longtemps.

En ce qui me concerne, peut-être mes années sur Terre ont-elles laissé des traces mais, j’ai toujours le sentiment qu’on ne respecte pas mon intimité quand on surprend mes pensées.

Pourtant, sur Plume, l’intimité existe aussi et c’est un concept que l’on se doit de respecter.

Elle est définie comme tout ce qu’on ne veut pas montrer. Ainsi, si je me laisse aller à garder mon esprit ouvert à ceux qui me sont liés, c’est que mes pensées ne sont pas considérées comme intimes.

Par contre, poser trop de questions aux autres est un affront à leur intimité puisque il s’agit de chercher à savoir quelque chose qui n’est pas dit ni montré. C’est pourquoi, il est particulièrement incorrect de poser des questions à ses supérieurs. Et c’est pourquoi aussi, nous avons du mal à supporter les questionnements incessants et inutiles sur les Maÿcentres. Théoriquement, seul Eysky devrait avoir le droit de nous poser des questions mais il a tendance à en abuser, ce qui est loin d’être correct.

Moi-même, je juge parfois mes amis incorrects parce qu’ils surveillent mes pensées, mais ils me jugent bien pire, car il est vrai que j’ai une sale manie consistant à vouloir en savoir toujours plus. Pourtant, je fais de gros efforts pour calmer ma curiosité.

La seule entorse à cette règle est l’invitation officielle. Inviter quelqu’un, c’est lui proposer de partager un moment d’intimité dans lequel il aura le droit de poser toutes les questions qu’il désire.

Cependant, refuser d’y répondre, ne doit nullement être considéré comme un affront.

Je posai mon crayon et baillai. J’allais être en retard.

Depuis plusieurs mois, le conseil s'était mis d'accord sur l'utilité d'inviter une délégation d’Archuleta. Vu la crainte nouvelle que leur inspirait la Terre, ils avaient, durant des semaines, discutés de la sécurité relevant d'une telle entreprise et maintenant, ils se prélassaient dans l'étude de l'organisation sur place afin de cacher la misère des Maÿcentres et de mettre en avant ses merveilles devant les hommes de la Terre. « Qu'ils voient de leur yeux les prodiges dont nous sommes capables. La beauté de notre monde.

- La visite va être vite faites. » Grommelai-je pendant l’une de ses interminables réunions.

Le conseiller se tourna vers moi mécontent d'être interrompus dans ses rêves de grandeurs et de puissances mais n’osa pas faire le moindre commentaire.

Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais parlé si fort et lui fis signe de reprendre tandis que je m'enfonçais d'avantage dans mon fauteuil au coté du président Eysky.

Je jetai un coup d’œil au grand miroir recouvrant le mur du bureau tentant vainement d'apercevoir Luico derrière la vitre sans tain. Ceux qui se trouvaient là-derrière devaient bien s'amuser.

La porte du bureau s'ouvrit à la volée. Je m'attendais à voir entrer Orage car c'était le genre d'entrée fracassante qui le caractérisait mais ce fut Ryun Eïskï qui apparut.

Le président congédia l'ennuyeux conseiller qui en profita pour lancer avant de sortir, une remarque acerbe comme quoi, eux au moins, étaient fiers de faire découvrir leur monde, ce qui n’était pas le cas de tous ici.

« Ryun, qui t'a permis d'entrer ainsi » demanda son père.

« Je suis désolé » répondit-il joyeux.

« Il ne l'est pas » soufflai-je au président.

« Adarii, je vous dispense de vos petites “traductions” quand il s'agit de mon fils.

- Comme il vous plaira ». Fais ceci, fais cela, ne le fais plus. Je m'inventais mentalement un petit air sur ce refrain.

« Pluie, vous pouvez disposer. » Je me levai mais Ryun me fit signe de rester.

« L’Adarii Taegaïan ne me trouble pas père » dit-il fièrement comme s’il s’agissait un exploit. En fait, je venais vous demander l'autorisation de visiter le jardin des plantes. Depuis mon arrivé ici on n'a de cesse de me vanter les mérites de ce jardin.

« Trop dangereux Ryun, tu n'iras pas dans les basses villes. »

Au moins, je n'étais pas la seule à être cloisonnée dans une prison dorée.

« Je sais tout cela père. C'est pourquoi je voulais vous demander si l'Adarii Pluie Taegaïan pouvait m'accompagner ».

Le président allait refuser mais se retint à la dernière seconde. Il réfléchit un moment et s’installa plus confortablement dans son fauteuil avant de répondre en souriant, de se sourire qu’il utilisait avant un mauvais coup : « mais demande-lui donc mon fils. »

Vu son air, il manigançait quelque chose mais je n'allais pas me priver de l'occasion d'une ballade pour quelques soupçons.

« Je jouerais au chaperon pour votre fils. Moi aussi, j'aimerais voir ce jardin.

- Parfait, tu prendras Luico aussi, maintenant file.

Ryun avait les yeux qui pétillaient. Il ne devait pas espérer une victoire aussi facile.

« C'est un grand honneur pour moi que vous acceptiez de veiller à ma sécurité Adarii » dit-il en sortant après un salut impeccable.

J’attendis de ne plus sentir sa présence et m’intéressai au président : « Jouons carte sur table : J'ai accepté parce que j'ai bien trop rarement l'habitude de pouvoir descendre. Et vous, pourquoi lui avez-vous donné l'autorisation ?

- Voulez-vous savoir pourquoi j’ai amené mon fils ici ?

- Si vous me dites ça, je suppose que la réponse n’est pas : Pour le former.

- Pas uniquement non. Je voudrais raffermir mes liens politiques avec la première province-continent de vengeance. Même si mon autorité s’applique théoriquement sur Vengeance, la noblesse a une telle influence que le peuple a tendance à m’oublier et la distance ne fait qu’augmenter les difficultés. »

Je ne voyais pas en quoi le jeune Ryun pouvait y faire quoique ce soit mais le président continuait : « Il se trouve qu’un éminent membre de la famille la plus influente de le première province est unie à un ambassadeur de Vengeance. Tous deux ont une fille particulièrement charmante.

Si j’ai amené mon fils ici, c’est parce que j’ai l’ambition de faire une union entre lui et cette fille : Syhy Dyasella Lïtïl. »

Je me remémorai rapidement les coutumes des Maÿcentres et de Vengeance. Syhy, c’était un titre honorifique. Elle venait d’une famille noble. D’ailleurs, seul ceux issus de la haute noblesse avaient un prénom. Je ne me souvenais plus exactement l’ordre des titre de noblesse mais en général, plus il y avait de Y et de I mieux c’était. Et le Y était mieux que le I. Donc dans l’ordre on devait avoir Sï, pour le tout venant Sy, Syhï, et Syhy.

« Mais, je croyais qu’il n’y avait pas d’union sur les Maÿcentres ? » Les rapports entre les hommes et les femmes sur les Maÿcentres étaient quelques choses qui me dépassaient complètement. D’autant plus que le sujet était difficilement abordable recouvert par une montagne de tabous et de non dit. Il faudrait que je relise leurs coutumes compliquées.

« Il s’unira selon les coutumes de Vengeance » me précisa le président.

De ce que je savais, les coutumes matrimoniales de Vengeance étaient particulièrement strictes. Les jeunes devaient s’unir vierge, habiter ensemble, faire des enfants ensembles. Je ne me rappelais pas tout mais je ne le souhaitais pas à mon pire ennemi, alors à mon enfant ! « Vous iriez imposer une union à votre propre fils ! » m’exclamai-je horrifiée.

Le président s’offusqua sans doute gêné d’être pris en flagrant délit de mesquin complot envers son fils.

« Je fais de prodigieux efforts pour supporter vos rapports bizarres et polygamiques. Alors, je ne vous permets pas en retour de juger les coutumes d’autrui. Ca arrangerait beaucoup ma politique d’ouverture vers Vengeance, par conséquent, ce serait bien qu’il s’intéresse à cette fille. Or, il a tendance à vous admirer un peu trop.

Une fois qu'il se sera fait remettre à sa place comme vous savez si bien faire, j'espère qu’il comprendra qu’aduler des sorciers n’est pas des plus astucieux. »

Je laissai passer ses insultes, bien trop étonnée par ses manigances. « Vous voulez dire que vous me donner l'autorisation de le remettre à sa place ?

- Ce serait si bien si vous me demandiez l'autorisation pour ce genre de chose.

- Vous ne craignez pas que je trouve votre fils trop aux goûts de nos mœurs bizarres et polygamiques comme vous dites ? »

Le président me regarda un instant d’un air perplexe avant de répondre : « Quand j’avais votre age, je passais mes soirées dans le salon des Taegaïan avec votre père. Ca remonte à plus de trente ans déjà. Nous passions des heures à élaborer des projets pour bâtir un monde meilleur. Espoir était si captivant. Je ne suis pas stupide, je sais que si je suis ici aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui et à ses stratagèmes pas toujours des plus honnêtes. Nous étions amis. De vrais amis, et cela malgré nos divergences de points de vue sur certaines choses. Je sais qu’il s’intéressait beaucoup trop à la Terre. Je ne sais pas pourquoi, et je ne veux pas le savoir. Je sais aussi qu’il invitait certaines jolies filles des Maÿcentres à l’ambassade de Plume que vous appelez villa Adarii. J’avais été assez étonné de voir qu’il n’était pas rare de trouver des jeunes filles attirées par ce genre de perversion aussi, j’ai vite compris ce que mon fils avait derrière la tête. Mais vous, vous n’êtes pas comme votre père. Je vous connais assez pour savoir que vous vous croyez d’une race bien trop supérieure pour tomber si bas. Pour une fois que votre ego démesuré peut me servir à quelque chose, autant en profiter.

Alors, pour une fois, vous allez m’écouter. Il est hors de question que mon fils se pervertisse dans des expériences contre nature. Je pourrais lui interdire de vous voir mais je soupçonne que c’est justement l’interdit qui le pousse vers vous. Alors, qu’il tente sa chance. Il ne vous supportera pas longtemps. Il est loin d’être aussi patient que moi.

- Président Eysky, le premier conseiller Sinshy demande à être reçu.

- Fais-le entrer Dya. » Il se tourna vers moi et me congédia avant que je trouve la moindre réplique à formuler. J’arrivais à la porte au moment où Sinshy s’avançait pour entrer. Je l’obligeai à se reculer pour me laisser passer en le fusillant du regard.

Il ressortit en grommelant quelques mots dans lesquels je reconnus le terme d’Ereshkigal et compris sans peine qu’il invoquait sa déesse des morts pour qu’elle vienne s’occuper de moi et j’attendis qu'il disparaisse dans le bureau et que Dya reparte dans la grande salle en réfléchissant au discours du président. J’aurai sans doute dû être offusquée par ses propos, mais en fait, ils ne m’inspiraient qu’indifférence. Au fond, il avait raison et je n’allais pas faire des histoires parce qu’il avait deviné que son fils n’avait aucun intérêt à mes yeux. Je savais aussi qu’Espoir connaissait Eysky et Tempête m’avait dit qu’ils avaient été amis. Cependant, j’avais du mal à imaginer mon père en jeune de dix-huit ans discutant tranquillement d’égal à égal avec un Eysky jeune. C’était tellement insolite. Au fond, Eysky avait raison, ce n’était pas loin d’être de la perversion. J’étais le résultat d’une perversion, d’une expérience contre nature. Cette prise de conscience me donna la chair de poule. Je la refoulai le mieux possible et frappai à la porte d'à coté pour me changer les idées.

Luico passa son énorme tête en entrebâillant la porte.

- Laisse-moi rentrer.

- Je ne suis pas sûr que le président vous ait fait sortir pour que vous l'espionniez de la pièce à coté Adarii.

- Ne joue pas à ça avec moi Luico, je passe mon temps à écouter leurs histoires.

- Justement, profitez de ce temps libre pour vous aérez.

- Luico, dégage et laisse moi passer. Tu diras au président que je t'ai forcé si ça te rassure. De toute façon, c'est ce que je ferais si tu ne me laisses pas la place.

Luico soupira et s'écarta. J'entrai dans une pièce sombre, éclairée uniquement par la lumière venant du bureau d’Eysky de l'autre coté de la vitre. Quelqu'un au fond de la salle me jeta un rapide coup d’œil puis replongea dans une pile de paperasse.

« On est bien mieux ici » dis-je à Luico qui me fit signe de me taire. J'écoutais quelque temps les élucubrations sans intérêts du premier conseiller tout en pensant que Luico avait tout entendu des plans d’Eysky au sujet de son fils. C’était nettement plus pervers ça ! Pensais-je tentant de relativiser. A rester ainsi dans le noir, j'allais finir par m'endormir.

« Luico » chuchotai-je lui faisant signe de s'approcher, « as-tu déjà entendu Sinshy comploter contre nous ?

- Adarii, jamais je ne me permettrais de divulguer à qui que ce soit ce qu'il se passe dans ce bureau. » Il parlait tout bas mais d'un ton vraiment offusqué.

« Hé bien, tu feras une exception pour moi, voilà tout. Allez, Obéit, réponds à ma question.

- Le conseiller Sinshy ne vous aime pas et rêve de trouver le moyen de tous vous renvoyer sur Plume. Ce n'est un secret pour personne et il ne se gène pas pour en parler au président comme à tous ceux qu’il croise.

- Mais il n'a pas parlé d'une action concrète ? Quelque chose de précis ?

- Non jamais » s'indigna Luico « maintenant ça suffit, vous me mettez dans une situation extrêmement embarrassante. Vous ne voudriez pas, je ne sais pas, vous pourriez aller agresser le conseiller Myani, je ne le supporte pas.

- Je vais y penser Luico » dis-je en me dirigeant à pas de loup vers la sortie. Je fermai doucement la porte derrière moi avant de me retourner pour me retrouver face à Orage.

« On espionne Adarii ? »

Il me regardait en souriant tout en grignotant un bonbon à la cannelle, fier de m’avoir pris par surprise. « Tu n’apprendras rien ainsi » ajouta-t-il en me prenant le bras. « Quand ils manigancent contre nous, ils ne le font pas devant Luico. « Viens par ici » dit-il en me prenant la main et m’entraînant dans le labyrinthe du complexe du conseil.

On avait déjà traversé un certain nombre de salles et descendus quelques étages quand je demandai : « Où m’emmènes-tu ?

- Ce que tu peux être agaçante à me harceler ainsi sans cesse » répondit-il. « Nous y sommes presque » Orage ouvrit encore une porte et on se retrouva dans une salle pleine de monde. Elle était richement décorée du point de vue des Maÿcentres. C'est-à-dire que le mobilier était simple mais confortable et qu’il y avait des plantes en abondance.

Orage prit son air le plus assuré et m’attrapa par la taille.

Je le foudroyais du regard tout en essayant de retirer son bras. Ce genre de chose, comme toute marque d’affection, était tout à fait déplacé en public sur ce monde, mais il raffermit sa prise. Lâche-moi, dis-je mentalement tout le monde nous regarde.

« Tout le monde nous regarde tout le temps jolie Pluie ». Répondit-il tout haut. Mais il continua d’un langage que moi seule pouvais entendre.

- Regarde discrètement le couple sur ta gauche. Une femme blonde pulpeuse précisa-t-il et un vieil homme au cou plus massif qu’un taureau.

Je tournai doucement la tête dans la direction indiquée et les repérai sans difficulté. L’homme avait les cheveux gris mais je ne l’aurais pas qualifié de vieux. Il n’était sans doute plus tout jeune mais avait encore de l’allure et devait être bien plus fort que la plupart des jeunes des Maÿcentres qui semblaient toujours maladif. La femme à ses cotés paraissait nettement plus jeune que lui. Ses seins opulents ressortaient d’un décolleté profond et sa taille exagérément fine devait être enserrée dans une sorte de corset. Pas du tout au goût des Maÿcentres tout ça.

« Lui, c’est l’ambassadeur Paya du deuxième satellite de Vengeance » me souffla Orage.

- C’est lui qui t’a offert ce couteau ?

- Oui. Il vient très rarement ici car ils ont des coutumes qui, disons, s’accordent mal avec les mentalités d’ici.

- C'est-à-dire ?

- Tais-toi. Ils viennent par ici. Surtout ne dis rien, ne démentis pas et fais semblant d’être gentille avec moi. »

Il n’eut pas le temps d’en dire d’avantage que l’ambassadeur Paya se prosternait littéralement devant lui.

« Adarii Orage » lui dit-il une fois que sa compagne eut fait une sorte de révérence compliquée que je ne connaissais pas. « Je suis honoré de vous savoir parmi nous ».

Quelque chose n’était pas normal chez cet homme mais je n’arrivais pas à discerner quoi.

« Je suppose que vous êtes une des compagnes de l’Adarii Orage » continua-t-il en me saluant.

Ca y est, j’avais compris ce qui avait attiré mon attention. Ce devait être une des seules personnes présentes qui n’avait pas peur de nous. Il avait même des sentiments vraiment positifs à notre égard. Rien que pour cela, je fus submergée de gratitude. Je m’apprêtais à rectifier son erreur quand Orage m’interpella.

- Tais-toi. Ce n’était pas un ordre. Juste une supplication qu’il me transmettait.

« En effet, » répondit Orage tout haut à l’ambassadeur tout en resserrant sa prise autour de ma taille, « je vous présente l’Adarii Pluie.

- Je vois que vous avez toujours un goût très sûr en la matière » reprit l’ambassadeur.

L’air Vicieux avec lequel il me toisait de bas en haut était répugnant. Il n’allait pas le garder longtemps. Pour qui se prenait-il à parler ainsi ? Je n’étais pas une potiche comme la grosse blonde qui se pavanait à ses côtés en arborant un air niais.

- Calme-toi, pitié calme-toi.

Le ton suppliant d’orage me surprit tellement que j’en oubliais mon animosité quelques secondes.

« Ca vous fait trois femmes. Décidément, la culture de Plume me plait. C’est ce qu’il me faudrait à moi ».

- Orage, si tu ne fais rien, j’écrase cet animal.

- S’il te plait, joue le jeu et ne dis rien, j’ai besoin de lui.

« Vous avez déjà une femme bien plus belle que toutes celles qu’on peut trouver sur les Maÿcentres ». Tout en disant cela, Orage se tourna vers la compagne de Paya :

« Doyamaïa, c’est un plaisir de te revoir. Les années ne font que t’embellir et ta grâce me fait frémir. »

La stupide potiche rougit de contentement. Il ne lui en fallait pas beaucoup. Orage m’avait habituée à mieux en matière de compliment.

« Oui, elle est belle. En fait, il y a des jours où, ma seule motivation pour garder ce poste est qu’il me permet d’avoir un statut suffisant pour avoir une femme aussi belle que Doyamaïa à mes cotés.

Je dois vous dire que je me suis inquiété quand le premier conseiller a laissé entendre que vous ne seriez pas des nôtres. »

Orage se rapprocha de lui. Les deux hommes étaient de la même taille et pourtant, le contraste était saisissant entre l’ambassadeur lourd et massif, le visage rougeaud et la tignasse qui avaient dû être blonde dans sa jeunesse, et le jeune Orage à la peau cuivré et aux cheveux noirs, sa silhouette élancée paraissant frêle à coté de l’ambassadeur.

« Nous allons dire, pour être poli, que ces monsieur, malgré tous leurs efforts, n’ont pas réussis à me prévenir de votre arrivée. Il a fallu que j’use de certains, disons, stratagèmes, pour découvrir cette réunion »

Le rire tonitruant de l’ambassadeur recouvrit un instant les bruits de la salle « Salops. En ce qui nous concerne, ils nous ont envoyé l’invitation si tard que c’est un miracle qu’on ait pu venir. Erreur de gestion du temps, qu’ils nous ont dit. Que voulez-vous, Adarii, on est les mal aimés de ses bouseux. C’est pour cela qu’il faut se serrer les coudes.

A ce sujet, j’aurais à vous entretenir de deux ou trois choses, au sujet de notre entreprise mais pas ici.

- Ce serait avec plaisir. Essayez de passer me voir demain dans la journée mais, pour l’instant, je ne tiens pas à ce qu’on nous voie trop longtemps ensemble.

« C’est quoi ce type ? » chuchotai-je quand Orage se décida à s’éloigner.

« Je te l’ai dit, ils ont des coutumes un peu spéciales.

- Tu appelles ça spécial ? Il a été odieux avec moi.

- Pas selon ses critères. Ils ont des rapports entre eux assez originaux.

- Les femmes sont des potiches ridicules et les hommes de gros lourds vulgaires. Oui, ça j’ai vu.

- Pas exactement Pluie. Ils sont un peu rustres, je l’admets. Voire emportés parfois. Ils ont une sorte de culte de la force. Les hommes apprennent à se battre et à vaincre la peur depuis leur plus jeune age ce qui fait qu’ils n’ont quasiment aucune crainte envers nous. Les plus forts ont souvent droit aux meilleures places et aux plus belles femmes.

- Comment peuvent-elles accepter d’être traitées ainsi ?

- Ce sont elles qui choisissent. Tu as entendu ce qu’il a dit. S’il abandonnait son poste et le statut qui va avec, sa jolie compagne partirait de suite avec quelqu’un qu’elle jugerait plus digne d’elle.

- Stupide.

- Ecoute Pluie, tu ne vas pas refaire l’univers à ta convenance. Personne ne te demande de suivre leur coutume mais juste de les accepter.

- Et pourquoi m’as-tu fait passer pour ta compagne ?

- En fait, les Maÿcentres avaient perdu le contact avec ses gens-là depuis un bon moment car ils avaient refusé l’autorité de l’ancien président parce que c’était une femme. Dans leur culture, un poste de commandement ne peut être attribué à une femme que si elle a un homme à ses cotés bien que, d’après ce que j’ai compris, officieusement, c’est la compagne du chef qui prend les décisions. Pour faire simple, leurs femmes se doivent d’être belles, intelligentes et d’avoir l’air cruches ».

Je me fis la remarque que la compagne de l’ambassadeur réussissait magistralement au moins le dernier point.

« Mais là n’est pas la question. » Continuait Orage. « Quand le président Eysky a pris le pouvoir, il a souhaité rétablir le contact avec eux. Il trouvait dangereux d’avoir des foyers de population hors de contrôle. Ce sur quoi, il n’a pas tort. Il les a donc invité et c’est Paya qui est venu.

J’ai de suite cerné qu’il avait une profonde aversion pour les Maÿcentres et par conséquent, il m’a paru intéressant. Malheureusement, il ne me voyait que comme le garde du corps du président et donc pas digne d’intérêt.

Cependant, il se trouvait que, pour l’occasion, le président avait fait une réception somptueuse, enfin, d’après les critères des Maÿcentres. J’y suis allée évidemment. Avec Tempête, qui adore ce faire remarquer dans ce genre de chose. D’ailleurs, Eysky ne peut plus la supporter depuis. Ainsi que Brise qui était venue me rendre visite. Pour ne pas changer, Sentiment avait refusé de venir ne jugeant sans doute pas cette formalité digne de sa personne.

C’est là que j’ai réussi à attirer l’attention de Paya tout à fait par hasard. Comme je disais, pour eux, l’importance d’un homme se juge par la beauté de sa compagne. Quand il m’a vu entouré de deux jolies filles, ça l’a de suite interpellé.

En plus, le conseiller Sinshy s’est précipité pour me démolir en lui expliquant que les Adarii avaient des mœurs perverses et que j’avais des relations avec les deux filles. Depuis, Paya me vénère »

Il avait fini son histoire d’un ton d’extrême contentement qui me semblait des plus exagérés. Orage était un vrai spécialiste pour les coup tordus, mais là, il s’était surpassé.

« Si je comprends bien, tu lui as fait croire que j’étais moi aussi avec toi, pour qu’il te vénère encore plus ?

- Dans un sens oui, mais uniquement pour m’assurer sa confiance. Le deuxième satellite est puissant et possède entre autre la technologie des voyages spatiaux. Les Maÿcentres nous menacent de plus en plus souvent de nous renvoyer sur Plume et de nous isoler. Si le deuxième satellite nous accorde sa confiance, il pourrait nous fournir les mêmes services qu’eux.

- Tu es complètement fou Orage, débrouille-toi sans moi » Je sortis de la salle furieuse. Je percevais encore les pensées d’Orage qui s’en moquait totalement ayant réussis à obtenir ce qu’il voulait. Il était exaspérant.

« Puis-je savoir ce que vous faisiez là ? »

Je levai la tête et aperçus Ryun à travers mon voile rose.

« Peux-tu t'adresser à moi en faisant autre chose que poser des questions ? Ce que je fais ne te regarde pas.

- Je pourrais en parler à mon père.

- Je m'en fiche, dis-lui ce que tu veux, ça ne me pose aucun problème ». Qu'est-ce qu'il imaginait celui-là, que je m'inquiétais de me faire réprimander par son paternel ? Des reproches, il m'en faisait une dizaine par jour. Il ferait bien de se calmer à ce sujet d'ailleurs. Il devenait agaçant.

« Je ne lui dirais rien » Ryun avait dit cela comme s'il agissait sous le coup d'une grande mansuétude. Son père avait raison, il était horriblement sûr de lui.

« Je suis venu vous cherchez pour vous amener au jardin des plantes.

- D'après ce que j'ai compris, c'est plutôt moi qui t'emmène là-bas.

- Comme vous voudrez Adarii » dit-il avec un sourire qui se voulait charmeur

« je vais chercher Luico.

- Ne le dérangez pas, on peut y aller que tous les deux. »

C'est cela oui. Déjà que le président trouvait que je n'en faisais qu'à ma tête, je n'allais pas aussi désobéir aux ordres qui m'arrangeaient.

En tout cas, je ne regrettais pas la promenade. Le jardin des plantes était une vrai merveille. Chaque parterre de fleurs de par ses couleurs et ses senteurs évoquait une émotion particulière. Ainsi, tout un espace couvert de fleurs grimpantes jaune et orange représentait la joie et il est vrai que l'odeur vivifiante donnait comme un sentiment d'allégresse.

Ryun m'expliquait chaque détail en fin connaisseur.

« Je croyais que tu n'étais jamais venu ici ?

- Si j'écoutais mon père, je ne ferais jamais rien. J'ai déjà pratiquement visité toute la ville en douce, mais je vous fais confiance, vous ne me trahirez pas. »

Pour l'instant, en effet, je ne voyais aucune raison pour laquelle je devrais le dénoncer. Surtout pour de telles broutilles. D’ailleurs, si je pouvais passer inaperçue, j’en ferais autant. D’un autre coté, je n’avais aucune raison de garder cette information pour moi. Il y a certaines chose qu'il peut être utile de garder pour soi ne fut-ce que pour ensuite faire facilement du chantage me disait souvent Orage.

« Tu as raison Ryun, je ne te dénoncerai pas.

- A la bonne heure » dit-il en me prenant le bras. « Venez par ici Adarii. »

Je commençais à m’affoler et me concentrais comme m’avait appris Tempête pour garder ses pensées à l’écart mais perçus tout de même son idée absurde.

« Ryun lâche-moi, être le fils du président ne te suffit plus ! Tu veux aussi que tout le monde te voie au bras d'une Adarii !

- Voyons, je ne suis pas si futile.

- Ryun, ton père ne t'a pas appris qu'on ne mentait pas aux Adarii ? Tu m’envahies avec tes pensées malsaines pour les renier derrières ?

- Bon, c'est vrai, je prends un plaisir fou à voir les gens nous regarder avec tant de déférence alors que personne ne me reconnaît quand je suis seul. Et alors, où est le mal ?

Admirez-moi plutôt ces merveilles ». Nous étions entourés de roses rouges au parfum entêtant. Les fleurs grimpaient le long d’arceaux et étaient si nombreuses qu’elles nous dissimulaient du reste du jardin.

« En plus, je n’ai rien à vous cacher. Au contraire, j’aimerais que vous sachiez tout ce que je pense de vous.

Que dois-je faire pour qu'enfin vous tombiez dans mes bras belle Adarii ? » Dit-il en se rapprochant encore.

A l'idée de l'embrasser, je me dis qu'autant me frotter à une bête. Il n'était pas beaucoup plus évolué.

Ne me vois pas ordonnai-je tandis qu'il plantait ses yeux suppliants dans les miens.

Je me dégageai vivement sur le côté admirant son air éberlué tandis qu'il me cherchait des yeux. Je fis signe à Luico qui nous avait suivis durant toute la promenade n'en pouvant plus de retenir ses fous rires.

« Raccompagne-le et fais-lui prendre une douche froide ». Je m'éloignai d'un pas rapide avant que Ryun ne reprenne le contrôle de son esprit.

Je rabattis le capuchon de mon manteau et, plutôt que de rentrer directement, j'en profitai pour visiter un peu la ville. Des marchés présentaient des produits venus d'autres villes des Maÿcentres ou de Vengeance. Nulle part, je ne vis quoi que ce soit qui puisse retenir mon attention. Je n'avais pas exagéré en disant que la Terre aurait vite fait le tour des « merveilles » des Maÿcentres. Les basses villes n'avaient vraiment aucun intérêt excepté le jardin des plantes. Les gens ne faisaient aucun effort pour se démarquer et paraissaient tous pareils dans des robes et tuniques simples très colorées et ternes à la fois. Je devais dépareiller dans mon manteau de soie bordeaux dont les fils argentés brillaient au soleil. En tout cas, j'avais du mal à passer inaperçue. Mais au fond, je ne faisais que suivre les ordres du président. En fait, c'était peut-être une bête idée d'emmener ici une délégation d’Archuleta. La plupart des villes de la Terre étaient bien plus jolies que les basses villes des Maÿcentres, même si ces dernières étaient moins gâchées par l'industrie à outrance qu'on retrouvait sur Terre et qu’il y avait bien plus de parterres de fleurs. Tels que je connaissais les cultures Terriennes, ils feraient mieux de les emmener visiter ses planètes mortes qu’ils démolissent pour se procurer leurs minerais. Cependant, je voulais profiter le plus possible de cette liberté. J’ignorai superbement la population qui s’écartait sur mon passage me suivant discrètement des yeux. J’oubliais leurs sentiments en me concentrant sur un air musical entraînant et je repris le funiculaire juste à temps pour voir le coucher de soleil sur la ville. Là, dans cette lumière rose et vue de loin, elle paraissait jolie.

***

« Alors Pluie, il paraît que tu vas chercher la délégation d’Archuleta ? »

Je traversais le salon vers ma chambre quand l’interpellation d’Orage m’arrêta.

« C’est quoi encore cette plaisanterie ».

Orage mit un certain temps à répondre concentré dans le calcul de ses points à un jeu de dé. Je me demandais soudain s’il trichait aussi quand il jouait tout seul

« Si tu ne me laissais pas m’occuper de tout, tu le saurais » finit-il par dire « Eysky et ses conseillers se sont décidés à faire venir une délégation Terrienne. Deux personnes en fait. Ca fait des mois qu’ils palabrent en vaine discussions et tout cela pour deux personnes », dit-il désabusé.

Je ne supportais plus de les entendre discuter pendant des heures à ce sujet. Aussi, ces dernières semaines, j'avais laissé à Orage le soin d'assister à toutes les réunions concernant la Terre. Dire que c’était moi qui avais proposé cette idée ! Si j’avais su, je l’aurais fermée, pensai-je. Mais, tout haut, je constatais qu’ils allaient arriver quand il faisait nuit tout le temps « Au niveau où ils en étaient, ils auraient pu attendre encore un mois ou deux que le soleil revienne.

- Ils y ont pensé reprit Orage. Je les ai incités à les faire venir maintenant. Ils ont peur qu'ils en voient trop. C’est parfait, on voit beaucoup moins de choses dans le noir. Durant les quelques heures de clarté, ils pourront voir le haut. Pour le reste, il ne vaut mieux pas avoir trop de lumière. »

Il n’y avait qu’Orage pour avoir ce genre d'idée. Je hochais la tête. Ca se tenait. « Et pourquoi faudrait-il aller les chercher ? Il y a bien quelqu’un là-bas pour s’en occuper ? »

De toute façon, qu’il y ait ou non, celui qui m’enverrait sur Terre n’était pas encore né. J’y étais restée enfermée pendant quatre ans, j’avais cru devenir folle. Je commençais à trouver un semblant d’équilibre ici, ce n’était pas pour repartir maintenant.

« C’est la dernière idée d’Eysky. Il veut en profiter pour aller voir lui-même ce qu’il se passe là-bas.

- C’est ça, qu’il y aille, ça nous fera des vacances ». Il était tard. Bien trop tard pour écouter les élucubrations du président Eysky. Je continuai mon chemin vers ma chambre, laissant Orage à son jeu

« Attends, ce n’est pas tout. Il voulait leur en mettre plein la vue pour les impressionner avec une suite gigantesque, une multitude de gardes, enfin tout son décorum.

- Si ça peut rassurer sa virilité ». Dis-je en baillant « moi, ça ne m’empêchera pas de dormir.

- Ca ne la rassurera pas, » reprit Orage en souriant avant de ranger son jeu « c’est beaucoup trop de complication. Surtout qu’ensuite, ils n’ont accepté que deux personnes pour venir ici. Donc, ils ont décidé de simplifier à l’extrême. Il ira avec la Main, l’Oreille, Luico et un garde Adarii. »

J’étais bien fatiguée pour ne pas l’avoir vu venir. Sans doute voulait-il profiter que je n’avais pas les idées claires pour me refiler son sale boulot. Je lâchai la poignée de ma porte et me plantai devant mon cousin.

« N’y pense même pas ! »

Je réfléchis un instant. « Et d’abord, je croyais qu’il voulait éviter le plus possible de nous impliquer dans ses projets concernant cette planète. Que même Glace avait été obligé de renoncer à ses privilèges et être considéré comme simple conseiller pour avoir le poste ?

- Les choses évoluent joli bout de Taegaïan. Depuis qu’il s’est fait tiré dessus, Eysky devient paranoïaque.

- Ceux d’Archuleta le sont encore plus que lui. Il ne risque rien là-bas. En plus, il y aura Glace pour s’occuper de lui. » Non, décidément, le coup du pauvre Eysky qui a peur de se faire assassiner, il l’utilisait souvent mais il devait en rajouter pour éviter certaines complications.

« Tu savais qu’il avait été ami avec Espoir ? » Je n’avais pas encore eu le loisir d’aborder ce sujet avec Orage et surtout, j’espérais le lancer sur une conversation moins risquée.

« Evidemment, pourquoi crois-tu qu’il ait tellement confiance en nous ? Il a beau nous dénigrer subtilement, il ne nous laisserait pas une place si importante dans sa politique s’il imaginait qu’on puisse le nuire. Mais je n’appellerais pas leur relation de l’amitié. Je pense qu’il vénérait Espoir. Ce n’est pas pareil. Malheureusement, il ne nous voue pas le même culte et il n’hésitera pas à nous jouer des mauvais coups. Ce n’est pas son style de changer d’organisation en dernière minute. J’aimerais bien savoir quelles idées il a encore derrière la tête.

- Et Glace, il en dit quoi ?

- Il n’était pas trop d’accord mais, il admet que ce pourrait être intéressant. Surtout qu’ensuite, ils viendront ici et que ce ne serait pas idiot d’en profiter pour se faire un peu mieux connaître. Mais, il insiste sur le fait qu’il faut rester discret. Ce qui n’est pas très original de sa part. Si Eysky idolâtre la mémoire d’Espoir, Glace vénère la discrétion. Je suis sûre que tu seras très forte en discrétion.

- J’ai dit non ». Je l’avais presque crié même. « Tu ne me refileras pas ce sale boulot. J’ai horreur de la Terre et de ses habitants. Vas-y toi.

- Je ne pense pas que le président ait envie de me voir ces temps-ci. »

Il avait dit ça de la mine réjouie qu’il arborait après avoir fait un mauvais coup. Je m’attendais au pire « Qu’est-ce que tu as encore fait ?

- J’en ai fait suffisamment pour que personne n’ait envie de me confier une mission discrète.

Je fus dérangée par un effluve de menthe. Mon frère me cherchait.

Je me détournai d’Orage. J’aurais bien le temps de revenir à ses histoires après.

- Qu’est-ce qu’il y a Glace ?

Il avait sentit directement que mon humeur n’était pas des plus avenante. Ce n’était pas la peine de le contredire - J’étais occupé à me disputer avec Orage

- Je suppose qu’il t’a mis au courant de la situation.

- Plus ou moins.

- Le président veut quelqu’un pour l’accompagner sur Terre. Tu iras.

Parce qu’il s’imaginait, qu’il allait me donner des ordres ainsi ! J’étais sous sa responsabilité mais, il y avait des limites.

- Non, Glace, c’est le travail d’Orage ça.

- Je ne t’ai jamais demandé de t’occuper des affaires des Maÿcentres mais, puisque tu as voulu y prendre part, maintenant tu assumes. J’ai besoin de quelqu’un de discret. En plus, Sentiment m’a dit que le président est furieux contre Orage. Il a envoyé Luico dans la fontaine de la sérénité.

« La fontaine de la sérénité » répétai-je tout haut à l’intention d’Orage.

Ce dernier avait un sourire resplendissant.

« C’est ce grand bassin qui fait le centre du complexe du conseil. Celui avec les trois jets d’eau ?

- Exactement » me dit Orage. « N’est ce pas un nom ridicule pour un vulgaire bassin ? »

Je n’allais pas tergiverser maintenant sur le nom des fontaines des Maÿcentres. Ce fumier avait obligé le garde du corps du président à se jeter à l’eau au milieu du complexe du conseil uniquement pour faire un scandale suffisant pour ôter toute idée de l’emmener dans une mission de confiance. Quelle pourriture il faisait. Et en plus, ses corvées me retombaient dessus.

- Mais Glace, il l’a fait exprès pour être sûr qu’on ne le prenne pas pour cette mission stupide.

- Hé bien, il a réussi. C’est toi qui ira.

- Attends, moi aussi je peux trouver une idée absurde dans ce style.

- Pluie, tu es sur les Maÿcentres depuis presque un an et demi et je ne t’ai jamais rien demandé. Pour une fois, tu peux bien faire un effort.

Glace était très en colère, j’allais avoir du mal à me débarrasser de ce voyage. - Et Sentiment ? Et Tempête ? Tempête adore la Terre. Moi, je la déteste.

- Arrête de faire des histoires. La visite ne dure que trois jours. Ce n’est pas intenable. Alors, cesse de pleurnicher et obéis.

- Trois jours là-bas, trois jours aller et trois jours retour. Mais Glace n’écoutait plus.

Tout ça, c’était la faute d’Orage. Pour me faire des compliments, il était toujours là mais pour me faire des coups sournois aussi. Je le fusillais du regard « Traître

- Désolé, mais pour une corvée pareille, c’est chacun pour soi. En plus, ce n’était pas nécessaire, j’ai appris plus tard qu’Eysky voulait absolument que ce soit toi. Toi qui te plaignais en disant qu’il se contentait de ta petite personne par défaut.

- Bon sang, Orage, tu m’as tendu un piège pour m’envoyer sur Terre alors que tu sais pertinemment que je déteste ces gens-là. Et pourquoi on n’envoie pas Tempête ? Elle adorerait ça, je suis sûre.

- Elle se délecterait d’une ballade sur Terre. Suivre le président pendant trois jours dans une base souterraine, c’est une autre histoire. Je ne pouvais pas lui infliger ça.

- Et à moi si ? » Comment pouvait-il dire ça. Il avouait franchement qu’il voulait protéger la pauvre Tempête de la dure réalité de la vie et moi, il s’amusait bien de m’envoyer la tête la première là-dedans.

Il me regardait, pétillant, heureux de me voir gesticuler en tout sens inutilement.

« Tempête est ma maîtresse et toi non. » ajouta-t-il pour le seul plaisir d’en rajouter afin de me mettre hors de moi.

Je n’avais jamais rien entendu de plus stupide. Et non, je ne lui donnerais pas la satisfaction de me mettre en colère. Je préférais réfléchir calmement et m’essayer au chantage : « si tu trouves un moyen de m’éviter cette corvée, je passerais une nuit avec toi.

- Tu serais prête à passer la nuit avec moi, si je te remplaçais sur ce coup-là ? »

Je n’avais pas précisé à quoi je passerais la nuit. Ce pourrait être une vengeance intéressante. J’imaginais déjà les folles parties de dé qu’on pourrait avoir. « D’accord » répondis-je « Si tu vas sur Terre à ma place, à ton retour je passe une nuit entière avec toi et je sais que même Tempête ne le fait pas. » Je baissai la tête pour ne pas croiser ses grands yeux verts brillants d’un éclat irrésistible.

« C’est non quand même ».

Quoi ! Avec toutes les histoires qu’il faisait pour que j’accepte ses avances, quand enfin j’étais d’accord -ou presque- il n’était même pas prêt au moindre sacrifice. Comme quoi, je ne représentais pas grand-chose à ses yeux. J’en fus plus vexée que je ne l’aurais dû.

« Nous sommes liés Pluie, cache tes pensées la prochaine fois que tu voudras me doubler »

Je m’étais faite avoir. Comme d’habitude. « Tais-toi. Je vais voir Tempête. Elle au moins, elle m’écoutera. »

Tout en disant cela, je me dirigeais vers le salon de Maniya.

« Non, sérieusement » reprit Orage « Glace ne veut pas d’elle. Il fait une obsession sur la discrétion. Tu imagines Tempête à Archuleta, avec ses jupes qui ressemblent à des ceintures et ses autres tenues affriolantes. C’est sur, pour la diplomatie, elle doit être douée. Elle est capable de tous les manipuler uniquement dans le but de les séduire. Tu sais comme ce genre de comportement horripile Eysky.

- Je lui demanderai de faire un effort de discrétion ».

Orage se mit à rire. Je savais à quel point il aimait Tempête mais il n’était pas dupe à ce point là « Tu penses sincèrement ce que tu dis ? Tu lui demanderas de jouer quel rôle ?»

C’était stupide. J’en étais consciente. Tout le monde savait que Tempête était incapable d’être discrète en plus le président n’accepterait jamais sa présence.

« Et Sentiment ? Pourquoi pas Sentiment ? Elle est discrète, elle.

- C’est un boulot de garde du corps Pluie. Absence de Sentiment a tellement d’estime pour Eysky que, si elle découvrait quelqu’un qui lui voulait du mal, elle s’empresserait d’aider ce dernier.

- Tu exagères. Tu pourrais la convaincre d’être gentille. Et, si elle le laisse se faire tuer, après tout, ce n’est pas mon problème. En plus, il ne risque rien ». C’était encore ça le pire, vouloir me traîner jusque là pour rien.

« Si tu veux, essaie de la convaincre. Tu sais que moi, elle ne porte pas dans son cœur »

C’était inutile. Que ce soit Orage ou moi, elle n’aurait aucune envie de nous faire le moindre plaisir. Elle était bornée, têtue, et paraissait fermée au moindre sentiment, d’où le petit surnom que lui donnait Orage. J’aurais beau essayer de l’amadouer par n’importe quel moyen je ne réussirais pas. Nous en étions arrivés à la conclusion qu’elle avait été appelée ainsi par ironie. Si c’était le cas, ses parents avaient un sens de l’humour qui avait dû sauter une génération.

« Glace pourrait la convaincre. Lui, elle l’écoute.

- Arrête de chercher des plans foireux. Glace veut que ce soit toi, parce qu’il pense que c’est avec toi qu’il y a le moins de risque d’avoir un scandale. Cela dit, je ne suis pas d’accord avec lui. Il te surestime parce que tu es sa sœur et parce qu’il ne sait pas tout de tes frasques ici.

- Si tu me mets au milieu d’hommes de la Terre dans une base souterraine, ça m’étonnerait que je tienne longtemps sans faire d’histoire.

- Tu dois tenir trois jours » dit Orage en se levant et en se dirigeant vers sa chambre « Cela dit, si tu craques avant, personnellement, cela ne me pose pas de problème. Fais le intelligemment c’est tout. Je vais me coucher » continua-t-il en s’étirant. « Si tu veux prolonger cette conversation, je te ferais une place à mes cotés ».

Ce n’est pas vrai ! J’étais coincée. Il aurait pu ne fut-ce qu’avoir l’air gêné ou triste pour moi. Mais non, il était bien content de se débarrasser de la corvée. En plus, il n’y avait aucune raison qu’on aille là-bas. Pourquoi Eysky voulait-il m’y traîner ? Ici encore, nous faisions partie de l’apparat, une façon d’impressionner les gens, mais sur Terre, ça n’avait plus aucun sens.

Mes pensées furent interrompues par un bruit venant de la pièce à coté. Je me précipitais vers le salon de Maniya. Je n’avais pas le moindre espoir de convaincre Sentiment mais il fallait que j’essaie tout de même. J’ouvris la porte. Sentiment lisait devant la cheminée. Elle leva la tête à mon entrée et rabattit une mèche de cheveux noirs derrière l’oreille. « C’est non » dit-elle avant de se replonger dans sa lecture.

« Mais, je n’ai encore rien demandé. »

- Parce que tu imagines que je ne vous entends pas hurler ?

- Désolé pour le bruit mais…

- N’insiste pas, c’est non.

- Et Tempête ?

- Pluie, C’est ton boulot, tu y vas et tu ne discutes pas. Et tu fermes la porte en sortant » ajouta-t-elle.