lundi 26 novembre 2007

Partie 1 : chapitre 11

11

"Les jouissances de l'esprit sont faites pour calmer les orages du coeur."

Madame de Staël


« Pluie !

- Oui président.

- Je vous dispense de la réunion avec la délégation d’Archuleta ». S’il disait ce genre de chose, c’est que ce devait être intéressant. Depuis notre retour, il était d’une humeur massacrante. J’avais écarté le plus loin possible de moi les insupportables émotions négatives qui fusaient autour de lui mais, la façon dont il m’appelait, crachant presque mon prénom, j’avais du mal à m’en préserver.

- Pensez-vous que ce soit prudent pour vous de rester avec eux ? » C’était absurde. Evidemment qu’il ne risquait rien. Mais, sur le coup, je n’avais rien trouvé de mieux à dire.

« C’est vous qui leur avez avoué que vous perceviez le mensonge ? »

Nous étions revenus depuis deux jours, et il n’avait pas encore fait la moindre remarque à ce sujet. J’en étais même venue à espérer, qu’au fond, il était possible qu’il n’ait pas été mis au courant de ce détail.

Je lui répondis que ce n’était pas moi mais Glace qui en avait abordé le sujet avec Gentry.

« Ca ne fait pas beaucoup de différences à mes yeux. Le résultat est le même : je ne peux pas me servir de vous. »

Se servir de moi. J’eus une grimace de dégoût. Voila tout ce que j’étais alors. J’avais envie de lui balancer que, si Glace avait révélé ce détail, c’était uniquement parce qu’il comptait le faire. Mais, dans ce cas, il ne pourrait s’empêcher de se demander comment nous l’avions appris et la vérité ne serait sûrement pas à son goût. N’empêche que, encore une fois, ça me retombait dessus. C’était Orage qui avait sondé Ryun. Glace qui avait tout dit à Gentry, et moi qui récupérait la mauvaise humeur du président.

« Par contre, j’ai une mission de confiance pour vous. »

Je toisais le président nullement convaincue, cernant bien la raillerie entourant ses propos.

« Il me faut quelqu’un pour chercher mon fils chez l’ambassadeur Paktyl.

- Vous rigolez Président » répondis-je tout en sachant qu’il était très sérieux. De toute façon, il était totalement dénué d’humour. « Vous n’imaginez tout de même pas que je vais faire la baby sitter ?

- Pluie, je vous demande de faire le garde du corps. Je vous rappelle qu’on veut attenter à ma vie. Qui dit qu’on ne pourrait pas aussi s’en prendre à mon fils.

- Vous allez me faire pleurer avec votre rejeton. Envoyez Luico.

- J’ai besoin de lui.

- Alors envoyez un autre de vos molosses issus du deuxième satellite.

- Vous avez fini de discuter mes ordres. Vous êtes là, vous n’avez rien à faire, donc vous pouvez y aller. A moins que vous ne comptiez assister à la réunion dans la pièce à coté » dit-il en désignant le miroir.

Je m’écrasais dans le fauteuil. Evidemment, Luico avait dû en parler. Ou l’Oreille. Oui, ce vieux bonhomme taciturne ne prononçait jamais un mot mais là, il n’avait pas dû hésiter longtemps. Je me vengerais. Je ne savais pas encore comment, mais je me vengerais. En attendant, je classais ce nouveau détail avec mes autres griefs contre les Maÿcentres.

« Je n’irai pas jouer les baby sitter.

- Non seulement vous allez y aller mais, si vous jouer le moindre de vos tours tordus à mon fils, je vous renvoie des Maÿcentres. Et vous remarquerez que je pense sincèrement ce que je dis.

Je le regardais bouche bée. Qu’est-ce que j’avais encore fait pour le mettre dans des états pareils ? Ha si, ce qu’il n’avait pas dû apprécier non plus, c’est quand on avait voulu ramener les deux membres de la délégation d’Archuleta dans mon vaisseau mais sans lui. J’avais failli réussir. La seule chose qu’on n’avait pas prévu c’était qu’ils puissent refuser mon invitation prétextant qu’étant convié par le président, il ne serait pas correct qu’ils ne montent pas avec lui. J’avais commencé à m’atteler à les convaincre, ce qui n’était pas facile vu qu’ils étaient deux. Malheureusement, ça m’avait fait perdre du temps et Eysky en avait profité pour revenir et les avait ramené avec lui. En tout cas, il ne s’était plus invité.

Et voila, toute considération pour moi était envolée. Je mûrissais une réplique cinglante à son égard quand Glace intervint.

- Pluie, tu y vas

Dès que j’étais en colère, j’avais du mal à garder mes pensées pour moi. Et mon frère en avait profité

- Qui t’a permis d’espionner mes pensées ?

- J’ai quelques raisons d’imaginer que quand je te laisse seule, tu as tendance à oublier de réfléchir.

- C’est ta faute en plus. C’est toi qui voulais que je complote cette histoire ridicule pour séparer le président et les Terriens durant le voyage.

- Tu devais m’attendre.

- Est-ce ma faute s’ils sont arrivés en avance ?

- Ce n’était pas une raison pour agir aussi bêtement

C’est ça oui. C’est lui qui me demandait de faire un mauvais coup et c’est moi qui subissais.

Le président me regardait, ou plutôt regardait à coté de moi dans cette attitude furieuse qu’il prenait quand je refusais de répondre à ses questions. Perdue dans ma dispute avec Glace, j’avais oubliée de l’écouter. « Vous m’avez demandé quelque chose ?

- Vous ne pourriez pas écouter quand je vous parle plutôt que de discuter avec je ne sais qui ? Oui, bien sur que je vous ai posé une question.

- Hé bien gardez-là Président. De toute façon, j’ai horreur qu’on me pose des questions. »

Je tournai les talons et ouvris la porte de son bureau.

« Où allez-vous Adarii ? » cria-t-il

Faisait-il exprès de me harceler sans cesse ? Etais-ce uniquement pour me faire du mal ou était-ce une sorte de réflexe ?

« On m’a demandé d’aller chercher Ryun Eïskï » envoyai-je avant de claquer la porte derrière moi.

« Des ennuis ? » La Main ne tentait même plus de prendre un ton condescendant pour me dire ce genre de chose. Elle arborait même un petit rictus sadique.

« Vous avez perdu les bonnes grâces du président ? Que c’est triste ! Ca ne vous gène pas si je ne pense pas du tout ce que je dis ? »

Plus que tout ce qu’elle pouvait me dire, c’était sa voix suraiguë et le dégoût qu’elle me jetait à la figure qui était insupportable.

« Ho non, qu’ais-je fait, » continuait-elle « c’est vrai, vous n’aimez pas les questions. »

Je me tournai vers elle. Elle était assise, le nez plongé dans ses papiers. Elle savait bien que sans contact visuel, elle ne risquait rien. Ou sans contact physique. Je m’approchai résolument et lui pris le bras.

« Lâchez-moi » hurla-t-elle terrifiée, sa voix perçante me vrillant les oreilles.

J’avais acquis une maîtrise de moi suffisante maintenant pour pouvoir faire cela tout en restant à l’écart de ses pensées. Même si cette prouesse me demandait encore un gros effort, ça valait le coup. C’était ainsi, que j’aimais la voir.

« Tu fais moins la fière la Main, à ce que je voie.

- Si vous ne me lâchez pas immédiatement, vous ne respirerez plus longtemps l’air des Maÿcentres.

- Ce ne serait pas un mal », dis-je en la lâchant et me dirigeant vers la plate-forme de descente. Je sentais son regard haineux posé sur moi derrière mon dos. Je me retournai avant qu’elle n’ait le temps de détourner son attention.

- Frappe-toi

Elle ne se ferait pas mal ainsi, je n’étais pas suffisamment puissante pour obliger quelqu’un à se faire du mal. Malgré tout, elle allait sûrement encore m’attirer des ennuis. En plus, ça ne m’avait même pas détendue.

Je fulminais encore en arrivant devant la maison de l’ambassadeur Paktyl. Vaste demeure carrée recouverte de plantes grimpantes cachant sa sobriété. Les allées, les murets et les murs étaient entièrement recouverts de coquillages. Typique des grandes famille de Vengeance qui avaient dû importer ses matériaux. On avait fait de même, les pierres qui avaient servis à la construction de notre villa ne venaient sans doute pas d’ici. Tout en frappant, je tentais de me souvenir où j’avais déjà entendu le nom de Paktyl. A quelques réceptions officielles sans doute.

Une femme d’une cinquantaine d’année vint m’ouvrir la porte. Elle portait une large tunique de laine toute simple lui descendant jusqu’au pied et pour seule coquetterie, une écharpe de lin multicolore lui parait la tête et s’enroulait autour de ses épaules.

J’avais appris que ce type de coiffure était une habitude que ce réservait la bonne société et j’en déduisis que je devais avoir affaire à la maîtresse de maison. De toute façon, il n’y avait pas de domestique dans les maisons des Maÿcentres et souvent, les délégués de Vengeance étaient priés de réduire leur personnel au strict minimum.

« Vous êtes la compagne de l’ambassadeur de Paktyl ? »

Elle m’expliqua qu’elle était sa femme, ce qui ne faisait pas vraiment de différence à mes yeux, et se présenta comme Syhy Lytyl.

Grande noblesse pensai-je comptant le nombre de y mais, même sans cela, je l’aurais deviné par son aisance et son vocabulaire choisi. C’était un nom que j’avais déjà entendu. Bien sur, me rappelai-je enfin, la fiancée de Ryun. Le président avait dit vouloir unir son fils pour des raisons diplomatiques. Cette idée m’avait fait horreur et j’eus presque pitié en imaginant ce pauvre Ryun obligé de gâcher sa vie juste pour faire plaisir à son père.

La Syhy Lytyl partit ensuite dans un discours sur l’honneur pour la maison Lytyl-Paktyl de recevoir un des Adarii de Plume et j’eus la satisfaction de sentir que l’avidité dont elle faisait preuve devant les broderies de mon manteau dépassait la crainte que je pouvais lui inspirer.

« Non » dis-je en déclinant son invitation quand elle me proposa d’entrer. « Je suis juste venue chercher le jeune Ryun. »

Je me serais presque étouffé en prononçant ses mots. Qu’allait pouvoir penser ces gens à l’idée que nous en étions réduit à ce genre de tache ? Je ne tenais pas à le savoir. Je respirai un bon coup et me fermai aux sensations extérieures.

Tandis qu’elle repartait à l’intérieur, je rabattis légèrement le capuchon de mon manteau en arrière afin d’avoir une meilleure vue sur le jardin. Il n’y avait pas à dire, l’art des plantes devait être le seul que possédait les Maÿcentres pensai-je effleurant du doigt, une des dizaines de fleurs perçant à travers la fine couche de neige. Les pourtours de l’habitation avaient été déneigés sans doute pour mettre en valeur les allées de coquillage. Je n’en avais jamais vu autant. Ce devait être une famille d’une grande richesse pour en avoir importé une telle quantité. Une bourrasque s’engouffra dans mon manteau et rabattit tout à fait mon capuchon. Je serrai plus étroitement la fourrure le bordant. J’aurais dû rentrer finalement. Mais qu’est-ce qu’il faisait ? En plus il n’allait pas tarder à faire nuit.

Je tournai la poignée et entrai dans une sorte de petit sas fermé à l’autre bout par un rideau. Le tirant, je passai dans une vaste salle absolument vide. Je ne cherchais plus depuis longtemps à comprendre l’utilité de ce genre de pièce. Mais qu’est-ce qu’il faisait ? Me répétai-je m’appuyant contre le mur métallique pour profiter de la chaleur du chauffage.

Comme en écho à ma pensée, Un pan de mur se déplaça sur ma droite laissant apparaître l’épouse de l’ambassadeur Paktyl. Je rabattis mon capuchon sur la tête commençant à sentir une pointe de malaise malgré mes défenses : « Syhy Ryun Eïskï me fait dire qu’il désire que vous l’attendiez.

Syhy soufflai-je pour moi-même. Il aurait du naître sur Terre, il aurait pu se faire appeler sa très gracieuse majesté ou autre titre ronflant. Le jour où on verra un des loqueteux des villes souterraines à la tête des Maÿcentres, ils pourront parler de démocratie.

L’épouse de Paktyl n’avait pas bougé.

« Conduis-moi à lui.

- Je ne sais pas si…

- Conduis-moi à lui » répétai-je plus fort. « Je vais lui apprendre à obéir à ce gamin prétentieux. » Il avait beau avoir mon age, j’avais du mal à le considérer comme autre chose qu’un gamin. De toute façon, il n’était pas rare que les jeunes issus des Vengeance-Maÿcentres traînent jusque vingt voir vingt cinq ans avant de prendre des fonctions d’adulte. Et parfois même plus avant d’assumer une famille. « Syhy, je m’y crois » murmurais-je encore en suivant la femme dans la pièce à coté.

C’était une sorte de serre. Quelques canapés étaient disposés au milieu des plantes. Ryun était assis devant une baie vitrée donnant sur le jardin avec un sourire triomphant. A ses cotés, une jeune fille, sans doute Paktyl fille. Non rectifiai-je en moi-même. De là où elle venait, les filles prenaient le nom de leur mère. Si sa mère était Syhy Lytyl, elle devait être Syhy Lïtïl ou Syhy Lytïl. Je n’y comprenais pas encore grand-chose dans ces subtilités compliquées.

Vu la mince cloison qui séparait les deux pièces, je n’imaginais pas un instant qu’ils aient pu ne pas m’entendre.

« Tu as entendu Ryun, tu viens de suite ».

- Syhy Eïskï, je vous prie », répondit-il sans se lever. « Voyez-vous Dyasella » continua-t-il en s’adressant à la demoiselle « mon père se préoccupe tellement de ma sécurité qu’il met en œuvre tous ses moyens pour s’occuper de ma personne. Mais, ils sont parfois difficiles à gérer.

- Tu ne devrais pas parler ainsi » La jeune fille était scandalisée. Ce n’était pas ainsi qu’il ferait bonne impression envers elle. Elle m’était familière. Je me la remémorai soudain. C’était elle qui avait dansé avec Orage lors de la première soirée à laquelle j’avais assisté sur cette planète de dingues.

« Adarii, veuillez l’excuser, il est sur la colline du conseil depuis peu. Il ne sait pas ». Sa peau laiteuse vira au rouge.

Un instant, la curiosité l’emporta sur la colère et je laissai ses sentiments venir à moi. Ce que je découvris me laissa sans voix. Je finis par me reprendre me rendant compte que je la dévisageais et qu’elle était de plus en plus mal à l’aise. Je me tournai vers Ryun qui, malgré sa jolie assurance, craignait par-dessus tout d’être bafoué devant la jeune fille. Ca, il n’allait pas être déçu.

« Ryun, tu ne me feras pas croire que tu as besoin d’aide pour te lever ? »

- Je pense qu’une aide d’une personne aussi charmante que vous ne saurait être que la bienvenue. Mais asseyez-vous plutôt et montrez votre joli visage à mon amie. Nous faisions des jeux d’esprit.

- Je pense que la Syhy Lytil a déjà côtoyé les visages Adarii beaucoup plus que de convenance », dis-je en rabattant mon capuchon en arrière. Dyasella rougit encore plus que je ne le pensais possible.

« Lïtïl » rectifia-t-elle d’une toute petite voix. Je ne suis encore qu’une jeune fille »

Ce mensonge qui lui avait échappé m’en révéla bien plus que tout ce que je redoutais. Je regardais Ryun d’un coup pleine d’espoir. Serait-il possible pensais-je devant son air niais qui ne s’était rendu compte de rien. Bien sur que non, cet abrutit s’était contenté de suivre les instructions de son paternel, trop content en fait de s’allier avec un des meilleurs partis de Vengeance et en plus très jolie fille. Par conséquent c’est donc que ma première idée était la bonne. Totalement inconscient pensais-je encore tandis que la colère montait en moi devant le regard de défi de Ryun.

« Pour la dernière fois Ryun, on s’en va. »

Ryun, fit mine de se lever mais pris un verre sur la table et s’enfonça à nouveau dans le fauteuil.

- Debout

Il se leva à contrecœur fusant la colère par tous les pores. La jeune fille avait raison de préciser qu’il n’était pas ici depuis longtemps. Ce simplet prétentieux n’avait pas encore compris qu’il n’avait pas intérêt à me regarder.

- Dehors

Je restais seule avec les deux femmes tandis que Ryun décampait à toute vitesse et pris le ton le plus sérieux possible. » Le Syhy Eïskï vous remercie pour votre hospitalité et espère avoir fortement impressionné la Syhy Lïtïl par sa stupide arrogance. »

Puis, je remis mon capuchon et rejoignis Ryun à l’extérieur. Il me suivit sa fierté ravalée.

Après quelques minutes dans le silence, à marcher dans la nuit glaciale, il prit la parole : « Mon père vous fera payer votre affront. »

Il y avait des chances en effet. Déjà que je devais me faire oublier. La querelle avec la Main et maintenant Ryun. Ce n’était pas bon pour moi tous ça. Glace allait encore m’en vouloir.

Je me contentai cependant de lui répliquer que je n’étais pas sûre qu’il ait fait une grande impression à la demoiselle.

« Je suis Syhy et fils du président » répondit-il hautain comme si ça justifiait tout.

« Et moi, je ne suis pas convaincue qu’elle se contente de si peu » Je poussai les portes d’entrée du complexe du conseil accueillant avec joie une douce chaleur en comparaison du vent qui s’était levé à l’extérieur.

Ryun n’eut pas le temps de fermer la porte qu’une ombre noire se jeta sur moi.

« Jolie Pluie de Taegaïan » lança Orage m’enserrant dans ses bras, « j’ai besoin de toi. » Par réflexe, je l’éloignai de mes pensées. J’aurais bien le temps de lui faire la morale plus tard, et surtout autre part.

« Lâche-moi, Orage, tout le monde nous regarde.

- Mais non » dit il en rabattant mon capuchon en arrière.

Je levai des yeux furieux vers lui mais il en profita pour m’embrasser : « Maintenant, tout le monde nous regarde. »

Quand il était de si bonne humeur, cela présageait la préparation d’un mauvais coup. Je ne savais pas quoi, mais sûrement pas le genre de chose dans lequel je devais tremper pour l’instant. Aussi, je m’écartai et expliquai et désignai Ryun, expliquant que je devais le conduire au bureau de son père. Tout en me retournant vers ce dernier, je le sentais bouillir de colère. Incroyable, pensais-je en souriant, il était jaloux. Je ne savais même pas que ce genre de sentiment existait sur les Maÿcentres. Je croyais que c’était typique de la Terre. Le président ferait mieux de ne pas exhiber trop son rejeton. Il était de pire en pire.

Orage devait l’avoir remarqué aussi car il se retenait de rire et m’embrassa à nouveau avant de reprendre toujours réjoui : « Il parait que tu joues les nounous ?

- Toujours au courant de tout à ce que je vois.

- Toujours » dit-il en me prenant par la taille narguant ouvertement Ryun avant d’interpeller un des géants de l’entrée « reconduit le morveux au bureau du Président Eysky ».

Je ne sais pas qui était le plus rouge entre l’indignation de Ryun et la confusion du garde.

« Il est Syhy » dis-je à Orage feignant d’être offusquée par ses propos.

Orage se reprit : « Pardon, reconduisez le Syhy morveux » précisa-t-il mais le garde était déjà parti avec Ryun.

« Quand le président verra que ce n’est pas moi qui le ramène, il va être furieux. J’espère que tu as une bonne raison de m’obliger à le planter là.

- Le président ne le saura pas » dit Orage en me prenant par la main et m’entraînant au pas de courses à travers le complexe « enfin pas de suite. Il n’est pas dans son bureau. Il est à la réunion de présentation de la délégation de la Terre aux ambassadeurs.

- Pas encore, la réunion ne débutera pas avant ce soir ». J’avais lu tout le programme prévu pour le séjour des Terriens et Sentiment m’avait demandé quand était cette réunion. Tout était minuté.

- C’est-ce qu’ils ont voulu nous faire croire. Je pense qu’ils ne tiennent pas expressément à nous voir là-bas.

Je m’arrêtai net au risque de me faire écarteler par Orage qui continuait à avancer « J’en ai assez fait pour aujourd’hui. Je ne vais pas en plus m’imposer dans une réunion à laquelle je ne suis pas invitée.

- Mais nous sommes invités. Enfin, pas comme garde mais comme ambassadeur de Plume. Ils veulent juste faire croire que Plume n’est pas suffisamment importante pour posséder sa délégation.

- C’est Sentiment l’ambassadeur.

- Elle est au centre de recherche à l’autre bout de la colline. Nous allons la remplacer.

- Alors vas-y tout seul.

- Impossible » dit-il en me reprenant le bras. » Les Terriens sont deux. Si je me présente seul, ça présenterait Plume sur un rang inférieur, tu connais leur étiquette. En principe, j’aurais dû y aller avec Sentiment.

- Et pourquoi tu ne demandes pas à Tempête ? »

-Tu es insupportable avec tes questions » dit-il en me traînant à travers une nouvelle salle. Le temps qu’elle arrive ici tout sera fini.

En ce qui me concerne on m’a envoyé pour une mission stupide à l’autre bout du complexe alors, quand Glace m’a sorti par hasard qu’on t’avait aussi envoyé bien loin, j’ai commencé à comprendre qu’on voulait nous cacher quelque chose. »

Je suivis Orage de mauvaise grâce, jusqu’à une autre serre au centre de laquelle, en été, le soleil se reflétait dans un immense bassin. En cette saison, la nuit rendait tout morne et triste.

« Tu ne comptes envoyer personne à l’eau aujourd’hui ?» plaisantai-je me souvenant qu’il avait déjà envoyé Luico prendre un bain dans ce bassin.

« Non, mais j’ai d’autres projets »

On contourna le bassin pour se diriger vers une double porte dont la taille aurait nettement mieux convenu à des géants de quatre mètres.

« Orage, tu vas nous faire jeter hors des Maÿcentres avec tes soi-disant projets.

- Tu es assez mal placé pour me faire la morale ma cousine. Surtout après tes exploits sur Terre. La différence entre nous » dit-il baissant le ton tandis qu’on approchait de la porte « c’est que toi, tu fais des scandales et puis tu réfléchis, tandis que moi, je réfléchis et puis je fais un scandale. D’ailleurs, je ne serais pas étonné si j’apprenais que le président t’a amené sur Terre uniquement pour te pousser à bout pour faire bouger Archuleta à sa convenance.

- Orage, comment oses-tu insinuer…

- Tais toi » dit-il en rabattant le capuchon de mon manteau sur mes yeux « J’aimerais arriver avant la fin. »

Le garde à l'entrée s’approcha de nous. Lui aussi allait bien dans le décors, il dépassait allégrement les deux mètres et sa corpulence lui donnait des allures de colosse. Même Luico auraient paru petit à coté. Pourtant, c’est d’un air gêné qu’il s’adressa à Orage.

« Adarii Taegaïan, la réunion a déjà commencé et je pense que le premier conseiller a déjà excusé votre absence.

- Il est trop bon » dit Orage en ouvrant les deux battants de l'immense porte avant de s'avancer dans les salons du conseil. Je le suivis en continuant à vociférer mentalement. - Comment oses-tu imaginer que je pourrais me faire manipuler par le président ? Il ne m’a jamais demandé quoi que ce soit. D’ailleurs, je pense qu’il était bien embêté lui aussi. Orage, écoute-moi. Orage ! Il m’avait fermé son esprit comme on rejetterait une simple poussière et continuait à avancer tranquillement vers l’avant de la salle nullement gêné par la déception de la plupart des ambassadeurs qui avaient dû avoir une bonne surprise en voyant la place de Plume restée vacante.

Tous s’étaient levés à notre entrée à l’exception du président assis au bout de la salle. A ces cotés, le conseiller Sinshy affichait la mine sombre et déconfite de quelqu'un qui s'était fait doubler juste avant la ligne d'arrivé. Je remarquais en passant que la place des ambassadeurs du deuxième satellite était vide et je supposais qu’ils avaient dû « oublier » de les prévenir de la venue de la délégation d’Archuleta.

Orage s’avança d’abord vers le président Eysky et attendit que ce dernier lui adresse la parole.

« Adarii de Plume, vous pouvez prendre place », se contenta-t-il de dire en désignant l’espace vide à sa droite.

Son visage ne trahissait aucune émotion tandis que le conseiller Sinshy debout à ses cotés fulminait.

Sans un mot, Orage se déplaça dans la direction opposée vers les deux délégués Terriens. Sa colère s’était muée d’un coup en un accueil des plus cordial « Les Adarii de Plume souhaitent la bienvenue au peuple de la Terre » leur dit-il.

Je soupirai et m’installai à l’endroit indiqué par le président. Surtout, ne pas me faire remarquer. Qui sait, peut-être que si je gardais mon manteau, le président pourrait ne pas me reconnaître et me prendre pour Tempête. Non, rectifiai-je mentalement, pour Sentiment. Le président n’était pas assez naïf pour penser que Tempête serait capable de se cacher derrière un manteau. Depuis qu’il avait commencé à geler, elle avait troqué ses fines chaussures par des bottes en satin, mais laissait toujours son manteau ouvert et, même si elle avait abandonnée la soie pour le cuir dans le choix de ses robes, ces dernières paraissaient avoir encore rétrécies en longueur.

Comme Orage avait sans doute pris le parti de compliquer la situation, je pris sur moi de faire signe aux autres dignitaires qu’ils avaient l’autorisation de s’asseoir et attendis le spectacle. Comme je le pensais, Orage ne s’en tint pas là mais continua son discours non, comme il était d’usage, dans la langue des Maÿcentres mais dans un anglais quasi parfait alors que j'ignorais qu'il s'était donné la peine d'apprendre cette langue.

« Afin de mettre en avant tout l’intérêt que nous portons à votre monde » dit-il cérémonieusement, « c’est avec plaisir que nous vous recevrons dès demain à la villa Adarii. »

Ho non, je n’allais pas en plus me coltiner les Terriens ici. Un murmure s’éleva dans la salle.

- Orage, non.

Il ne m’écoutait pas, évidemment. Il venait, avec sa mine réjouie, de bouleverser tout le programme prévu par les Maÿcentres. Sans parler que c’était un honneur auquel même le président n’avait pas encore eu droit. Bien sur, il ne se gênait pas pour venir à son gré et le plus souvent pour nous sermonner, mais les invitations officielles à la villa Adarii s’étaient faites de plus en plus rare jusqu'à devenir inexistantes depuis de nombreuses années. J’en vins à la conclusion que nous n’allions pas tarder à devoir aussi inviter d’ici peu les délégués de Vengeance afin de ne pas froisser leur susceptibilité et l’idée ne m’enchantait guère.

Ce fut le conseiller Sinshy qui répondit : « Adarii Taegaïan, j’ai souvent entendu dire que, du temps de l’Adarii Espoir Taegaïan, il y avait des réceptions tout à fait somptueuses à l’ambassade de Plume et nous sommes flattés que vous les remettiez au goût du jour. »

C’était une façon subtile de se faire inviter et je souris en me demandant comment Orage allait s’en tirer. Il ne semblait pas partager mon enthousiasme pourtant, c’est avec le sourire qu’il s’adressa au conseiller Sinshy : « Conseiller, je trouve cette idée admirable et j’en ferais part à l’intendante de la villa afin qu’elle s’en s’occupe » Dit-il faisant paraître cela comme une banale formalité d’usage.

« Mais, en ce qui concerne la situation actuelle, je vais mettre la mauvaise interprétation de mon invitation sur votre méconnaissance de la langue que j’ai employé et vous précise que je n’ai nullement l’intention de vous inviter. Je vous rappelle que nous avons beaucoup œuvré ces dernières années sur certains projets avec la Terre. Les discussions que je souhaite avoir avec leurs délégués ne vous concernent pas.

Par contre, si vous souhaitez vraiment vous exprimez, vous pouvez nous dire pourquoi nous n’avons pas été prévenu du changement d’horaire de la réunion. » Son ton avait changé et son sourire avait disparu.

« Si vous aviez accepté d’installer un appareil de communication à l’ambassade de Plume, nous aurions pu vous prévenir. » Sa voix mielleuse dégoulinait de plaisir en disant cela.

La conversation allait tourner en règlement de compte mais le président Eysky intervient : « C’est un grand honneur que vous faites à mes invités et je ne doute pas que vous en fassiez d’égal aux autres membres de cette assemblée. Je crois en effet qu’il est certaines choses dont il vaut mieux discuter en privé aussi, j’accompagnerai moi-même les ambassadeurs de la Terre à l’ambassade de Plume selon l’invitation des Taegaïan ».

La discussion fut ainsi close sur le sujet même si on ne put refuser d’inviter le président Eysky et les débats se poursuivirent un moment avant qu’un cocktail ne soit servi.

J’attendis d’avoir quittée le complexe du conseil avant de questionner Orage : « Qu’est ce que tu mijotes avec les délégués d’Archuleta ? Tu ne crois pas que je les ai assez vu par ta faute ?

- Pour une fois, pas grand-chose » répondit-il « je souhaite juste qu’on se fasse bien voir d’eux avant que les autres ne se les accaparent et démolissent notre réputation. Et je ne pense pas que au conseiller Sinshy. » Je surpris sans mal le reste de sa pensée par laquelle il ne cachait pas que moi aussi je pourrais bien démolir toute bonne relation diplomatique avec eux.

Mais cette fois, je n’accepterai pas si facilement ses reproches inexprimés. Je pris le ton le plus neutre possible, comme si je me contentais de raconter une banalité d’usage : « Tu sais que je suis allée chercher Ryun qui courtisait la fille du Sy Paktyl ?

- Pourquoi courtisait ? Il ne la courtise plus ? »

C’est ça, fait semblant de rien, prends-moi pour une idiote pensais-je mais je continuai comme si de rien n’était : « Allez savoir, j’ai bien peur qu’il se soit rendu ridicule.

- Je crois que je comprends tes inquiétudes vis-à-vis des problèmes que tu risquais d’avoir avec le président. Qu’as-tu fait à ce pauvre Ryun ? N’oublie pas ce que je t’ai dit, si tu peux t’attirer ses bonnes grâces, nous pourrions apprendre beaucoup de choses. »

Ho non, pensai-je, n’essaie même pas de me culpabiliser. A le voir chercher à me prendre encore en tort, une bouffée de colère m’envahit et je n’essayais même pas de la garder pour moi cette fois.

« Dis-moi d’abord : Qu’as-tu fait avec la fille de Paktyl ?

- Sy Dyasella Paktyl. N’est-ce pas qu’elle est jolie ?

- Je l’avais déjà vue, tu avais dansé avec elle peu après son arrivé sur les Maÿcentres.

- C’est vrai, un pari avec Tempête si je me souviens bien. J’avais gagné d’ailleurs. Comme toujours.»

Il avait très bien compris où je voulais en venir mais il gardait malgré tout sa fière assurance. Il ne semblait jamais éprouver le moindre remord. Sentiment me disait sans cesse qu’il était totalement dépourvu de moralité et elle avait raison. Non, je ne le laisserais pas s’en tirer cette fois « Tu n’as pas fait que danser avec elle n’est-ce pas ?

- Ce soir là, si.

- Et ensuite ?

- Ensuite, je l’ai revue quelque mois plus tard, tout à fait par hasard, dans les jardins de l’esplanade. Tu venais de commencer à travailler avec Eysky, ce qui me laissait quelques temps libres. »

C’est ça, essaie de faire croire que j’y suis pour quelque chose.

Orage me sourit et continua son histoire : « Elle portait des fleurs qu’elle a laissé tomber en me voyant. Je ne l’avais pas reconnue mais, galant devant les jolies filles, je l’ai aidée à ramasser son bien. C’est là que j’ai perçu qu’elle n’avait pas l’air de me rencontrer pour la première fois. Elle m’a rappelé où nous nous étions rencontré et j’ai été très ému de constater que je lui avais fait tant d’effet qu’elle éprouvait encore des sentiments pour moi après tout ce temps.

- Orage, tu es incapable d’être très émus.

- Grosse erreur, j’en suis tout à fait capable. Cependant, je te l’accorde, pas pour de telles futilités.

Bref, elle m’a dit combien elle avait été triste que je refuse son invitation lors de sa cérémonie d’accueil. Très émouvant » Ajouta-t-il sans en croire un traître mot.

Vu qu’il s’était tu, je le relançai « Et ensuite ? »

Il sourit d’un air charmeur « Ensuite, elle m’a parlé de son regret de n’avoir pas été prêter allégeance aux Maÿcentres directement à l’ambassade de Plume comme le voulait la coutume.

Je lui ai répondu que c’était une coutume plus guère pratiquée, mais elle m’a dit que, souvent, en passant devant les jardins de la villa, elle tentait d’apercevoir les détails de la maison que l’on dit être la plus belle des Maÿcentres.

Qu’est-ce que tu veux, devant tant de compliments, je ne pouvais que l’inviter.

- Ca m’étonnerait que tu invites tous ceux qui éprouvent de la curiosité pour la villa Adarii.

- Tu as vu comme elle est belle cette fille ? Même chez les Adarii, rare sont celles qui sont aussi jolies. En plus, il fallait la voir quand elle est venue, elle avait l’air d’une petite innocente. Elle avait dû mettre sa plus belle robe mais ressemblait à une petite servante ». Tout en parlant, nous étions arrivés devant l’entrée des jardins de la villa. Orage s’était arrêté mais, plutôt que de pousser la grille, il se tourna vers moi. « C’est elle qui m’a embrassée ». Comme si ça justifiait quoique ce soit « Elle a commencé par me toucher comme ça » dit-il en passant un doigt le long de mon cou m’arrachant un frisson. « Elle m’a demandé, si je pouvais lire en elle avec un contact si léger. Je lui ai répondu qu’elle n’avait pas besoin de me toucher pour que je sache ce qu’elle désirait » Il s’arrêta un instant avant de reprendre « Tu n’imagines pas à quel point elle en avait envie. C’est contagieux ces choses-là », dit-il comme s’il cherchait soudain à se justifier « Je me souviens qu’elle a rougi » précisa-t-il en souriant. « C’était la première fois pour elle. Ensuite, elle s’est approchée, et elle m’a embrassé comme ça. » Joignant le geste à la parole il effleura mon cou d’un baiser. Je fermai les yeux à la douceur de ce contact et il en profita pour me serrer contre lui. « Toi aussi Pluie, tu en as envie, tellement envie » me souffla-t-il dans le creux de l’oreille passant ses mains sous mon manteau.

Je luttais intérieurement pour lui résister. Je ne devais pas le laisser faire, je ne devais pas.

- Pourquoi ? Pourquoi tu ne le devrais pas ?

Je parvins à murmurer dans un souffle : « elle n’est pas Adarii. »

Orage se recula et le froid de la nuit m’envahit.

« Et alors ? » Dit-il soudain beaucoup plus durement en ouvrant le portail du jardin. « Que je sache, je ne suis pas le premier à tenter ce genre d’expérience.

- Justement, je sais dans quel état ma mère s’est retrouvé et je ne le souhaite à personne

- Elle s’en remettra.

- A la façon dont tu dis ça, j’en déduis que cette histoire a mal fini ? » De toute façon, je n’imaginais pas comment ça aurait pu bien finir vu qu’elle semblait être amoureuse d’Orage comme une gamine inconsciente qu’elle était.

« Même pas. Elle est venue quelques fois. Parfois, je l’ai laissée entrer. Parfois, j’ai demandé à Plumeau de la chasser.

- Puis, il y a quelques mois, elle est passée. J’ai dit à Plumeau de la faire partir gentiment mais cette mêle tout m’a dit qu’elle avait l’air désespérée. Alors, comme tu connais mon bon cœur, je l’ai laissée entrer.

- Tu n’as pas de cœur, et tu as horreur des gens désespérés.

- Que tu me connais mal jolie Pluie. En plus, Tu oublies que je connaissais les pensées de cette jeune fille fraîche et innocente. Petite perverse oui. Cette situation l’excitait au plus au point. Le danger, l’interdit. Pauvre petite fille riche qui avait tout ce qu’elle voulait. Elle avait trouvé en moi ce qu’elle cherchait : quelqu’un qui ne soit pas à ses pieds. Elle ira loin cette fille. Ce n’est pas n’importe qui. Bref, elle m’a expliqué qu’elle avait rencontré Ryun et qu’il la courtisait. » Tout en disant cela, Orage ouvrit la porte d’entrée et s’effaça pour me laisser entrer. Plumeau arriva pour enlever nos manteaux et Orage lui demanda de nous porter quelque chose de chaud et des biscuits à la cannelle et je le suivis dans le salon attenant à la bibliothèque.

« Je lui ai dit que c’était très bien et qu’elle avait intérêt à garder un tel parti. Je ne sais pas si tu sais mais, sur Vengeance, ils font des cérémonies compliquées pour obliger deux jeunes à vivre ensemble en vue de créer des alliances politiques. Je n’ai pas compris le rapport entre vivre ensemble et politique et ça me parait très malsain mais en général, c’est le style de cérémonies qu’ils apprécient. Pourtant, loin d’être rassurée, elle était désespérée. Je crois que, dans sa petit tête simpliste, elle s’était imaginée que je pourrais m’unir à elle comme ils le font sur Vengeance ». Il avait dit cela d’un air dégoûté

« Elle m’a demandé ensuite, si c’était vrai qu’on ne vivait pas avec la personne qu’on aimait.

Je lui ai répondu que c’était difficile vu que de toute façon, il était bien rare de n’aimer qu’une seule personne mais qu’on était toujours en contact avec ceux pour lesquels nous avions des sentiments.

De là, elle s’est mise à geindre comme quoi, cela voudrait dire que si elle ne pouvait établir un lien avec moi, je ne pourrais jamais l’aimer.

- Que lui as-tu répondu ?

- Que voulais-tu que je dise ? Que je lui laisse de faux espoirs ? J’ai acquiescé.

Elle m’a fait pitié à être bouleversée ainsi » mentit-il « surtout » continua-t-il son air de pitié se métamorphosant soudain en quelque chose de nettement plus gaie. « Quand je l’ai raccompagnée à la porte, Tempête est entrée comme une furie. Comme à son habitude en fait. Elle s’est jetée dans mes bras et m’a embrassé avant de se mettre à jacasser

La petite est devenue blême et elle s’est enfuie » ajouta-t-il pour conclure son histoire sur une note positive

« Magnifique, et ça te fais rire ! A part ça, tu disais que tu ne faisais rien de mal. Tu te rends compte de ce qu’elle a pu ressentir ?

- Bien sur que je m’en suis rendu compte. Je ne suis pas un grand spécialiste des cultures de Vengeance mais j’ai bien ressenti ses émotions. D’ailleurs, si tu veux mon avis, c’est tout à fait indécent de partager son malheur ainsi.

Tempête est allée la voir. Enfin, je crois ». Continua-t-il « Quand elle est partie, elle aussi a senti sa détresse. Alors, évidemment, elle m’a demandé des explications, m’a sorti un peu près la même morale que toi et, vu la passion qu’elle a pour toutes les pauvres âmes en détresse, j’ai supposé qu’elle irait s’en occuper.

- Et après, tu oses dire que c’est moi qui ne réfléchis pas ». Je tentais d’imiter la voix d’Orage quand il me faisait la morale : « Pluie, étudie leurs coutumes et ne fais pas d’impair ». Je continuais en reprenant ma voix normale légèrement déformée par la colère. « Et toi, connais-tu seulement les mœurs du continent dont sont issus l’ambassadeur Paktyl et sa famille ? C’est une culture basée sur l’union. Les jeunes se doivent de garder leur virginité jusqu’à cette cérémonie, puis ensuite de faire des enfants. Après seulement, ils sont libre de se trouver un autre partenaire, mais dans ce cas, Ils sont stérilisés pour être sur qu’ils n’engendrent pas d’enfants hors de ces liens compliqués. »

Orage fit une grimace, écoeuré « C’est atroce. Comment peut-on être aussi barbare et après, tu critiques les coutumes du deuxième satellite. Dire qu’on essaie désespérément de faire des enfants et qu’on arrive à peine à maintenir notre population et eux, ils se mutilent pour ne pas en avoir.

- Là n’est pas la question, comme tu dis si bien, ce n’est pas à nous de juger. C’est une trahison que tu as faite. Et sur une des plus puissante famille de Vengeance.

- N’exagère pas, les Sy Paktyl ne sont que simples ambassadeurs. En plus, je t’assure qu’elle n’avait pas l’air de trop y tenir à ses coutumes.

- Dyasella n’est pas Paktyl, sur Vengeance, les filles appartiennent à leur mère et les garçons à leur père. C’est Syhy Dyasella Lïtïl et fille de Syhy Lytyl que tu as offensé et, si le président Eysky a ramené son fils auprès de lui, c’est parce qu’il l’a fiancé à cette jeune fille.

- Ryun ? Tu plaisantes. Je l’imagine très mal se plier à ce genre de coutume. Il n’y a qu’à voir comment il te regarde.

- On s’en fout. Qu’il fasse un scandale auprès des Lytyl et de son père si ça lui chante, ce n’est pas notre problème. Par contre si le scandale vient de toi. » Je m’arrêtai n’osant même pas imaginer jusqu’où cette simple histoire pouvait nous mener. « Imagine si elle était tombé enceinte.

- Impossible, tu sais bien que…

- C’est la tempête dehors. » Tempête entra à notre rencontre précédée d’un courant d’air froid aromatisé à la vanille coupant sans remord notre conversation. Elle secoua un instant sa chevelure toute ébouriffée et s’appliqua à y passer ses doigts pour les démêler.

« Le froid, le vent, et la neige, Tu aimes ça n’est-ce pas. » Lui dit Orage en souriant.

« Bien sur, je viens de Maniya. J’ai l’habitude. Mais là, c’est un peu trop ». Continua-t-elle en se frottant les mains. Réchauffe-moi Orage Taegaïan comme ils disent ici. » Tout en disant cela, elle le poussa pour se faire une place à ses cotés et prit en passant la bouilloire au-dessus du feu pour se faire une tasse de thé. « Il faudra rajouter de nouveaux panneaux solaires. Ceux qu’on a ne sont pas assez puissant vu le peu de soleil en cette saison et nos réservent de bois s’épuisent.

- Dans tes rêves. » reprit Orage heureux de changer de conversation « Le partage de l’énergie se fait suivant le nombre d’occupant d’une habitation et non sa taille. Déjà, j’ai eu du mal à me procurer ce panneau auquel nous n’avions pas droit.

- Je te parie que j’arrive à les convaincre de nous en fournir un autre avant la fin du mois. »

Elle perçut enfin la tension qui régnait dans la pièce et arrêta ses considérations techniques.

« Bonne ambiance !» dit-elle réjouie

« Nous évoquions les exploits d’Orage auprès de Syhy Dyasella Lïtïl.

- La fille de Paktyl ? Elle est Syhy ? » Tempête sembla rejeter ses détails d’un revers de main « Elle s’en remettra. » Conclut-elle comme si l’affaire était réglée.

« Je suppose que toi non plus, tu ne t’aies pas intéressée aux coutumes matrimoniales de Vengeance ?

- Je m’intéresse à celle de la Terre, c’est bien suffisant à mon goût. Vous ai-je raconté que certains peuples sont si violents que non seulement les femmes doivent se contenter d’un seul homme, mais en plus, si elles vont avec un autre, elle sont mise à mort. Et d’une manière horrible en plus. » Ses yeux brillaient en racontant ça.

Je la coupais avant d’avoir plus de détails sordides et lui expliquais les coutumes de Vengeance.

Tempête s’esclaffa et renversa quelques gouttes de thé brûlant sur ses jambes nues, lui arrachant un cri.

« C’est ridicule » dit-elle en se levant pour s’installer près du feu.

« Là n’est pas la question ». J’avais l’impression de ressasser les mêmes choses à quelqu’un d’aussi bouché.

« Tempête, faire l’amour avec un homme revient pour eux quasiment à s’unir avec lui. »

Tempête se retint de rire imaginant son Orage unis à la mode de Vengeance.

« Voyons, calme-toi Pluie, il ne l’a pas forcé. Si c’est si important pour eux, et bien au moins, on peut être sûr qu’elle se taira.

- Mais vous ne pouvez pas, je ne sais pas, lui faire oublier tout ça ?

« Comment veux-tu lui faire oublier des événements sur plusieurs mois ? » demanda Orage ironique.

« Et puis, soyons logique, on ne peut pas oublier Orage » continua Tempête, une lueur mutine dans ses grands yeux d’ambre. « On ne résiste pas au charme d’Orage. Personne ne le peut. » Précisa-t-elle semblant s’embraser en lui envoyant un baiser.

« Pluie me résiste. » Se lamenta Orage d’un air pitoyable.

Tempête me jeta un œil distrait puis se tourna vers son amant. Pas pour longtemps pensait-elle. Elle était persuadée que je céderais à ses avances et que j’en mourrais d’envie. Elle ne tiendra pas une semaine de plus précisa-t-elle mentalement à l’égard d’Orage sans se soucier le moins du monde de me faire partager ses pensées

« Tempête » criai-je. « Garde tes pensées pour toi. N’y a-t-il pas moyen d’avoir la moindre intimité dans cette maison ».

Tempête et Orage s’arrêtèrent stupéfait et se retournèrent ensemble vers moi. « Non » dirent-ils d’une seule voix.

Je soupirai et repris mon premier souci. « Bon alors qu’est-ce qu’on fait pour la Syhy Lïtïl ?

- On ne fait rien » s’énerva Orage. Cette histoire date de plusieurs mois. « Si elle avait voulu parler, elle l’aurait fait.

- Vous ai-je raconté comment j’ai failli avoir des relations avec un homme de la Terre ? » annonça soudain Tempête pétillante.

Je pris un coussin et l’enfonçai contre ma tête comme si ça pouvait m’empêcher d’entendre. Sentiment avait raison quand elle disait qu’il serait moins dangereux de laisser les Maÿcentres sans surveillance que sous celle de Tempête et Orage. En fait, elle disait même qu’elle seule avait un brin de jugeotte dans cette maison mais je n’étais pas d’accord. Moi, je n’étais pas comme eux.

Tempête racontait maintenant que, lors de son séjour sur Terre, quand Sentiment était allée me chercher en Angleterre, elle avait repéré un homme beau, comme elle n’en avait jamais vu sauf Orage et qu’elle s’était dite, qu’au fond, elle tenterait bien l’expérience. Elle l’avait attiré avec ses facultés hors du commun qu’elle utilisait pour séduire n’importe qui tout le temps.

Je la coupais, la curiosité l’emportant un instant sur le bon sens. « Comment fais-tu ? Moi, jamais aucun homme ne m’approcherait.

- Subtil » me dit Tempête. « Ils ont peur de nous mais ils sont attirés en même temps. Comme dirait Orage, c’est comme un papillon devant une bougie. Ils tournent autour fasciné par la flamme, mais sans savoir pourquoi, leur instinct leur dit que c’est dangereux. Pourtant, il ne faut pas grand chose pour que la fascination l’emporte et qu’ils viennent se brûler les ailes. Je t’apprendrais.

- Elle dit ça » reprit Orage « mais ce n’est pas si facile. Personnellement, j’ai du mal. Et, en ce qui concerne la fille Lytyl, elle était plutôt terrorisée, mais je pense que justement c’est la peur qui l’a poussée. Elle faisait sa timide mais elle recherchait des sensations fortes.

- Tu plaisantes Orage, elles sont toutes folles de toi. »

Je cherchais les mots pour les faire taire mais je sentis une présence. Curiosité avide et malsaine. Je me mis à crier. « Plumeau, vas nous préparer à manger et arrête d’écouter aux portes. »

L’infime présence de Plumeau s’éloigna jusqu’à s’évaporer tout à fait et la pièce se mua dans le silence.

La curiosité d’Orage envers l’histoire de Tempête prit le dessus et je sentis l’interrogation informulée qu’il lui lançait.

Tempête par le même moyen expliqua comment elle avait suivi le jeune homme en question dans une boite sordide, comment il l’avait emmené sur une plage déserte et comment elle l’avait planté là, disparaissant simplement à sa vue car bon, en fait, ce n’était pas terrible.

« Tu l’as lâché comme ça ? » Dis-je tout haut.

« Bien sur, il n’y avait rien. Des baisers stériles aucun échange. Des pensées vicieuses, juste tournées vers lui. Il ne s’intéressait pas à moi, à ce que je pouvais ressentir, à ce qui me plairait. Non, des rapports si basiques c’est trop… » Tempête cherchait le mot juste.

« Limité » finit Orage.

« Oui, c’est ça. Limité » reprit Tempête tandis qu’Orage acquiesçait.

« Orage, lui au moins, il… »

Je la coupais avant d’avoir droit à tous les détails de ses ébats : « Ce n’est pas ce genre de détails que je demandais. Je voulais dire : tu as disparu à ses yeux et tu es partie sans même te demander ce qu’il allait pouvoir imaginer se retrouvant soudain tout seul ?

- C’était un homme de la Terre. Il ne nous connaît pas. Que veux-tu qu’il pense ? Au pire, il s’imaginera qu’il est dingue et finira sa vie entière dans une de ses maisons où ils mettent ceux qui ont des hallucinations et au mieux, il pensera qu’il a fait un joli rêve.

- C’est vrai que tu es un joli rêve » pensa Orage.

Tempête sourit d’une manière stupide.

« Vous êtes malades tous les deux . Totalement inconscient. » J’aurais voulu partir bien loin de ces deux-là mais, quelque soit l’endroit où je serais, ils seraient toujours là.

Orage me regarda vexé. « Toi aussi tu es un joli rêve Pluie, malheureusement, pour je ne sais quelle raison issue de ton esprit farfelu, tu n’es qu’un rêve »

Je lui répliquai sur le même ton : « Peut-être à cause de ce genre de remarque justement. »

Sentiment avait bien raison d’avoir toujours refusé de se lier avec Orage. Elle seule avait encore un peu de bon sens. Et moi aussi.

« Toi ? Du bon sens. Tu as attaqué la Main ! »

Je ne cherchai même pas à savoir comment il avait appris ça si vite.

« Mieux vaut s’en prendre à une simple secrétaire qui l’a mérité, qu’à la haute noblesse de Vengeance.

- Pas d’accord » reprit Orage. « La Main n’a peut-être pas de titre mais c’est l’assistante personnelle du président. S’il lui a accordé de porter un y dans son nom, ce n’est pas pour rien. Ca l’élève au même rang que les conseillers et les ambassadeurs. Il a énormément d’estime pour cette mégère. » Précisa-t-il comme si j’étais incapable de comprendre. « Même moi, je n’ose pas m’attaquer à elle et pourtant, qu’est-ce que j’en aurais envie ».

Je tentais de me justifier d’une manière pathétique : « Mais elle me nargue sans arrêt ! » Pourquoi n’avais-je pas le don d’Orage pour trouver toujours les mots appropriés.

« Evidemment, elle le fait exprès dans le but de nous pousser à bout pour pouvoir ensuite se plaindre de nous au président comme une gamine maltraitée. Et toi, tu joues à fond dans son jeu. » Il reprit sa respiration puis continua : « Moi, je fais peut-être certaines erreurs, mais discrètement. Tandis que toi ! Le président doit être en train de fulminer à l’heure qu’il est. »

Je me mordis les lèvres pour ne pas répondre. Je croyais avoir donné une bonne leçon à cette vieille bique, mais en fait, c’était elle qui allait avoir le dernier mot. Mais, encore plus que ça, ce qui me mettait en rage c’est qu’une fois encore, Orage avait raison et que c’était moi qui allais en prendre plein la tête alors qu’il faisait dix fois pire.

Je profitai du retour de Plumeau pour réfléchir à la situation. Orage et Tempête faisaient de même. Plumeau nous apporta de grands bols de soupe et un plateau remplis de petits croissants salés et de bouchées de légumes. Je la suivis des yeux tandis qu’elle sortait en tentant vainement de garder pour elle sa curiosité maladive.

J’allais être obligée de présenter mes excuses à la Main. Rien que l’idée m’en rendait malade.

« Tu ferais bien oui. Et avec plus de conviction que ça. »

Je soupirai et me forçai à m’éloigner mentalement d’Orage. Je commençais à avoir marre qu’il partage sans cesse mes pensées. Même Glace ne s’immisçait pas ainsi dans ma vie privée. Pensai-je même si ce n’était pas tout à fait vrai. En fait, il faisait exactement pareil.

Orage me jeta un air mi-surpris mi-vexé mais ne fit aucun commentaire. Ses yeux, telles deux émeraudes, s’illuminèrent soudain d’un éclat froid. « Tu diras aussi à Eysky qu’on organisera une grande réception et qu’il nous fasse passer la liste des personnalités à inviter. Ca devrait le calmer.

- Tu veux organiser une réception ? » S’indigna Tempête « C’est un boulot dingue.

- Oui, mais ça les flattera et pour l’instant c’est urgent de faire bonne impression. En plus, tu pourras te montrer dans une de tes tenues affriolante dont l’indécence fait rougir toutes les prudes Maÿcentres.

- Je n’ai pas besoin de réception pour ça » dit-elle en haussant les épaules. Mais elle pensait déjà à tous ceux qu’elle pourrait rendre fou de désirs pour elle et elle sourit.

***

La délégation d’Archuleta arriva comme prévu le lendemain soir accompagnée du Président Eysky. J’avais émis l’idée, qu’au fond, ma présence n’était peut-être pas nécessaire. Bien sur, personne ne m’avait écoutée. Sentiment s’était contentée de répliquer que la seule chose qui n’était pas nécessaire, c’était que j’ouvre la bouche. A l’arrivée d’Eysky, je crus qu’il nous obligerait aussi à supporter les deux géants qui lui servait de garde du corps mais il les renvoya, sans doute à contre cœur. Ce n’était pas le moment de mettre en avant les mauvaises relations entre nos deux peuples devant la Terre. Orage était des plus avenant. Il avait fait préparer une soirée à la Terrienne avait-il dit en demandant de faire préparer un repas. Il avait même fait puiser dans les réserves des produits spécifiques de Plume, ce qui, expliqua le président, était un grand honneur car Plume ne commerçait jamais avec les autres planètes et que, par conséquent, personne n’avait accès aux produits de ce monde. La remarque était évidemment un reproche mais le ton léger pouvait la faire passer comme une simple constatation pour des esprits aussi simplistes que ceux des Terriens.

Orage répondit par sa réplique habituelle sur le ton sarcastique lui aussi courant : « C’est que nos modestes connaissances sont indignes d’une puissance telle que les Maÿcentres » Et il ajouta, toujours comme à son habitude : « Nous ne sommes qu’une planète primitive ne l’oublions pas. »

Gentry était apparemment de caractère suspicieux. « Depuis votre venue sur Terre, j’ai pris bien soin d’en apprendre le plus possible sur votre planète et elle ne m’a pas parue si archaïque.

- Vous êtes trop aimable Syhi » avait répliqué Orage avec un accent mielleux hasardant une traduction approximative et à mon avis peu appropriée du titre de Général. « Mais pensez donc, nous n’avons aucune technologie à proprement parler, ni moyen de transport, ni machines, ni moyen de communication. Non, je vous assure que vous êtes bien plus avancé que nous.

- En tout cas, vous avez une maison magnifique. »

Tempête s’exclama ravie que, contrairement aux Maÿcentres, nous étions très sensibles à la beauté des choses. Tout en disant cela, elle papillonnait des yeux charmeurs sur Gentry qui sembla perdre toute contenance un instant.

Et des femmes pensa Orage en admirant Tempête dans sa robe bien trop légère pour la saison, ses cheveux relevés laissant cascader des myriades de petites boucles autour de son visage.

Cette dernière lâcha le général et le regarda avec tout l’amour du monde dans ses yeux avant de lui répondre quelque chose qu’elle ne me laissa pas entendre.

Le président s’offusqua de la remarque de Tempête mais en profita pour expliquer que les grandes familles des Maÿcentres commençaient aussi à s’intéresser à l’esthétisme (mot tout à fait nouveau dans leur vocabulaire et d’ailleurs repris de la langue de Plume) et que la Terre faisait aussi des objets d’une grande beauté qui pourraient avoir une grande valeur à leurs yeux. On aurait pu les croire les meilleurs amis du monde à les voir ainsi attablé discuter de choses et d’autres, souriant d’une banalité ou prenant l’air passionné par une histoire sans importance laissant ça et là pointer une légère trace de sarcasme et un soupçon d’hypocrisie.

La situation ne dégénéra que vers le milieu du repas, ce qui, à mon sens était déjà une jolie prouesse.

Je ne doutais pas que le président avait dû leur expliquer que, lors d’une invitation officielle, ils auraient le droit de poser toutes les questions qu’ils souhaitaient parce qu’ils commencèrent à s’intéresser beaucoup trop à nous.

C’est le professeur au nom imprononçable qui commença les hostilités. Ca ne m’étonnait pas. Il paraissait totalement dépourvu du moindre tact et, peut-être à cause de son malaise, il avait tendance à dire n’importe quoi. Il commença franchement à devenir désagréable quand il se permit de demander ce qu’étaient les Adarii. « J’aimerais en savoir un peu plus » disait-il « D’ailleurs, est-ce un titre ou une fonction ? »

- Ni l’un ni l’autre » c’était la première fois de la soirée que Sentiment daignait prendre la parole. « Nous ne pouvons pas vous donnez de réponse à cette question vu qu’il n’y a pas d’équivalent sur Terre, ni sur les Maÿcentres d’ailleurs. Les Adarii sont les Adarii, il n’y a rien à en dire de plus. »

Le président Eysky ne parut pas de cet avis et poursuivit : « C’est une sorte de caste dirigeante de Plume. Chaque famille possède un morceau de territoire et gère les cités ainsi que les gens qui s’y trouvent.

- Nous ne possédons rien. Les territoires appartiennent à eux-mêmes », dit Sentiment très calmement même si elle devait être aussi furieuse que les autres que le président puisse se mêler ainsi de ce qui ne le regardait pas.

Eysky reprit ignorant superbement la remarque de Sentiment : « Je pense, si je ne m’abuse, qu’il y aussi une certaine hiérarchie entre les différentes familles. Est-ce bien exact ?

- C’est un peu équivalent aux royaumes que l’on retrouve sur Terre ? » reprit Gentry.

J’avais pris le partit de me taire quoi qu’il arrive. Après tout, Orage avait voulu les inviter. Hé bien, qu’il assume. Je me tournai vers Orage et Tempête prête à les voir bondir, mais ils se regardèrent incrédules. Je compris qu’ils ne maîtrisaient pas assez l’histoire et la politique de la Terre. Par contre Sentiment si, et elle n’appréciait pas qu’on puisse comparer la puissance Adarii à de simples petits royaumes. Pourtant, c’est d’une voix toujours aussi posée qu’elle se contenta de répondre : « pas vraiment, non »

Ce genre de réponse aurait dû mettre un point final au sujet, mais le président Eysky poursuivit ses explications en fin connaisseur. « Les Adarii sont des bâtisseurs. Ils ont un don certain pour l’architecture et la construction. Ils font des sculptures magnifiques, des ponts, des bâtiments et cette maison n’en est qu’un exemple. Ils ont un talent extraordinaire pour façonner la pierre et la sculpter. On dit que, s’ils étaient capable d’aimer les gens autant qu’ils aiment les pierres, ils…

- Ca suffit Président Eysky » dit Sentiment élevant légèrement la voix « Sauf votre respect, vous vous égarez. »

Ca y est pensais-je, je me demandais jusqu’où pouvait tenir le masque impassible de Sentiment. Je le sentais en train de se rompre. Cette soirée n’allait pas tarder à mal tourner et là, personne ne pourrait dire que c’était ma faute, je n’avais pas dit un mot. En plus, je les avais prévenus. On me critiquait car j’étais incapable de tenir trois jours avec ces gens là, mais eux, ne tiendraient pas une soirée.

Sentiment regarda le président avec un air de défi, mais ce dernier se garda bien de lever les yeux sur elle préférant se tourner vers les deux invités « Bref, Ils ont construit sur Plume des cités entières en pierre d’une beauté extraordinaire. Plus jeune, j’ai eu l’honneur d’être invité par l’Adarii Espoir à Taé, la première cité de Taegaïan. C’est un pur joyaux et il parait que la cité principale de Maniya est encore bien plus impressionnante. J’aimerais d’ailleurs qu’ils nous en révèlent un peu plus là-dessus mais, comme je vous dis, extirper un secret à un Adarii n’est pas des plus faciles. Ils n’aiment pas qu’on leur pose des questions. »

A la façon dont il disait ça, on aurait pu croire qu’il en parlait comme d’un caprice puéril.

Tempête, assise à ses cotés prit son air de gamine coquine et s’approcha pour lui dire quelques mots à l’oreille. Il perdit bien vite son sourire alors qu’elle continuait à le regarder de son air charmeur. Je la vis passer sa main dans les cheveux, entortillant négligemment une petit boucle dorée entre ses doigts fins, puis reposer sa main, effleurant presque celle du président, qui retira son bras à toute vitesse tandis que le scientifique prenait le relais de la conversation : « Je suppose que le conseiller Glace Taegaïan fait parti de votre “caste” et que vous avez tous ses facultés très particulières de communication à distance ? »

On mit tous un certain temps à répondre. Il s’aventurait en terrain dangereux. Si Glace avait révélé au général Gentry nos facultés empathiques, ce dernier avait décidé que, pour l’instant du moins, il jugeait plus prudent d’éviter de préciser à ses compatriotes jusqu’où cela pouvait aller exactement. Quant au reste, je n’imaginais même pas les répercussions s’ils étaient au courant.

Voila bien la mentalité de la Terre. D’abord, ils s’offusquent parce qu’on leur cache des choses, et ensuite, ils font exactement pareil. Pire même car Gentry trompait ses propres collaborateurs. Mais moi, ce soir, je ne me mêlerais de rien. Qu’ils pourrissent dans leur complot, ce n’était pas mon problème.

C’est Orage qui répondit : « Glace est parti à Archuleta en tant que conseiller et je crois que c’est en tant que tel qu’il souhaite être considéré sur Terre. »

Encore une fois, j’admirais l’éloquence d’Orage, l’aisance avec laquelle il arrivait toujours à trouver le mot juste afin de satisfaire son public tout en ne révélant rien du tout et, encore une fois, je me sentis fondre devant sa prestance irréprochable et son assurance. Cependant, le regard bien trop satisfait qu’il me lança en retour me fit revenir sur mes impulsions et je l’éloignai de mes pensées.

« En tout cas, nous sommes flattés que vous ayez envoyé quelqu’un d’une telle importance pour mener les négociations » précisa Gentry.

« Il a toute ma confiance » se contenta de dire le président Eysky.

Il mentait d’une manière éhontée mais pour une fois, c’était dans notre intérêt et personne ne fit la moindre remarque. Tempête continuait à le dévorer des yeux, ce qui le mettait de plus en plus mal à l’aise.

Le professeur reprit la parole : « Mais, si ce n’est pas indiscret, je voudrais en savoir plus sur vous »

Si, c’était très indiscret et j’attendais impatiemment de voir qui prendrait la parole. C’est Orage qui se lança : « Non » décréta-t-il. Tous les invités le regardèrent incrédules devant un refus si catégorique mais il continua tout à fait calme. « Vous n’avez pas envie de le savoir. »

Je restais bouche bée devant son culot. Et devant le président en plus. Ce dernier paraissait encore plus outragé que moi. Il se tourna vers Orage, croisa un instant le regard de Tempête qui lui fit son plus beau sourire et lui envoya discrètement un baiser tout en approchant encore légèrement sa main vers lui. Il rougit, en même temps de rage sans doute contre le comportement d’Orage et les menaces implicites de Tempête et aussi de gênes devant son comportement provocateur.

« Vous préférez sans doute discuter des recherches de l’Adarii Tempête »

Je regardais le scientifique qui parut hésiter entre son propre désir et celui que lui avait imposé Orage.

Tempête quitta instantanément le président des yeux et jeta un regard furieux à Orage qui lui fit un clin d’œil. Je perçus qu’Orage n’en savait pas plus que moi sur les recherches de Tempête et qu’il voulait en profiter pour découvrir ce qu’elle tramait derrière notre dos.

Le scientifique se retourna enfin vers Tempête. « Adarii Maniya, c’est à vous je crois, que je dois les stupéfiants résultats de vos recherches contre la douleur. Le milieu médical vous en est déjà très reconnaissant, même s’il ne sait pas vraiment d’où ça vient ». Il avait dit cette dernière phrase comme si c’était une chose vraiment très drôle.

« Beaucoup de drogues issues des plantes de Plume peuvent se retrouver sur Terre et sur les Maÿcentres » éluda-t-elle tout en envoyant une multitude de sentiments négatifs à Orage qui ne s’en souciait pas le moins du monde se contentant juste de la garder à distance.

« Ce que vous avez fait est bien plus qu’une simple comparaison, J’avoue que je suis très étonné de vous voir si jeune, j’ai du mal à imaginer que vous ayez déjà acquis une telle connaissance en biologie moléculaire. Je pensais que les Maÿcentres étaient plutôt en retard dans ce domaine.

- Biologie moléculaire ? » Répéta le président Eysky » en jetant un regard mi-suspicieux mi-étonné à Tempête. Orage et Sentiment paraissaient tout aussi surpris et moi de même. Les Adarii n’avaient aucune connaissance en la matière autre que ce qu’ils avaient appris de Vengeance, qui étaient aussi en retard sur la question par rapport à la Terre. En fait, à ce sujet, c’est moi qui aurait dû en savoir le plus même avec le peu d’étude et de recherches que j’avais fait sur Terre. Tempête avait une faculté d’apprentissage et une mémoire remarquable, même pour une Adarii mais je ne voyais pas où elle avait pu apprendre de telles choses vu le peu de temps qu’elle avait passé sur Terre.

Le président Eysky continua en s’adressant aux Terriens, « j’ai bien l’impression que vous ayez eu droit à plus d’information que moi sur le sujet. »

Le scientifique reprit : « N’y pensez pas, je n’ai eu que des résultats. Les procédés utilisés ne m’ont pas été révélés, mais je suis impatient de les connaître ».

Tempête était passé de la gêne à l’indignation à une vitesse surprenante. « Vous n’en saurez pas plus » s’exclama-t-elle sans plus chercher à cacher sa colère. « Je vous ai fait part de ce que vous vouliez. Pour les détails, sachez juste que l’art de guérir fait partie des secrets de Maniya et cessez de me harceler avec vos questions impertinentes. ».

Les deux hommes ne savaient plus où se mettre. Evidemment, ils n’avaient l’habitude des éclats de Tempête. Cependant, comme à son habitude, elle se calma tout aussi vite, reprit son air charmeur et je sentis bientôt le professeur commencer à succomber sous ses techniques de séduction plus que douteuses.

« Par contre, si vous voulez d’autres renseignements, j’aurais besoin d’une autorisation pour faire des recherches directement sur Terre. Des recherches portant uniquement sur certaines plantes évidemment. »

La vitesse à laquelle le scientifique donna son accord était bien trop rapide pour être naturelle et je n’imaginais pas que le président puisse laisser passer ça si facilement.

La conversation reprit ensuite avec un calme surprenant sur d’autres sujets sans importance sans doute insufflés par Tempête pour détourner la conversation avant de revenir sur la Terre où Orage essaya de tirer le maximum d’information possible. Je reconnaissais là, la manière des Adarii sur les Maÿcentres consistant à en apprendre le plus possible tout en en donnant le moins possible. Cela me choquait d’autant plus que c’était la technique inverse qui était utilisée sur Plume, où les Adarii s’occupaient de leurs terres en aidant le plus possible ceux qui y résidaient et demandant au fond bien peu en échange. Mais il était évident que la considération des Adarii envers les Autres ne dépasserait sans doute jamais la limite de Plume ou Saphir.

Je m’étonnais tout de même que le président Eysky laisse les choses tourner ainsi mais je le soupçonnais d’être secrètement bien content d’en apprendre autant si facilement. Au moment de partir cependant, il ordonna à Tempête de lui accorder un entretien dès le lendemain dans son bureau.

« Voyons Syhy Président » répliqua-t-elle sans quitter son sourire espiègle « avec Luico et l’oreille dans la pièce à coté ! Vous n’y pensez pas. Ce n’est pas très… décent comme vous dites » Elle s’approcha de lui, l’effleurant presque du doigt mais il se recula précipitamment, la pointa et lui dit à voix basse. « Vous, si je vous ai interdit de franchir l’enceinte du complexe du conseil, c’est que j’avais des raisons. Mais, exceptionnellement, je veux vous voir dans mon bureau et dans une tenue qui ne fasse pas rougir les Maÿcentres ».

Il ne lui laissa pas le temps de répondre et rattrapa les invités.

« Vous savez » leur dit-il, tout en se dirigeant vers la sortie « je suis en admiration devant vos techniques de transcription d’image. Lors de ma visite sur Terre, j’ai admiré vos technologies permettant d’enregistrer une conversation avec le son et l’image afin de pouvoir analyser le déroulement d’un entretien. Figurez-vous que Glace ne m’avait jamais signalé de telles choses, ni même le conseiller Umya. Peut-être pourrions-nous en discuter sur le trajet du retour » continua-t-il pendant que Plumeau les raccompagnait dans le jardin.

« Biologie moléculaire ? » répétai-je à Tempête en l’emmenant à l’écart. J’avais tenu toute la soirée sans rien dire, sans même tenter de l’approcher, mais je ne pouvais pas attendre une minute de plus.

« Les connaissances des guérisseurs de Maniya ne te regardent pas.

- Attends Tempête, n’exagère pas, tu ne peux pas garder de telles choses pour toi.

- Il existe d’ancienne connaissance et tu en sais déjà beaucoup trop.

- Comment peux-tu refuser de partager ça ?

- Je suis là pour m’en occuper.

- Et tu refuserais mon aide ? »

Elle me tourna le dos et monta dans ses appartements.

Je me retournai vers Orage. Vu comme elle avait crié je ne doutais pas qu’il ait entendu.

« Elle a raison » se contenta-t-il de dire, tu n’as pas à lui demander les secrets de Maniya. J’ignorais que j’allais soulever de tels problèmes en abordant les recherches de Tempête, sinon, je ne me serais pas permis d’évoquer cela ».

Je n’en revenais pas, Orage qui n’avait jamais eu la moindre morale ni le moindre remord, paraissait gêné pour la première fois de sa vie.

« Elle va m’en vouloir » ajouta-t-il avec l’air de s’en préoccuper sincèrement.

Il se détourna de moi et partit dans les appartements Maniya sans plus se préoccuper de moi et prenant bien soin de m’exclure de ses pensées.

Quant à moi, je partis dans ma chambre et claquai la porte avant de m’affaler sur le lit fusant la colère par tous les pores

- Pluie, ta colère, garde-là pour toi. Les mauvais sentiments n’ont pas à être partagé.

Je ne prêtais aucune attention à ces reproches piquants tel des petits glaçons de menthe, j’avais l’habitude.

- C’est au sujet des secrets des territoires de Maniya. Qu’est-ce que c’est au juste ? Je n’en avais jamais entendu parler.

- Maniya est le premier territoire de Plume. Il est chargé de la protection des autres territoires. Il est normal que ce soit eux qui gardent les connaissances du peuple Adarii. C’est une tradition très ancienne. Sur la planète Saphir, c’était le domaine de Tiyana qui était le gardien du savoir. Il a fait un grand honneur à ceux de Maniya et leur transmettant certaines informations quand les premiers colons s’expatrièrent sur plume.

- C’est stupide, on serait bien plus puissant en partageant ces connaissances. Si mon frère aussi se mettait dans de tel enfantillage, nous n’en sortirions jamais.

- Contente-toi de faire confiance à Tempête, elle sait ce qu’elle fait. Parle-moi plutôt de la soirée avec les Gentry et Kaoulviev, comment cela s’est-il passé ?

Je lui relatai les événements de la soirée et m’étonnai de le sentir si compréhensif.

- Ca fait plusieurs années que je travaille avec eux dit-il, je peux t’assurer que, s’ils savent ce que nous sommes, ils vont devenir pire que le conseiller Sinshy. Et on en a assez d’un comme lui. Je sentis l’équivalent d’un sourire dans cette dernière pensée avant qu’il s’éloigne de moi et regardais par la baie vitrée en pensant à la distance qui nous séparait.


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