samedi 24 novembre 2007

Partie 1 : Chapitre 5

5

"Ceux qui sont pour la liberté sans agitation sont des gens qui veulent la pluie sans orage."
Mark Twain


« J’en peux plus » dis-je pour moi-même en haletant. Je m’étirai et appuyai mes mains contre les cuisses cherchant désespérément à retrouver une respiration normale avant d’essuyer la sueur qui perlait sur mon front à l’aide de la manche de ma légère tunique. La chaleur, en plus de ma course, m’avait épuisée. Je m’approchai de la rambarde surplombant le vide et jetai un regard par delà la falaise à pic. La ville s’étendait mille cinq cent mètres plus bas, et ce n’était qu’un plateau culminant tout de même à plus de deux milles mètre. Je tentais de discerner, malgré la brume, les milliers de petits points s’activant en bas, comme on observerait une fourmilière. Ici, tout était calme, trop calme. Un souffle d’air atténua un instant la moiteur ambiante apportant avec lui une légère fraîcheur de menthe. Je m’écartai. On ne voyait rien d’ici. Un jour, je descendrai, autorisation ou pas.

- Non, tu n’iras pas

Je réfléchis un instant et me concentrai sur mon frère

- Glace, cesse de surveiller mes pensées, c’est agaçant.

- Je cesserai quand tu arrêteras d’avoir ce genre d’idée.

Je me concentrai pour l’éloigner et garder mes pensées pour moi comme il me l’avait appris.

« Un jour, j’irais » répétai-je mentalement, une fois sûre qu’il ne puisse plus capter ma pensée. Je rabattis mon écharpe de soie sur la tête et fis quelques pas, mes pieds nus dans l’herbe jaunie par le soleil. Il était tard. Quelques personnes envahissaient le jardin me jetant des coups d’œil curieux ou inquiet. Je me concentrai pour garder leurs émotions à l’écart, et je n’y prêtai plus attention. Ca faisait cinq mois que j’étais arrivée sur les Maÿcentres mais, pour ici, il s’agissait presque d’un cycle de saison complet. J’étais arrivée à la fin de l’été puis, en quelques semaines, le temps s’était modifié. Les journées s’étaient raccourcies à une vitesse ahurissante et le froid était arrivé. Nous avions eu de la neige. Il y avait à peine trois semaines, il en restait encore un tapis blanc. Même si l’hiver n’avait pas duré, il m’avait paru interminable. Dans cette obscurité quasi perpétuelle, j’avais cru devenir dingue. Ensuite, les jours avaient commencé à rallonger pour retrouver des journées normales, et ce n’était pas fini. Bientôt, il faudra veiller tard pour voir le soleil se coucher.

Pendant ce temps, j’avais étudié. Dans les livres bien sur et surtout en écoutant les conversations de ceux qui étaient si naturellement devenus mes amis.

J’avais appri ainsi que, malgré l’aversion des habitants de Plume en général et du peuple Adarii en particulier pour les Maÿcentres, il y avait toujours eu certains membres des familles dominantes qui résidaient pendant quelques temps ici, souvent plus pour surveiller leurs agissements, que par réel intérêt à leur égard. Le président Eysky avait pris le parti de se servir des talents des Adarii pour les communications à distance afin de servir de relais de communication entre la Terre et son monde. L’avantage pour nous était double puisque, d’un coté, on pouvait surveiller ce qu’il se passait sur Terre. Enfin, tout au moins ce qu’il se passait dans l’unique base auquel les Maÿcentres avaient accès. En effet, les Terriens encore plus méfiant qu’eux, les avaient cantonnés dans des contacts minimes sous couvert de secrets partagés par quelques dirigeants et hautes personnalités scientifiques et militaires et refusaient catégoriquement, du moins à court terme, toute idées de créer le moindre contact entre les Maÿcentres et le peuple de la Terre, ce qui avait le don de les exaspérer.

De l’autre coté du relais, Orage avait accès à une place de choix dans le conseil du cercle, comme ils appelaient les discussions interminables concernant les différentes planètes habitées, et cela, pour le plus grand malheur des hauts dignitaires des Maÿcentres et de Vengeance.

Ce n’est qu’un mois après mon arrivée que j’avais revu Orage. Je me souvenais de cette période. J’avais passé tout ce temps à faire consciencieusement ce qu’on demandait de moi, en apprenant les interminables règles de bienséance des Maÿcentres et déjà, malgré l’espace et les jardins de la villa, je me sentais comme un lion en cage.

Au bout d’un mois donc, Glace était reparti sur Terre. J’avais éprouvé un sentiment d’abandon infini à son départ, sentiment qu’il ne partageait pas puisqu’il ne voyait pas en quoi la distance pouvait changer quoique ce soit entre nous. Je lui avais répliqué que, déjà, j’avais du mal à établir un réel contact avec lui alors qu’il était à deux pas de moi alors, je me voyais mal y arriver s’il partait à des millions de kilomètres. Il m’avait déjà expliqué que ce n’était pas une question d’espace mais de liens, et qu’étant de la même famille, j’étais proche de lui quelque soit la distance mais, c’était un concept que je ne saisissais pas encore à l’époque. Cependant, il avait raison. Paradoxalement, je ne m’étais jamais sentie plus proche de lui que depuis son départ.

Quelques jours après, Orage était arrivé.

Je m’étais réveillée tôt ce jour-là. J’avais mal dormi, plongée dans ces rêves étranges chargés de solitude. L’océan de Taegaïan devait me manquer, car souvent, j’avais l’impression de sentir la mer. Même au réveil, cette sensation étrange, comme une caresse mêlée d’embrun, avait subsisté et, pour me changer les idées, je m’étais plongée dans mon nouveau livre de chevet sur les coutumes matrimoniales de la première province-continent de la planète Vengeance. Assez malsain et pas très passionnant. J’avais entendu du bruit. Ravie d’avoir une distraction qu’elle quelle soit, je m’étais levée et habillée. J’avais ouvert la porte de ma chambre vers le salon et celle donnant sur les appartements de Maniya s’était ouverte presque simultanément sur Orage que Sentiment avait chassé après le départ de Tempête.

Il n’avait plus rien à voir avec le garçon de mes souvenirs si ce n’est ses cheveux noirs jamais coiffés dont quelques mèches retombaient sur son visage et ses grands yeux vert très clair. A vingt ans, il était devenu un homme accompli. Il m’avait regardé de haut en bas du regard de quelqu’un sûr de lui et qui n’a aucun doute sur la puissance de ses charmes puis, il avait souri d’un air plus que satisfait avant de crier à Sentiment qu’elle pouvait bien s’installer dans les appartements de sa famille et que personne n’irait la déranger là-bas. Ensuite, il m’avait dit que j’étais ravissante et avant d’avoir pu dire un mot de plus, Plumeau était arrivée.

La domestique avait dû courir car ses joues étaient rouges et elle paraissait essoufflée « Adarii Orage, le président Eysky est à la porte.

- Qu’il y reste » reprit Orage « Il n’y a pas moyen d’être tranquille deux minutes dans cette maison ?

- Adarii, je ne peux pas renvoyer le président des Maÿcentres. S’il vous plait ne me faites pas faire ça.

- Tu es pénible Plumeau. Dans ce cas, fais le venir ici et apporte-nous à manger.

- Pour le président et son escorte ?

- Bien sur que non, pour Pluie et moi. En ce qui concerne le président, il peut venir mais seul.

- Il n’acceptera jamais.

- Ce n’est pas mon problème. Ca devient de la démence. Il n’a pas besoin d’une escorte pour venir voir son garde du corps. Allez, va le lui dire mais apporte-nous à manger d’abord.

- Bien Adarii.

- Ne Reste pas debout ainsi Pluie » continua-t-il en me regardant une fois Plumeau sortie « assieds toi. »

Glace m’avait expliqué le rôle d’Orage. En fait, sur les Maÿcentres, les Adarii dépendaient exclusivement du président. Ils avaient pour rôle de protéger sa personne et ses intérêts. Orage avait pour responsabilité d’accompagner le président dans ses déplacements et surtout à toutes les réunions. Outre l’importance que cela donnait au président, l’empathie des Adarii était si développée que personne ne pouvait mentir devant eux sans qu’ils le perçoivent, ce qui assurait au président l’honnêteté de ses gens en général et de ses conseillers en particulier avec lesquels les rapports paraissaient plutôt tendus.

Plumeau revint avec un plateau de fruits. Je reconnus des fruits typiques des vallées de l’oasis de Taegaïan et mes yeux s’agrandirent de surprise et de gourmandise.

« J’ai fait quelques provisions » me dit Orage

J’avais à peine avalé un fruit que le président Eysky entrait dans la pièce. Il avait l’air tout aussi affligé qu’à son habitude. De toute façon, quand il venait ici, c’était toujours pour se plaindre.

« Ca fait deux jours que je vous attends Adarii Orage Taegaïan.

- Président Eysky, vous honorez la villa Adarii de votre présence. Asseyez-vous donc et prenez quelque chose » dit-il en tendant un plateau de petits gâteaux. Le président obtempéra et tendit la main vers la corbeille de fruit.

« Non » dit Orage en haussant légèrement la voix « Prenez les gâteaux. Les fruits de Plume ne sont pas pour les Maÿcentres.

- Adarii, votre insubordination a des limites » dit-il en prenant une mangue « Si vous continuez ainsi, je devrais me passer de vos services. J’ai été obligé de retarder la réunion du conseil à cause de votre absence.

- Vous n’aviez qu’à la faire sans moi.

- Impossible, vous connaissez la situation.

- Il faudrait savoir président, si c’est impossible de se passer de moi, vous aurez du mal à vous passez de mes services.

- Il serait tant que vous preniez conscience que vous travaillez pour moi.

- Ne dites plus jamais ce genre de chose président. Si je fais votre sale boulot, c’est uniquement parce que j’y trouve mon compte. Les Adarii ne travaillent que pour Plume.

- Dans ce cas, travaillez pour ce que vous voulez, mais faites ce que je vous demande. Vous me mettez dans une situation plus qu’embarrassante. Certains n’attendent qu’une faille pour s’y insinuer. Les esprits s’échauffent avec Archuleta qui refuse tout compromis et les conseillers de Vengeance ne supportent plus cette situation qui stagne.

- Vous allez me faire pleurer. Allez, dites à vos conseillers de préparer leur réunion en début d’après-midi. Je serais là et je ferais même semblant d’être respectueux à votre égard. Et maintenant, filez. Je voudrais finir de manger en paix. »

Le président ouvrit la bouche mais la referma sans rien dire fusant la colère par tous les pores. Il tourna les talons et ouvrit la porte. « Vous avez intérêt » finit-il par dire avant de refermer la porte derrière lui.

« C’est ça oui », dit Orage à part lui

J’étais là depuis cinq mois et je repensais déjà à tout cela comme on évoque de vieux souvenirs. Je m’assis dans l’herbe et repris mon calepin dans le petit sac attaché à ma ceinture. Je l’apportais toujours partout, même si j’écrivais rarement. Si Glace m’avait vue, assise ainsi dans un lieu public, dans une simple tunique et couverte de transpiration, il m’aurait fait un scandale. En fait, même pas. Il se serait contenté de me regarder avec son air froid et distant, les bras croisés, et j’aurais très bien compris que je lui faisais honte ce qui aurait été bien pire.

Je pris mon crayon et commençais à écrire dans la langue des Maÿcentres : Orage. Et je soulignais ce nouveau titre.

Me laisser avec Orage n’était sans doute pas une bonne idée. Je supposais que Glace en était conscient et que, s’il avait pu faire autrement, il ne s’en serait pas privé. A vrai dire, il aurait sans doute mieux valu se demander s’il était raisonnable de confier toutes les relations diplomatiques entre Plume et la confrérie Vengeance-Maÿcentres dans les mains de jeunes gens à peine sortis de l’enfance. De telles responsabilités nécessitaient sans doute une certaine maturité que personne, quelque soit sa culture, ne pouvait acquérir en une vingtaine d’année voir dix-neuf ans en ce qui concernait Tempête. Il est dit qu’à l’origine, les relations avec les Maÿcentres étaient confiées aux anciens, jugés plus sages et pondérés et n’ayant plus charge de famille.

Je m’arrêtai d’écrire désespérée de voir à quel point je maîtrisais mal une écriture pourtant si simple. Je repris en utilisant les idéogrammes de la langue de Plume. C’était la première écriture que j’avais apprise et celle avec laquelle je me sentais le plus à l’aise. D’ailleurs, la plupart de mes réflexions avaient été écrites dans cette langue.

Le temps passant, Plume s’est désintéressée des Maÿcentres, qui fut vite cataloguée de planète d’arriérés. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’ils en avaient autant à notre égard quand ils ont qualifié Plume de planète primitive. Les anciens se sont donc petit à petit désintéressés des Maÿcentres puis, jugeant qu’il n’était sans doute pas prudent de rompre entièrement le contact, ils ont confié la tache aux familles de Taegaïan de s’en occuper, comme on leur aurait donné la régence d’une province éloignée. Les générations passant, la tache devint corvée, et se sont les plus jeunes, en quête d’aventures et de découvertes, qui prirent le relais. Souvent, il s’agissait de jeunes issus de familles nombreuses dont les frères ou sœur pouvaient assumer les charges de leurs cités. Ils passaient quelques années sur les Maÿcentres avant de reprendre leurs occupations. Petit à petit, les Adarii réussirent à grappiller de plus en plus de pouvoir sur les Maÿcentres, et pas toujours pour le plus grand plaisir de tous.

Je rangeai mon calepin dans le petit sac que je replaçai à ma ceinture.

L’après-midi touchait à sa fin. Il y avait plus de monde qu’à mon arrivée. J’aurais presque pu passer inaperçue au milieu de ses gens dans leurs robes de toile bariolées. Certains se paraient de longues étoles sur la tête dont ils rabattaient un pan sur l’épaule comme moi. D’autres portaient des fleurs dans les cheveux. Les Maÿcentres avaient une adoration totalement disproportionnée pour les fleurs. C’est vrai que leurs jardins étaient magnifiques et mariaient les couleurs et les senteurs d’une façon extraordinaire.

Une femme s’approcha et fit un détour exagéré pour m’éviter dégageant une crainte déférente tout à fait disproportionnée. Je retirais ce que je pensais, je ne passerais jamais inaperçue nulle part. Personne n’avait jamais pu expliquer pourquoi les Adarii inspiraient de tels sentiments et cela sans même les connaître.

« Je ne mors pas » lançai-je à la femme sans lever la tête. Elle me bafouilla je ne sais quelle excuse que je n’écoutai même pas.

Je me levai. Je devais traverser toute l’esplanade et monter une bonne partie de la colline avant de rejoindre la villa. Je pris quelques grandes inspirations et me remis à courir.

Le plus dur, c’était l’ascension de la colline, mais je ne m’arrêtai pas et, malgré mon cœur qui manquait d’exploser, je gravis l’enceinte de la villa sans ralentir. Sprint final dans les jardins. La porte était ouverte, je la franchis d’un bond, traversai le hall d’entrée appréciant la fraîcheur des dalles de pierre sous mes pieds, virage à droite ouvrant en grand les deux battants séparant l’entrée du salon de réception, je contournai un sofa bas recouvert de brocard tout en enlevant ma ceinture, sautai par-dessus quelques coussins, et sortis par la baie vitrée ouverte sur le patio en dégrafant les attaches qui tenaient ma tunique puis, sans m’arrêter, plongeai dans la piscine d’eau tiède. Je restai quelques secondes sous l’eau mais j’étais bien trop essoufflée pour tenir longtemps en apnée. Je remontai à la surface et aspirai un grand bol d’air.

« Cette fille est folle. »

Je me retournai pour voir Orage assis au milieu d’un monceau de coussins, le dos appuyé contre le mur de la maison. Tempête était couchée à même la pierre, les yeux fermés, la tête posée sur les genoux d’Orage tandis qu’il lui caressait distraitement les cheveux. Elle fit un signe pour acquiescer mais ne dit rien. En tout cas, rien que je puisse entendre.

« Quel plaisir peux-tu avoir à courir ainsi en pleine chaleur ?

- Ca me détend, ça me défoule, ça me permet de sortir, de voir du monde.

- Parce que pour toi, voir du monde ici est un plaisir ? Tu n’es vraiment pas normale toi. »

Avec l’habitude de quelqu’un ayant toujours vécue au bord de l’eau, je me retournai sur le dos d’un mouvement « tu sais, je suis arrivée sur Terre avant mes dix ans. J’ai l’habitude de tous ses sentiment négatifs, j’ai appris à les tenir à l’écart ou à m’en accommoder.

- Parce qu’à dix ans tu les sentais déjà ? » Grommela Tempête sans ouvrir les yeux.

- Non, enfin, pas de la même façon. J’ai commencé vers treize ans. Je m’en souviens parce que c’était juste après la mort de mon père. Je me suis réveillée une nuit en hurlant. Je savais qu’il venait de mourir. Après, j’ai eu tellement mal, que je ne voulais voir personne. Au début, je n’ai même pas prêté attention au fait que tout le monde s’écartait de moi. Je pensais que c’était à cause de mon air renfrogné. Non, en fait, je ne pensais rien du tout. Je m’en fichais. Et puis, je n’avais pas non plus envie de les voir ».

Tempête tendit la main et fit venir un verre de jus de fruit jusqu’à elle, mais ne dit rien. Orage sembla réfléchir et attrapa un biscuit à la cannelle dans le plat posé à ses cotés.

Quand j’étais petite, j’avais un caractère mélancolique. En fait, je pense que, même sans en être consciente, à force de rendre visite à ma mère qui était malheureuse de matin au soir, ses sentiments avaient finis par déteindre sur moi. Dans ces moments, ma mère me serrait dans les bras, m’entourant de baisers et de compassion. J’avais horreur de ce genre d’effusion. Mon père aussi d’ailleurs. Il lui disait toujours que si elle faisait un effort pour garder ses malheurs pour elle, je ne m’en porterais que mieux. Partager sa tristesse est cruel et inutile disait-il, et jamais il n’aurait eu le moindre apitoiement pour mes petits malheurs. D’ailleurs, le concept de compassion n’avait pas de traduction dans la langue de Plume. C’est vrai qu’à force, j’allais nettement moins la voir et je ne m’en portais que mieux.

« Tu veux sortir avec nous ce soir ? » demanda soudain Orage me sortant de mes pensées « on verra du monde puisque tu aimes ça »

J’aurais sans doute dû me rappeler le conseil ferme de mon frère consistant à n’obéir qu’à lui et surtout pas à mon cousin, mais j’aurais fait n’importe quoi pour bouger un peu, alors qu’Orage me propose de passer la soirée dehors n’était pas le genre de chose que j’aurais pu refuser.

***

« Tempête, descends ». Orage était au bas de l’escalier et criait suffisamment fort pour être entendu dans toute la villa. Il aurait pu se contenter à envoyer quelqu’un la chercher ou alors monter lui même ou, plus simplement, l’appeler mentalement mais il avait cette habitude de brailler, tel un coq interpellant sa cours.

« Ca y est, je suis prête » s’exclama Tempête en dévalant l’escalier dans un drapé de soie lui descendant presque jusqu’au genoux sautant presque les dernières marches pour atterrir dans les bras d’Orage. C’était la première fois que je la voyais avec une tenue si longue. Une fois qu’elle m’eut dépassée, je compris qu’en fait, il n’y avait pas beaucoup plus de tissus que d’habitude vu qu’elle avait placé la soie de façon à lui dégager le dos suffisamment pour entrevoir un petit tatouage, sûrement l’idéogramme de Maniya, au creux des reins.

« Où est Sentiment ? »

- Elle nous attend dehors.

« Alors on y va » reprit-elle en se dirigeant d’un pas assuré vers la sortie.

Orage la rattrapa par le bras « Non, tu ne sors pas comme ça. le président refuse que tu montres tes jolies yeux, tu porteras une de leur étole au moins dehors et dans le centre de recherche. »

- Soumets-toi à cette tradition ridicule si tu veux mais, en ce qui me concerne, ce n’est même pas la peine d’y penser.

- En l’absence de Glace, c’est moi qui décide » reprit Orage « alors, tu feras ce que je dis. »

Tempête le regarda d’un air de défi. « Je viens de Maniya, je ne vois pas pourquoi je devrais obéir à quelqu’un de Taegaïan.

- On n’est pas chez nous ici » reprit Orage imperturbable en lui tendant une légère étole de mousseline. « Les Maÿcentres ont été confiées aux terres de Taegaïan, c’est donc moi qui prends la responsabilité de ce qu’il se passe ici. Et encore, je ne te demande pas de couvrir tes jambes. Ou ton dos » ajouta-t-il caressant du bout du doigt la peau bronzée de Tempête. Mais je ne peux m’y résoudre, ce serait tellement dommage.

- Tempête se disputant avec Orage, je veux voir ça ! » Sentiment était entrée sans doute alertée par les cris de Tempête et parlait avec son attitude sarcastique habituelle. Tempête attrapa à contrecœur la légère étoffe qu’elle passa autour des épaules et rabattit sur sa tête jusque sous les yeux.

« Où nous amènes-tu ? » demandai-je à Orage tandis qu’on traversait l’esplanade.

« Ma cousine » me répondit-il en enroulant son bras autour de mes épaules. « Je rêverais de te faire découvrir les Maÿcentres. Et je ne parle pas de cette vision de surface aseptisée qui n’a d’autres buts que d’impressionner les dignitaires de la planète Vengeance pour leur faire croire que leur colonie a réussi à établir ici une civilisation bien plus avancée que ce à quoi leur planète mère peut prétendre. Non, je voudrais que tu vois le vrai visage des Maÿcentres. Une grosse capitale d’une saleté repoussante prônant la démocratie et la liberté alors que la ville elle-même reflète l’appartenance à des castes rigides avec les collines du conseil en haut, la ville elle-même sur le plateau en contrebas, les basses villes dans la vallée, et je ne te parle pas des villes souterraines qu’ils cachent dans les bas fond de leurs galeries sans doute pour éviter que leurs puanteurs ne montent jusqu’ici. On ne me fera jamais croire que quelqu’un issus de ses taudis à la moindre chance de parvenir un jour où nous nous trouvons. Et c’est ce que je dirais la prochaine fois que quelqu’un osera prétendre que Plume est soumise de force à un régime dictatorial imposé par les Adarii alors qu’on n’a jamais entendu, ni même senti, la moindre plainte du peuple de Plume à ce sujet. Ce qui est loin d’être le cas ici ».

J’en déduisis qu’Orage avait dû passer une journée encore pire que d’habitude et avait dû, sans doute, se faire remarquer bien plus que Glace ne l’aurait supporté.

« Oui » continua-t-il « oui, ma cousine, je voudrais te faire voir tout cela, car tu en as le devoir. J’aimerais te dévoiler la médiocrité de ce monde mais je ne te montrerai rien de tout cela parce que la quasi totalité de la planète nous est maintenant interdite à cause des facéties des jeunes filles ici présentes » dit-il en désignant Tempête et Sentiment qui marchaient quelques mètres devant. « Et cette fois, je vais avoir du mal à rattraper le coup ».

Tempête s’arrêta le temps qu’Orage arrive à sa hauteur « Je te rappelle que c’est toi qui nous a donné l’information concernant le groupe de recherche. Tu n’avais pas le droit de cacher une telle chose. J’aurais pu te dénoncer et aujourd’hui, tu serais moins fier.

- Tempête, j’aime quand tu es en colère. On croirait que tes yeux brillent de mille feux que nul voile ne peut dompter. Jamais je n’oserais porter le moindre regard critique sur tes agissements, surtout pour de tels amusements sans aucun intérêt alors que je fais pire tous les jours. Non, je m’extasie de ta fraîcheur naïve qui fait que tu peux encore imaginer passer inaperçue alors que l’univers entier n’a d’yeux que pour ta beauté.

- Tu n’as pas répondu à la question de Pluie » dit Sentiment imperturbable. « Où nous amènes-tu ? »

- Absence de Sentiment, sais-tu que j’ai passé une très mauvaise journée à cause de toi ? Tu peux prendre tes grands airs mais, si tu veux garder le titre ronflant d’ambassadeur de Plume, il serait judicieux que tu cesses de m’obliger à te remplacer dans toutes les insignifiantes réunions auxquelles ta position devrait t’obliger à assister mais que tu négliges par mépris. Cependant, dans ma grande magnanimité, je te répondrai tout de même : Je vous emmène dans un de ses nouveaux lieux à la mode où les hauts dignitaires de Vengeance et des Maÿcentres se retrouvent en compagnie de leurs enfants dans l’espoir que ces derniers trouvent un partis intéressant sans oser leur dire que, de toute façon, ils n’auront pas le choix et seront obligés de se contenter d’un partenaire issu de leur milieu même si, à mon avis, ils sont tous pareils et que, si les hommes et les femmes étaient fait pour vivre ainsi, on le saurait. Encore un concept sorti de leur cervelle réduite ça.

- Tu ne peux pas simplement répondre que tu nous emmènes dîner ? » Reprit Sentiment.

« Je pourrais oui. Regardez, on arrive ». Nous avions commencé à descendre le long d’un chemin serpentant vers la ville mais Orage nous fit longer les rochers jusqu’à une anfractuosité dans la roche. Un homme paraissait surveiller l’entrée.

« Qu’est-ce que c’est encore que ça ? » dit Tempête.

« Une idée saugrenue des Maÿcentres consistant à transformer une grotte sinistre en un lieu d’attraction reconnu et valorisé », expliqua Orage en s’avançant.

« Adarii » dit le garde à l’entrée en s’effaçant pour nous laisser le passage « c’est un honneur de vous recevoir.

- Je n’en doute pas » murmura Orage acerbe assez bas pour ne pas se faire entendre.

L’intérieur était impressionnant. Il s’agissait effectivement d’une grotte dont les murs avaient été blanchis mais qui gardait sa forme d’origine. Les anfractuosités de la roche avaient laissé place à des lumières artificielles tamisées et de longues tentures rompaient l’aspect froid du lieu. L’effet était étonnant mais manquait sérieusement de raffinement. J’imaginais rapidement comment, tout en gardant la forme originelle, la pièce auraient pu être mise en valeur par quelques sculptures qui auraient révélée la pureté de la pierre. Je caressais distraitement le mur quand Orage vint me murmurer à l’oreille : « Jolie Pluie, puisque tu aimes le monde, admire ce soir comme notre seule présence peut gâcher la soirée de pauvre gens qui espéraient passer un moment tranquille en bonne compagnie. Suis-moi » ajouta-t-il me prenant par la main. Il écarta un rideau révélant une autre salle. Les contours de la roche paraissaient plus nets et j’en déduisis que cette pièce avait dû être creusée ou, tout au moins, aménagée. Le travail était mal fait et manquait d’esthétisme. Le mobilier aussi était entièrement réalisé à partir de rocs sculptés mais agrémentés de nombreux coussins. Orage choisit une table légèrement à l’écart sans pour autant être au bout de la salle.

« Que penses-tu de cet endroit jolie Pluie ? » demanda Orage en s’asseyant à coté de moi.

« Ca pourrait être beau mais le travail manque de finesse. La pierre a été tranchée, comme au couteau. Trop carré. Ici, il aurait fallu des courbes de la douceur. Je ne sais pas. »

- Tu es une vrai Adarii ma cousine. Tu as raison, les Maÿcentres sont des sauvages. Ils n’ont aucun respect pour la pierre. Pourtant, c’est un matériau noble. Il faut le mettre en valeur et non le tailler à la hâte et le cacher derrière des coussins ou des drapés. J’aimerais sculpter cet endroit, leur montrer quelle splendeur il pourrait être mais les Maÿcentres ne sont pas dignes de notre travail. Je préfère les laisser baver en rêvant de nos cités qu’ils n’auront jamais l’occasion d’admirer »

La salle se remplissait. Orage avait dit le lieu « bien fréquenté ». Ce n’était pas flagrant. On ne retrouvait parmi les convives aucune recherche vestimentaire. Que des vêtements simples et sans apprêts, beaucoup de couleurs mais souvent ternes. Les robes étaient cousues, un peu comme sur Terre, les coiffures étaient simples, agrémentées de fleurs ou d’étoles. Les bijoux trop gros manquaient de légèretés.

Malgré tout, J’observais ce nouveau monde avec une curiosité avide, Orage avait raison, évidemment, même si tous faisaient preuve de courtoisie à notre égard et paraissaient même impressionné, nous n’étions pas les bienvenus et je sentais la crainte qui émanait de notre entourage comme s’ils me l’avaient jetée en pleine figure. A vrai dire, je n’étais pas sûre d’avoir trouvé une réelle différence entre l’attitude des gens des Maÿcentres et ceux de la Terre où j’intriguais tout autant les jeunes que j’étais obligée de côtoyer même si les raisons étaient différentes.

Petit à petit, je me laissais bercer par la musique et le plaisir de changer d’air l’emporta. Autour de nous, loin de rester assis les convives passaient de table en table, s’asseyant pour discuter avec une connaissance, ou passant saluer quelques personnages influents qu’ils seraient bons d’avoir dans leurs relations. C’était sans doute dans ce genre de lieu, bien plus que dans les salons du conseil, que se formaient les alliances les plus solides.

Ce n’est que vers le milieu de la soirée que quelqu’un s’approcha de notre table. Un homme d'une quarantaine d'année nous salua, se présentant comme l’ambassadeur Sy Paktyl de Vengeance. J'avais appris que les nouveaux venus au conseil des Maÿcentres se devaient de venir présenter leurs respects aux Adarii de Plume. Sorte de test afin de vérifier leur loyauté vu l'impossibilité pour eux de nous tromper.

De ce que j’avais pu apprendre, le protocole aurait voulu qu’il vienne directement à la villa, mais il avait sans doute profité de l’occasion de la soirée pour se débarrasser de ses formalités délicates.

Tempête et Sentiment le regardèrent distraitement mais Orage le fixa avec insistance ou plutôt dévisagea la jeune fille debout à ses cotés qui devait être encore plus jeune que moi.

Le conseiller suivit son regard et continua de plus en plus mal à l’aise. « C’est un honneur de vous présenter aussi ma fille qui entre cette année en apprentissage sur les Maÿcentres. »

Orage ne la regardait pas par hasard. Elle était vraiment très jolie et avait la grâce et la fraîcheur de ses personnes ayant toujours vécues dans un environnement si protégé et favorisé qu’il n’en a plus rien à voir avec le monde réel.

Orage sourit et s’adressa enfin à l’ambassadeur : « J’accepte vos salutations et me ferai un plaisir de recevoir votre fille à notre table.

- Non ». Son cri était plus une supplication qui lui avait échappée et la jeune fille se mit à rougir consciente de son effronterie.

Son père la reprit aussitôt lui jetant un regard noir. « Ma fille voulait dire qu’elle ne savait si elle pourrait se détacher de certaines obligations qu’il serait délicat d’ignorer.

- Je sais très bien ce que votre fille a voulu dire, Sy ambassadeur et j’ai beaucoup plus de respect envers sa franchise même puérile qu’envers vos mensonges quoique joliment tournés. Je ne me formaliserais donc pas de son indélicatesse et lui réserve même ma première danse. » Dit-il plongeant à nouveau ses yeux bien trop verts pour être humain dans le regard sombre de la jeune fille qui s’empressa de se détourner effrayée. « Vous pouvez disposer » ajouta-t-il enfin avant qu’aucune des deux parties ne puissent imaginer une formule de refus suffisamment appropriée.

Orage continuait à suivre des yeux la jeune fille qui s’éloignait quand Sentiment le ramena à la réalité. « Taegaïan ou pas » dit-elle furieuse « je prends le commandement de la soirée et m’occuperai désormais de ce genre de formalité. Tu es inconscient ou quoi ? Tu crois qu’on n’a pas suffisamment de gens à dos pour te mettre en plus les nouveaux venus contre toi dès leurs arrivées ?

- Je ne l’aime pas » se contenta-t-il de répliquer comme si le motif était une explication suffisante. « Je ne sais pas pourquoi, mais je ne l’aime pas. Je ne supporte pas ses manières exagérément polies, je ne peux pas souffrir ses faux semblant, ni même sa façon de venir nous voir comme s’il venait s’acquitter de la pire corvée que sa position lui avait impliquée. Par contre, sa fille est très jolie.

- Tu ne comptes pas réellement danser avec elle j’espère ? »

Orage se tourna enfin vers Sentiment en levant son verre le regard pétillant. « Non seulement j’y compte bien, mais en plus, je suis persuadé qu’en une seule danse, elle tombe sous mon charme.

- Elle est tétanisée oui.

- Ces gens-là se comportent envers les Adarii comme des papillons devant la flamme d’une bougie. Sans même savoir pourquoi, ils les craignent. Mais au fond, on les fascine et, quand ils arrivent à surmonter leur peur irrationnelle, ils ne demandent pas mieux que de venir se brûler. Il faut juste leur donner un petit coup de pouce.

- Non Orage, tu n’as pas le droit, et le président Eysky l’a encore répétés il y a deux jours. Pas de contact physique quelqu’il soit. Rien qu’à la façon dont tu l’as regardée, tu risques des complications. Essaie de respecter leurs coutumes stupides au moins pour une soirée.

- Très chère absence de Sentiment, si c’était une coutume, elle serait partagée par tous et pas instituée spécialement à notre intention. Cela dit, si le président nous refuse jusqu’à la liberté de toucher ceux de leur petite congrégation, ma foi, je ne la toucherai pas.

Tempête prit part à la conversation visiblement réjouie : « Tu veux dire que tu comptes danser avec elle et même la séduire et tout cela sans la toucher ?

- Et qu’elle se consumera les ailes au feu d’une passion sans limite pour ma personne tout comme toi. C’est bien cela, belle Maniya. Tu veux tenir le pari ? Si je gagne tu me devras un baiser. »

Sentiment reprit la parole. « Bien sur que non. Elle ne cautionnera pas tes frasques ridicules.

- Bien sur que si » coupa Tempête « je veux voir ça ».

Moi aussi je voulais voir cette performance même si je m’étais abstenue de tout commentaire et, après tout, que pouvait-il y avoir de mal à cela ? Aussi, quand la soirée fut bien avancée et qu’Orage se leva, je pris sa place pour avoir une meilleure vue sur la piste de danse qui s’était dégagée au milieu de la salle. Tempête se précipita à mes cotés tandis que Sentiment semblait s’enfoncer dans le mur derrière elle.

J’aperçus Orage à l’autre bout de la salle qui ramenait la frêle jeune fille, un bras autour de sa taille mais, un coup d’œil plus approfondi me fit remarquer qu’il se contentait d’effleurer distraitement l’ample tissu de sa robe veillant à laisser toujours un infime espace entre eux. Ils traversèrent la salle ensemble sous le regard horrifié de l’assistance. Il fallait avouer qu’ils formaient un couple magnifique : Elle, tout en grâce et en finesse, et lui brillant d’assurance et de confiance. Elle avait reçu une éducation irréprochable et par conséquent, enchaînait à merveille les figures simples des danses de Vengeance. Orage suivait tous ses mouvements, tournoyant ensemble, toujours plus proche, mais sans jamais la toucher. Vers la fin de la danse, je surpris un regard entre Orage et Tempête et me concentrai d’avantage sur la jeune fille. Je sentis la fascination qu’elle éprouvait pour son cavalier et la partagea un instant avant de m’éloigner d’eux. La danse était finie. Orage avait placé un bras autour des épaules de sa cavalière en laissant toujours une distance infime entre son bras et l’épaule de la jeune fille et lui murmurait quelques mots à l’oreille puis s’éloigna après lui avoir envoyé un baiser.

« Qu’est-ce que tu lui as dit ? » lui demanda Sentiment avant même qu’il n’ait eu le temps de s’asseoir.

« Arrête de me harceler sans arrêt avec tes questions. Je lui ai dit que j’attendais son invitation lors de la réception que ne manquerait pas de préparer son père en l’honneur de son arrivée. Tous les nouveaux venus sont tenus à ce genre de cérémonie. »

Sentiment soupira mais ne fit aucun commentaire et Orage en profita pour pousser Tempête du coude afin de se faire une place à ses cotés. « Belle Maniya, j’ai gagné mon pari, j’ai droit à un baiser » dit-il. Et, joignant le geste à la parole, il posa délicatement ses lèvres sur celles de Tempête.

« Ca aussi, c’est interdit » reprit Sentiment sans vraiment croire qu’elle pourrait se faire obéir. « Les coutumes des Maÿcentres réprouvent ce genre d’effusion en public. »

Orage n’avait pas quitté Tempête des yeux. « Heureusement que tu n’es pas aussi prude que les Maÿcentres » lui dit-il tandis qu’elle rayonnait de plaisir.

***

L’invitation arriva trois jours plus tard, portée par Fleur, l’intendante de la villa. Elle n’avait pas jugé nécessaire de faire entrer personnellement le porteur de la missive ce qui avait dû soulager ce dernier au plus haut point.

Nous nous trouvions dans le petit salon, à coté de la bibliothèque. Orage, face à Plumeau, jouait à un jeu de hasard mettant en scène un nombre impressionnant de petits dés pendant que j’étudiais négligemment un livre expliquant le conflit qui avait opposé la planète Vengeance et la planète Conquête.

La curiosité qui émanait de la jeune domestique me chatouillait comme ses mouches qui ne peuvent vous laissez tranquille et je finis par lever la tête de mon livre.

Orage dégagea les yeux du message et dévisagea lui aussi Plumeau d’un air désapprobateur. « Allez, pose-là ta question puisque tu feras ta pénible jusqu’à ce que je t’y autorise.

- Allez-vous y aller ? » Demanda Plumeau soulagée

« Bien sur que non voyons. Je n’irais pas, le Sy Paktyl m’en sera éternellement reconnaissant et tout ira pour le mieux.

- Je pense que sa fille sera déçue » reprit plumeau avec un sourire entendu.

« Comment fais-tu pour être toujours au courant de tout toi ?

- Moi aussi, Adarii Orage, je sors dans le monde » dit-elle en récupérant un à un les petits dés avant de les relancer. « Pas le même que le vôtre naturellement, mais on y apprend tout de même toute sorte de chose.

- T’ai-je déjà dit que tu étais extraordinaire adorable Plumeau ? » Reprit Orage de son air charmeur.

« Sans doute suffisamment souvent pour que ma mère me cherche une autre maison où servir » Elle avait pris l’accent et l’expression choquée que les gens des Maÿcentres utilisaient à tort et à travers. Elle les imitait vraiment très bien. On y aurait presque cru et je ne pus m’empêcher de sourire.

« Tu es bien trop impertinente. il n’y a que nous pour te supporter, et encore, uniquement parce que nous avons du mal à trouver des gens de Plume qui acceptent de travailler ici.

- Le peuple de Plume est toujours honoré de servir les Adarii où qu’ils soient.

J’ai encore gagné » ajouta-t-elle en récupérant les dés.

« Honorés, peut-être, mais de là à venir s’expatrier dans ce trou, c’est une autre histoire. Cela dit, je ne peux pas leur en tenir rigueur.

- Si tu as tant de mal à vivre ici » dis-je à Orage « pourquoi restes-tu ?

- Parce que je sais pertinemment que les Maÿcentres complotent quelque chose. Je ne sais pas quoi mais je finirais bien par le découvrir. Et, je suis intimement convaincu que le premier conseiller Sinshy y est mêlé d’une façon ou d’une autre. C’est lui qui avait envoyé l’équipe de recherche sur Terre. On aurait dû le démettre de ses fonctions pour ça. Pourtant, il est toujours là à se pavaner.

- Sondez-le.

On se retourna tous les deux vers Plumeau qui continuait imperturbable à lancer ses dés. On eut l’impression pendant un instant de la voir pour la première fois. Elle finit par reprendre la parole : « Vous n’imaginez tout de même pas que j’ignore les méthodes que vous utilisez pour soutirer vos informations ? » Elle avait dit cela naturellement sans aucun jugement de valeur. Elle constatait le fait simplement.

« Et voilà comment on perdra toute la confiance du peuple de Plume » finit par dire Orage en désignant Plumeau du doigt.

« Le peuple de Plume vit en symbiose avec les Adarii depuis des siècles et il n’en a retiré que des avantages. Croyez-vous vraiment que vous pourriez perdre sa confiance à cause de ce qu’il se passe ici ? »

- Allez savoir ? Mais puisque tu parais ne rien ignorer » dit-il « sache aussi que ce n’est pas si simple. Et dis-toi que la conversation sur le sujet est close.

- Fais-toi remplacer » dis-je naïvement.

« Si je suis là, c’est parce que personne d’autre n’a accepté cette place. Qui voudrait passer son temps à surveiller les alliances et les projets grotesques des Maÿcentres. Et je ne parle pas de leur idée absurde de surveiller la Terre à travers nous en me demandant de transmettre des ordres aberrants ou des questions sans intérêts à Glace.

- Tu dis ça, mais au fond, tu es ravi que toutes les informations concernant la Terre passent par toi.

- Je t’assure que, si je pouvais être autre part, je ne me ferais pas prier.

- A Taegaïan, pour être aux ordres de Maître Prestance par exemple ? »

Encore une fois, on avait oublié Plumeau, on se retourna vers elle. Orage était rouge d’indignation.

« Tu as de plus en plus tendance à oublier où est ta place petite humaine. Cesse d’être impertinente et va plutôt voir si tu ne peux pas te rendre utile autre part et de préférence très loin d’ici.

De toute façon, j’en ai marre de perdre » continua-t-il, plus pour lui même, que pour Plumeau qui se dirigeait déjà vers la sortie. « La prochaine fois, je tricherais.

- Comme il vous plaira Adarii Orage. »

Plumeau avait manifestement l’oreille très sensible pour entendre les moindres murmures.

Je restai silencieuse dans la pièce redevenue calme regardant distraitement Orage se concentrer pour faire rouler un petit dé toujours sur la même face. Il se méprit sur mon silence car il crut bon de se justifier.

« Prestance est un très bon Maître pour gérer Taegaïan et je lui donne toute ma confiance. Elle est tout à fait capable de s’en occuper. Si elle avait besoin de moi, je le saurais. »

Je ne dis rien, mais je compris que Plumeau avait visé juste. Orage était beaucoup trop arrogant pour se contenter de la deuxième place derrière Prestance. Il n’avait jamais accepté que grand-père Brouillard aille chercher ma soeur pour reprendre Taegaïan après la mort d’Espoir et le refus de Glace. Il préférait de beaucoup rester ici où il était au même niveau que mon frère, sans personne à qui rendre des comptes, car je commençais à comprendre qu’il ne se considèrerait jamais sous les ordres du président Eysky ni sous les directives d’aucun autre qui ne soit pas Adarii. Il avait raison quand il disait qu’il était le seul à avoir accepté cette fonction. Tout me portait à penser que, s’il y avait eu quelqu’un d’autre, Glace n’aurait sans doute pas hésité à le renvoyer sur Plume malgré toute l’amitié qui les liait. Mais, il fallait quelqu’un qui soit lié mentalement à Glace. Sentiment aurait pu remplacer Orage mais avait fermement refusée. Elle avait beau désapprouver son comportement, elle n’aurait tout de même pas accepté pour autant de s’abaisser. Déjà, elle lui reléguait ses corvées. Tempête aurait peut-être pu, mais elle n’aurait pas fait mieux. De toute façon, le président lui avait interdit l’accès du bâtiment du conseil sous prétexte qu’elle perturbait le travail des employés par ses tenues et ses comportements indécents.

« Qu’est-ce que tu lis ? »

J’émergeai de mes réflexions et mis un certain temps à comprendre ce qu’Orage me demandait.

« Ce sont des archives concernant la disparition de la planète Conquête. Ce n’est pas très clair.

- Mais si, c’est très clair. Conquête et Vengeance avaient tous deux l’ambition d’être le centre des activités politiques et commerciales. Ils sont arrivés à un tel niveau d’exaspération l’un envers l’autre qu’une guerre s’est déclarée. La planète Conquête a été détruite ce qui a mis fin au conflit. Ensuite, il a été décidé de créer la capitale dans un endroit neutre et les Maÿcentres ont été choisies pour tenir ce rôle. La dynastie Maÿ qui dirigeait à cette époque a été supplantée par la pacifique noblesse Syhy avant d’arriver à cette pseudo démocratie. Toutes les armes ont été prohibées et il n’y a plus jamais eu d’autres conflits depuis. Jusqu’au jour où les Maÿcentres s’approprieront les armes Terriennes, mais là c’est une autre histoire.

- Ce n’est pas ce que je veux dire. Comment la planète Conquête a-t-elle été détruite ?

- Personne n’en sait rien et tout le monde s’en fout ». Je sentais bien que ce n’était pas aujourd’hui que je pourrais avoir beaucoup d’informations, il avait apparemment du mal à reprendre son calme. Pourtant, je ne pus m’empêcher d’insister :

- Il y a une catastrophe d’une ampleur jamais égalée, ayant fait des milliards de morts et personne n’en sait rien. Tu trouves que c’est normal ?

- Tu en poses des questions aujourd’hui. Non, personne n’en sait rien. Ce doit sans doute être notre faute.

- Qu’est-ce que tu racontes ? On n’a jamais rien eu à voir là-dedans !

- Bien sur que non. Mais ici, il y a une explication toute simple à tout » Il traversa la pièce pour venir se planter devant moi et se baissa pour être à ma hauteur. « Je vais t’expliquer la façon de raisonner des Maÿcentres : Si il y a un problème, quel qu’il soit. Quelque chose qui ne marche pas comme prévu, des négociations ratées, n’importe quoi. C’est toujours notre faute.

- Tu exagères Orage, c’est la colère qui te fait parler ainsi.

- Crois-le si ça te rassure, mais je te garantis que ce n’est pas si loin de leur façon de voir les choses. Et, comme tu parlais de Conquête, il y a pas mal des gens qui sont convaincus que, si la planète entière a disparu, c’est que, d’une manière ou d’une autre, c’est nous qui l’avons fait disparaître ».

J’éclatais de rire « C’est monstrueux. Ridicule et monstrueux. Et personne n’a jamais réussisà leur ôter une idée aussi simpliste ?

- Nous n’avons jamais vraiment essayé. Je dirais même qu’on prend un malin plaisir à leur laisser penser ce genre de chose. Autant il y en aura pour croire une telle absurdité, autant il y en aura pour nous laisser tranquille. Qui voudrait s’attaquer à quelqu’un capable de détruire une planète entière ? Tu sais, les gens des villes en bas, voire pas mal de Vengeance aussi nous prennent pour je ne sais quels sorciers aux pouvoirs bizarres.

- Tu plaisantes, c’est malsain, on ne peut pas laisser penser ce genre de chose. C’est… » Je cherchais le mot le plus approprié mais Orage était déjà reparti vers la porte « Malsain, je sais. Tu l’as déjà dit. Travaille bien ma cousine et bienvenue dans le monde réel » dit-il avant de refermer la porte derrière lui.