samedi 29 mars 2008

Partie 2 chapitre 10

10

"Le bon sens chez les jeunes, c'est la glace au printemps."

[Georg Christoph Lichtenberg]
Extrait des Aphorismes

Durant les jours suivants, j’en appris un peu plus sur la situation et ça ne me rassurait pas du tout. Gentry avait fini par accepter que je m’installe dans les quartiers de Glace qui étaient nettement plus confortables. Au fur et à mesure du temps, il avait recrée là un petit espace agréable et, si ce n’est le manque de lumière, l’odeur désagréable de la climatisation et le fait que c’était tout petit, c’était presque confortable. Il avait entre autre un épais tapis de laine qui permettait de s’installer confortablement à même le sol plutôt que sur leurs fauteuils inconfortables. Glace avait obtenu que je dispose d’une certaine liberté mais, pour autant, je devais sortir le moins souvent possible et de toute façon, j’étais tout de même enfermée dans la base. L’un dans l’autre, je ne voyais pas vraiment où était la différence. Au bout de trois jours à tourner ainsi en rond ou à me faire harceler de questions déplacées sur mes activités sur Terre, le général Gentry était venu me présenter les deux hommes qui m’avaient agressée pour qu’ils s’excusent. Je garde un très mauvais souvenir de cette confrontation. D’abord, je ne les avais pas reconnu. En plus, il y en avait un qui s’était mis à vociférer un chapelet d’injure. Je les aurais bien renvoyés de suite. La façon qu’ils avaient de me regarder comme s’ils me jetaient leur haine au visage était tout à fait injustifiée et, plus pour cela que pour tout ce qu’il avaient pu me faire, je ne pouvais pas les supporter. Un des deux s’était excusé sans en penser un mot, mais ça m’était égal. Tout ce que je voulais, c’était qu’ils s’en aillent. Le deuxième m’avait craché au visage ce qui avait mis le général hors de lui et sa colère avait encore accentué mon malaise. Je me souviens vaguement que le conseiller Umya était arrivé tout heureux et avait suggéré que je devrais résoudre ce problème moi-même. Le général avait accepté, enfin je pense. Sa colère et la haine des deux hommes m’avaient submergée et toutes mes protections contre ses émotions négatives s’étaient ébranlées dans l’état de faiblesse dans lequel je me trouvais encore. Je me souviens que leurs émotions trop fortes avaient pris le dessus sur les miennes et je m’étais retrouvée dans le même état de haine et de colère qu’eux par simple contagion. Je sais vaguement que j’avais obligé l’homme récalcitrant à se mettre à genoux et à présenter des excuses de force. Je pense que le général en avait été choqué, que l’homme s’était débattu intérieurement, qu’Umya était ravi et que moi, j’avais des remords.

J’en avais parlé à Glace. Je pensais qu’il allait encore se fâcher mais il m’avait dit que j’avais bien fait et que, si nous passions tous leurs caprices aux Terriens, ils finiraient par nous marcher sur les pieds. Ils fallaient qu’ils voient que nous étions prêts à faire des concessions mais que nous étions malgré tout, les plus forts. Je lui avais transmis qu’on n’aurait pas dû m’infliger ça, que je me fichais éperdument de ses hommes, qu’ils avaient été horribles et que tout ce que je voulais, c’était sortir d’ici et il m’avait répondu qu’il n’avait pas le temps ni la force de s’occuper de mes états d’âmes et que je devais trouver quelqu’un d’autre pour épancher mes pleurnicheries.

Je commençais à croire que je pourrais mourir dans ce trou sans que personne n’ait le temps de s’en soucier. Moi, j’aurais bien aimé ne pas avoir de temps. Tout le monde semblait très occupé sauf moi. Glace était encore pire que les hommes de Gentry pour m’empêcher de faire quoi que ce soit : Pluie, reste tranquille. Pluie ne les regarde pas comme ça, Pluie retourne dans la chambre. On aurait cru entendre ma mère. En pire en fait, car si c’était ma mère, il y a longtemps que j’aurais filé. D’ailleurs, ici aussi, si j’avais trouvé le moyen, j’aurais fui scandale ou pas. Enfin, si Glace l’avait permis. J’avais l’impression d’être surveillée tout le temps.

Dès que je sortais de ma chambre, j’étais suivie par leurs caméras de sécurité qu’ils collaient partout. Mike disait que j’avais déjà de la chance qu’ils ne m’en mettent pas dans la chambre que je partageais avec Glace et qu’il s’était battu pour ça. Il aurait pu se battre un peu plus pour qu’on me laisse tranquille et qu’on me renvoie sur Plume. Au fond, je ne savais pas de quel bord il était celui-là. Il avait l’air de faire son possible pour m’aider mais, d’un autre coté, jamais il ne m’aurait fait ne fut-ce qu’un sourire ou une parole réconfortante. Glace disait que je pouvais lui faire confiance. Je m’étais demandée comment il pouvait en être sûr mais je ne lui avait pas demandé. D’abord, il ne m’aurait pas répondu et ensuite, je n’avais pas vraiment envie de le savoir. Etait-il possible de sonder des personnes telles que Mike ou Thibault ? En tout cas, je ne percevais pas leurs pensées en les touchant, après, en forçant un peu plus peut-être. Je n’irais sûrement pas vérifier. La dernière fois que j’avais vu Mike, il était entré m’apporter à manger. Umya était venu faire ce qu’il appelait une visite de courtoisie, entouré de deux gardes des Maÿcentres. Je n’avais toujours pas cerné son petit jeu à celui-là mais, c’était le seul qui paraissait soucieux de me distraire et je commençais à apprécier sa présence et puis, sa bonne humeur était contagieuse. Bref, Mike m’avait regardée avec son air direct habituel et j’avais senti d’un coup l’excitation d’Umya devant cet échange de regard. Mike était sorti et Umya l’avait suivi comme un chien suivrait un os, la curiosité en plus. Depuis, je n’avais plus revu ni l’un ni l’autre.

Quelques grattements à la porte me sortirent de mes pensées.

« Qui est-ce ? » demandais-je redoutant que ce soit le général Gentry. J’imaginais facilement que, s’il avait accédé de si bonne grâce à la demande d’Umya en m’amenant les deux abrutis, c’était qu’il espérait quelque chose en contrepartie.

« Conseiller Umya » fit la voix derrière la porte.

Merci, pensai-je. Le conseiller était la seule personne que je supportais en dehors de mon frère « Tu peux rentrer.

- Vous l’avez entendue, alors quitte à rester planter là, ouvrez-moi la porte.

Je savais qu’ils avaient encore posté quelqu’un dans le couloir. Et encore penser qu’il n’y avait qu’une seule personne était vraiment trop optimiste.

La porte s’ouvrit sur le conseiller, les bras chargés de boites, suivi de deux hommes que je n’avais jamais vu. Vu leurs uniformes, ce devait être des militaires Terriens. « Ces messieurs veulent assister à notre discussion, pour me protéger paraît-il.

- Ils ont tellement peur qu’ils seraient incapables de protéger qui que se soit.

- Vous voyez dans quelle situation gênante vous me mettez » dit-il aux deux hommes « Non, soyons logique, je n’arriverais à rien ainsi. Il vaut mieux que je m’occupe de ça seul.

- Le général nous a ordonné… » Commença le plus âgé des deux mais Umya ne le laissa pas finir.

« Hé bien, dites-lui que j’ai ordonné le contraire et ajoutez que je veux qu’il organise une réunion pour redéfinir la hiérarchie.

Les hommes de la Terre adorent les réunions » me dit-il en souriant tandis que les deux hommes sortaient.

« Vous voyez, » continua-t-il, « j’ai essayé de me débarrasser de ces deux-là avant de venir, mais ils craignent plus le général que moi donc, ils ont préféré lui obéir. Par contre, quand il s’agit de vous et de moi ensemble, ils préfèrent nous obéir quitte à se mettre leur supérieur à dos.

C’est bon à savoir. Ca pourra servir » Tout en disant cela, il déposa ses paquets sur la table basse avant de reprendre : « Dites-moi, étaient-ils plutôt genre, soulagés de sortir ou plutôt genre, crainte des représailles de leur supérieur ? »

Je n’étais sûrement pas là pour traduire les émotions des gardes pour le bon plaisir du conseiller Umya aussi je ne répondis pas. « Tu es venu pour me faire part de tes projets de mutinerie, conseiller ?

- Ne vous moquez pas, je suis réaliste c’est tout. A l’origine, si le président Eysky avait décidé de mêler les Adarii au projet sur Terre, c’est pour les communications bien sur mais aussi parce que vous avez une propension innée à vous faire obéir et respecter. Si les hommes de la Terre commencent à s’opposer aux Adarii, il faudra bien qu’on trouve autre chose pour les mater.

Soyons logique, la confédération Vengeance-Maÿcentres a bien assez de Plume comme planète rebelle, il ne faudrait pas que la Terre suive la même voie.

- Pourquoi es-tu venu conseiller ?

- Gentry veut que je vous interroge pour savoir exactement quelles bêtises vous faisiez chez lui. »

Ca faisait longtemps qu’on ne me l’avait pas sortie celle-là. Je passais ma vie à être interrogée là-dessus. Pourtant, vu l’air réjoui du conseiller, je me doutais bien qu’il avait une autre idée en tête.

« Mais tu n’es pas là pour ça.

- Non, en effet. Je ne peux rien vous cacher Adarii.

- Pourtant tu ne m’as toujours pas dit le but réel de ta visite ?

- J’y viens. » Il s’approcha de la table basse sur laquelle il avait posé ses paquets. Je jetai un coup d’œil et reconnus quelques jeux que ma mère m’avait appris. Le conseiller déplaça la pile un peu plus loin pour ne garder qu’un échiquier.

« Savez-vous qu’une des choses qui se retrouve dans toutes les cultures, c’est le goût du jeu ? Chez moi, il est particulièrement développé. Depuis que je suis sur Terre, je passe tous mes temps libres à apprendre les jeux de la Terre. Ils ont des jeux de stratégies très intéressants. Je me suis dit que ça vous ferait passer le temps si je vous en apprenais quelque uns.

- Je connais déjà celui-là », dis-je en désignant l’échiquier « et vu ton talent pour les coups en traître, tu dois être très bons.

- Et celui-là alors ? » Demanda-t-il en sortant un cylindre de bois qu’ils ouvrit laissant paraître des espaces creux remplis de petits cailloux.

Je secouai la tête. « Non, je ne connais pas.

- C’est un Awalé. Le but est de récupérer le plus de cailloux possibles », expliqua-t-il tout en égrenant les cailloux dans les différents trous.

« Quels cailloux veux-tu réellement récupérer Sy Conseiller ?

- Que voulez-vous dire par là Adarii ? » Demanda-t-il sans quitter le jeu des yeux.

« Tu le sais très bien. Gentry te demande de m’interroger, et toi, tu viens jouer avec moi et, apparemment, tu es vraiment venu rien que pour ça. Qu’est-ce que tu manigances ?

- Pour vous interroger, je dois d’abord gagner votre confiance.

- C’est cette foutaise que tu leur as sorti pour passer l’après midi à ne rien faire avec moi ?

- Je ne considère pas que le jeu soit une perte de temps. Vous n’imaginez pas tout ce que j’ai pu apprendre des hommes de la Terre uniquement en observant leurs stratégies. Un jour, il faudra que je vous montre un jeu qui s’appelle civilisation mais ça se passe par ordinateur, ce n’est pas évident à maîtriser pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de cette technologie. Pourtant, j’aimerais voir comment vous vous débrouillez à ce type de jeu.

Mais, je n’ai pas répondu à votre question je crois. Alors oui, c’est cette foutaise que je leur ai raconté pour passer l’après midi à jouer avec vous.

Regardez comment je fais pour l’awalé. Je choisis une case, puis j’égrène les cailloux qui s’y trouve un à un dans chaque case.

- Pour vous défiler de vos obligations ?

- Entre autre. Ils sont ennuyeux, coincés dans un système organisationnel beaucoup trop lourd. Avec eux, tout n’est que procédures, règles, lois. Rien ne peut se réduire à une simple réflexion hypothético déductive.

Donc, je disais : Si dans la dernière case, vous n’avez que deux ou trois cailloux, vous pouvez les récupérer, comme ceci », joignant le geste à la parole, il récupéra deux petits cailloux noirs. « Cela étant, je remarque que la case précédente, elle aussi n’a uniquement que deux cailloux. Je peux donc les récupérer aussi.

- Et vous ne voulez pas que les Terriens sachent ce que je faisais chez eux ?

- Non, je ne le veux pas en effet mais, je vous avoue que personnellement, j’aimerais le savoir.

A vous de jouer. »

J’égrenai une case au hasard avant de poursuivre : « Pourquoi ?

- Parce que, si Archuleta arrivait à contrôler les Adarii alors que nous, nous n’y arrivons pas, ils se retrouveraient en position de force par rapport à nous.

- Recommencez, vous avez joué sans réfléchir. Vous devez pouvoir prévoir plusieurs coups à l’avance. Trouvez une cible faible, renforcez là juste ce qu’il faut pour avoir un alignement de trois jetons, et raflez le paquet. »

Je réfléchissais. En fait, les Maÿcentres avaient peur des Terriens. En tout cas Umya. Ils voulaient les garder à leur merci et ils s’imaginaient que Glace était le plus apte à leur faire accepter leurs désirs. Mais, ils se faisaient avoir parce que les Maÿcentres voulaient s’implanter auprès de la population Terrienne et Glace voulait garder les hommes des Maÿcentres enfermés ici. Je tentai de remettre tous les éléments en ordre « Conseiller, un doute soudain vient juste de m’assaillir : te souviens-tu, il y a quelques mois, le président m’a plus ou moins forcé la main pour que je l’accompagne sur Terre alors qu’au fond, il n’avait absolument pas besoin de moi. »

- On a toujours besoin de vous Adarii ».

C’est ça sors tes flatteries pensai-je « Conseiller, dis-moi, pourquoi voulait-il que je l’accompagne ?

- Je vous le laisse, » dit-il poussant l’awalé vers moi « exercez-vous, je reviendrai demain continuer ce très agréable interrogatoire.

- Réponds, conseiller ! Ou plutôt non, dis-moi juste : n’a-t-il pas organisé cela uniquement dans le but de me pousser à bout pour que je fasse un scandale auprès des Terriens afin de les faire se bouger sans pour autant qu’Eysky risque de se les mettre à dos ?

- Je lui avais dit que ça ne marcherait pas, je...

- Sors d’ici Umya.

Ces abrutis s’étaient servis de moi. Je me remémorais parfaitement maintenant comment Umya était venu me voir dès le cocktail d’accueil pour se plaindre de la façon dont ils étaient traités ici. Il avait très bien repéré que Glace ne jouait pas son jeu alors que la petite Pluie, elle se ferait avoir. La petite Pluie, il était facile de la manipuler, de lui faire faire n’importe quoi. Elle ne se rendrait compte de rien. Combien de fois Eysky avait-il joué à ce jeu avec moi, me poussant à bout pour que j’exige ce qu’il n’osait pas demander ? Et le pire dans tout cela, c’était que Glace m’avait prévenue. Même Orage m’avait dit que je me faisais manipuler par le président, mais je ne les avais pas cru. J’étais bien trop fière pour pouvoir admettre me faire avoir si facilement. De toute façon, tout le monde se servait de moi tout le temps.

Tout en y réfléchissant, j’étais sortie de la chambre. J’avais besoin d’air. C’était un raisonnement stupide, je n’aurais pas plus d’air dans ses boyaux lugubres que dans la chambre de Glace mais au moins, je pouvais bouger. Les quartiers de Glace étaient vraiment trop exigus. Je rabattis mon étole sur la tête assombrissant encore les couloirs.

Ca devenait de pire en pire. Dès que j’étais sortie, deux gardes s’étaient mis en devoir de me suivre, comme si leurs caméras ne suffisaient pas. J’en venais presque à regretter de ne plus être perdue en pleine montagne avec Thibault. Il avait comparé la base d’Archuleta à une taupinière, c’était exactement ça. Si je ne retrouvais pas le soleil bientôt, j’allais devenir folle. Et les deux autres qui me suivaient suintant la peur, comme si j’allais me transformer en monstre et leur sauter à la gorge. Je finis par m’asseoir dans une sorte de salle de repos qu’ils avaient nommé cafétéria mais qui n’était qu’un endroit désagréable et inconfortable avec quelques tables. Les deux autres en profitèrent pour s’asseoir à la table à coté.

Je n’en pouvais plus. J’avais besoin de me défouler. N’importe quoi. Je me levai et me plantai devant ceux qui me surveillaient toujours : « Pourquoi me fait-on surveiller ? »

Un des deux se détourna tandis que l’autre reculait imperceptiblement sa chaise « Personne ne vous surveille, vous…

- Quand on ne sait pas mentir, on s’en abstient.

- Pluie, sors d’ici tout de suite Glace était derrière moi.

Ca y est, je ne pouvais même plus faire une simple remarque sans m’attirer des ennuis. Je me retournai tout en cherchant une explication rationnelle pour expliquer mon comportement.

« Ecoute » commençai-je.

- Tu files dans la chambre.

Je me détournai des deux hommes sans une explication et précédais Glace dans ses couloirs obscurs. Ils auraient au moins pu mettre autre chose que ses néons, qui diffusaient une lumière froide et déprimante. Il y avait de quoi devenir dingue dans cette ambiance.

J’entrai dans les quartiers de Glace et m’assis en tailleur sur l’épais tapis de laine, mon frère toujours derrière moi. Il referma la porte et je crus un instant avoir affaire à Maître Blizzard tellement il avait l’air froid et autoritaire. Je préférai prendre les devants avant l’avalanche des reproches : « Ecoute, c’est insupportable. »

Je n’avais pas pu aller plus loin. De sa voix froide, calme et pénétrante, Glace commençait ses remontrances : « Je ne veux pas le savoir Pluie. Je ne veux pas que tu agresses les gens sans raison. Tu es irresponsable, immature, puérile, et tu ne fais que te plaindre. »

Ca y est, le robinet des reproches était ouvert.

J’avais l’impression d’entendre ma sœur. Je réalisais avec horreur que c’était peut-être le cas. Glace et Prestance devaient être liés. Ils s’étaient toujours bien entendu. Prestance jouait les grandes sœurs modèles avec Glace tandis que moi, elle ne m’avait jamais considéré comme autre chose qu’une expérience de son père. Ca me mettait en rage de penser que Glace devait lui raconter tout ce que je faisais. Je l’imaginais, un air désespéré et soupirant : « Que pouvait-on espérer d’elle de toute façon ?» Elle devait sans doute raconter ça à tous les visiteurs dans les salons de Taegaïan. Assise sur le fauteuil d’Espoir, parfaitement droite, impeccable jusqu’au bout des ongles, sa robe ne faisant pas le moindre faux plis. Elle conclurait mes exploits en disant : « ce n’est pas sa faute, c’est sa nature » dans un feint apitoiement qui tromperait tout le monde.

«… et je ne souviens même pas la dernière fois que tu aies fait quelques chose de constructif. »

J’avais perdu un bout de l’exposé, mais je repris le fil sans trop de mal : « Evidemment, il n’y a rien à faire ici.

- Flatté de voir que tu daignes sortir de tes pensées farfelues pour m’écouter, mais d’après ce que je sais, tu n’as pas fait grand-chose non plus pour aider Sentiment et Tempête dans leurs recherches.

- Ecoute, leurs cités perdues, je m’en fiche complètement. D’accord, elles ont fait des découvertes extraordinaires, et alors, ça nous avance à quoi ? A rien. Quant à mes pensées, elles ne sont pas farfelues » précisai-je en ronchonnant.

Ha si, en fait, elles m’avaient confiée les vieux débris métalliques trouvés dans la grotte pour que je les remette à la vieille Adarii Savoir, la conseillère de Maniya. C’est sur que ça allait la passionner ses bouts de métaux.

« De toute façon, tu te fiches de tout sauf peut-être de ta petite personne. Qu’est-ce que tu veux à la fin ?

- Je veux rentrer sur Plume »

Je m’attendais à une nouvelle vague glacée de blâme en tout genre mais, étonnement, il me répondit presque gentiment : « Tu vas te tenir tranquille quelques jours, ensuite, je trouverai un moyen de te faire quitter la Terre. Je pense qu’ils seront suffisamment soulagés de ton départ pour arriver à les convaincre sans trop de mal que la décision de te laisser partir vient d’eux. »

J’avais bien saisi le sous-entendu en pensée comme quoi lui aussi serait soulagé de m’éloigner d’ici. A croire qu’il ne voyait pas les efforts que je faisais pour supporter la situation. Après tout, c’était lui qui m’avait obligée à venir sur Terre. Sans lui, je serais je ne sais où, mais beaucoup mieux qu’ici. Tandis que maintenant, j’étais coincé et sans doute pour plus longtemps que ce qu’il voulait me faire croire.

« Par contre, je compte sur toi pour te rendre utile là-bas. Je fais confiance à Maître Prestance pour qu’elle trouve quelque chose à te faire faire et à toi pour lui obéir. Il est grand temps que tu assumes tes responsabilités. »

- D’accord » dis-je à toute vitesse. J’étais prête à tout. J’obéirais à ma sœur, je la servirais, je l’adulerais, je ferais tout ce qu’elle veut, mais qu’on me fasse sortir d’ici.

« C’est ça oui. » dit-il même s’il n’y croyait pas. « Et autre chose, tu choisis n’importe qui mais tu t’arranges pour avoir des enfants Adarii, et pour Taegaïan de préférence.

- Mais, c’est une idée fixe chez vous.

- Evidemment que c’est une idée fixe. Tu as dix-sept ans et tu ne fais absolument rien. Beaucoup d’Adarii ne peuvent pas avoir d’enfants, si ceux qui peuvent n’en font pas, nous sommes mal partis.

- Et qu’est-ce qui te fais dire que je peux moi ?

- Tu es fatigante Pluie, si tu ne peux pas, tant pis, mais tu ne rentreras pas sur Plume tant que tu refuseras tes responsabilités. »

Il n’avait aucune envie de faire le moindre effort pour me faire sortir d’ici pensai-je dès qu’il eut fermé la porte derrière lui. Il se contentait de me faire miroiter les espoirs les plus fous pour ensuite m’accabler de tout ce qu’il savait pertinemment que je ne voulais pas faire jusqu’à ce que j’explose. J’aurais dû dire oui. Après, libre à moi, une fois là-bas de n’en faire qu’à ma tête. Quoique, je voyais mal Prestance me laisser agir à ma guise.

- Arrête d’imaginer tout et n’importe quoi Pluie, c’est agaçant.

Me dit-il encore avant de s’éloigner tout à fait me laissant plus furieuse que jamais.

***

« J’en ai marre conseiller Umya. »

Ca faisait presque un mois que j’étais là. Une éternité.

« J’ai cru le comprendre en effet.

- Je veux sortir d’ici.

- Vous devriez être capable de les convaincre de vous laisser partir par quelques petits tours dont vous avez le secret.

Je regardais le conseiller ne sachant que penser. En général, les hommes des Maÿcentres et de Vengeance évitaient d’évoquer de ce genre de chose comme si en parler risquait de nous donner de mauvaises idées.

« D’abord, le général n’est pas le seul à prendre ce genre de décision, et surtout, si je pars de cette façon, ils s’en rendront compte après coup et Glace en pâtira.

- Ce n’est pas faux », dit le conseiller en haussant les épaules. Il était désolé, mais je n’arrivais pas à déterminer si c’était par sympathie à mon égard ou autre chose.

« Echec et mat Adarii. » Il prit le cheval noir qui m’avait assené le coup de grâce et sembla un instant perdu dans la contemplation de la pièce de bois. « Vous voyez » finit-il par dire « sur mon jeu d’échec, les Adarii prennent la place des cavaliers. Ce sont mes pièces préférées. Ils sont redoutables car ils ne peuvent être bloqués par d’autres pièces, c’est leur pouvoir particulier, mais ils sont sauvages et il faut leur flatter l’encolure.

Je l’arrêtais avant qu’il aille trop loin dans ses propos indécents. Il m’avait fait part de la façon dont il analysait les activités de la base comme il étudierait une partie d’échec. Il s’imaginait le maître du jeu et il surveillait le résultat de ses actions comme on suivrait le mouvement de quelques pions. Il disait que le roi était le but à atteindre et qu’ici, il représentait la planète Terre.

Il m’avait avouée récemment qu’il comparait la reine au président des Vengeance-Maÿcentres : beaucoup de puissance mais pouvant être arrêté par un simple pion. « Et toi, conseiller Umya ? C’est bien beau d’être le maître du jeu, mais tu n’en es pas moins sur l’échiquier. Ou devrais-je plutôt dire, dedans. Quelle pièce es-tu ? »

Il me fit un grand sourire satisfait. « Voyons Adarii, je suis le fou bien sur. Toujours à marcher de travers et à agir de façon bizarre. » Il se tut perdu soudain dans une grande réflexion et continua à fixer son jeu d’échec diffusant autour de lui des petites pointes de curiosités.

« Que veux-tu savoir Sy conseiller ?

- Je me demandais qu’elles étaient les dernières nouvelles des Maÿcentres ? »

Les nouvelles, il devait les avoir par Glace et, s’il me les demandait, c’est que Glace devait sans doute lui cacher certains détails. Ou du moins, le pensait-il. Il s’imaginait sans doute que moi, vu que je me faisais toujours avoir, je lui dirais tout ce qu’il veut. Mais, ça ne marchait plus. Je ne me laisserais plus berner. De toute façon, je ne savais rien mais je me voyais mal lui dire la vérité, c'est-à-dire que j’étais fâchée contre Orage et que Glace ne me confiait rien car, comme il disait, il n’était pas là pour jouer les intermédiaires, que je n’avais qu’à voir ça avec Orage et que ma façon d’agir avec lui était stupide, perverse et irresponsable. Comme quoi, quand je disais que tout me retombait toujours dessus, je n’exagérais pas.

« Tu n’as qu’à demander à Glace » dis-je au conseiller qui attendait toujours une réponse.

« Conseiller Umya, je ne m’attendais vraiment pas à vous trouver ici ». Glace venait d’entrer dans ses quartiers et, vu l’accent sarcastique qu’il mettait dans ses propos, je compris de suite qu’Umya allait avoir des ennuis et peut-être que moi aussi d’ailleurs.

« N’avez-vous rien d’autre à faire qu’à jouer avec ma sœur ?

- Je ne joue pas, je l’interroge.

- Hé bien, vous avez fini de l’ “ interroger”.

- C’est dommage, j’avais presque réussi à la faire parler n’est-ce pas Adarii ?

- Presque Sy conseiller Umya. Peut-être serais-je prête à tout vous dire quand je vous aurais battu au échec.

- Pluie, ne rentre pas dans son jeu. Il est en train de nous attirer des ennuis. Maintenant, Gentry pense que si il n’obtient rien de toi c’est parce que tu le manipules. »

Le rire du conseiller Umya retentit soudain. « J’adore les hommes de la Terre. Les abrutis, je les mène en bourrique depuis des semaines et en plus, c’est moi la victime. Le fou je vous dis Adarii. Par définition, il ne peut pas être responsable de ses actes.

- C’est ça, riez. Le président Synshy arrive sur Terre et je pense que la première chose qu’il fera, sera de faire un tri parmi son personnel.

- Ca veut dire qu’il aura le droit de vous renvoyer pour peu que Gentry donne son accord. Ce qui ne devrait pas poser de problèmes.

- Ca n’a pas l’air de vous déranger beaucoup.

- Vous vous méprenez Adarii Glace Taegaïan, vous savez pertinemment que je pense que vous chasser est la plus grosse bêtise que peuvent faire les Maÿcentres mais, qu’y puis-je ?

- Sans doute vous imaginez-vous déjà reprendre la tête du projet ?

- J’avoue y avoir songé et alors, quel mal ? Au moins, vous aurez ici quelqu’un de votre coté.

- Un grand stratège comme vous avec une vue si étriqué. Vous me décevez conseiller. Ne vous êtes-vous jamais demandé comment un modique dignitaire de Vengeance d’à peine vingt ans à l’époque s’est retrouvé soudain propulsé second d’un projet concernant une planète entière ? »

Une lueur d’intérêt s’alluma dans l’œil d’Umya. « Dites-moi tout Adarii conseiller ?

- C’est Orage qui a exigé de vous avoir pour ce poste.

Umya devint blême d’un coup. « Et je suppose que le président Synshy est au courant.

- Evidemment, il était même extrêmement mécontent. Je pense qu’il aurait voulu choisir lui-même l’heureux élu. Le genre plus âgé, venant des Maÿcentres, lui vouant une admiration sans borne et une haine toute aussi grande vis à vis de nous. Votre carrière finira en même temps que la mienne. Soit les Terriens refusent votre départ et Synshy vous relayera à un niveau subalterne et s’arrangera pour vous trouvez un supérieur bien pire que moi jusqu’à que vous le suppliez de partir d’ici. Soit les Terriens ne voudront pas vous gardez parce que vous ne faites absolument rien de constructif ici. Parce que, bouger des pions imaginaires n’est pas leur but premier.

Allez, laissez-moi avec ma sœur et profitez de votre temps libre pour méditer vos possibilités de reconversion. »

Il attendit que le pauvre conseiller quitte la pièce et se tourna vers moi : « Bon, maintenant à nous deux Pluie. Si Gentry supprime mon autorité sur le projet, je n’aurais plus aucun pouvoir en ce qui te concerne et, comme je viens de le dire, le conseiller Umya ne sera pas mieux lotis. Il faudra te faire sortir avant. Mike m’a dit qu’il avait peut-être une idée mais il n’a pas pu m’en parler plus longuement. Quoi qu’il en soit tiens-toi prête à partir d’ici que ce soit légalement ou non.

- Mais, tu ne penses pas que les Terriens pourraient vouloir te garder ? Après tout, c’est tout à leur avantage d’avoir de bons rapports avec toutes les planètes du cercle. »

Glace me regarda avec l’air désespéré qu’il prenait dès que je ne l’écoutais pas « Réfléchis Pluie : Déjà, ils se méfient de moi, mais comment crois-tu qu’ils réagiront quand ils sauront que ça faisait plus de deux mois que le président Eysky t’avait renvoyée ? Tu crois sérieusement qu’ils me feront encore confiance une fois qu’ils sauront que je leur ai caché ça ? Et puis, je fais confiance à Synshy pour leur raconter les détails et sans doute d’autres anecdotes croustillantes de tout ce que vous avez pu leur faire endurer là-bas. »

Son ton était de plus en plus froid. Je tentais de me rassurer en me disant que, même si j’avais réussi à raisonner ma mère et si je ne m’étais pas fait prendre ici, Synshy en aurait raconté suffisamment à notre égard pour dégoûter les hommes d’Archuleta même sans parler de moi. Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de me sentir horriblement coupable « C’est ma faute ? » Je demandais ça d’une toute petite voix. C’était plus une excuse qu’une question.

- Oui, c’est ta faute » répondit-il glacial

« Tu m’en veux ? » Je savais bien que je n’aurais aucun soutien de sa part, c’était du masochisme d’insister ainsi et le résultat ne se fit pas attendre : « Oui, je t’en veux. Il serait tant que tu agisses en adulte, mais j’en ai marre de répéter toujours la même rengaine.

Pourtant, il la répéta. J’eus droit à nouveau à l’énumération de ce que j’avais fait : « tu te plains sans cesse, tu ne penses qu’à toi » et surtout ce que je n’avais pas fait : « Tu n’obéis pas, tu ne réfléchis pas, tu ne nous as pas parlé des capacités d’Emma alors que tu étais incapable de gérer ça.

- Ca va, ça va, j’ai compris, je vais faire un effort. Je ferais tout ce que tu veux, je t’obéirais, je ne me plaindrais plus, je réfléchirais avant d’agir.

Bon, comment comptes-tu t’y prendre pour que je sorte d’ici ?

- Orage viendra te chercher. Synshy l’a démis de ses fonctions dès qu’il a pris la place d’Eysky. C’est Crayon qui a appris tout à fait par hasard que Synshy partait sur Terre. Il s’est empressé de le suivre. Les Maÿcentres, pour nous, c’est fini. Plumeau, Aiguille et Fleur sont partis la semaine dernière. Orage n’a gardé que Crayon et Miroir pour équipage et pour s’occuper des taches minimums et assurer la sécurité de la villa et bientôt, s’en sera fini aussi de la Terre.

- Hors de question, je n’irais nulle part avec Orage. »

Je n’avais rien écouté de tout ce qu’il avait pu me dire après : « Orage viendra te chercher ». Enfin, j’avais entendu, mais sans vraiment m’y intéresser.

Je n’avais jamais vu Glace vraiment en colère avant ce moment-là.

« Pluie, tu vas cesser de suite avec tes enfantillages. Tu ne vas pas me dire que tu en veux encore à Orage juste parce qu’il compte sur toi pour avoir un enfant ? Ou plutôt parce que tu es vexée de ne pas t’en être rendue compte alors que tout le monde le savait. »

Ben oui, j’étais vexée, et alors, il y avait de quoi. Je n’étais pas une chose qu’on utilisait pour arriver à ses fins.

« Parce que c’est moi qui suis immature sans doute. Orage ne voit en moi qu’un moyen d’avoir ce qu’il veut. Jamais il ne s’est demandé ce que je voulais moi ni ce que je ressentais. Il est égoïste et ne pense qu’à ses intérêts.

- Je me fiche de ce que veut Orage, ou plutôt non. J’approuve tout à fait ses projets. Il est puissant et de Taegaïan. Ca valorisera ton statut aux yeux de tous.

- Tu ne parles pas sérieusement, tu ne vas pas cautionner ça ? »

On tombait dans le délire. Ne pouvait-il y avoir une personne raisonnable ici ? Mais non, chacun ne pensait qu’à son profit personnel, personne ne se serait soucié de ce que je voulais moi. J’étais trimbalé d’un coté à l’autre. Pluie, occupe-toi de ta mère. Pluie, viens fouiller les montagnes avec nous. Pluie, fais ceci. Pluie, fais cela. Et ensuite : Pluie, c’est de ta faute si ça ne marche pas. Et pendant ce temps là, Glace continuait encore et toujours à me sermonner : « Au moins Orage a un but dans la vie, et un but qui va dans l’intérêt de Taegaïan. Il manque sérieusement d’enfants là-bas.

Alors, si tu ne veux pas d’Orage, libre à toi. Dis-lui c’est tout mais arrête de te plaindre de ton sort et assume tes responsabilités. Tu ne peux pas passer ta vie à jouer avec le conseiller Umya.

- Je l’aime bien le conseiller Umya.

- Il est sournois, calculateur et cherche à te manipuler à sa façon.

- Orage aussi.

- Si tu penses ça, c’est que tu es encore plus bête que je ne l’imaginais.

Et puis, c’est assez. Soit tu repars avec Orage. Soit tu restes ici au risque de rester coincé un bon moment et dans des conditions bien pires.

- Tu n’as pas une troisième option ?

- Tu peux retourner chez ta mère.

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