samedi 29 mars 2008

Partie 2 chapitre 5

5

"Ce sont les petites pluies qui gâtent les grands chemins."

[Proverbe français]

Nous partîmes vers Lima le lendemain matin. On n’eut pas le loisir de s’attarder dans la capitale Péruvienne, on passa la journée à récupérer le matériel commandé par Thibault. De là, un vol intérieur nous déposa à Arequipa où Thibault avait loué une voiture pour aller jusqu’au lac de Titicaca. Il fallait avouer que, avoir parmi nous quelqu’un qui savait conduire, facilitait grandement les choses. On arriva dans la soirée du lendemain à Pupo, au bord du lac et, alors que je croyais en avoir fini des heures de voitures dans ces routes tortueuses, confinée, sans pouvoir fuir les élucubrations de Thibault, il nous fallut voyager une bonne partie de la journée du lendemain par bateau avant d’arriver au sud-est du lac et s’installer dans le petit village de Toraco.

« Nous sommes ici à 3812 m d’altitude » nous dit Thibault en désignant l’immensité du lac bleu de Titicaca dans lequel se reflétait le soleil d’une nouvelle matinée qui semblait aussi belle et ennuyeuse que les précédentes. « L’avantage, à cette altitude, c’est que certains ont du mal à supporter le manque d’oxygène, ce qui ne devrait pas vous gêner car, de ce que je sais, il n’y en a pas plus dans les vallées de Plume, mais, au moins, ça restreint un peu les touristes.

- Et bien sur, toi, ça ne te gène pas ? »

Thibault me sourit de son air mystérieux. « Eux non plus apparemment » dit-il en désignant quelques pécheurs poussant leur embarcation sur le lac. « Et la plus grande ville au bord de ce lac compte tout même soixante mille habitants. »

Je passai sur mes épaules un châle acheté la veille. Le vent était frais à cette altitude après la chaleur de Lima et je me frottai les mains contre mon jean pour les réchauffer. S’il partait dans des considérations géographiques ou historiques, autant s’armer de courage et s’installer le plus confortablement possible. Je plissai les yeux sous la luminosité avant de remettre mes lunettes de soleil et d’écouter Thibault.

« La légende dit que : Il y a très longtemps, le lac Titicaca était une vallée fertile. Une sorte de paradis terrestre où n’existait ni la haine, ni la mort, ni l’ambition. Les dieux des montagnes appelés Apus protégeaient les êtres humains à la seule condition qu’ils ne montent pas au sommet de la montagne où brûlait le feu sacré.

Evidemment, le diable, qui ne supportait pas de voir cette civilisation si paisible, les mena à la discorde en leur demandant de prouver leur courage en allant chercher le feu sacré au sommet de la montagne. Chemin faisant, ils croisèrent les dieux Apus qui exterminèrent tout ce beau monde en leur envoyant des milliers de pumas.

Voyant ce massacre, Inti, le dieu du soleil se mit à pleurer pendant quarante jours et ses larmes inondèrent la vallée. Un homme et une femme réussirent à s’enfuir sur une barque de jonc. Quand le soleil réapparut, un lac immense s’était formé et au milieu des eaux, flottaient les cadavres des pumas qui s’étaient noyés et changés en pierre. Ils appelèrent alors le lac : Titicaca, le lac des pumas de pierre.

- Jolie histoire » dit Sentiment. « Tu ne penses tout de même pas sérieusement que ce sont des larmes d’un Dieu qui a formé le lac j’espère. »

Thibault sembla quitter sa rêverie et détacha son regard des rives du lac « Non. Il a été formé par un gigantesque bouleversement géologique qui a soulevé l’ensemble de l’Altiplano. Il suffit de regarder autour du lac pour découvrir des fossiles de coquillages et la plupart de la faune du lac est marine. Nous avons ici un petit bout d’océan pacifique qui s’est retrouvé emprisonné puis soulevé à près de quatre mille mètres d’altitude ».

Il s’arrêta un instant reprenant sa contemplation du lac puis ajouta : « Parfois, la réalité dépasse le mythe. Mais, je pense qu’il y a toujours des éléments à garder dans chaque légende. Ainsi, je retiendrais l’évocation d’un paradis terrestre, ainsi que le déluge de quarante jours relaté dans tant de culture et puis aussi, les choses mystérieuses se situant au sommet de la montagne. Et enfin, c’est une histoire sur l’humilité. Elle nous apprend qu’il faut savoir dire non, plutôt que de nous lancer tête baissée pour combattre des puissances qui nous dépassent. »

Il tourna le dos au lac et se dirigea vers la route que nous venions de quitter avant de reprendre : « Je vous raconterai d’autres légendes sur Titicaca, mais pas maintenant. Il y a un groupe de touristes qui ne va pas tarder à partir visiter Tiwanaku. Nous devrions partir avec eux.

- Parce que c’est encore loin ?

- Il faut compter environ dix-huit kilomètres à l’intérieur des terres.

- Tu avais dit que c’était une ville portuaire ?

- Je le maintiens » dit Thibault en montant dans le bus.

J’avais ressenti un moment d’appréhension à l’idée de me retrouver enfermée dans un lieu si petit avec tant de monde et j’avais finis par le suivre. Je m’assis à coté de Tempête qui paraissait en extase dans ce lieu si inconfortable. « Ils sont marrants » me souffla-t-elle.

« Qu’est-ce qui est marrant ?

- Ces gens, ils sont si… Primaire.

- Primaire ? Qu’est-ce que tu entends par là ?

- Ne reste pas fermée à eux comme ça. Ils sont tellement basiques, simples. Comment la Terre a-t-elle atteint un tel niveau avec des gens si limités ? »

- Peut-être en mettant leurs savoirs en commun. » Je n’ajoutai pas que les Adarii de Maniya devrait aussi partager leurs petits secrets mais je le pensais fortement. Quoique, en y réfléchissant, quand les individus se retrouvaient en trop grand nombre, ils avaient tendance à perdre la moindre parcelle de leur faible intelligence. Plus probablement, toute cette civilisation devait-elle remercier quelques personnes supérieurement douées pour leurs découvertes plutôt que de vénérer des chanteurs ou sportifs. Des personnes douées comme Thibault réalisais-je. Non, il devait y avoir une autre explication. « Je n’ai pas envie d’en discuter et encore moins de m’investir dans une étude anthropologique des touristes. » me contentai-je de répliquer à Tempête qui ne m’écoutait plus, entièrement concentrée dans une intense réflexion issue de mes pensées précédentes. Je m’appuyai contre la vitre sale tandis que nous traversions des pistes entre une végétation rare et un décor rocailleux. Après une dernière montée, nous arrivâmes sur un plateau couvert de ruines. D’immenses blocs aux étranges dessins géométriques étaient renversés sur le sol. Seul les fondations en pierre des bâtiments avaient résisté aux siècles mais plus impressionnant, un immense monolithe en forme d’arche fièrement dressé semblait défier le temps.

Je sortis la dernière et m’approchai, réellement impressionnée par le spectacle.

Tempête s’approcha et caressa la pierre : « c’est magnifique », dit-elle. « Bien plus beau que toutes les représentations que j’ai vu. »

Je lui demandais ce que c’était mais c’est Thibault qui répondit : « Ils appellent ça la porte du soleil. Admirez la finesse de ses motifs et la taille colossales de ses pierres. De l’autre coté, vous avez aussi la porte de la lune. Vous avez aussi d’autres monolithes intéressants » dit-il en désignant d’impressionnantes statues d’apparence humaine stylisée. Je m’avançais sur le plateau pour contempler d’étranges personnages en grès, à grandes oreilles, avec des mains à quatre doigts, tandis que Thibault me suivait en reprenant ses histoires : « Selon la légende, Viracocha, le Dieu à l’origine de l’humanité, mécontent des comportement de sa création, les transforma en statue de pierre avant de recréer une nouvelle race d’homme plus évoluée. Ce sont peut-être des hommes transformés en pierre que vous touchez. »

Qu’est-ce qu’il s’imaginait celui-là avec son air narquois ? Qu’il allait me faire peur avec ses légendes ? A la place de Viracocha, j’aurais aussi changé en statue sa nouvelle race. Ce qui me semblait le plus fantasmagorique dans son histoire c’est qu’il y ait pu avoir une humanité encore moins digne d’exister que celle que j’avais sous les yeux.

« Et tu disais que cette cité à près de trois mille ans c’est bien cela ?» demanda Sentiment à Thibault m’empêchant de formuler ma pensée à voix haute.

« D’après les archives officielles, c’est bien cela. La civilisation serait née vers mille cinq cent avant JC et aurait mystérieusement disparue vers mille deux cent après JC. La ville aurait tout de même eu le statut de capitale et plus de vingt mille habitants.

- J’ai vraiment du mal à imaginer que les hommes de cette planète aient pu construire de telles choses il y a si longtemps.

- Apparemment, ils n’ont pas de difficulté à imaginer que des blocs de pierres de cent tonnes aient pu être déplacés si facilement et ajustés avec une telle précision. De même, des pavés longs de cinq mètres taillés d’un bloc dans la pierre ne constituent pas un problème pour eux. Et, le sol recèle de gigantesques conduites d’eau en pierre dont le fini ne serait égaler ce qu’on trouve aujourd’hui.

Je vous l’ai dit, les gens n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre et ne voient que ce qu’ils veulent voir. Tout ce qui ne correspond pas à leurs croyances sera tout simplement éliminé. Ainsi, vous aurez beau faire la visite guidée, personne ne vous parlera de l’endroit d’où proviennent ces pierres. Personne ne vous expliquera pourquoi toute la structure que vous voyez ici représente sans aucun doute un port alors que le lac est à dix-huit kilomètres.

- Et je suppose que toi, tu t’es posé les questions et que tu as les réponses. »

Thibault désigna son tee-shirt qui arborait aujourd’hui l’inscription « je sais tout.

- Prétentieux » murmurai-je dans un souffle.

« Cette ville a au moins quinze mille ans mais, si on me disait vingt mille, je le croirais volontiers.

- Pourtant, il y a quinze mille ans, la Terre étaient à un stade préhistorique, ils ne construisaient pas de villes.

- Miss Pluie, êtes-vous certaine de n’avoir séjournée que quatre ans sur Terre ? Je m’extasie en constatant qu’en si peu de temps, vous ayez pu acquérir une telle attitude bornée et têtue. On dirait votre mère.

- Je croyais que tu ne la connaissais pas ?

- Non, mais l’année dernière, comme je n’avais plus de nouvelle de Maître Espoir et qu’il m’avait dit qu’il avait déjà formé une certaine Emma Diarety avec qui il avait eu une fille, ce ne fut pas difficile de trouver ses coordonnés. Je l’ai appelée pour avoir certaines informations. Nous avons discuté de choses et d’autres et j’ai dû dire quelque chose qui ne lui a pas plus car elle a fini par s’exclamer violemment que de toute façon, elle ne voulait rien savoir des expériences sordides d’Espoir. De là, je lui ai répondu un jeu de mot très subtil sur l’espoir, ou le désespoir. Je ne me souviens plus ». Thibault semblait perdu dans une longue réflexion que je ne doutais pas être totalement stérile.

« Et donc ? »

- Et donc rien, elle m’a raccroché au nez.

- Je ne parle pas de cela. Tu n’imagines pas que je suis dupe de ton petit manège consistant à distiller tes informations en t’étalant sur plusieurs sujets de conversations à la fois ? Tu disais dater la ville à quinze mille ans. Cette idée est loin de la thèse officielle qui doit pourtant être fondée sur des recherches élaborées.

- Recherches très élaborées en effet. Leurs conclusions reposent sur l’examen de quelques figurines d’argiles datant, de toute évidence, d’une époque bien postérieure aux monolithes.

- Et tes affirmations extravagantes s’appuient sur quoi ?

- D’abord, il y a les Aymaras, le plus ancien peuple des Andes, qui disaient que c’était la cité des premiers hommes de la Terre.

- Ne me dis pas que tu t’appuies uniquement sur tes fichues légendes ? »

Je savais pertinemment qu’il allait encore attendre un temps infini pour me répondre aussi, je m’armai de patience. En effet, il resta encore plusieurs minutes les yeux dans le vague puis, prit soudain un air très concentré avant d’éclater de rire.

« Tant qu’il y a Espoir, il y a de l’espoir.

- Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes encore ?

- C’est ça que j’avais répondu à Emma Diarety. Ca me revient maintenant.

Bon, Vu votre tête vous ne trouvez pas ça drôle. Pourtant, moi j’aime bien. Evidemment, je ne savais pas à l’époque qu’il était mort. C’est évident que, vu comme ça, ça pouvait paraître de mauvais goût. Surtout devant vous. Je m’excuse, ce n’était pas très intelligent. Mais Emma aurait pu me prévenir aussi. »

Il était impossible. Tout simplement impossible. Et il était tout le temps ainsi.

Je m’écartais. J’avais besoin d’un peu de tranquillité. Tempête et Sentiment suivaient certains touristes anglophones dans une visite guidée. Moi, je me contentais de me promener parmi les ruines.

Quelque soit la datation de ces pierres, il fallait admettre qu’elles recelaient certains détails troublant même pour quelqu’un d’aussi peu averti que moi. J’observais quelques bustes en pierre représentant des visages de morphologie tour à tour Africaine avec leurs lèvres charnues et leurs nez épatés côtoyant des sculptures aux bouches fines et au nez droits.

Le soleil se couchait à l’horizon et les derniers groupes repartaient déjà.

Je les suivis et retrouvais Tempête et Sentiment.

« Alors ? » leur demandai-je tandis qu’on remontait dans le bus, « vous avez appris des éléments intéressants ?

- Si on veut. Le guide nous a expliqué exactement ce que Thibault a dit qu’il nous dirait, autant dire pas grand-chose. En effet, au niveau des datations, ils parlent de six cents ans avant JC puis de mille cinq cent ans, mais en fait, j’ai l’impression qu’ils n’en savent rien. »

J’avais suivi les conseils de Sentiment. Quand elle avait senti mes réticences vis à vis de Thibault, elle m’avait dit d’attendre avant de le questionner. Aussi, je ne lui avais rien demandé de plus. J’étais rentrée à l’hôtel, j’avais pris un bain, je n’avais pas spécialement faim mais j’avais commandé tout de même un repas car, avec la manie des indigènes de manger à heure fixe, si on ratait l’heure du dîner ça devenait un exploit de trouver quelque chose de correct à avaler. Je me demandais si Sentiment avait un plan pour extirper des informations plus rapidement à Thibault ou si elle espérait juste qu’il quitte ses grands airs mystérieux en la faveur de la nuit. Bientôt, n’y tenant plus, je descendis dans la salle commune.

C’était une pièce rustique dans laquelle brûlait un bon feu. Quelques personnes discutaient encore assis à table. Thibault avait avancé une chaise suffisamment près du feu pour pouvoir poser ses pieds au bord de l’âtre. Il était seul mais pourtant, quand je m’approchai, il me fit signe de me taire. Il était négligemment occupé à raconter les détails de sa journée au téléphone. Je lui pris son portable et le refermai d’un mouvement brusque.

« Qu’est-ce que vous faites ? » dit-il ébahi.

« Je sauve ta réputation avant que tu racontes à ton interlocuteur que tu recherches des anciennes traces de civilisations extraterrestres dans les ruines de Tiwanaku. A moins que tu ne l’aies déjà dit ?

- Mais bien sur que non, je n’ai rien dit. C’était ma copine.

- Parce que tu as une copine, toi ?

- Bien sur, elle aime les génies et je suis génial. Nous sommes donc faits pour nous entendre. Et surtout, elle est canon.

- Et tu lui as sorti tes histoires de contacts extraterrestres ?

- Non, pas encore, nous venions de nous rencontrer quand je suis parti vous rejoindre. En général, je raconte la vérité aux filles quand je veux les quitter. J’ai calculé qu’entre le moment où je leur avais parlé et le moment où elles partaient en courant, il s’écoulait en moyenne 769 secondes.

Evidemment, c’est une étude qui ne tient pas debout. » Ajouta-t-il « Déjà, dans un premier temps, parce que malgré mon charme ravageur, je n’ai pas encore pu établir un nombre de conquêtes équivalent en un échantillon représentatif mais j’y travaille.

Ensuite, pour en faire une étude sérieuse, il faudrait aussi maintenir la variable “façon de dire la vérité” comme une constante. »

Qu’est-ce qu’il racontait encore ? - Tempête, ne me laisse pas seule avec lui.

« Ne me regardez pas ainsi, réfléchissez pour une fois, et vous conviendrez que c’est logique. La perception qu’elle pourrait avoir de moi sera différente suivant la façon dont je vais présenter les choses qui me fera passer, soit pour un marrant légèrement excentrique, soit pour un malade sérieux. »

Il reprit après une légère pause pendant laquelle il me regarda cachant ses sentiments, m’empêchant de déterminer s’il me prenait pour une abrutie ou s’il était sérieux avant d’ajouter : « Vous comprenez ?

- Bien sur que je comprends. Tu es un malade sérieux en effet. »

Je suppliais encore Tempête de me rejoindre avant que je fasse acte de violence physique en la personne de Thibault mais elle me répondit qu’elle profitait de son bain et que, si je voulais le frapper, apparemment les lois indigènes étaient plutôt laxistes sur le sujet alors que je n’avais qu’à faire selon mon bon vouloir.

« Qu’est-ce qu’il se passe encore ici ? » Sentiment était arrivée dans la salle et se tenait derrière nous, les bras croisés. Je lui tendis le téléphone.

« Thibault » continua-t-elle, bien trop gentiment à mon goût « Nous nous étions mis d’accord pour éviter les communications.

- Ha Sentiment, quand tu nous tiens. »

J’ignorai son jeu de mot aussi profond que les précédents. « Il conversait avec sa petite amie apparemment.

- Je viens de la Terre, c’est la culture de l’amour. Qui puis-je ? »

- Toi, amoureux ? Sûrement pas à la façon des gens d’ici. Tu nous ressembles trop pour succomber à un comportement si primaire.

- La nature humaine est ainsi faite.

- C’est ça oui. Sors-nous tes violons, ça ne changera rien. Tu es comme nous et tu le sais très bien. »

Je ne comprenais pas où voulait en venir Sentiment et je n’aimais pas du tout la tournure étrange que prenait la conversation. Je n’avais rien en commun avec Thibault moi.

« Tu veux dire que tu me considères comme l’un des tiens ? » Je n’avais jamais vu Thibault si heureux ou était-ce la surprise qui lui avait fait relâcher la maîtrise qu’il avait sur ses émotions laissant fuser son contentement ? Mais Sentiment continuait : « J’ai de l’estime pour toi. Espoir n’aurait jamais confié des manuscrits Adarii à quelqu’un qu’il ne respectait pas. Même le président Eysky n’y a pas eu droit et je sais combien il aurait aimé mettre son nez dans ce genre de document. Espoir savait que tu étais plus qu’un humain ordinaire même si ton intelligence n’a d’égal que ta bêtise. »

A voir ses yeux brillants comme ceux d’un enfant, je compris tout à coup que, même si Thibault s’évertuait à se donner le rôle du surdoué bien dans sa peau et adapté au monde qui l’entourait, il avait dû se sentir bien seul. Tempête l’avait qualifié d’erreur de la nature. Sans doute beaucoup de ses compatriotes avaient dû faire de même. Sentiment l’avait bien perçu et lui avait donné ce qu’il voulait, c’est à dire être reconnu. A partir de là, il devint beaucoup plus conciliant et accepta avec plaisir de nous expliquer ses théories. Il nous amena dans sa chambre passant prendre Tempête au passage. Il avait étalé là un monceau de paperasses et je ne pus m’empêcher de faire une réflexion sur les risques liés à laisser tant d’éléments à la portée de la première femme de ménage venue, mais il ne pensait pas que qui que se soit puisse comprendre ce qui se trouvait là. « Ne vous inquiétez pas » nous dit-il. « Il n’y a rien de secret là-dedans. Ce sont juste des recherches que la plupart des archéologues ont mises de coté car elles ne coïncidaient pas avec ce qu’ils souhaitaient trouver.

Au niveau de Tiwanaku, j’ai travaillé sur plusieurs axes : Le premier élément qui saute aux yeux, c’est le port. Il atteste qu’à sa construction, la ville se trouvait en bordure du lac. Ce qui paraît logique, la région est bien trop pauvre pour qu’une population de vingt mille habitants puisse survivre de la chasse. Le sol est trop rocailleux pour pratiquer de bonnes récoltes même si on retrouve des traces prouvant qu’il existait quelques secteurs agricoles. En plus, la région est trop aride pour nourrir de grands troupeaux de bétail. Une ville qui veut survivre et se développer ici doit se trouver au bord du lac et vivre de la pêche.

- Et le dénivelé est de combien pour atteindre le lac ? » Demanda Sentiment

« Trente mètres.

- donc, si je comprends bien, le lac a baissé de trente mètres depuis la construction de la ville. »

- Soit le lac a baissé, soit la montagne sur laquelle se trouve la cité s’est surélevée. Comme je vous l’ai dit, cet ensemble a été soulevé par de grands bouleversements géologiques.

L’étude de ses mouvements avec l’hypothèse de la ville au bord du lac nous permet de situer l’age de la ville à quinze mille ans.

- Et tu es sûr de tes résultats ?

- Presque oui. Mais, ce n’est pas tout. Toutes les civilisations précolombiennes étaient fascinées par l’astronomie. Certaines connaissaient les constellations, les planètes du système solaire, les cycles de la lune. Tiwanaku ne faisait pas exception à la règle.

Si on regarde les alignements solaires des diverses structures, on constate qu’ils ont été déterminés en fonction d’observation des cieux. Ces observations sont largement antérieures à trois mille ans.

- Parce qu’en plus, tu fais de l’astronomie ?

- Non, j’ai réuni les travaux de plusieurs savants et j’ai demandé à Max de vérifier.

On retrouve aussi dans les gravures de Tiwanaku, des représentations d’animaux ayant disparus de la Terre depuis des milliers d’années.

- Donc la ville daterait de quinze mille ans.

- La date exacte de la ville, je ne la connais pas mais je peux vous assurer qu’il y a quinze mille ans, elle existait déjà.

- Et d’après toi, quel degré de connaissance pouvait posséder une telle cité ?

- Là, ça devient plus compliqué. Il existe certaines traces prouvant le degré d’évolution élevé de cette civilisation. Je vous ai déjà parlé des conduites d’eau. Vous avez pu voir aussi le travail architectural. On a aussi retrouvé une sorte de calendrier comportant des indications sur les équinoxes, les positions horaires de la lune, les mouvements de celle-ci par rapport à la rotation de la Terre. Pour un peuple censé penser que la Terre est plate, ce n’est déjà pas si mal.

En étudiant les légendes associées à ce lieu, on trouve des traces pouvant révéler une culture étrange. Ainsi, l’étude des symboles pictographiques de la porte du soleil mentionne des êtres humains très évolués qui s’accouplent avec des tapirs géants. »

- C’est moyennement convainquant ça.

- C’est tout le problème des légendes, on trouve de tout et n’importe quoi et souvent, il faut pouvoir séparer la réalité du symbole et de la métaphore. On peut imaginer par exemple que le Tapir en question était une sorte de Dieu.

Après tout, Imaginez que quelqu’un raconte une histoire d’accouplement avec la Pluie. Personne ne le prendrait au sérieux sauf en connaissant la si agréable Pluie qui nous fait l’honneur de sa présence ici. »

J’avais bien perçu le ton ironique de ses propos. Parce qu’il s’imaginait sans doute que sa compagnie à lui était plus agréable que la mienne ? Je me contentais de faire remarquer que jamais personne ne prendrait des noms d’animaux. C’était bien trop dégradant.

« C’était juste une remarque » me dit-il, « les temps évoluent, les mœurs aussi. N’empêche, des dieux genre foudre, soleil, pluie, orage, on en trouve dans beaucoup de mythologie.

Par exemple, si je reprends les légendes de Titicaca, il y aurait eu aussi une cité merveilleuse sur une île du lac qui aurait été détruite par un immense nuage rouge et noir diffusant une pluie rouge dans un fracas de Tonnerre. Depuis, les Incas viennent ici adorer les Dieux Tonnerre et Eclair. Cela dit, vous avez raison. Dans la mythologie de Tiwanaku, cette thèse n’est pas probante. Des enfants de Dieux seraient considérés comme des Dieux eux-mêmes ou, au moins, des êtres supérieurs. Or, les enfants issus du tapir étaient dégénérés.

Quoique » ajouta-t-il en me regardant d’un air indéchiffrable.

S’il faisait la moindre allusion comme quoi j’étais dégénérée, je le découpais en petit morceaux pour le faire manger à un lama.

- Les lamas sont herbivores. Je chassais les considérations pratiques de Tempête. De toute façon, il avait repris sur un terrain moins glissant.

« C’est entre autre pour cela que je voulais revenir. J’ai travaillé sur les pictogrammes de Tiwanaku à partir des connaissances linguistiques des civilisations précolombiennes mais, maintenant que je connais les pictogrammes Adarii. Je voudrais les comparer.

- Parce qu’il y a des similitudes ?

- A première vue, pas vraiment, si ce n’est que se sont toutes les deux des écritures pictographiques ce qui présente en soi déjà un point commun. Mais, je pense qu’il y a encore un travail à effectuer à ce niveau. L’écriture Adarii est ce qu’on pourrait appeler sur Terre quelques chose de sacré. C’est le genre de chose qui évolue très peu même si, en quinze mille ans, il est impossible de trouver de réelles similitudes.

J’aimerais pouvoir étudier de façon plus approfondie les pictogrammes des différentes familles. »

Et moi, je n’avais aucune envie qu’il fourre son nez là-dedans.

« Ce pourrait être une civilisation avancée mais pas forcement Adarii.

- Peut-être. Mais avec les mêmes intérêts que les Adarii alors.

- A quel niveau ?

- Tout comme vous, nous avons ici sans aucun doute une civilisation de bâtisseurs. Toutes les civilisations précolombiennes suivant la lignée de Tiwanaku ont en commun l’intérêt de construire des cités merveilleuses dans des endroits les plus inattendus. Il y a un sens artistique, des sculptures, des peintures. Ils ont acquis un talent et un art dans leur architecture que l’on ne retrouve nulle part, sauf s’il faut en croire Espoir, chez les Adarii. Il paraît que vos cités sont de vrais merveilles et que vos pierres sont taillées avec une telle finesse qu’elles s’ajustent parfaitement les unes aux autres sans avoir besoin du moindre liant pour les soutenir. »

Thibault fit une pause attendant sans doute qu’on lui en dise plus sur le sujet puis continua : « D’après mes recherches, Tiwanaku, tout comme les cités Adarii devait se composer de bâtiments communautaires, tel que des lieux de bains, des temples, des lieux de rassemblements mais aussi des jardins et des bassins et, tout autour, devaient s’étaler à perte de vue, des constructions plus modestes dont il ne reste rien.

Bien sur, les pierres sont usées et il n’en reste plus que des ruines mais le lieu recèle une harmonie dans la disposition des constructions, dans les dessins. Quelque chose de pas humain je dirais.

- Je vois que tu as étudié à fond la culture Adarii mais, il n’y a pas de temples ni aucun lieu de culte dans nos cités » répliquai-je uniquement pour le plaisir de le contredire.

« Ca ne m’étonne pas, je vous imagine mal idolâtrer autre chose que vous-mêmes. Alors, placer au centre d’une cité un temple ou une Villa Adarii, pour moi, ça revient au même.

Comment faites-vous ?

- Comment on fait quoi ?

- Comment travaillez-vous la pierre ?

- Peut-être te le dirons-nous un jour » reprit Sentiment. Je fus soulagée de constater qu’elle n’était tout de même pas prête à lui révéler tous nos secrets.

« D’accord, je vois, gardez vos secrets si ça vous rassure, de mon coté, je vais continuer à vous dévoiler mon savoir.

Si j’avais grandi parmi vous, on m’aurait sans doute dénommé “Intègre” ou alors “Moralité”. Oui, “Intégrité”, ça m’irait bien. »

Il était reparti dans ses divagations. Je songeais à aller me coucher, j’aurais bien droit à un résumé demain matin.

« Mais je sais bien que ça n’aurait pu être possible vu que ces concepts n’existent pas dans la langue Adarii », continuait-il « Tout comme ceux, de rancune, ou encore celui de jalousie. On n’imagine pas tout ce qu’on peut apprendre d’une culture en étudiant les concepts existant dans une langue et pas dans une autre. Ainsi, la notion d’intimité est un concept qui n’avait pas de sens dans les cultures arabes ni dans certaines cultures asiatiques qui sont comme chacun sait des civilisations ou le groupe prime sur l’individu… »

C’en était assez pour moi ce soir, je le laissais continuer son discours avec Tempête et Sentiment et pris un très grand plaisir à pouvoir enfin me glisser sous les draps. La nuit était fraîche aussi, j’ajoutai une couverture. J’oubliais Tiwanaku, j’oubliais Thibault et je m’endormis quasiment instantanément rêvant de la cité blanche de mon enfance dominant l’océan au reflet rose de Taegaïan pour ne me réveiller qu’au matin. Je restai un moment les yeux ouverts à rêvasser. Orage était auprès de moi Tempête arrive me dit-il. En effet, une seconde après, elle se précipitait dans ma chambre. « Finie la grasse matinée » me dit-elle « aujourd’hui, on part à la rencontre de la nature. »

Je la regardai sans bouger. Sa minijupe en toile beige et son débardeur couleur camouflage qui ne camouflait pas grand-chose ne me paraissaient pas des plus appropriés pour marcher pendant des heures, mais, j’avais depuis longtemps appris à ne plus faire de remarques à ce sujet. Je ne pus tout de même pas m’empêcher de lui demander si elle n’allait pas se faire mal au pied avec ses tongs, mais elle se contenta de répliquer qu’elle marcherait pied nu si ça la gênait.

« Sentiment est réveillée ? » Demandai-je

« Je n’en sais rien, mais je ne vais sûrement pas l’attendre alors que le buffet du petit déjeuner doit commencer à se vider. »

Je me levai et m’étirai. « Elle ne dormait pas dans ta chambre ?

- Non, je crois qu’elle a passé la nuit avec Thibault.

- Sentiment et Thibault ? Ca m’étonnerait.

- Pourquoi pas, après tout, il est joli garçon.

- Je l’admets même si son caractère a de quoi rebuter toute personne normalement constituée mais, d’abord, il n’est pas Adarii et ensuite, Sentiment est pire qu’un glaçon et j’imagine mal quelqu’un pouvant la dégeler.

- Sentim adore tester de nouvelles expériences. De ce point de vue là, elle ressemble beaucoup à Espoir.

En plus, la pauvre n’était pas gâtée sur les Maÿcentres. On ne peut pas dire qu’on avait beaucoup de prétendants là-bas.

Je pense qu’elle se sentait très seule à force. Elle s’entend bien avec Glace mais il n’était jamais là. Bien sur, en ce qui me concerne, c’était bien suffisant. Glace est particulièrement beau et Orage… » Elle s’affala sur mon lit, les yeux brillants et un sourire infini sur les lèvres. « Orage est impétueux et doux à la fois. Orage est un amant formidable. Il sait toujours ce que tu veux, avant toi-même, il devance tes propres désirs. Mais je suppose que tu sais de quoi je parle. »

Oui, je le savais, et non, je n’avais aucune envie de m’étendre sur ce genre de sujet avec elle. Qu’est-ce que mijotait Sentiment ? Elle badait Thibault jusque dans son lit pour lui donner confiance et lui soutirer des informations sans doute. C’était immonde, à la limite de la prostitution et après, elle avait le culot de nous critiquer quand on ne se conduisait pas convenablement. Pire, elle avait même désapprouvé ouvertement ma liaison avec Orage. Mais moi, je ne serais jamais tombée si bas. Un vulgaire Autre, Terrien, comme s’il n’était pas assez prétentieux comme ça. Pour qui allait-il se prendre maintenant ?

« …Avec des hommes comme lui, on aurait presque envie d’adopter le système d’ici et de le garder pour soi. Quoique, ce serait vraiment dommage de ne pas t’en faire profiter. »

Je n’y étais plus du tout. J’avais totalement lâché le fil du discours de Tempête. Apparemment, je n’avais pas raté grand-chose, elle parlait toujours d’Orage. « Ca voudrait dire aussi que tu devrais lui rester fidèle », lui fis-je remarquer reprenant la conversation au vol.

Tempête réfléchit quelques instants et se remit à sourire. « Impossible, mon cœur est bien trop grand pour un seul homme.

Et puis, avant de revenir sur Plume, peut-être pourrais-je passer sur la planète Saphir retrouver les mythiques familles de Tiyana. »

Elle exultait comme si elle faisait partie d’un décor de théâtre.

« On dit que la famille de Tiyana était la plus puissante famille Adarii, et que leur cité était la plus belle et la plus grande de toutes. »

Et qu’elle a été détruite, sans doute par la simple planète Vengeance, pensais-je

« On dit aussi que les Adarii de Tiyana étaient capable d’imposer leur volonté même aux autres Adarii et que c’est Aurore de Tiyana qui a découvert la planète Vengeance.

- Si tu veux mon avis, ça me paraît plus plausible d’imaginer que ce sont des personnes originaires de Vengeance qui ont découvert Aurore. Que je sache, Saphir n’a jamais possédé de technologie Spatiale.

- Tu casses le mythe Pluie. En plus, après tout, les premiers colons de Saphir ne sont pas arrivés à pied. Mais là n’est pas la question. Imagine : faire des enfants au territoire de Tiyana. Des princes de Saphir comme on les appelait.

- Qu’y a-t-il ? » Demandai-je tandis qu’elle restait silencieuse, le sourire aux lèvres.

« Orage est avec moi. Il sait toujours quand je parle de lui et il arrive instantanément. « Va t’en mon amour » dit-elle tout haut, en tourbillonnant dans la chambre « Thibault va nous entendre.

Tu crois qu’il est capable de surprendre nos conversations même quand il n’est pas à coté de nous ? C’est inquiétant. Au fond, je l’aime bien mais, en général, je me sers de la communication mentale quand je ne veux pas que les autres sachent ce que je dis.

- Demande-lui comment ça marche, il te répondra. N’oublie pas qu’il est intègre et moral.

- Tu as raison, je lui demanderai mais avant, profitons de notre dernier petit déjeuner. Demain, je ne sais pas ce qu’on mangera. »

Thibault vint nous rejoindre dans la salle à manger avec sa pile de croissant habituelle. Je lus sans y prêter attention l’inscription « la Terre est à moi » inscrite sur son tee-shirt et lui demandai, s’il n’avait jamais essayé les autres éléments qui composait le buffet.

« Miss Pluie, vous êtes le nuage de ma vie. N’aurez-vous jamais d’autres plaisirs que de me faire des remarques désobligeantes dès le matin. Je n’ai pas la répartie facile avant d’avoir avalé mes croissants, alors gardez vos sarcasmes encore quelques minutes s’il vous plait.

Sentiment descend dans cinq minutes » ajouta-t-il comme s’il voulait bien insister sur le fait qu’elle était avec lui.

« Je sais » répondit Tempête, pendant que je tentais vainement de retenir une grimace de dégoût. « Elle vient de me le dire. Dois-je comprendre que tu ne l’avais pas entendue ?

- Bien sur que non, je n’entends pas tout ce que vous vous racontez. Un tel exploit exige pas mal de concentration et une certaine proximité au moins avec un des deux protagonistes. Pourquoi, vous avez peur que je surprenne vos conversations coquines ? »

Il n’en fallait pas plus à Tempête pour s’échauffer. « Donc, tu m’espionnes et volontairement.

- Je ne vous espionne pas, j’ai la chambre à coté de celle de Pluie et je vous ai entendu crier tout à l’heure l’énumération de vos conquêtes.

- En fait, je préfère ça. Tout est prêt pour le départ ?

- Presque. Mais, il y a un souci : Nous sommes beaucoup trop chargé. J’avais pensé prendre des animaux pour transporter le matériel car, là où nous allons, les véhicules ne passeront pas. Il faudrait convaincre le propriétaire des bêtes de nous les laisser. En principe, nous devrions avoir un guide. »

Tempête avait retrouvé le sourire. « Je m’en charge », dit-elle avec un plaisir évident.

Thibault leva la tête de ses croissants. « Prenez un lama, c’est marrant ses bêtes-là, ça fera couleur locale ».

Tempête se leva et prit l’adresse que lui tendait Thibault. « Et un lama. Je te ramène ça de suite » dit-elle en sortant.

Tandis que je restais en tête à tête avec Thibault, je réalisai soudain que je ne savais toujours pas exactement ce qui s’était décidé la veille, après mon départ.

« Je croyais que tu voulais rester quelques jours à Tiwanaku pour étudier les idéogrammes ?

- Oui, je l’envisage toujours mais, après votre départ, nous avons discuté de deux ou trois détails qui m’ont interpellés. Tempête m’a dit que lorsque les Adarii construisent des cités, ils avaient pour tradition de construire une sorte de petit temple.

- Ca fait des siècles que nous n’avons plus construit de cités. Nous nous contentons de les entretenir, et encore uniquement ce que le peuple ne peut pas faire.

- Mais, à l’origine, ce sont eux qui ont conçu les cités de Plume ?

- Oui, enfin, de ce que j’ai appris, tout le monde participaient aux constructions des cités, mais les Adarii ont des capacités, disons particulières, pour travailler la pierre et, en s’y mettant à plusieurs, ils peuvent réunir assez de puissances pour déplacer et assembler des blocs de pierres de grosses tailles par télékinésie. Mais, il ne faut pas exagérer, les cités de Plume sont très belles mais c’est surtout le niveau artistique qui est mis en valeur, les proportions et les sculptures, sinon, elles sont bien moins impressionnantes que certaines villes que l’on trouve ici.

- Peut-être, mais, comme ici, avec des pierres de dimensions tellement démesurées qu’il faudrait une grue des plus sophistiquée pour les transporter. Pensez au soi-disant moyens d’on disposaient les indigènes il y a plusieurs millénaires. »

J’avais passé toute mon enfance dans la cité de Taé à Taegaïan et nous allions souvent aussi dans celle de Maniya mais, comme tout enfant, je passais beaucoup plus de temps à jouer qu’à admirer les vieilles pierres. Les cités de Taegaïan étaient très belles, c’est vrai. Les constructions tout en pierre blanche étaient d’une finesse remarquable et les pavés des rues dans diverses teintes de roses et de gris formaient des figures géométriques complexes sur lesquels on pouvait jouer. Il y avait de grandes places, énormément de fontaines et de bassins pour se baigner, des jardins aussi, remplis de plantes aromatiques et d’immenses manguiers pour faire de l’ombre ainsi qu’une longue digue surplombant la mer. A part la villa, les bâtiments n’avaient rien d’exceptionnel. Pour la plupart, il s’agissait de petites échoppes dans lesquels les commerçants entreposaient leurs marchandises. Elles étaient toujours admirablement sculptées mais rien qui ne puissent être réalisé sur Terre pour peu que quelqu’un ait l’idée d’y mettre un peu du sien. De part le climat chaud, beaucoup d’activités se faisaient à l’extérieur. En dehors de la cité, on retrouvait les habitations du peuple, souvent sous forme de petites maisons en bois entourant un jardin patio que se partageaient plusieurs familles. Les cités de Taïla dans le désert rose et celles des îles d’Amaerua étaient d’architecture similaire.

Maniya, par contre, était plus traditionnelle : Construite dans la montagne, avec la villa Adarii en son milieu entourant un patio et un grand bassin. Autour de la villa, on retrouvait une grande esplanade puis, les jardins publics de la cité, avant d’arriver aux bâtiments servant pour le commerce et les thermes publics. On retrouvait aussi des salles de réunions ou de loisir à l’abri des tempêtes. C’est vrai que là, les pierres étaient nettement plus imposantes. Il y avait aussi une arche à l’entrée de la ville encore plus imposante que la porte du soleil et, comme toutes les cités, les remparts visaient plus l’esthétisme que la protection.

« Oui, en fait, tu as raison il pourrait y avoir quelques similitudes. »

Sentiment arriva à ce moment là et s’assit à nos cotés : « Je croyais que Tempête était avec vous ?

- Elle est partie chercher des lamas » dis-je en plaisantant.

« Des lamas ! Et puis quoi encore ? Pourquoi pas des éléphants tant que vous y êtes. Ne me dites pas que vous l’avez laissée seule ?

- C’est vrai que, pour une fois, je n’avais pas réfléchi aux idées extravagantes qu’elle pourrait encore avoir et je réalisais que nous allions peut-être nous retrouver avec toute une ménagerie.

- Je vais la chercher » ajouta-t-elle en voyant mon air soudain inquiet.

Je la regardais partir. Thibault la suivait des yeux avec un air de gamin amoureux. C’est vrai qu’elle était jolie. Je n’y avais jamais vraiment prêté attention. Sans doute trop mince, limite androgyne mais les traits de son visage étaient fins. Ses longs cheveux noirs qui lui tombaient sous la taille la rendait très féminine malgré son simple pantalon de toile et ses yeux verts en amande m’avaient fortement impressionnée quand je l’avais rencontrée pour la première fois.

Je me resservis un grand bol de thé et grignotai un des croissants de la pile de Thibault tandis que ce dernier contemplait encore la porte par laquelle Sentiment était sortie.

« Orage a pour habitude de dire que les Autres se comportent vis à vis des Adarii comme des papillons devant la flamme d’une bougie. Ils en ont peur et sont fascinés en même temps puis, quand ils ont vaincu leurs craintes, ils viennent se brûler les ailes.

- Vous croyez que je vais me consumer comme votre mère l’a fait ? »

Il me souriait et ne paraissait pas inquiet le moins du monde. De toute façon, il ne l’était jamais.

« Je te mets en garde c’est tout. N’espère rien de Sentiment.

- Vous êtes dur envers votre propre peuple. Ne pensez-vous pas que les Adarii sont capables de sentiments profonds ?

- Si, sans aucun doute, mais jamais exclusif et uniquement s’ils partagent un lien télépathique.

- Si je me brûle les ailes, viendrez-vous me consoler ?

- Ca m’étonnerait.

- Et vous, que recherchez-vous ? Vous sortez vos grands airs parce que vous êtes la fille du Maître Espoir, mais après tout, votre mère est d’ici et vous avez vécu pas mal de temps sur Terre. Peut-être pourriez-vous tomber amoureuse de quelqu’un d’ici ? Vous êtes sans doute plus “Autre”, comme vous les appelez, que vous ne le voudriez. Est-ce à cause de cela que vous avez un tel mépris pour cette planète et que vous ne songez qu’à partir d’ici ?

- Si tu veux vraiment tout savoir, je n’ai même pas réussi à éprouver le moindre attachement envers ma propre mère. En fait, jusque récemment, je pensais être incapable d’aimer. Je n’apprécie pas toujours le comportement de mes amis mais, j’y suis attachée comme jamais je ne pourrais l’être avec aucun Autre. Alors, je vais te dire, Sentiment n’a jamais eu la moindre affection pour moi et pourtant ses sentiments envers moi sont bien plus forts que tout ce que tu peux espérer et encore, il n’y même pas de réel lien entre nous. »

Je laissai Thibault seul à table et montai préparer mes affaires. Il avait réussi à me mettre de mauvaise humeur dès le matin. « Thibault, tu vas te brûler les ailes ». J’avais parlé tout haut même si la chambre était déserte. « Et ce sera bien fait » ajoutai-je.

Je réalisais soudain que je ne savais toujours pas où on allait. Je me souvenais avoir posé la question à Thibault mais je ne me rappelais plus ce qu’il avait répondu, il avait sans doute encore dévié la conversation sur autre chose. Ne pourrait-il jamais répondre de manière simple et directe à une question simple et directe ?


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