samedi 29 mars 2008

Partie 2 chapitre 7

7

"Notre égoïsme va si loin que nous croyons, en temps d'orage, qu'il ne tonne que pour nous."

[Jules Renard]
Extrait de son Journal 1893 - 1898

C’est Tempête qui fut la première à découvrir la grotte un peu à l’écart de la zone que Thibault avait baptisée : carrière. Elle partait toujours la première, avant même les premières lueurs de l’aube, si bien qu’elle nous réveilla en se précipitant sous la tente. Elle était surexcitée, comme à son habitude. Sa jupe était couverte de poussière, ses jambes dans le même état et griffées par les rochers sans doute. « J’ai trouvé » se contenta-t-elle de dire. On prit juste le temps d’attraper le premier vêtement venu pendant qu’elle grignotait un petit déjeuner bien mérité et on la suivit. On fut obligés de traverser la rivière et continuer à marcher trop longtemps à mon goût avant que Tempête nous désigne un espace derrière des arbustes piquants.

« Je ne vois rien » dit Thibault tandis que nous arrivions devant la falaise.

« Moi, je voyais. Il n’y avait pas d’ouverture apparente, mais, à la disposition des pierres, je reconnus un mécanisme courant dans les cités Adarii de Plume consistant à installer une grosse dalle verticale en équilibre sur un mécanisme permettant de la faire coulisser. C’était fait de telle manière qu’il n’y avait aucune prise afin que le seul moyen de déplacer le bloc soit d’utiliser la télékinésie. Je m’approchai et touchai la pierre. Elle était douce. Sur Plume, la pierre était considérée comme la matière la plus noble. Dans un sens nous aurions presque pu dire que nous avions un lien particulier avec elle. Je caressai un instant la roche, la laissant s’effriter sous mes doigts avant de me concentrer davantage sur le bloc lui-même. La pierre glissa sous mes doigts tandis que la dalle coulissait laissant apparaître une ouverture plongée dans l’obscurité.

Tempête entra la première et je la suivis. J’attendis que mes yeux s’habituent à l’obscurité tandis que les autres nous rejoignaient. Petit à petit j’arrivai à distinguer les murs couverts de sculptures. Des dessins abstraits pour la plupart. Je les touchais doucement du bout des doigts pour ne pas les abîmer, laissant mes mains suivre les motifs géométriques et, pour la premières fois, je pensais que j’avais bien fait de venir.

« Alors Pluie, Convaincue ? » me susurra Thibault à l’oreille. « Ho oui, j’étais convaincue. » J’avais les larmes aux yeux devant la beauté de ce travail.

Thibault avait apporté une lampe torche et étudiait les motifs avec l’œil du spécialiste.

« Ce sont bien des motifs similaires à ceux de la cité » finit-il par conclure. « Ceux-là sont beaucoup mieux conservés. Il faut dire qu’ils étaient à l’abri ici. C’est stupéfiant. Le travail est d’une finesse remarquable.

- Regardez, j’ai trouvé des trucs amusants ». La voix de Tempête venait du fond de la grotte, mais elle vint vite vers nous portant autour du cou un collier fait de plaques de métal gravées de motifs dont l’usure empêchait d’en discerner les contours. L’ensemble avait dû être une très jolie pièce. « Joli non ? Bien sur, il faudrait le nettoyer » dit-elle en frottant les plaques de métallique.

« Donne-le moi, je voudrais l’examiner » dit Thibaut. « Tu as trouvé d’autres choses ?

- Oui, il y a d’autre objets : des outils sans doute. Et puis ça » dit-elle en montrant un petit socle en métal ciselé soutenant un reste de verre brisé. « Une coupe probablement.

- Bien, je vais l’examiner aussi ?

- Que penses-tu trouver ?

Sentiment avait cessé d’admirer les sculptures pour se joindre à nous.

« Je voudrais vérifier en quel alliage ils sont fabriqués. »

Il passa la journée à analyser le métal. J’en profitais pour continuer ma sculpture. Ce travail, quoique complètement inutile avait l’avantage de me détendre et je ne vis pas le temps passer. Je passais aussi un bon moment à étudier le mécanisme fermant la cavité. Il paraissait simple, mais je n’en revenais pas qu’il ait pu survivre au temps. L’érosion aurait dû avoir raison de lui. Tempête et Sentiment étaient parties se baigner dans le torrent qui coulait près de la falaise. Je les rejoignis vers la fin de l’après midi. Elles étaient déjà sorties de l’eau, et elles avaient même attrapé des poissons qu’elles faisaient cuire sur un barbecue improvisé. Je ne les aurais jamais imaginée capable d’un tel exploit, elles qui avaient toujours eu des serviteurs devançant leurs moindres désirs. Tempête m’expliqua que c’était Thibault qui lui avait appris et qu’au fond le contact avec la nature avait du bon. Ce sur quoi, je n’étais pas du tout d’accord.

Je me déshabillai et plongeai dans l’eau à mon tour. Je me frottai pour enlever la poussière de pierre et sortis en attrapant au passage la serviette que me tendait Sentiment.

Thibault arriva à ce moment. Il s’était lavé et changé lui aussi et avait remplacé son tee-shirt à l’inscription « je trouverais » par celui portant le message « je suis fier de moi ». Je me fis la réflexion que, l’un comme l’autre, je les avais déjà vu et qu’il avait dû finir l’étalage du stock.

« Alors, tu as fini d’analyser les échantillons ?

- Presque. Avec le matériel dont on dispose ici, ce n’est pas facile. »

Je pris un morceau de poisson et m’éloignai. La proximité de Thibault avait tendance à m’ôter la moindre parcelle de plaisir et vu le peu que j’en avais, il était important de les préserver. Je laissai partir mon esprit à la dérive. Orage dormait. Je l’effleurais telle une caresse et le sentis répondre à ce contact mais il ne se réveilla pas. Je lui envoyais l’équivalent d’un baiser comme il le faisait parfois et me levai pour préparer du mauvais café sur un petit réchaud à gaz. Cette activité finit de me convaincre : le camping, ce n’était pas pour moi.

Je relevai les yeux sentant Thibault me dévisager. Depuis que je le côtoyais, je me rendais compte que, pour finir, il était beaucoup plus agréable de vivre au milieu de gens qui vous fuyaient plutôt que de subir son regard scrutateur. En fait, n’importe quelle compagnie était toujours mieux que celle de Thibault. J’avais envie de lui faire avaler son éternel sourire. La façon qu’il avait de me regarder ne laissant pas transparaître la moindre émotion était insupportable.

« Quoi ? »

Il intensifia encore son sourire, sans doute satisfait devant mon ignorance. Il jeta un oeil à Sentiment et à Tempête qui discutaient quelques mètres plus loin sans faire attention à nous et me fit signe d’approcher.

« Si tu as quelque chose à me dire, dis-le, mais ne compte pas sur moi pour faire je ne sais quelle messe basse, ta proximité me rend déjà suffisamment malade.

- Avec Tempête, vous partagez le même homme ! »

Je restais un instant sous le choc. Il s’immisçait dans mes relations avec Orage. Je regardais son air sûr et fier, ridicule. Mon sang ne fit qu’un tour et ma main de même, je lui assénai une gifle de toutes mes forces. Au moins, ici, j’avais le droit.

Sentiment et Tempête accoururent pour voir ce qu’il se passait. « Il espionne mes relations avec Orage » criai-je aux filles.

Tempête blêmit d’un coup. J’imaginai bien qu’elle s’inquiétait plus de ce qu’il avait pu surprendre de ses conversations que des miennes, mais le résultat était le même, elle était furieuse. Je regardais Thibault. Il se tenait la joue qu’il massait tranquillement. Sous le choc, il avait cessé de protéger ses émotions et dégageait un plaisir pervers sans doute plus lié à imaginer, je ne sais quelle perversion avec deux filles plutôt que par goût des baffes.

« Je n’en peux plus de cette vermine ». Je me levai vivement et m’enfermai dans ma tente laissant Tempête vociférer pour moi.

Avant de me lever le lendemain matin, je surveillai que Thibault ne soit pas dans le coin. Je ne vis que Tempête près du feu, aussi, je m’approchai.

Elle avait l’air épuisée et ses grosses boucles lui recouvraient à moitié le visage. Elle avait passé une bonne partie de la soirée à injurier Thibault, et je m’étais endormie qu’elle criait toujours. Je me demandais où elle en était ce matin, sachant qu’elle ne restait jamais fâchée longtemps. Je ne savais pas comment aborder le sujet, mais elle me répondit tout de même.

« Oui, je me suis calmée, mais pas pour rien. Thibault nous a raconté quelque chose d’énorme » dit-elle en baillant « l’excitation m’a empêché de dormir.

Il est en train de réunir le matériel et puis, nous partirons » dit-elle en se servant un bol de café « C’est infect » ajouta-elle en faisant la grimace après la première gorgée ce qui ne l’empêcha pas de continuer à boire.

Je n’osais espérer que ça voulait dire que nous allions quitter cette planète. Ce serait trop beau. Sentiment voudrait sûrement continuer ses recherches sur ses trafics d’armes imaginaires.

- Si tu penses cela, je conclus que tu n’as pas parlé à Orage ce matin.

Je reposai mon bol de café. C’est vrai qu’il était vraiment mauvais. Encore pire que les autres jours. Je me demandais le rapport avec Orage mais ne formulai pas mon interrogation à voix haute, je n’en avais pas besoin.

- On a encore tenté d’assassiner Eysky

« Quoi ? » La surprise me poussa à parler à voix haute et mon interjection brisa le silence d’une manière bizarre.

« Sa première sortie sans Orage » dit Tempête « D’après les rumeurs, il se serait encore fait tirer dessus. Il aurait été blessé, on ne sait pas à quel niveau, et le tireur se serait suicidé. Une horreur. On pense que ce serait un homme de la Terre. J’imagine mal quelqu’un issu des Vengeance-Maÿcentres faire ce genre de chose.

- Mais tu n’as pas plus de détail ?

- Comment en aurais-je ? Tu t’imagines que tout le monde accourt raconter ce genre de chose à Orage ? Non, il tient cela des ragots ramenés par Crayon. Il s’entend bien avec les autres pilotes. Un homme de l’équipage du vaisseau présidentiel lui a dit qu’ils avaient ramené Eysky dans un sale état mais ils n’en savaient pas plus. Tu imagines à quoi on en est réduit ! Devoir se fier aux potins des domestiques pour savoir ce qu’il se passe sur les Maÿcentres.

Je m’approchai de Sentiment qui était sortie de sa tente. Après avoir démêlés et lissés ses longs cheveux noirs, elle avait entrepris de les tresser. « Tempête m’as déjà dit. C’est bien. Au moins ils comprendront qu’ils ont besoin de nous. »

Thibault arriva à ce moment-là. Je lui fis signe de ne surtout pas m’approcher. Il m’irritait trop.

« Pour une Adarii, rester fâchée une nuit entière, c’est énorme. Ca doit venir de votre mère ça.

- Thibault, ne dis plus jamais ce genre de chose ». Sentiment le foudroyait du regard durcissant encore les traits de son visage.

« Je plaisante.

- Je commence à en avoir marre de ton laissé aller. Tu dépasses les limites. J’ai beaucoup d’estime pour toi mais elle est Adarii et toi non. Tu lui dois le respect, quelque soit tes capacités.

- Jamais entendu parler de ce genre de loi ici. La Terre ne vous connaît même pas.

- Hé bien, il serait peut être temps que ça change.

- Je voudrais bien voir ça » dit-il avant de disparaître sous sa tente.

« Merci » dis-je à Sentiment.

« Non, c’est normal. Il prend beaucoup trop de liberté. Il prend ses aises parce qu’il se sent indispensable ».

Tempête se rapprocha pour pouvoir parler avec nous. « Je pense qu’il nous a quasiment tout dit. Il s’est lâché hier soir. Si on avance bien, on devrait arriver en ville en fin d’après midi et, à partir de là, on pourrait se séparer de lui. »

Sentiment hocha la tête. « Ce n’est pas si simple. Il en sait beaucoup trop sur nous et sur ce que nous faisons ici. Imagine qu’il prévienne Archuleta de notre présence ? D’un autre coté, j’admet qu’il devient gênant. Il faudra y réfléchir. C’était une folie de la part d’Espoir que de leur apprendre à se préserver de nous. Thibault est excessivement dangereux, totalement incontrôlable et imprévisible.

- Je croyais que vous le considériez comme l’un des nôtres ?

- Pluie, tu ne vas tout de même prendre sa défense maintenant. Il devient plus dangereux qu’utile. » Tempête continua : « Avec tout ce qu’il nous a dit, nous en savons assez pour continuer sans lui si nécessaire. Et puis, avec la navette des Maÿcentres on pourra faire les recherches sous-marines que lui n’a pas pu faire. On se retrouve en position de force.

Le seul problème est de savoir comment on s’en débarrasse.

- Quelles recherches sous marine ?

- Oui, c’est vrai tu ne sais pas », reprit Tempête

« C’est au sujet des métaux trouvés dans la grotte. Il s’agit selon lui d’un alliage qu’on n’utilise nulle part, mélange de platine, d’aluminium et de cuivre, mais pourtant, en faisant ses recherches, Thibault a entendu parler d’autres fragments de ce type.

Il nous a appris qu’il y a de cela plus d’un siècle, un chercheur aurait découvert en Europe un vase de bronze contenant plusieurs petits objets en argile, en os et en métal de ce même alliage. Le vase portait une inscription en hiéroglyphes Phéniciens. L’inscription était : Du roi chronos d’Atlantide. Tu as déjà entendu parler de cette cité ?

- Oui et non, c’est une autre cité mythique évoquée par Platon je crois, dont personne n’a jamais pu prouver l’existence et ça m’étonnerait que vous soyez les premiers à y arriver. En plus personne n’a aucune idée de l’endroit où elle pourrait se trouver, si elle existe. Ou plutôt, tout le monde à une idée différente.

- De toute façon, ce n’est pas notre priorité.

D’autres fragments similaires auraient atterri dans un musée français et seraient issus de Tiwanaku mais ceux-là ne portaient pas d’inscriptions. Le métal était lui aussi fabriqué à partir du même alliage.

Encore plus étrange, il aurait été prouvé que les objets en terre portant le sceau de l’Atlantide et ceux provenant de Tiwanaku seraient issus de la même sorte d’argile et qu’elle ne proviendrait ni de Phénicie ni d’Amérique du sud.

- D’où alors ?

- D’Atlantide peut-être » dit Tempête en haussant les épaules

Tu crois vraiment que ses poteries et ses ferrailles peuvent nous mener à l’Atlantide ?

- Non, je crois que ça peut nous mener à quelque chose de bien plus important.

Thibault nous a parlé de légendes parlant de l’origine de l’humanité » Tout en parlant elle déplia une carte de l’océan pacifique. « D’après lui, cette mythique Atlantide, n’aurait été qu’une colonie d’un ancien continent qui aurait existé dans cette partie du globe : Les îles Mariannes, Hawaï » elle pointait les différentes îles déjà entourées par un cercle rouge « marquises » continua-t-elle « îles de pâques, Tahiti, Samoa, Fidji, Aurora, Ponape et j’en passe

Dix mille kilomètres de long sur cinq mille du nord au sud.

- La Lémurie ou continent Mu, j’en ai entendu parlé. C’est encore plus improbable que l’Atlantide.

- Je ne suis pas d’accord. Je ne sais pas pourquoi les indigènes éludent tous les documents sur le sujet, mais on en trouve des traces partout. Thibault nous a montrés des manuscrits mayas, les codex cotesianus, et d’après lui, de nombreux vestiges sur ses îles attesteraient de restes de civilisations.

Rends-toi compte, une civilisation ayant vécue deux cent mille ans ! Ils auraient eu le temps d’accumuler un savoir gigantesque.

- Et tout ça aurait disparu comme par enchantement ? »

Je protégeais mes pensées suffisamment pour que Tempête ne cerne pas que, ce qui m’avait le plus intéressé de tous leurs discours, c’était le début, quand elles avaient insinué qu’il faudrait trouver un moyen de se débarrasser de Thibault. C’est sur que ce ne serait pas évident. Il faudrait la jouer diplomate. Il faudrait aussi que j’écoute ce que disait Tempête, sinon elle allait encore m’en vouloir. J’attrapai sans y faire attention le papier que Sentiment me tendait et lus distraitement tout haut « Quand l’étoile de Bal tomba sur le lieu qui n’est maintenant que ciel et mer, les sept villes avec leur portes d’or et leurs temples transparents frémirent et furent secouées comme des feuilles dans la Tempête…les flammes et la fumée étouffèrent les paroles, la terre et tous ses habitants furent mis en pièce et engloutis dans les flots » Voila encore un de ses textes passionnants qui ne voulait rien dire. Entre ça et leurs foutues légendes, on ne s’en sortirait jamais. « Ca veut dire quoi ?

- C’est un extrait de parchemin trouvé dans un temple bouddhiste au Tibet. Ca confirme ce que je disais. Tu te souviens, mes hypothèses comme quoi la planète Ellipse pouvait avoir provoqué des bouleversements sur Terre. L’étoile de Bal, ça ne peut-être que ça. La proximité de cette planète a dû provoquer des cataclysmes majeurs et tout a été englouti. Voilà pourquoi on retrouve si peu de traces concrètes d’une civilisation avancée.

Tiwanaku n’avait rien d’un centre important. Le plus gros de cette civilisation a disparu et il ne reste que les sommets sous forme d’une myriade d’îles. Après tout, Thibault parlait d’un déluge, c’est peut-être ça.

- Passionnant tout cela » murmurai-je sans même tenter de faire croire qu’elle m’avait convaincue de quoi que ce soit. « Et quand est-ce que cette hypothétique civilisation aurait disparue ?

- En ce qui concerne Mu, environ dix mille à quinze mille ans.

Ce qui concorde avec la colonisation de Vengeance, Jolie coïncidence non ? »

Je pensais qu’au fond, si on ne réussissait pas à se débarrasser de Thibault, je n’étais peut-être pas obligée de les accompagner.

J’avais déjà testé le camping en montagne, je n’avais aucune envie de me mouiller à la recherche de je ne sais quoi. Je pouvais bien me trouver un petit endroit tranquille et me la jouer « farniente » le temps qu’elles finissent leurs lubies. Un peu comme Tempête mais en plus discrète. J’avais peur que leurs histoires durent très longtemps. En plus, avec cette attaque envers le président, il y avait des risques qu’Orage retrouve une bonne place sur les Maÿcentres et dans ce cas, il ne serait pas près de partir. Peut-être pourrait-il m’envoyer Crayon et Miroir avec le vaisseau de Taegaïan ? Mais il faudrait que ce soit discret. J’imaginais mal comment le gros vaisseau pourrait passer inaperçu. En plus, il fallait qu’il le garde au cas où ils devraient quitter les Maÿcentres précipitamment. Cette attaque était un problème autrement plus compliqué que leurs histoires de pierres mouillées sous l’océan pacifique. Il ne s’agissait plus uniquement d’une arme à feu arrivée furtivement sur les Maÿcentres. Là, ils avaient emmené des hommes. Enfin, au moins un. Outre la difficulté pour emmener quelqu’un, il avait fallu qu’ils créent des contacts sur Terre. Ca ne faisait que confirmer les soupçons que j’avais déjà à ce sujet.

Je m’extirpai difficilement de mes pensées tandis que le murmure régulier de la conversation de Tempête s’était soudain transformé en un ton qui évoquait une réprimande sûrement injustifiée. Elle avait les bras croisés et me regardait d’un air furieux comme si j’avais dit du mal d’Orage.

« Ca te ferait du mal d’écouter ce que je dis » dit-elle enfin.

« Si, j’écoute » A peine avais-je dit cela, que je m’étais rendue compte de l’intensité de mon mensonge. Je repris, tentant de justifier ma conduite. « Je repensais à cette histoire avec le président. Je me disais que, pendant que vous faisiez vos recherches, je pourrais essayer de découvrir d’où viennent les contacts qu’ils paraissent avoir sur Terre. » Je n’y avais même pas pensé avant de l’avoir dit mais ce n’était pas une bête idée ça.

« Dis plutôt que tu cherches une excuse pour nous laisser tomber. »

C’était vrai, bien sur, n’empêche que je pourrais me rendre utile ainsi. Je passai la journée entière à retourner ses problèmes dans ma tête si bien que, pour une fois, je ne vis pas le temps s’écouler. J’avais espéré pouvoir dormir le soir même à l’hôtel, mais la soi-disant ville que Thibault avait vue sur la carte n’était en fait qu’un petit village indien perdu dans la montagne. Thibault y acheta cependant de quoi manger mais nous préférâmes continuer un peu et dresser le camp à l’écart. Ce n’est que le lendemain soir qu’on trouva un petit hôtel à Viacha. Thibault en avait profité pour critiquer mon ignorance car je n’avais pas remarqué que nous avions traversé la frontière entre le Pérou et la Bolivie. Le ton était monté et Sentiment avait fini par admettre que ce serait en effet une bonne idée que je m’occupe de chercher d’éventuelles activités illicites des Maÿcentres sur Terre plutôt que de rester à me battre contre Thibault. De Viacha, il fut possible de confier les ânes à un éleveur local et de louer une voiture et rejoindre la Paz avant de trouver un hôtel vraiment confortable.

Pendant ce temps, la situation empirait sur les Maÿcentres. Le président Eysky avait été blessé nettement plus sérieusement qu’on ne l’avait imaginé. Orage était dans tous ces états. Il n’avait pas été autorisé à aller le voir. A croire que certains pensaient qu’il risquait de l’achever.

En son absence, c’était Sinshy qui dirigeait et il avait refusé à Orage, ne fut-ce que le droit d’enquêter sur le sujet. Il était passé outre et était directement allé revendiquer ce droit auprès du conseil. Cependant, Sinshy avait réussi à persuader les conseillers que laisser Orage agir à sa guise était encore plus dangereux que tous les assassins et puis, qu’au fond, c’était plutôt douteux qu’il refuse d’accompagner le président juste le jour où un assassin se trouvait parmi la foule. Un Terrien en plus. Alors que Glace devait surveiller que ce genre de chose n’arrive pas.

Il avait été prouvé en effet que le tireur venait bien de la Terre. Il n’avait évidemment pas de papier, mais des marques de chirurgie qu’on ne trouvait que sur Terre.

Après un bon bain chaud et un récurage complet, je me sentis un peu mieux et après un vrai repas dans la suite de l’hôtel, je me sentis revivre. La dernière bouchée avalée, Je m’affalai dans un des canapés de tissus. « Plus jamais vous n’arriverez à me traîner dans un endroit pareil.

- Pluie, vous êtes pénible.

Ca faisait plusieurs heures que Thibault ne m’avait pas insultée, ça m’aurait presque manqué.

« Laisse-là » dit Sentiment.

« Mais bon sang, arrêtez de la protéger comme ça. C’est une sale gamine reconnaissez-le, elle n’a fait que se plaindre pendant tout le voyage. Nous avons faits des découvertes sensationnelles, et elle, elle s’en fout. La seule chose qui peut la faire avancer, c’est de se faire poursuivre par un mille-pattes. Uniquement intéressée par son petit confort. Nous aurait-elle aidée ? Non, jamais. Ce n’était sans doute pas digne de sa petite personne.

Qu’elle aille au diable. »

Pour une fois, Tempête parla calmement. « Thibault tu t’en vas. »

Il riait de bon cœur. Il se croyait tellement indispensable, c’était désespérant.

« Vous allez me faire croire que vous allez me virer moi, plutôt qu’une gamine ignare qui, de toute façon, ne veut même pas rester avec vous ? Elle vous lâchera à la première occasion.

- Elle est Adarii, tu ne l’es pas. Tu l’as insulté, tu t’en vas. Ton cerveau génial peut-il saisir toute la nuance de ce message ?

Il étendit ses bras sur la longueur de la banquette et continua de sourire en lançant un regard à la dérobée à Sentiment. « Ca m’étonnerait que Sentim accepte ce raisonnement, d’autant plus que vous aurez besoin de moi pour la suite de vos recherches. »

Sentiment prit le temps de finir son assiette et de s’essuyer délicatement la bouche de sa serviette.

« Nous n’avons plus besoin de toi Thibault, alors, soit tu fais des excuses à l’Adarii Pluie, soit tu t’en vas.

- Bon Dieu, Sentim, tu n’es pas sérieuse, il est hors de question que je fasse la moindre excuse à cette petite pimbêche prétentieuse et inutile.

- Ici, il n’y a que Tempête qui m’appelle Sentim, et toi, tu ne m’appelles plus.

- Adarii ou pas, tu ne serais pas capable de me lâcher comme ça.

- Je viens de le faire.

- C’est ça, je m’en vais », dit-il se levant brusquement, attrapant son sac à dos au passage. « Mais vous, attendez-vous à avoir de gros ennuis. S’il y a quelques secrets dignes d’être trouvés sur Terre, ne vous faites pas d’illusions, je les trouverais avant vous.

J’attendis qu’il ait quitté la suite en claquant la porte avant d’ouvrir la bouche. Les voir renvoyer Thibault ainsi aurait dû me rendre folle de joie, mais je ne pouvais m’empêcher de penser aux conséquences «C’est de la folie, il ne va pas se gêner pour signaler notre présence à Archuleta.

- Ce n’est pas lui qui parlera de nous à Archuleta, c’est Mike Gentry » D’après Glace, nous pouvons faire confiance à Mike. Il n’aime pas les idées des Maÿcentres et reste là-bas pour surveiller ce qu’il se passe.

- Et comment Glace pourrait être certain qu’il est digne de confiance ?

- Nous ne savons pas », reprit Sentiment, « à voir s’il voudra parler de nous au risque que Glace parle en retour de ses petites facultés à son père ou autre chantage. Mais j’aimerais mieux qu’on n’en arrive pas là.

- Et s’il trouvait vraiment quelque chose ?

- Si ce continent est englouti, il n’a aucune chance. La Terre est très en retard en ce qui concerne les techniques d’exploration des fonds marins. Il n’aura pas le matériel nécessaire. En plus, tu es la première à nous répéter inlassablement que nous n’avons aucune chance de trouver le moindre reste de connaissance ici.

- Et s’ils ne nous avaient pas tout dit ?

- Et si, et si, et si… Bien sur, ce n’était pas une bonne idée de lâcher Thibault. D’un autre coté, nous ne pouvions pas non plus accepter son comportement indéfiniment.

Cela dit, il avait raison sur un point : Tu es pénible.

- Mais je n’en peux plus d’être ici. Je ne vous ai jamais caché que je ne voulais pas venir. Je m’ennuie. Je n’aime pas ça, je n’aime pas la Terre, je m’y sens mal. Je préfère encore les Maÿcentres. Mais, ce que je voudrais le plus, c’est retrouver Taegaïan. La cité me manque.

- Je te comprends », dit Tempête soudain rêveuse « moi aussi je voudrais retrouver Maniya.

- Nous pourrions rentrer alors.

- Sûrement pas. Cette histoire de citée engloutie est beaucoup trop excitante. Je pense d’ailleurs que je vais en rêver toute la nuit » dit-elle en se levant et en traversant les quelques mètres la séparant de sa chambre. « Comme on dit ici : bonsoir et à demain.

- Bonsoir et à tout à l’heure » lui répondis-je « je partage ta chambre. »

C’était trop beau d’imaginer convaincre Tempête si facilement. Il me restait Sentiment mais j’avais peu d’espoir la connaissant « Et toi Sentiment, tu ne voudrais pas rentrer, il n’y a rien qui te manque ? Une cité, des amis que tu voudrais revoir ? » Mauvaise tactique pensais-je. Sentiment ne devait pas avoir d’amis. « Tu disais à Thibault que personne ici à part Tempête n’avait le droit de t’appeler Sentim ? Cela voudrait dire que d’autres quelque part y sont autorisés ?

- Ma mère m’appelait Sentim »

Ce n’était pas la meilleure stratégie pour la faire revenir. Apparemment, je m’étais trompée.

« Glace et le père de mes filles m’appellent aussi ainsi »

C’est vrai qu’elle avait des enfants elle. « Elles ne te manquent pas tes gamines ? Parle-moi d’elles ?

- Ca fait des années que je ne les aie pas vue. Quand j’ai pris la décision de repartir travailler sur les Maÿcentres, j’étais encore sous la tutelle de ma Tante. Elle m’a dit : “ si tu veux jouer les aventurières dans ces pays de sauvage, libre à toi mais tu as des devoirs envers ton peuple”.

Je lui ai obéi à moitié. J’ai réussi à avoir des enfants, mais elles ne seront pas pour Azlan mais pour Incarada.

- Et tu n’as jamais voulu les garder avec toi ?

- Sur les Maÿcentres ? Non, tu n’y penses pas. J’ai testé et ce n’est pas ce qu’on fait de mieux pour les enfants. Elles sont avec leur père et elles sont très bien là-bas. Cela dit, d’un certain coté, je les surveille. Je sais toujours quand elles sont tristes et leur père a intérêt à y remédier et vite.

- Et tu ne voudrais pas aller les voir ?

- Si, j’irais, mais une fois que j’en aurais terminé ici, pas avant. Tu imagines que je n’ai pas compris que ton intérêt est uniquement porté sur le fait de chercher quelqu’un pour te reconduire sur Plume ?

Demande à Orage. Il ferait n’importe quoi pour toi.

- Orage ferait n’importe quoi pour lui oui.

- Cela revient au même. Tant que tu es utile pour ses projets, il fera n’importe quoi pour toi.

- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

- Réfléchis, et tu trouveras toute seule.

- Il est trop tard pour réfléchir, dis-moi de suite ce qu’Orage manigance encore derrière mon dos.

- Il ne fait rien derrière ton dos, tout le monde sait qu’Orage est vexé car il espérait reprendre la cité de Taé. A la mort d’Espoir, il était le seul candidat de Taegaïan dans la tranche d’age correspondante pour prétendre au titre de Maître. Glace avait refusé, toi tu étais trop jeune et en plus on avait bien pris soin de te laisser sur Terre pour éviter tout problème de ce coté là. Son frère, Grêle se gardait pour la cité de Maé et, de toute façon, était trop jeune et les autres étaient soit trop jeunes, soit trop âgés. Et puis, Prestance lui a pris la place sous le nez car Brouillard a préféré privilégier les liens du sang, même si elle avait choisi de se rallier au terres de sa mère. Je suppose que tu te souviens de ton grand-père, comme il peut-être buté sur certaine chose. Il a dit que ça avait toujours été sa lignée qui gardait Taé et qu’il en serait toujours ainsi. Que Prestance reprendrait Taé jusqu’à ce qu’il y ait un autre enfant de la lignée de Taé en age de gouverner ou que Glace reprenne la place qu’il n’aurait jamais dû refuser.

Il a même précisé que, si il n’y avait pas eu Prestance, il aurait repris la cité lui-même quitte à reprendre l’ancienne loi que suit toujours les provinces des montagnes où ce sont les aînés qui dirigent mais qu’il ne céderait jamais sa cité à Orage. C’est sur, ce n’était pas des plus aimable mais Brouillard a toujours eu un caractère difficile et la mort de son fils n’avait pas arrangé les choses. En plus, il se retrouvait avec Glace qui était parti sur les Maÿcentres fuyant ses responsabilités comme il disait et un petit hybride résultant d’expérience peu avouable. »

Je fis remarquer à Sentiment que je connaissais déjà ces détails et que ce n’était pas la peine de ressasser mes origines douteuses. Je crus discerner une pointe de sourire dans son visage fermé et elle continua : « Face au caractère d’Orage, ça a explosé. Ils se sont disputés et du coup, il est parti sur les Maÿcentres après avoir claironné à qui veut l’entendre que son sang dirigerait un jour la cité de Taé que Brouillard le veuille ou non.

- Et ?

- Et je pense qu’il était sérieux. Il n’a jamais pu se remettre de cette histoire. C’est pour cela qu’il est resté à tout foutre en l’air sur les Maÿcentres. Il n’a jamais supporté d’être là-bas, mais il refuse d’être sous l’autorité de Prestance.

- Et ?

- Tu es bouchée ou tu le fais exprès ? »

Non, je n’étais pas bouchée. D’ailleurs, vu la vague de colère qui était sur le point de me submerger, j’avais très bien compris. Je voulais juste être sûre de ne pas m’être trompée avant de m’y noyer complètement.

« S’il ne peut l’avoir lui-même, il s’arrangera pour que son sang arrive au rang de Maître Taegaïan par ses enfants. A condition que tu lui en fasses avant que Prestance ou Glace réussissent à en avoir. »

Sentiment allait continuer à parler mais je l’arrêtais. J’en avais assez entendu. Il se servait de moi depuis le début pour assouvir ses petites ambitions personnelles et, naïvement, je n’avais rien remarqué. Pire, je commençais même à le croire quand il m’avait dit qu’il m’aimait. Je voulus dire quelque chose à Sentiment, mais elle serait capable de me sortir une réplique cinglante du style « je t’avais dit de te méfier de lui » et ce n’était pas ce que j’avais envie d’entendre pour le moment. Je me levai, tentant de contenir ma colère, traversai le salon et disparus dans ma chambre. Tempête dormait déjà mais je ne me fatiguai pas à être silencieuse. Au contraire, j’espérais bien la réveiller.

Après avoir claqué violemment la porte de la chambre, je sentis sa conscience s’éveiller.

Elle marmonna quelques remontrances à propos du bruit et continua en pensant qu’elle voulait dormir mais elle sentit que quelque chose n’allait pas et s’en étonna. Je la repoussai mentalement. Je voulais lui parler, mais pas de cette façon.

« Tu connaissais les projets d’Orage envers moi ?

- Quels projets ? » Demanda-t-elle encore à moitié endormie.

« Il veut avoir un enfant de ma famille pour faire les pieds à grand-père Brouillard.

- Ha oui, je le savais, mais ce n’est pas pour faire les pieds à Brouillard, c’est parce qu’il est vexé et qu’il a toujours eu un amour profond pour Taé ». Elle se retourna sur le ventre et fit mine de chercher à se rendormir.

« Et c’est tout l’effet que ça te fait ? Tu m’as laissé me faire avoir, me faire manipuler par ses beaux discours alors que tout ce qu’il voulait, c’était assouvir ses ambitions à travers moi.

- Tu exagères Pluie » laisse-moi dormir.

C’est ça oui, que pouvais-je espérer de Tempête ? Elle était prête à accepter n’importe quoi d’Orage. Je me déshabillai et me mis au lit mais je ne me calmai pas pour autant. Comment avais-je pu être bête à ce point là ? En plus, tout le monde devait le savoir. Je n’ignorais pas que je devais me méfier de lui. Combien de fois m’étais-je dit que je ne devais pas le laisser m’approcher. C’était Sentiment qui avait raison. Jamais je n’aurais dû le laisser se lier à moi. J’aurais dû le tenir à l’écart, toujours. Maintenant, il devait bien se moquer de moi.

« Bon, ça va maintenant » cria presque Tempête « Tu comptes continuer à me pourrir ma nuit encore longtemps ? Qu’est-ce que tu lui reproches au juste ? De vouloir un enfant ? Tout Adarii se doit d’essayer d’en concevoir. Notre population croit beaucoup trop doucement par rapport au peuple de Plume. Beaucoup d’entre nous mettent des années avant d’arriver à en avoir quand ils y arrivent. Puisque lui, a la chance de pouvoir en avoir facilement, c’est tout naturel qu’il y pense.

- Et bien moi, je n’y pense pas et je ne suis pas avec lui pour cela.

- Dans ce cas, ce serait plutôt à lui de se fâcher contre toi.

- Hé bien tu n’as qu’à lui en faire Tempête.

- Rien au monde ne ferait plus plaisir. Qu’est-ce que tu imagines ? Que j’utilise ses horreurs qu’on trouve sur les Maÿcentres pour ne pas avoir d’enfant ? » Elle avait mis dans ses paroles tout le dégoût dont elle était capable puis se calma aussi soudainement pour repartir dans ses exaltations habituelles « D’ailleurs, je lui avais dit que si j’en avais un, je le laisserais aux terres de Taegaïan car il y en a bien peu chez vous mais en fait, je pense que si j’avais un bébé d’Orage, je voudrais le garder pour moi. Peut-être même que j’abandonnerais mes recherches. Oui, ça me plairait. Il aurait de grands yeux verts comme son père, et le même sourire »

Un courant d’air glacé sembla me traverser et je m’attendais presque à avoir la chair de poule malgré la chaleur de la chambre. Glace est très fâché pensai-je.

- Il y a de quoi, qu’est-ce que tu as encore fait ?

Qu’est-ce que j’avais fait ? Mais rien du tout. Pour une fois, quoi qu’il se passe encore, ce n’était pas ma faute. J’étais resté bien tranquillement au milieu de nulle part à me faire manger par d’horribles petites bêtes piquantes tout en me faisant harceler par Thibault tandis qu’Orage se payait ma tête. Alors, ce n’était pas le moment d’en rajouter.

- La base entière sait que tu es sur Terre, voilà ce qu’il se passe.

Je restai un moment sous le choc. Très loin Tempête rêvait encore de marmots baveux aux yeux verts. Comme une automate je répétais tout haut ce que je venais d’apprendre et le bruit de fond s’arrêta.

- Thibault et Mike ! Ils n’avaient pas tardé ses deux là. Je savais bien qu’on ne pouvait pas faire confiance à Mike.

- Un courrier anonyme portant les codes d’accès d’Archuleta précisant juste que l’Adarii Pluie n’avait pas à mettre son nez dans les affaires de la Terre, précisa-t-il.

- Et tu ne peux pas leur faire oublier ça ?

- Vu que j’ai été dans les derniers à le savoir, j’aurais du mal. L’information est arrivé il y a plus de deux jours.

- Je ne sais pas, tu peux dire que c’est une erreur des Maÿcentres ?

- Nous n’avons aucune navette ayant fait le trajet entre les Maÿcentres et la Terre depuis le retour de la délégation. Alors comment veux-tu qu’ils y soient pour quelque chose ?

Je ne t’avais demandé qu’une chose : T’occuper de ta mère. Apparemment, même ça, c’était trop compliqué pour toi.

- Ce n’est peut-être pas elle ? Mais en fait si, il n’y avait pas vraiment beaucoup d’autres possibilités. Elle avait déjà réussi à contacter Archuleta et ce n’était pas évident vu le secret entourant cette base. Comment avait-elle réussi cet exploit d’ailleurs ? Sans doute par Thibault, il avait dit l’avoir appelé l’année avant. Voire, il n’était pas à exclure qu’ils manigancent quelque chose ensemble. Je pourrais essayer de l’appeler. Mais pour lui dire quoi ?

- Non. Tu laisses Tempête et Sentiment s’occuper de ça. Quant à toi, tu prends un avion de suite pour le nouveau Mexique. Il faut que tu nous rejoignes à Archuleta.

- Ca va pas !! Qu’est-ce que j’irais faire là-bas ?

- Le Général Gentry m’a demandé de te joindre pour savoir le fin mot de cette histoire. Je vais lui raconter que, suite à la tentative d’assassinat du président par un homme de la Terre, tu es venue de ton propre chef pour découvrir le fin mot de l’histoire. Je dirai que j’ai tenté de te décourager mais, qu’apparemment, tu ne m’as pas écouté et que le message prouve bien que tu étais prête à découvrir quelque chose.

Et c’était encore moi qui allais passer pour la sale gamine alors que, bien au contraire, on m’avait forcée à venir contre ma volonté.

- Arrête de te plaindre, je n’ai pas le temps. Pour l’instant, j’ai l’espoir que tu puisses venir à Archuleta, expliquer un mensonge pertinent et te renvoyer sur Plume au plus vite. Mais, si nous tardons et qu’une navette amène des nouvelles des Maÿcentres, ils vont apprendre que tu as été renvoyé et tu passeras à leurs yeux d’une des personnalités les plus éminentes des Maÿcentres à un simple petit parasite.

Il avait rompu le contact me laissant seule, hébétée, et complètement perdue.

Je me tournai vers Tempête qui était maintenant complètement réveillée. « Qu’est-ce qu’on fait ? »

Elle secoua la tête dans un premier temps ne sachant que dire. Elle pensait que la situation était plutôt embarrassante, mais surtout, ce qu’elle constatait avec soulagement, c’était que Glace ne l’avait pas mentionnée, ni Sentiment. Elle espérait que je n’aie pas parlé de leur présence à Emma.

Je me sentais encore plus sur les nerfs avec l’égoïsme de Tempête qui aurait pu d’abord penser à mes problèmes.

« Non, je n’ai pas parlé de vous à ma mère » dis-je avant qu’elle ne formule sa question. « Mais après tout, nous ne sommes pas sûres que ce soit elle. Ce pourrait être Thibault, ou plutôt Mike ? »

Tempête ne pensait pas que ça vienne de Thibault car le message était arrivé avant qu’on se fâche avec lui et, elle ne voyait pas comment il aurait pu envoyer un courrier alors qu’il était au milieu de la montagne. De toute façon, savoir d’où venait l’information, n’était pas l’essentiel. D’abord, il fallait étouffer les soupçons. Le mieux était que Pluie parte le plus vite possible à Archuleta, ainsi ils verraient qu’elle met de la bonne volonté. Elle pourrait faire l’idiote qui n’avait pas compris qu’elle ne pouvait pas venir sur Terre.

« Je ne suis pas une idiote » Les pensées de Tempête étaient vraiment déplacées. Je ne voulais pas aller à Archuleta. Le mieux était qu’on parte d’ici le plus vite possible.

« Pas d’accord » répondit Tempête à voix haute « Ils penseraient que tu les fuis. Non, s’ils te demandent de venir, tu y vas, un point c’est tout. Tu leur donneras l’autorisation que j’avais obtenu de Gentry pour faire des recherches sur Terre. Tu leur diras que tu pensais qu’elle était aussi valable pour toi et tu leur demanderas gentiment avec un beau sourire si quelqu’un peut te raccompagner.

- Ils ne se contenteront pas de ça. Ils ne me lâcheront pas avant d’avoir tout vérifié. Voire, ils ne me lâcheront pas du tout.

Tempête me regardait désespérée comme si j’étais demeurée. « Tu ne vas pas me dire que tu es incapable de convaincre le chef Gentry qu’il doit te laisser partir et que tu ne lui caches rien ? C’est ta soi-disant moralité qui te bloque ? »

Je hochai la tête. Vu ainsi, en effet, ça ne paraissait pas si compliqué. Convaincre Gentry était faisable. Bon, une fois partie, il se demanderait comment il avait pu être assez bête pour me laisser quitter la Terre, mais ce serait trop tard. Glace pourrait-il me trouver des hommes des Maÿcentres pour me ramener sur Plume ? A voir, possible. Eux, pour les berner ce serait plus compliqué, mais ils avaient l’habitude de nous obéir et nous craignaient. En plus, je les voyais mal révéler nos petits secrets aux Terriens, ce n’était pas dans leur intérêt. Ils seraient contents de se débarrasser de moi. Oui, en fait ce n’était pas si mal tout cela.

J’allais rejoindre Archuleta et de là partir vers Plume.


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